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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3376/2023

ATA/832/2024 du 09.07.2024 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3376/2023-EXPLOI ATA/832/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 juillet 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ Sàrl recourante
représentée par Me Titus VAN STIPHOUT, avocat

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE,

DE LA RECHERCHE ET DE L'INNOVATION intimée
représentée par Me David HOFMANN, avocat

_________



EN FAIT

A. a. A______ Sàrl (ci-après : la société) est une société à responsabilité sise au B______et inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève depuis le ______ 2019. Elle a pour but statutaire : vente et commerce de marchandises, notamment de produits bureautiques ; exploitation d'un local de vente et d'un site de vente en ligne et vente par correspondance ; gestion et exploitation de café-restaurant, de boulangerie et de tea-room ; import-export et achat-vente de divers produits alimentaires.

C______en est l'unique associé gérant, avec signature individuelle.

b. Le 20 septembre 2019, C______a signé une convention de remise de commerce, rachetant le fonds de commerce « D______» sis au E______à la société F______ Sàrl. Selon ce document, le prix d'acquisition du fonds de commerce par C______était de CHF 200'000.-, et il s'agissait uniquement de la vente du fonds de commerce, et non d'une « reprise avec actifs et passifs ».

B. a. Le 19 février 2021, la société a présenté une demande d'aide pour cas de rigueur dans le cadre de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19. Elle a indiqué avoir été inscrite au RC le 4 février 2019.

Le montant du chiffres d'affaires de la société pour l'exercice 2019, qui s'était achevé le 31 décembre 2019, s'élevait à CHF 170'350.-, celui de l'exercice 2020 à CHF 109'652.- et celui de la période de douze mois précédant la demande à CHF 97'592.-.

b. Par décision du 12 avril 2021, le département du développement économique (ci‑après : le département) a accordé une aide de CHF 45'222.60, sur la base d'un chiffre d'affaires 2019 de CHF 226'647.-, d'un chiffre d'affaires [2020] de CHF 109'852.-, de coûts totaux de CHF 230'414.- et de coûts fixes de CHF 52'001.20 pour l'année 2020.

Il était rappelé – comme dans les décisions subséquentes – que les services du département étaient légitimés à effectuer des contrôles a posteriori, une aide accordée à tort pouvant faire l'objet d'une demande de restitution.

c. Le 2 février 2022, le département a indiqué à la société qu'elle pouvait potentiellement bénéficier d'une aide pour la période du 1er janvier au 30 juin 2021. Le délai pour la demande d'indemnité complémentaire était fixé au 28 février 2022.

d. La société a déposé une telle demande le 16 février 2022.

e. Par décision du 25 mars 2022, le département a accordé une aide pour le premier semestre 2021 de CHF 15'832.70, sur la base d'un chiffre d'affaires de CHF 32'907.05, de coûts totaux de CHF 90'024.47 et de coûts fixes de CHF 28'935.10.

L'aide complémentaire était aussi allouée à hauteur de CHF 22'611.30. Ce montant comprenait la part des coûts fixes non couverts en 2020 et le montant de l'aide pour le premier semestre 2021. La société avait épuisé son droit aux mesures d'aide prévues par la loi 12938 et ne pouvait pas prétendre à une indemnisation pour le second semestre 2021.

f. Le 19 août 2022, le département a donné suite à une demande d'aide formée par la société concernant le premier trimestre 2022, lui allouant la somme de CHF 19'647.50 sur la base d'un chiffre d'affaires de CHF 15'271.40, de coûts ayant des incidences sur les liquidités de CHF 35'390.16 et de coûts fixes de CHF 19'647.50.

g. Par décision du 7 mai (recte : 7 juin) 2023, le département a demandé la restitution des sommes allouées par les décisions des 12 avril 2021 et 25 mars 2022, à hauteur de CHF 66'603.90.

Les vérifications complémentaires effectuées démontraient que le chiffre d'affaires 2019 s'élevait à CHF 18'887.25 (contre CHF 226'647.- retenus dans la décision d'octroi). Bien que l'entreprise ait commencé ses activités en décembre 2019, il convenait de retenir la date d'inscription au RC – soit le 4 février 2019 – comme déterminante. De plus, après contrôle, le chiffre d'affaires 2020 s'élevait à CHF 126'612.20 (contre CHF 109'852.- retenus dans la décision d'octroi), les coûts totaux 2020 à CHF 143'742.75 (contre CHF 230'414.-) et les coûts fixes à CHF 44'294.54 (contre CHF 52'001.20). En tenant compte du choix de la société de se référer à la période allant du 1er février 2020 au 31 janvier 2021, le chiffre d'affaires avait progressé de 31.47%, et non reculé de 56.83% comme retenu dans a décision d'octroi. La société n'avait donc pas droit à une aide financière pour perte économique.

La société ne pouvait ainsi prétendre qu'à une indemnisation pour fermeture de CHF 1'230.-. La somme de CHF 67'833.90 lui ayant été versée, elle devait rembourser la somme de CHF 66'603.90 perçue à tort. La décision concernant la restitution de la somme octroyée le 19 août 2022 ferait l'objet d'une décision séparée.

C. a. Le 7 juillet 2023, la société a élevé réclamation contre la décision de restitution précitée.

Le commerce pour lequel l'aide avait été demandée, soit le D______ n'avait été transféré à la société que le 2 décembre 2019. Il fallait dès lors soit accepter l'annualisation du chiffre d'affaires, soit tenir compte du chiffre d'affaires réel du fonds de commerce avant la reprise. Le département n'avait pas tenu compte de la réalité économique.

b. Par décision du 14 septembre 2023, le département a rejeté la réclamation.

Le dispositif d'aide pour cas de rigueur n'avait pas pour but de soutenir les exploitations individuelles ou les fonds de commerce, mais les entreprises qui les opéraient, ceci dans leur entier et non par rapport à des activités isolées. Le contrat de vente du fonds de commerce ne prévoyait pas de reprise des actifs et des passifs, si bien que seule l'enseigne avait été acquise et non la société. De plus, l'art. 3 al. 2 let. a de l'ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de Covid-19 du 25 novembre 2020 (ordonnance Covid-19 - RS 951.262, rebaptisée le 2 février 2022 ordonnance Covid-19 Cas de rigueur 2020 - OMCR 20) avait pour but de tenir compte du chiffre d'affaires pluriannuel 2018-2019 des entreprises dès leur création et non pas dès le début des activités commerciales, si bien que le chiffre d'affaires de la société devait être pris en compte dès le 4 février 2019.

La possibilité avait été donnée aux entreprises de déposer une demande d'indemnisation pour un domaine d'activité spécifique, lorsque celui-ci pouvait être clairement délimité au moyen d'une comptabilité analytique. Cette possibilité ne s'appliquait toutefois pas à la société.

D. a. Par acte posté le 16 octobre 2023, la société a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur réclamation précitée, concluant principalement à son annulation, au constat que l'aide octroyée ne devait pas être restituée et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

L'interprétation que faisait le département des dispositions applicables était insoutenable, et constitutive d'un formalisme excessif. En effet, elle ne faisait pas valoir la prise en compte du chiffre d'affaires de l'une de ses activités parmi d'autres, mais la prise en compte de celui de sa seule et unique activité, qu'elle n'avait pu entamer que le 2 décembre 2019. De plus, l'interprétation adoptée par le département avait pour effet d'exclure du dispositif d'aide « cas de rigueur » de nombreuses entreprises ayant acquis des fonds de commerce. Cela n'avait certainement pas été l'intention du législateur, lequel avait voulu exclure de ce dispositif les entreprises qui ne souffraient pas d'une baisse importante de leur chiffre d'affaires, et non celles qui avaient acquis récemment un fonds de commerce.

De plus, elle avait bien spécifié ses activités commerciales avant la survenue de la crise sanitaire comme étant « Gestion et exploitation d'un café-restaurant, boulangerie tea-room ». Elle ne pouvait pas établir une comptabilité par secteurs puisqu'il s'agissait de son seul domaine d'activité.

Il fallait dès lors soit accepter l'annualisation du chiffre d'affaires 2019 (ce qui donnait un chiffre d'affaires de CHF 207'759.75), soit tenir compte du chiffre d'affaires 2019 réel du fonds de commerce (ce qui donnait un montant de CHF 233'480.-). Le recul du chiffre d'affaires dépassait ainsi 25%, si bien qu'il n'y avait pas lieu à restitution de l'aide octroyée.

b. Le 24 novembre 2023, le département a conclu au rejet du recours.

L'aide octroyée l'avait été dans l'urgence, sur la base d'un examen sommaire des pièces déposées par les parties. Les décisions d'octroi mentionnaient expressément la possibilité de contrôles a posteriori.

La position défendue dans la décision attaquée reposait sur le texte réglementaire clair que constituait l'art. 3 al. 2 let. a OMCR 20, à savoir la prise en compte du chiffre d'affaires moyen réalisé par l'entreprise entre la création de celle-ci et le 29 février 2020 ou le 31 décembre 2020, calculé sur douze mois.

Les entrepreneurs devaient par ailleurs assumer les risques de leurs choix stratégiques et économiques, comme la chambre administrative l'avait rappelé dans plusieurs arrêts. Le choix économique, pour la société, d'acquérir un fonds de commerce avec effet en décembre 2019 n'avait pas d'incidence sur l'indemnisation des cas de rigueur. La position de la société sur les intentions du législateur ne se fondait sur aucun argument concret.

Aucune des différentes variantes proposées par la société pour le calcul de son chiffre d'affaires ne pouvait être retenue. La date pertinente était celle de l'inscription de la société au RC, et le département ne pouvait écarter les mois où l'entreprise n'avait pas eu d'activité.

c. Le juge délégué a fixé un délai aux parties au 16 février 2024 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 16 février 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions. Les arrêts cités par le département au sujet des risques stratégiques et économiques des entrepreneurs n'étaient pas pertinents. Fondée en 2019, elle pouvait prétendre au calcul de son chiffre d'affaires par extrapolation.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 19 al. 2 de la loi 12'938 du 30 avril 2021 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 - LAFE-2021 ; art. 27 al. 5 du règlement d'application de la LAFE-2021 - RAFE-2021 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision de l'autorité intimée du 14 septembre 2023 confirmant sur réclamation la demande de restitution partielle d'une aide financière octroyée à la recourante dans le contexte de l'épidémie de Covid-19.

2.1 Le 25 septembre 2020, l'Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l'épidémie de Covid‑19 (loi Covid-19 - RS 818.102), entrée en vigueur le 26 septembre 2020.

Son art. 12, consacré aux « Mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises », a été modifié lors des sessions de l'Assemblée fédérale des 18 décembre 2020 et 19 mars 2021. Le 17 décembre 2021, sa durée de validité a été prolongée au 31 décembre 2022.

En vertu de cette disposition (dans sa teneur en vigueur du 20 mars 2021 au 31 décembre 2022), à la demande d'un ou de plusieurs cantons, la Confédération peut soutenir les mesures de ces cantons pour les cas de rigueur destinées aux entreprises individuelles, aux sociétés de personnes ou aux personnes morales ayant leur siège en Suisse (entreprises) qui ont été créées ou ont commencé leur activité commerciale avant le 1er octobre 2020, avaient leur siège dans le canton le 1er octobre 2020, sont particulièrement touchées par les conséquences de l'épidémie de Covid-19 en raison de la nature même de leur activité économique et constituent un cas de rigueur, en particulier les entreprises actives dans la chaîne de création de valeur du secteur événementiel, les forains, les prestataires du secteur des voyages, de la restauration et de l'hôtellerie ainsi que les entreprises touristiques (al. 1). Il y a cas de rigueur au sens de l'al. 1 si le chiffre d'affaires annuel de l'entreprise est inférieur à 60% de la moyenne pluriannuelle. La situation patrimoniale et la dotation en capital globales doivent être prises en considération, ainsi que la part des coûts fixes non couverts (al. 1bis). La Confédération verse aux cantons une participation financière à hauteur de 70% des mesures pour les cas de rigueur visées à l’al. 1 qu’ils destinent aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel de 5 millions de francs au plus (al. 1quater let. a). Le soutien de la Confédération n’est accordé que si les entreprises étaient rentables ou viables avant l’apparition du Covid-19 et à condition qu’elles n’aient pas droit à d’autres aides financières de la Confédération au titre de la Covid-19. Ces dernières n’incluent pas les indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail, les allocations pour perte de gain et les crédits visés par l’ordonnance du 25 mars 2020 sur l'octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au Covid-19 - OCaS-COVID-19 - RS 951.261) et par la loi fédérale sur les crédits garantis par un cautionnement solidaire à la suite du coronavirus (loi sur les cautionnements solidaires liés au Covid-19 - LCaS‑COVID-19 ; al. 2bis). Le Conseil fédéral règle les détails dans une ordonnance ; il prend en considération les entreprises qui ont réalisé en moyenne un chiffre d'affaires de CHF 50'000.- au moins au cours des années 2018 et 2019 (al. 4).

2.2 Selon l'ordonnance Covid-19 dans sa teneur entre le 1er avril 2021 et le 31 décembre 2021 (soit au moment où la demande d'aide initiale a été déposée), en vertu de l’art. 12 de la loi Covid-19 et dans la limite du crédit d’engagement approuvé par l’Assemblée fédérale, la Confédération participe aux coûts et aux pertes que les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises occasionnent à un canton à certaines conditions, dont celle que les entreprises bénéficiant du soutien du canton répondent aux exigences visées à la section 2 (art. 1 al. 1 let. a ordonnance Covid-19).

La section 2 ordonnance Covid-19 traite des exigences relatives aux entreprises et comprend notamment les art. 2 et 3. L’entreprise a la forme juridique d’une entreprise individuelle, d’une société de personnes ou d’une personne morale ayant son siège en Suisse (art. 2 al. 1). Elle a un numéro d’IDE (art. 2 al. 2). L’entreprise doit avoir fourni au canton les justificatifs suivants : elle s’est inscrite au registre du commerce avant le 1er octobre 2020, ou, à défaut d’inscription au registre du commerce, a été créée avant le 1er octobre 2020 (art. 3 al. 1 let. a), elle a réalisé pour les exercices 2018 et 2019 un chiffre d’affaires moyen d’au moins CHF 50'000.- (art. 3 al. 1 let. b) et elle paie la plus grande partie de ses charges salariales en Suisse (art. 3 al. 1 let. c). Par chiffre d’affaires annuel moyen au sens de l’al. 1 let. b, on entend : pour une entreprise qui a été créée entre le 31 décembre 2017 et le 29 février 2020, le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 29 février 2020, calculé sur douze mois (art. 3 al. 2 let. a ch. 1) ou le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur douze mois (art. 3 al. 2 let. a ch. 2) ; pour une entreprise qui a été créée entre le 1er mars 2020 et le 30 septembre 2020, le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur douze mois (art. 3 al. 2 let. b). Le chiffre d’affaires au sens de l'ordonnance Covid-19 se réfère au compte individuel de l’entreprise requérante (art. 3 al. 3).

L’entreprise a prouvé au canton que son chiffre d’affaires 2020 est inférieur à 60% du chiffre d’affaires moyen des exercices 2018 et 2019 en raison des mesures ordonnées par les autorités aux fins de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 (art. 5 al. 1 ordonnance Covid-19). En cas de recul du chiffre d’affaires enregistré entre janvier 2021 et juin 2021 en raison des mesures ordonnées par les autorités aux fins de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, l’entreprise peut calculer le recul de son chiffre d’affaires sur la base du chiffre d’affaires d’une période ultérieure de 12 mois au lieu du chiffre d’affaires de l’exercice 2020 (art. 5 al. 2 ordonnance Covid-19).

2.3 Le 30 avril 2021, le Grand Conseil a adopté la LAFE-2021, qui a abrogé l’ancienne loi 12'863 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 du 29 janvier 2021 (ci-après : aLAFE-2021).

Selon son art. 1, la LAFE-2021 a pour but de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l'épidémie de Covid-19 pour les entreprises sises dans le canton de Genève (al. 1), d'en atténuer les pertes subies par les entreprises dont les activités ont été interdites ou réduites en raison de la nature même de leurs activités, entre le 1er janvier et le 31 décembre 2021 (al. 2) et de soutenir par des aides cantonales certaines entreprises qui ne remplissent pas les critères de l'ordonnance Covid-19 en raison d'une perte de chiffre d'affaires insuffisante et qui ne couvrent pas leurs coûts fixes, dans les limites prévues à l'art. 12 (al. 3).

Conformément à l'art. 3 LAFE-2021, l'aide financière extraordinaire consiste en une participation à fonds perdu de l'État de Genève destinée à couvrir les coûts fixes non couverts de l'entreprise, en application des dispositions de l’ordonnance Covid‑19 (al. 1). Les coûts fixes considérés et les modalités de leur prise en compte dans le calcul du montant de la participation accordée par l'Etat sont précisés par voie réglementaire (al. 2). L'activité réelle de l'entreprise est prise en compte dans la détermination de l'indemnité (al. 3).

À teneur de l'art. 4 al. 1 LAFE-2021, peuvent prétendre à une aide les entreprises qui, en raison des mesures prises par la Confédération ou le canton pour endiguer l'épidémie de Covid-19, doivent cesser totalement ou partiellement leur activité selon les dispositions de l'ordonnance Covid-19 (let. a), ou dont le chiffre d'affaires a subi une baisse substantielle selon les dispositions de l'ordonnance Covid-19 (let. b) ou dont la baisse de chiffre d'affaires enregistrée se situe entre 25% et 40% et qui ne couvrent pas leurs coûts fixes (indemnisation cantonale ; let. c).

En vertu de l’art. 8 al. 1 LAFE-2021, l’indemnité n’est accordée que si le chiffre d'affaires annuel de l’entreprise est inférieur à 60% de son chiffre d'affaires moyen des exercices 2018 et 2019.

Selon l’art. 9 LAFE-2021, relatif à l'indemnisation cantonale, l’État de Genève peut octroyer sans participation financière de la Confédération des aides en faveur des entreprises dont la baisse de chiffre d’affaires enregistrée se situe entre 25% et 40% du chiffre d'affaires moyen des exercices 2018 et 2019 (let. a) ou créées depuis mars 2020 ou avant mars 2020 mais dont les activités commerciales n’ont débuté qu’après le 1er mars 2020 ; dans ce cas, l’indemnisation est calculée sur la base du chiffre d’affaires moyen de l’entreprise pendant les mois durant lesquels elle a pu mener son activité commerciale (let. b ; al. 1). L’indemnisation cantonale comble la différence entre l’éventuelle indemnisation calculée selon les critères de l’ordonnance Covid-19 et l’indemnité calculée selon les critères de l’al. 1 (al. 2). Les critères permettant de déterminer le début de l’activité commerciale sont déterminés par voie réglementaire (al. 3).

La participation financière indûment perçue doit être restituée sur décision du département (16 al. 1 LAFE-2021). Est indûment perçue la participation financière utilisée à d’autres fins que la couverture des coûts fixes tels que précisés à l'art. 5 LAFE‑2021.

2.4 Le 5 mai 2021, le Conseil d’État a adopté le RAFE-2021.

Selon l'art. 3 RAFE-2021, sont bénéficiaires de l'aide les entreprises qui répondent aux exigences de l’ordonnance Covid-19, définies dans ses sections 1 et 2 (al. 1). Les entreprises qui ne satisfont pas aux exigences relatives au recul du chiffre d'affaires définies à l'art. 5 ordonnance Covid-19, tout en répondant aux autres conditions de ses sections 1 et 2, peuvent bénéficier de l'indemnisation cantonale conformément à l'art. 9 al. 1 let. a LAFE-2021 si la baisse de leur chiffre d'affaires se situe entre 25% et 40% (al. 2). Sont également bénéficiaires de l’aide considérée, pour autant qu'elles répondent aux autres exigences définies dans les sections 1 et 2 de l'ordonnance Covid-19, les entreprises : (a) qui ne répondent pas aux exigences des art. 3 al. 1 let. b et 5 de l’ordonnance Covid-19 en vertu des modalités de détermination du chiffre d’affaires annuel moyen visées par l’art. 3 de ladite ordonnance, mais y répondent en vertu des modalités de l’art. 9 al. 1 let. b LAFE‑2021 et (b) qui ont été créées depuis mars 2020, ou avant mars 2020, mais dont les activités commerciales n’ont débuté qu’après le 1er mars 2020 (al. 3).

L’art. 11 RAFE-2021 précise que peuvent prétendre à une aide financière, les entreprises qui démontrent que leur chiffre d’affaires, généré sur une période de douze mois comprise entre le 1er janvier 2020 et le 30 juin 2021, est inférieur à 60% du chiffre d’affaires moyen déterminé selon les modalités prévues par l’art. 3 ordonnance Covid-19.

Selon l'art. 14 RAFE-2021, peuvent prétendre à une aide financière les entreprises qui peuvent démontrer que la baisse de leur chiffre d'affaires 2020 se situe entre 40% et 60% du chiffre moyen entre les exercices 2018 et 2019 en raison des mesures ordonnées par les autorités en lien avec la pandémie (al. 1). Si l'entreprise a été créée en 2018 ou en 2019, le chiffre d'affaires à prendre en compte est celui réalisé entre le 1er janvier 2018 et le 29 février 2020, calculé sur douze mois (al. 2).

Peuvent prétendre aux aides financières prévues aux sections 1 et 2 du présent chapitre et à la sous-section 1 de la présente section les entreprises qui ont été créées depuis mars 2020, ou avant mars 2020, mais dont les activités commerciales n’ont débuté qu’après le 1er mars 2020, et qui remplissent les conditions prévues à l’art. 3 al. 3 (art. 17 RAFE-2021).

2.5 Le 18 juin 2021, l'Administration fédérale des finances (ci-après ; AFF) a publié des commentaires de l’ordonnance covid-19 (ci-après : commentaires ; disponibles sur https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/67163.pdf, consulté le 28 juin 2024).

L'art. 3 al. 1 de l’ordonnance Covid-19 fixe les conditions relatives à la date de création et au chiffre d’affaires qu’une entreprise doit respecter afin que la Confédération participe aux coûts des mesures cantonales pour les cas de rigueur : seules seront soutenues les entreprises qui existaient déjà avant la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19 en octobre 2020 (let. a ; AFF, commentaires, § 1 ad art. 3). Si la forme juridique d’une entreprise a changé après le 1er octobre 2020, une participation fédérale aux contributions cantonales pour les cas de rigueur est néanmoins possible. Dans ce cas, le principe de la prééminence de la substance sur la forme s’applique. À titre d’exemple, on peut supposer qu’une entreprise individuelle non inscrite au registre du commerce s’est transformée en société à responsabilité limitée lors de l’hiver 2020. L’inscription au registre du commerce est donc postérieure au 1er octobre 2020, mais dans les faits la société existait déjà depuis un certain temps. Dans ce cas, la date de création de l’entreprise individuelle peut servir de base. Le changement de nature juridique ne doit être pris en compte que s’il existe une intention d’abus (par exemple si une société récemment créée est transférée à une société anonyme existant depuis longtemps ; AFF, commentaires, § 2 ad art. 3). Le principe de la prééminence de la substance sur la forme est lié à l’entreprise. Un changement d’affermataire dans un restaurant ou un changement de locataire dans une boutique ne remplissent donc pas les conditions au sens de ce principe ; dans le cas contraire, l’État risquerait de verser les contributions à double pour une seule et même exploitation (AFF, commentaires, § 4 ad art. 3). Le chiffre d’affaires minimum étant de CHF 50'000.-, les propriétaires de très petites entreprises qui ne pouvaient subvenir que partiellement à leurs besoins grâce aux bénéfices de celles-ci avant la pandémie sont exclus des aides destinées aux cas de rigueur (let. b). C’est le chiffre d’affaires moyen de 2018 et 2019 qui sert de référence, c’est-à-dire les chiffres d’affaires réalisés avant le début de l’épidémie de Covid-19 (AFF, commentaires, § 5 ad art. 3).

L’al. 2 règle la façon dont il faut calculer le chiffre d’affaires des entreprises qui ont été fondées après le 31 décembre 2017 et dont le chiffre d’affaires ne comprend ainsi pas deux années entières avant le début de l’épidémie. Pour une entreprise qui a été créée entre le 31 décembre 2017 et le 29 février 2020 (c’est-à-dire avant la mise en œuvre en Suisse de mesures de restriction de l’activité économique en vue de protéger la santé), le chiffre d’affaires moyen qui sert de référence est celui qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 29 février 2020, calculé sur douze mois ou le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur douze mois. Le chiffre d’affaires pris en considération est celui qui permet à l’entreprise de recevoir l’aide la plus importante (let. a). Cette règle garantit que les entreprises qui ont été créées en 2018 ou 2019, mais qui n’ont réalisé des chiffres d’affaires plus élevés qu’à partir de 2020, ne soient pas défavorisées par rapport à celles qui ont été créées après le 29 février 2020 et qui ont réalisé des chiffres d’affaires en été 2020. Pour une entreprise qui a été créée entre le 1er mars 2020 et le 30 septembre 2020, le chiffre d’affaires moyen qui sert de référence est celui qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur douze mois (let. b ; AFF, commentaires, § 7 ad art. 3).

2.6 La chambre administrative a déjà eu l’occasion de constater qu’il ressortait des travaux préparatoires de la loi Covid-19 que lorsque le débat avait porté sur la période de référence, une réduction de cette durée ou une extrapolation du chiffre d’affaires n’avaient été évoqués que pour les entreprises créées durant celle-ci. Elle a notamment relevé le texte de l’ordonnance Covid-19 était clair et que les exceptions à la prise en compte du chiffre d’affaires de référence moyen des années 2018-2019 étaient limitées aux entreprises fondées après le 31 décembre 2017. L’extrapolation du chiffre d’affaires durant la période de référence 2018-2019 ne se justifie que si l’entreprise a été créée durant cette période (ATA/543/2023 du 23 mai 2023 consid. 3.5.1, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_356/2023 du 28 mars 2024).

2.7 Elle aussi confirmé à maintes reprises que la « création d'entreprise » correspond à la date de son inscription au registre du commerce (ATA/1036/2023 du 18 septembre 2023 consid. 4.7 ; ATA/543/2023 précité consid. 3.5.1 ; ATA/1270/2022 du 16 décembre 2022 consid. 2i et 3 ; ATA/861/2022 du 26 août 2022 consid. 3h, 3i et 4 ; ATA/813/2022 du 17 août 2022 consid. 6 et 7).

Ainsi la chambre administrative a-t-elle retenu comme date de création l'inscription au RC d'une société en 2015. Le transfert d'activité et la fusion par absorption survenus en 2018 résultaient d'un choix entrepreneurial et ressortissaient à la vie économique ordinaire des entreprises. Le changement de raison sociale et de but pour déployer ses activités dans un autre domaine n'avaient aucune incidence sur la date de création (ATA/543/2023 précité consid. 4).

Il n'y avait pas lieu non plus d’extrapoler le chiffre d’affaires d'une entreprise à la reprise de l’activité dans le cas d'une interruption d'exploitation due à des travaux, lesquels constituaient un choix économique et entrepreneurial (ATA/154/2022 du 10 février 2022 consid. 3b ; ATA/86/2022 du 1er février 2022 consid. 4a).

2.8 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; ATF 135 II 416 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 135 II 243 consid. 4.1 ; ATF 133 III 175 consid. 3.3.1). L'interprétation de la loi peut conduire à la constatation d'une lacune. Une lacune authentique (ou proprement dite) suppose que le législateur s'est abstenu de régler un point alors qu'il aurait dû le faire et qu'aucune solution ne se dégage du texte ou de l'interprétation de la loi. En revanche, si le législateur a renoncé volontairement à codifier une situation qui n'appelait pas nécessairement une intervention de sa part, son inaction équivaut à un silence qualifié. Quant à la lacune improprement dite, elle se caractérise par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que celle-ci est insatisfaisante. D'après la jurisprudence, seule l'existence d'une lacune proprement dite appelle l'intervention du juge, tandis qu'il lui est en principe interdit, selon la conception traditionnelle qui découle notamment du principe de la séparation des pouvoirs, de corriger les silences qualifiés et les lacunes improprement dites, à moins que le fait d'invoquer le sens réputé déterminant de la norme ne soit constitutif d'un abus de droit, voire d'une violation de la Constitution (ATF 139 I 57 consid. 5.2 ; 138 II 1 consid. 4.2).

2.9 Le formalisme excessif, prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst, est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 145 I 201 consid. 4.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_65/2024 du 15 février 2024 consid. 1.2.1).

2.10 En l'espèce, il n'est pas contesté que l'exploitation d'une boulangerie tea-room soit l'unique activité de la recourante. Il n'en demeure pas moins que l'art. 3 al. 2 let. a ordonnance Covid-19 / OMCR 20 est clair, à savoir que pour une entreprise qui a été créée entre le 31 décembre 2017 et le 29 février 2020, comme c'est le cas ici puisque la recourante a été inscrite au RC (date pertinente selon la jurisprudence) le 4 février 2019, le chiffre d’affaires à prendre en considération est soit le chiffre d'affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 29 février 2020, calculé sur douze mois (ch. 1) soit le chiffre d’affaires moyen qui a été réalisé entre la création de l’entreprise et le 31 décembre 2020, calculé sur douze mois (ch. 2). Dans aucune de ces deux hypothèses la recourante n'a subi de perte en 2020, et les dispositions précitées ne prévoient aucune extrapolation du chiffre d'affaires.

Les considérations de la recourante sur les intentions du législateur à propos de la reprise de fonds de commerce ne trouvent quant à elles aucune assise dans les textes légaux et réglementaires, ni du reste dans leur commentaire ou dans la jurisprudence. Quant au choix de commencer l'exploitation en décembre plutôt qu'immédiatement après le rachat du fonds de commerce – qui a du reste été opéré formellement par C______et non par la recourante –, il s'agit là d'un choix entrepreneurial qui n'a, selon la jurisprudence citée plus haut et en particulier l'ATA/86/2022, pas d'incidence sur l'existence d'un cas de rigueur.

Dès lors, l'interprétation de la législation faite par l'intimé n'apparaît ni insoutenable, ni constitutive d'un formalisme excessif – pour autant que cette dernière notion soit applicable ici, dès lors que les dispositions appliquées sont des règles de fond et non de procédure. Il n'y a lieu ni d'annualiser le chiffre d'affaires 2019 en l'extrapolant sur dix ou douze mois, ni de tenir compte du chiffre d'affaires 2019 réel du fonds de commerce – dès lors que l'aide doit être calculée en fonction du chiffre d'affaires de la société recourante, et non pas du commerce qu'elle exploite après l'avoir repris.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

3.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 octobre 2023 par A______ Sàrl contre la décision de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation du 14 septembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ Sàrl un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Titus VAN STIPHOUT, avocat de la recourante, ainsi qu'à Me David HOFMANN, avocat de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :