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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2649/2022

ATA/1023/2022 du 11.10.2022 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2649/2022-FPUBL ATA/1023/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 octobre 2022

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Robert Assaël, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE

et

Monsieur B______

 



EN FAIT

1) Madame A______ a été engagée le 1er juillet 2014 en qualité de cheffe d’unité au Service C______ de la Ville de Genève (ci-après : la ville). Le 18 novembre 2015, elle a été nommée au poste de directrice du département D______ (ci-après : D______), avec effet au 1er février 2016.

2) Par décision du 19 janvier 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, le conseil administratif de la ville (ci-après : le CA) a prononcé la suspension avec effet immédiat de Mme A______ de son activité de directrice du D______ jusqu’au prononcé d’une éventuelle sanction ou d’un licenciement et l’a informée de ce que le CA avait décidé, dans un premier temps, de mandater un expert externe pour effectuer notamment un état des lieux de la situation au sein de la direction du D______.

Le recours formé par Mme A______ le 31 janvier 2022 contre cette décision a été déclaré irrecevable par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) par arrêt du 23 juin 2022 (ATA/652/2022).

3) Par décision du 2 mars 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, le CA a ouvert une enquête administrative à l’encontre de Mme A______, qu’il a confiée à Monsieur B______.

Le recours formé par Mme A______ le 16 mars 2022 contre cette décision a été déclaré irrecevable par la chambre administrative par arrêt du 23 août 2022 (ATA/836/2022).

4) Par décision du 18 mars 2022, le CA a rejeté la demande de récusation de M. B______ formée par Mme A______.

Le recours formé par Mme A______ le 28 mars 2022 contre cette décision devant la chambre administrative a été rejeté par arrêt du 3 mai 2022 (ATA/461/2022). Un recours est actuellement pendant devant le Tribunal fédéral.

5) Mme A______ a à nouveau sollicité la récusation de M. B______ le 10 mai 2022. Par décision du 2 juin 2022, le CA a déclaré cette demande irrecevable et, en tout état, infondée.

Cette décision a été confirmée par la chambre administrative par arrêt du 23 août 2022 (ATA/837/2022).

6) Par courrier du 23 juin 2022, M. B______ a pris acte de la requête de Mme A______ s’agissant de la production d’un certain nombre de pièces et précisé qu’il entendait conduire son enquête de manière objective et indépendante.

Le recours interjeté par Mme A______ contre ce courrier a été déclaré irrecevable par arrêt de la chambre administrative du 27 septembre 2022 (ATA/968/2022).

7) Par décision du 9 août 2022, M. B______ a refusé la demande formée par Mme A______ de faire interdiction au service juridique de la ville de diffuser les procès-verbaux d’audience à qui que ce soit au sein de la ville, « Magistrate comprise ».

Durant la dernière audience, Mme A______ avait évoqué le risque de transmission des procès-verbaux aux différents témoins qui seraient amenés à être entendus dans la suite de l’enquête administrative, si les procès-verbaux devaient être transmis aux parties.

Conformément à l’art. 44 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), seules les parties pouvaient consulter le dossier. Un employé de l’administration, qui serait entendu en qualité de témoin, ne revêtait pas cette qualité et ne pouvait pas, de ce fait, consulter le dossier de la personne qui faisait l’objet de la procédure dans laquelle il était appelé comme témoin, étant précisé que Madame E______ revêtait la qualité de partie et pouvait accéder au dossier. Dans la mesure où les témoins n’avaient pas accès aux procès-verbaux, le risque que les autres témoins prennent connaissance de ceux-ci était inexistant. Enfin, il n’y avait pas d’intérêt privé à restreindre l’accès aux procès-verbaux d’audience, étant précisé que l’accès au dossier ne devait être restreint que de manière exceptionnelle.

8) Par acte expédié le 22 août 2022 à la chambre administrative, Mme A______ a interjeté recours contre la décision de l’enquêteur du 9 août 2022, concluant à son annulation et, sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, à ce qu’il soit enjoint à l’enquêteur soit enjoint d’interdire au service juridique de la ville de transmettre les procès-verbaux d’audience aux témoins et personnes convoquées, à ceux à convoquer et à ceux qui pourraient l’être, jusqu’à droit connu dans le recours ; subsidiairement, à ce qu’il soit fait interdiction au service juridique de la ville de remettre les procès-verbaux d’audience aux témoins et personnes convoqués, à ceux à convoquer et à ceux qui pourraient l’être, jusqu’à droit connu dans le présent recours ; plus subsidiairement, à ce qu’il soit fait interdiction à M. B______ de remettre aux parties les procès-verbaux d’audience, jusqu’à ce que tous les témoins et autres personnes aient été entendus.

Le recours était dirigé contre une décision incidente lui causant un préjudice irréparable. Il était « sérieusement à craindre » que les procès-verbaux d’audition soient remis au fur et à mesure aux témoins à entendre, ce qui nuirait à la manifestation de la vérité, que l’enquêteur avait la charge de faire éclore. Il y aurait une violation de son droit d’être entendue, ainsi que celui de la bonne foi de l’administration.

Mme E______ n’avait pas qualité de partie, contrairement à ce qu’affirmait l’enquêteur. L’intérêt public à l’interdiction de la consultation du dossier résidait dans la nécessité de la manifestation d’une vérité non biaisée et le respect de la bonne foi de l’administration. Il était fort à craindre que, dans un service hiérarchisé, comme le D______, les personnes appelées à déposer soient influencées, voire conditionnées, si les procès-verbaux des auditions des personnes ayant déjà déposé leur étaient communiqués, ce d’autant plus que la Magistrate était personnellement concernée.

Elle avait un intérêt privé prépondérant au respect de son droit d’être entendue, du principe de l’égalité des armes et de la bonne foi de l’administration.

Il y avait urgence au vu des audiences fixées au 26 août, 1er, 2, 12, 14, 21 et 27 septembre 2022.

9) Le 24 août 2022, la chambre administrative a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles formée par Mme A______.

10) Le 1er septembre 2022, M. B______ a conclu à l’irrecevabilité du recours.

Les intérêts de Mme A______ n’étaient pas menacés.

Il était vain d’interdire la transmission des procès-verbaux d’audience aux personnes qui seraient entendues dans l’enquête : d’une part, ces dernières seraient amenées à être entendues en qualité de témoin et n’avaient pas accès au contenu du dossier, d’autre part, le contenu de ces audiences était déjà connu par les parties, qui y avaient assisté et l’accès à leurs déclarations ne pouvait pas être restreint.

En tant que membre du CA, soit l’organe exécutif de la ville,
Mme E______ revêtait la qualité de partie.

L’enquête administrative devait désormais suivre son cours afin de clarifier la situation de Mme A______ dans le respect de ses droits.

11) Le 5 septembre 2022, la ville a conclu à l’irrecevabilité du recours.

Mme A______ n’avait pas démontré qu’elle était exposée à un préjudice irréparable.

Il n’y avait aucun risque que les procès-verbaux d’audience soient remis aux témoins à entendre, ceux-ci n’étant pas parties au litige. Dans la mesure où il était évident qu’elle ne remettrait pas les procès-verbaux des personnes déjà entendues aux témoins à entendre, il n’était pas nécessaire d’interdire à la ville de les transmettre.

12) Par réplique du 12 septembre 2022, Mme A______ a modifié ses conclusions en ce sens qu’elle sollicitait l’annulation de la décision querellée et à ce qu’il soit donné acte à la ville de son engagement à ne pas remettre les
procès-verbaux, en permettre la lecture ou en transmettre la substance, aux témoins qui devaient encore être entendus.

Son inquiétude était « aujourd’hui limitée à la transmission des
procès-verbaux des personnes déjà entendues, à celles qui doivent encore l’être, en qualité de témoin ». Il n’avait jamais été soutenu que les témoins avaient qualité de partie, pouvant avoir accès au dossier.

Dans sa réponse du 5 septembre 2022, la ville s’était engagée à ne pas remettre les procès-verbaux d’audience aux témoins. Il convenait donc de prendre acte de son engagement.

13) Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

14) Le 20 septembre 2022, la chambre administrative a rejeté la demande de mesures provisionnelles (ATA/952/2022).

EN DROIT

1) Le recours est interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b LPA).

2) Bien que les audiences des 26 août, 1er, 2, 12, 14 et 21 septembre 2022 aient déjà eu lieu, la recourante conserve un intérêt actuel au recours, dès lors que la situation pourrait se reproduire si l’enquêteur devait fixer de nouvelles audiences d’enquêtes (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 consid. 1b ; ATA/1355/2021 du 9 décembre 2021 consid. 1 et les arrêts cités).

3) Selon l’art. 57 LPA, sont susceptibles d'un recours, les décisions finales (let. a) ; les décisions par lesquelles l'autorité admet ou décline sa compétence (let. b) ; les décisions incidentes à certaines conditions (let. c) et les lois constitutionnelles, les lois et les règlements du Conseil d'État.

Sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations ; de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits ; de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations
(art. 4 al. 1 LPA).

4) a. Les décisions incidentes sont susceptibles de recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ;
126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd. 2018 p. 432 n. 1265). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice
(ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 précité consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1 ; 
129 III 107 consid. 1.2.1).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que
l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c et les arrêts cités ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/ Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

b. Ont qualité de partie les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d’un moyen de droit contre cette décision (art. 7 LPA).

Les parties et leurs mandataires sont seuls admis à consulter au siège de l’autorité les pièces du dossier destinées à servir de fondement à la décision
(art. 44 al. 1 LPA). L’autorité peut interdire la consultation du dossier si l’intérêt public ou des intérêts privés prépondérants l’exigent (art. 45 al. 1 LPA).

5) À titre liminaire, il convient de relever que, dans le cadre de sa réplique, la recourante a modifié ses conclusions en ce sens que l’interdiction de transmission des procès-verbaux requise devant la chambre administrative ne porte plus que sur les personnes entendues – ou à entendre – en qualité de témoins.

La question se pose donc de savoir si les conditions de l’art. 57 let. c LPA sont réunies.

Devant la chambre de céans, la recourante se limite à faire valoir qu’il serait fort à craindre que les personnes appelées à déposer soient influencées par des précédentes déclarations si les procès-verbaux des auditions de personnes ayant déjà déposé leur étaient communiqués. Or, ainsi que l’ont relevé l’enquêteur et l’intimée, les témoins ne sont pas des parties à la procédure au sens des art. 7 et 44 LPA. Il n’y a dès lors aucun risque que les procès-verbaux d’audience leur soient transmis avant qu’ils ne soient entendus, ce que l’intimée a d’ailleurs dûment confirmé dans ses écritures. On précisera au demeurant que la recourante n’est pas privée de la possibilité de demander aux témoins, lors de leur audition, s’ils ont eu connaissance des procès-verbaux et d’en tirer des conclusions dans l’appréciation de leur témoignage.

Dans ces conditions, la chambre de céans ne voit pas, et la recourante ne l’expose pas, en quoi le refus de faire interdiction à l’intimée de transmettre les procès-verbaux aux témoins à entendre lui causerait un préjudice irréparable.

Quant à la seconde hypothèse de l’art. 57 let. c LPA, à savoir la venue à chef immédiate d'une décision finale susceptible d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse, elle n'est pas davantage réalisée, ce que la recourante ne soutient d’ailleurs pas.

Le recours doit ainsi être déclaré irrecevable.

Dans la mesure où le refus de transmettre les documents litigieux aux témoins à entendre relève de l’application de la LPA, la conclusion de la recourante visant à ce qu’il soit donné acte de l’engagement de l’intimée à ne pas leur remettre les procès-verbaux est superflue.

6) Vu l'issue de la procédure, un émolument de CHF 1'500.-, incluant la prise de décision sur mesures provisionnelles, sera mis à la charge de la recourante
(art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée, étant relevé que l’intimée dispose de son propre service juridique (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 22 août 2022 par Madame A______ contre la décision de l’enquêteur du 9 août 2022 ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les
art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert Assael, avocat de la recourante, à Monsieur B______ ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et McGregor, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :