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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/150/2023

ATA/362/2023 du 04.04.2023 ( EXPLOI ) , ACCORDE

Recours TF déposé le 11.05.2023, 2C_270/2023
Recours TF déposé le 11.05.2023, rendu le 26.06.2023, IRRECEVABLE, 2C_270/2023
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/150/2023-EXPLOI ATA/362/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 4 avril 2023

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Sarah Halpérin Goldstein et Lionel Halpérin, avocats

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI
représenté par Me Stéphanie Fuld, avocat



Vu le recours interjeté le 17 janvier 2023 par A______ devant la chambre administrative de la Cour de justice contre la décision, déclarée exécutoire nonobstant recours, de l’office cantonal de l'emploi (ci-après : OCE) du 12 janvier 2023 l’assujettissant à la loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services du 6 octobre 1989 (LES - RS 823.11) dans le cadre de son activité de mise à disposition de chauffeurs sur la plateforme dite « B______ » et lui interdisant toute activité jusqu’à l’obtention de l’autorisation de pratiquer la location de services ;

que A______, inscrite au registre du commerce depuis le 10 juin 2022, a conclu, principalement, à l’annulation de cette décision et au constat qu’elle n’était pas assujettie à la LSE ;

qu’elle expose avoir pour but en particulier l’exploitation d’une entreprise de transport professionnel de personnes ainsi que toute activité liée de près ou de loin au domaine du transport et peut également effectuer toute opération commerciale se rapportant à ce but ; qu’elle dispose des autorisations requises au terme de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (LTVTC - H 1 31) ; qu’elle a conclu, avec C______, société de droit néerlandais, un contrat commercial afin d’utiliser la plateforme B______ pour la mise en relation des clients et chauffeurs et pour la gestion des courses et des transactions y relatives ; qu’elle décide seule du recrutement des chauffeurs – au nombre d’une cinquantaine –, de l’établissement de leur contrat, de leur formation, de l’organisation de leur travail et de leur surveillance ; que le salaire minimum genevois est respecté ; que la procédure avait débuté par un courrier de l’OCE du 14 octobre 2022 lui impartissant un délai au 31 octobre 2022 pour expliquer ses activités ;

que, sur effet suspensif, il convenait de relever qu’il ne paraissait pas manifeste qu’elle soit soumise à la LSE, vu son pouvoir d’instruction sur ses employés ; qu’à défaut d’effet suspensif, elle serait contrainte de requérir une autorisation LSE et conclure des contrats de travail temporaire avec ses employés avant que la question de savoir si son activité relevait de la location de service soit tranchée ; que l’intérêt public au respect de la loi ne pouvait justifier le retrait de l’effet suspensif, qui était pourtant l’exception prévue par le législateur en la matière ; que la question de son assujettissement était controversée et que l’OCE ne démontrait pas que la condition des chauffeurs serait améliorée par ledit assujettissement ;

que, complétant son recours, la recourante a encore conclu à son audition, celle de ses employés, d’un responsable technique de l’application B______, d’un représentant de D______ et à la tenue d’un transport sur place dans ses bureaux ; qu’elle a relevé que le retrait de l’effet suspensif mettrait en péril cinquante emplois et serait susceptible de l’exposer à des difficultés financières ; qu’environ la moitié de ses chauffeurs avaient une ou plusieurs autres activités professionnelles ; que les chauffeurs devaient disposer d’une plaque d’immatriculation spécifique au transport professionnel de personnes, respecter les temps de repos, s’abstenir d’équiper leur véhicule avec des caractéristiques susceptibles de créer une confusion avec les taxis, respecter les prescriptions relatives aux courses vers ou de l’aéroport ; qu’elle avait informé ses employés qu’il leur était interdit de circuler ou stationner sur le domaine public dans l’attente d’une course et que tout paiement en espèces était interdit ; qu’elle versait aux chauffeurs, en sus du salaire de base, les éventuels suppléments applicables (heures effectuées le dimanche, un jour férié) et s’acquittait des charges sociales ; qu’elle proposait à ses employés un accueil dans ses locaux tous les jours de semaine de 14h00 à 17h00 afin de les aider dans les difficultés qu’ils rencontraient ; qu’elle avait récemment approché le syndicat D______ vu le succès rencontré dans la collaboration entre celui-ci et E______ (société de livreurs de repas) ;

qu’elle détaillait ensuite les rapports de travail liant ses employés, précisant les obligations qu’elle leur imposait, le fait qu’elle seule déterminait l’activation, la suspension ou la déconnexion de leur compte sur la plateforme B______ ; qu’elle traitait – et non C______ – des plaintes de clients reçues sur ladite plateforme ; qu’elle utilisait d’autres applications telles que F______, G______, H______, I______ notamment dans son activité ; qu’elle était en train de développer sa propre application de gestion des chauffeurs ; que ceux-ci pouvaient s’écarter du tarif proposé par la plateforme B______ ; que les chauffeurs utilisaient leur propre véhicule et téléphone ; qu’elle procédait cependant à des contrôles des véhicules ;

qu’elle a encore exposé les modalités relatives à la commission de 20 % qu’elle reversait à C______ ; que l’avis du secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO) sur lequel l’OCE se fondait se référait à des éléments de fait erronés ; que la présente situation différait de celle ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal fédéral du 30 mai 2022 ; qu’il ne pouvait être déduit du simple fait qu’elle utilisait l’application B______ qu’elle était assujettie à la LSE ; que C______ ne fournissait qu’un support technique, contrairement à elle qui fournissait une prestation de transport ; qu’en outre, les faits de la présente cause différaient de manière importante de celle ayant conduit à l’arrêt du Tribunal fédéral précité, notamment quant à l’engagement, la supervision, la notation, l’activation et la désactivation des comptes, le paiement du salaire, la géolocalisation, la fixation du prix de la course, le risque financier ; qu’ainsi, même dans l’hypothèse soutenue par l’OCE d’un partage du pouvoir d’instructions, la recourante détenait l’essentiel de celui-ci ; que le fait que C______ se soit annoncée comme diffuseuse de courses ne signifiait pas qu’elle disposait d’un pouvoir d’instruction sur les employés de la recourante ;

que le 19 janvier 2023, la juge déléguée a admis, à titre superprovisionnel, la restitution de l’effet suspensif ;

que l’OCE s’est opposé à la restitution de l’effet suspensif ; que le 1er juillet 2022, le SECO avait, après l’arrêt du Tribunal fédéral précité, invité l’OCE à réexaminer si les entreprises tierces utilisant l’application B______ étaient soumises à la LSE, l’essentiel du pouvoir d’instruction semblant passer à ladite application, qui était donc locataire de services ; que la recourante était une succursale de E______, qui existait depuis le 25 août 2020 ; qu’elle ne pouvait ignorer que son activité relevait de la location de services, mais n’avait néanmoins pas entrepris de démarches, ne serait-ce en se renseignant auprès de l’OCE, qu’elle n’avait ainsi pas suivi les procédures d’assujettissement, mettant l’autorité devant le fait accompli ; qu’il ressortait du contrat liant la recourante à C______ qu’elle prévoyait de disposer de cinq cents chauffeurs, de sorte que sa capacité financière était importante ; que le refus de restituer l’effet suspensif ne serait donc pas de nature à provoquer sa faillite ; qu’accéder à sa requête reviendrait à laisser perdurer un état de fait contraire au droit et priver l’OCE de son autorité de rendre des décisions d’assujettissement ; qu’il était habituel que l’OCE rende immédiatement exécutoires ses décisions ;

que la société pratiquant la location de services devait fournir des garanties pour les prétentions salariales des employés, de sorte qu’il était normal que la décision de soumission à la LSE soit déclarée immédiatement exécutoire ; que l’intérêt financier de la recourante à la poursuite de son activité n’était pas prépondérant par rapport au respect de l’État de droit ; que le seul fait de soumettre une activité à autorisation exprimait l’existence d’un intérêt public prépondérant ; que les chances de succès du recours étaient faibles, vu que les chauffeurs dépendaient dans une large mesure de l’application B______ pour l’accomplissement de leur travail ; que l’égalité de traitement entre administrés s’opposait à la restitution de l’effet suspensif, l’OCE ayant déclaré immédiatement exécutoires l’ensemble des décisions d’assujettissement rendues en lien avec l’utilisation de l’application B______ ;

que, dans sa réplique sur effet suspensif, la recourante a contesté qu’elle savait qu’elle pourrait être soumise à la LSE ; que la décision concernant sa société mère n’avait été rendue qu’après plus de deux ans d’échanges entre les parties, durant lesquels l’OCE avait d’ailleurs laissé entendre qu’il doutait de l’assujettissement querellé ; que la décision y relative était une décision positive, compatible avec l’octroi de la restitution de l’effet suspensif ; que la jurisprudence applicable au refus d’accorder une autorisation dans le domaine de la restauration ne pouvait s’appliquer au cas d’espèce, la recourante ayant requis et obtenu l’autorisation nécessaire au transport professionnel de personnes ;

qu’elle a encore sollicité, sur effet suspensif, son audition ainsi que celle d’un représentant de D______ ;

que les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre, respectivement par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par une juge ;

qu'aux termes de l'art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

que selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020 ; ATA/303/2020 du 19 mars 2020 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018) ;

qu'elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265) ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités) ;

qu’ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, ibidem) ;

que lors de l'octroi ou du retrait de l'effet suspensif, l'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

qu’en l’espèce, il convient en premier lieu de relever qu’en tant que la décision querellée assujettit la recourante à la LSE dans son activité de mise à disposition de chauffeurs pour le transport de personnes en utilisant la plateforme B______ et lui interdit de pratiquer toute activité dans ce domaine tant qu’elle ne dispose pas d’une autorisation LSE, ladite décision comporte deux volets intimement liés ; qu’ainsi, la restitution de l’effet suspensif ou l’octroi de mesures provisionnelles ne saurait être admis ou rejeté sur un point seulement ;

qu’à cet égard, il est observé que la question juridique de fond, à savoir si l’activité telle que pratiquée par la recourante et ses chauffeurs ressortit à la LSE ou non, est complexe et nécessite une instruction plus approfondie ; que la réponse à cette question n’est pas évidente ;

que l’intérêt public à l’exécution immédiate des décisions rendues par l’État est manifeste ;

que, cependant, cet intérêt doit être mis en balance avec les intérêts privés en jeu ;

qu’à cet égard, l’intérêt privé de la recourante à pouvoir poursuivre son activité, pendant la durée de la procédure, est d’ordre purement financier ;

que l’intérêt des employés à conserver leur emploi est également d’ordre financier pour ceux-ci ;

qu’à la différence de l’arrêt ATA/10/2023 cité par les parties, le nombre d’employés concernés en l’espèce est plus important ; qu’en effet, une cinquantaine de chauffeurs sont susceptibles d’être touchés par la décision sur effet suspensif à rendre ; qu’en outre, les modalités du contrat de travail semblent différer sur certains points d’avec celles prévalant dans le cas précité, notamment dans l’organisation et la rémunération du travail ; qu’il apparaît, par ailleurs, que des discussions entre la recourante et un syndicat sont en cours en vue de conclure une convention collective de travail ;

que le fait que la décision ait été déclarée immédiatement exécutoire implique la cessation immédiate de l’activité telle que pratiquée jusque-là par la recourante ; qu’il est vraisemblable qu’elle devra licencier ses livreurs si la présente requête était rejetée ;

qu’en cas d’admission du recours, les employés seraient toutefois susceptibles à nouveau de se retrouver employés de la recourante ;

qu’il existe ainsi un intérêt public et privé à éviter d’exposer les travailleurs à des revirements de situation importants, étant précisé que l’échange d’écritures relatif à la procédure de recours va se terminer prochainement ;

qu’au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il se justifie de faire droit à la requête et de restituer l’effet suspensif au recours ;

qu’il est encore relevé que, contrairement à ce que fait valoir l’intimé, la présente décision ne consacre pas d’inégalité de traitement avec d’autres sociétés pratiquant le transport de personnes s’étant vu notifier une décision d’assujettissement à la LSE et qui ne l’auraient pas contestée, dès lors qu’elles ne se trouvent pas dans la même situation qu’un administré ayant recouru contre la décision et que rien n’indique que les conditions de travail seraient identiques ; qu’il en va de même s’agissant de la société concernée par l’ATA/10/2023, dont il vient d’être exposé en quoi sa situation différait de celle de la recourante ;

qu’en conclusion, la requête de restitution d’effet suspensif sera admise ;

qu’il sera statué sur les frais de la présente décision avec l’arrêt au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

restitue l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Mes Sarah Halpérin Goldstein et Lionel Halpérin, avocats de la recourante, ainsi qu'à Me Stéphanie Fuld, avocate de l'office cantonal de l'emploi.

 

La présidente :

 

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :