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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/828/2022

ATA/950/2022 du 20.09.2022 sur JTAPI/432/2022 ( LCI ) , REJETE

Recours TF déposé le 31.10.2022, rendu le 13.03.2023, REJETE, 1C_573/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/828/2022-LCI ATA/950/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 septembre 2022

3ème section

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Hrant Hovagemyan, avocat

contre

B______

représentée par Me Emmanuelle Guiguet-Berthouzoz, avocate

 

et

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 avril 2022 (JTAPI/432/2022)


EN FAIT

1) B______ (ci-après : B______) est propriétaire de la parcelle n° 6'056, feuille 31 de la commune de Genève-Cité, sur laquelle est érigé un immeuble de bureaux à l'adresse boulevard C______.

2) A______ (ci-après : A______) est une étude d'avocats. Elle louait des locaux sis au rez supérieur et inférieur, ainsi qu'un dépôt au 2ème sous-sol de cet immeuble, à l'adresse boulevard C______.

Son bail a pris fin le 28 février 2022, date à laquelle, aux termes d'un accord entériné le 29 novembre 2021 par le Tribunal des baux et loyers (ci-après : TBL), elle s'était engagée à restituer ces locaux à B______, à défaut de quoi celle-ci serait autorisée à requérir son évacuation par la force publique dès le lendemain (jugement JTBL/2______/2021 rendu dans la procédure C/3______/2021). Aux termes du dispositif de ce jugement, le TBL avait en outre donné acte aux parties de ce qu'elles règleraient le sort de leurs prétentions financières respectives jusqu'à la libération des locaux dans le cadre de la procédure C/4______/2019, pendante devant lui également, chacune des parties conservant expressément ses droits à ce propos.

3) Le 24 novembre 2021, B______ a déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département) une requête en autorisation de construire en procédure accélérée portant sur des transformations devant être opérées dans des bureaux sis au rez-de-chaussée et au 3ème étage de son immeuble. Cette requête a été enregistrée sous la référence APA/5______.

4) Le département a délivré cette autorisation de construire le 11 février 2022.

5) Par arrêt du 8 mars 2022, la chambre d’appel des baux et loyers de la Cour de justice (ci-après : la chambre d’appel des baux et loyers) a rejeté « les conclusions formées par [A______] en prononcé de mesures conservatoires superprovisionnelles en suspension de l'exécution du jugement JTBL/2______/2021 rendu le 29 novembre 2021 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/3______/2021 ».

6) Par acte expédié le 14 mars 2022, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre l'autorisation de construire APA/5______ précitée, dont elle a requis l'annulation. À titre préalable, elle a pris les conclusions suivantes : « Confirmer l'effet suspensif du présent recours. Interdire, sous la menace des peines prévues à l'art. 292 CP, à [B______] de débuter les travaux objet de l'autorisation APA5______, et de modifier quoi que ce soit dans l'immeuble sis au Boulevard C______, avant droit jugé dans la présente cause. Restituer le délai de recours à la recourante. Autoriser la recourante à compléter le présent recours. Ordonner l'apport de la procédure C/4______/2019 pendante devant le [TBL] et dont les parties sont : Demanderesse : [A______] ; Défenderesse : [B______] ».

Un litige l'opposait à B______, à qui elle réclamait « CHF 225'240.- au moins », devant le TBL (cause C/4______/2019). « L'un des objets du litige [était] une expertise des installations de l'immeuble (notamment installations électriques, raccordements électriques, chauffage, eau courante, sanitaires, etc.) afin de déterminer si la propriétaire a[vait] facturé pendant plus de 10 ans à la locataire des frais qui n'avaient pas à l'être, ou des frais fictifs, et si de surcroît la locataire a[vait] assumé des frais qu'elle n'avait pas à prendre en charge ».

Il ne faisait « nul doute que [devait] être reconnue la qualité pour recourir à la locataire de longue durée des locaux qui f[aisaient] l’objet de l'autorisation délivrée ici entreprise, demanderesse dans une procédure en cours contre la propriétaire dont l'objet du litige [était] susceptible d'être détruit par les travaux envisagés », étant précisé « qu'une procédure [était] toujours en cours [ ] s'agissant de la question de savoir si la propriétaire pouvait requérir comme elle l'a[vait] fait l'usage de la force publique dès le 1er mars 2022 ».

Elle ferait valoir ses griefs dans le délai qui lui serait imparti par le TAPI pour compléter son recours. « La propriétaire a[vait] obtenu l'autorisation sur la base de faits volontairement incomplets, informations incomplètes dont la conséquence [était] de léser les intérêts légitimes de la locataire. Une partie des installations du Boulevard C______, se trouv[ait] être concernée par l'objet du litige dans la cause C/4______/2019 actuellement pendante devant le [TBL]. Les transformations envisagées [avaient] été cachées [à la] locataire, malgré que celle-ci a[vait] requis à plusieurs reprises d'être informée sur le détail des travaux, détail des transformations dont elle n'a[vait] pu avoir connaissance qu'en consultant le dossier après délivrance de l'autorisation ».

7) Par courrier du 16 mars 2022 à A______, le greffier de la 4ème chambre du TAPI a accusé réception du recours.

Il était d’emblée observé que la décision entreprise n'avait pas été déclarée exécutoire nonobstant recours par l'autorité intimée, de sorte que ce dernier avait effet suspensif ex lege et que la demande de A______ tendant à la confirmation de l’effet suspensif apparaissait dénuée d’objet. Attirant son attention sur les éléments que devait contenir son recours, sous peine d’irrecevabilité, il lui a octroyé un délai au 7 avril 2022 pour le compléter. Il appartenait de plus à A______ d’énoncer les faits sur lesquels elle entendait fonder sa qualité pour recourir, étant relevé qu’à teneur des pièces produites à ce stade, il semblait qu’elle n’était plus locataire des locaux sis dans l’immeuble litigieux.

 

Dans ce même courrier, le TAPI a requis une avance de frais conformément à l’article 86 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et a indiqué à A______ que si elle entendait retirer son recours avant l’échéance du délai de paiement de l’avance de frais, aucun émolument ne serait en principe mis à sa charge.

8) Par courrier du même jour, le TAPI a imparti un délai au 16 mai 2022 au département et à B______ pour formuler leurs observations sur le recours.

9) Par acte daté du 17 mars 2022, B______ a sollicité le retrait de l’effet suspensif attaché au recours, dont une copie partielle lui avait été transmise par A______.

La relation avec A______ relevait du droit privé, soit des dispositions relatives au contrat de bail à loyer, de sorte que cette dernière ne pouvait se prévaloir d'un intérêt prépondérant s'opposant au retrait de l'effet suspensif. Elle n'était plus sa locataire et n'avait pas la qualité pour recourir. Elle n'avait pas restitué les locaux à la date convenue, de sorte que le jugement du TBL du 29 novembre 2021 avait dû être exécuté le 9 mars 2022 par un huissier judiciaire, les derniers meubles lui appartenant devant être déménagés le 21 mars 2022.

10) Le TAPI a invité A______ et le département à se déterminer sur la requête précitée d'B______.

11) Le département s’en est rapporté à justice le 24 mars 2022.

12) Par acte du 7 avril 2022, A______ s'est opposée au retrait de l'effet suspensif attaché à son recours, qu’elle a complété.

Il n'y avait « implicitement ou explicitement, aucun lien entre le bail produit par l'intimée [ ] et les travaux pour lesquels l'autorisation a[vait] été requise et qui [était] l'objet de la présente procédure ». « L'on pein[ait] à comprendre pourquoi la future locataire, une étude d'avocats également, ne pourrait pas exercer son activité sans que les travaux envisagés soient réalisés », ceux-ci étant « de pure commodité et absolument pas nécessaires pour l'exercice de l'activité d'avocats ». En outre, B______, dont la démarche était « irréaliste et négligente », avait grandement tardé avant de déposer sa requête et ne pouvait donc « s'en prendre qu'à elle-même s'agissant d'un tel éventuel hypothétique dommage que D______ lui réclamerait au cas où elle ne pourrait disposer des locaux pour le 1er juin 2022 ». D'ailleurs, le bail en cause disposait que D______ bénéficiait d'une exonération de loyer du 1er juin au 31 juillet 2022, de sorte que l'on ne voyait pas quel dommage B______ serait exposée à réparer. « À supposer même par impossible que les travaux envisagés soient nécessaires pour que D______ puisse, pendant une année, exercer son activité au Boulevard C______, B______ ne prétend[ait] pas que la locataire menacerait de résilier le bail signé ni qu'il n'y aurait aucune autre alternative qu'elle pourrait proposer à sa locataire jusqu'à l'achèvement des travaux ». Cette dernière ne pouvait donc se prévaloir d'aucune menace grave de ses intérêts. Par ailleurs, la jurisprudence refusait systématiquement le retrait de l'effet suspensif « à un recours contre une autorisation de construire ».

L'autorisation de construire querellée avait été délivrée sous l'expresse réserve des droits des tiers et des recours éventuels, ce qui voulait « dire que l'autorisation n'[était] pas valable si les travaux affect[ai]ent ou mett[ai]ent en péril les droits des tiers ». Or, elle était « locataire du Boulevard C______ depuis le 1er décembre 2010 » et « la procédure [était] témoin que la locataire a[vait] investi au début du bail des montants considérables pour l'aménagement des locaux, aménagements qu'B______ v[oulait] sans droit disposer, détruire ou modifier à son exclusif profit ». Cette dernière voulait « détruire les preuves qui établiss[ai]ent que les frais accessoires facturés à la locataire et payés n'avaient aucune réalité, la locataire devant en plus assumer une partie importante des charges communes compte tenu des déficiences dans les raccordements, notamment électriques et de chauffage ». À ce sujet, elle décrivait « les étapes de procédure dans la cause C/4______/2019 qui intéress[ai]ent particulièrement la présente cause », dans le cadre de laquelle elle entendait qu'B______ soit condamnée à lui payer « le montant de CHF 225'240.- avec intérêts à 5 % dès le 1er septembre 2020, montant provisoirement estimé dans l'attente des informations à recevoir dans le cadre de ses requêtes préalables », tendant – en substance – à la production, par sa partie adverse, de l'intégralité des justificatifs des décomptes des frais de chauffage/accessoires relatifs à la totalité de l'immeuble pour les années 2010 à 2020 et des éléments permettant de justifier la part desdits frais qui lui avait été réclamée.

En outre, dans la cause C/6______/2022, la chambre d’appel des baux et loyers, dont l'arrêt du 8 mars 2022 rejetant sa requête de mesures conservatoires ferait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral, devait « dire si B______ pouvait, comme elle l'a[vait] fait, faire changer les serrures des locaux de la recourante sans entamer une procédure d'exécution et obtenir un jugement ordonnant l'évacuation ». Ainsi, « au jour d'aujourd'hui, compte tenu des procédures susmentionnées en cours, la locataire [était] toujours locataire quand bien même B______ a[vait] forcé, sans droit, la locataire à quitter les locaux ». Dans ces conditions, il ne faisait aucun doute qu'elle disposait de la qualité pour recourir. À supposer que la chambre d’appel des baux et loyers retînt qu'elle n'était plus locataire depuis le 1er mars 2022, sa qualité pour recourir ne pouvait « être niée compte tenu de la procédure en cours C/4______/2019 ». Elle avait en effet un « intérêt digne de protection à ce que les preuves qui ser[aie]nt débattues dans la procédure C/4______/2019 ne soient pas détruites ou modifiées, et à ce que le cours de la justice dans la cause précitée ne soit pas perturbée ».

Il était « ainsi requis que les travaux projetés ne puissent débuter avant que le Tribunal des Baux et Loyers ait décidé d'un transport sur place et/ou d'une dénonciation au Ministère public et/ou d'une interdiction de modifier les installations existantes. B______, qui connaissait évidemment le détail des procédures en cours, n'a[vait]volontairement pas informé le département de la cause C/4______/2019, et a[vait] obtenu l'autorisation de manière illégitime, autorisation qui ne pourra[it] qu'être annulée ou à tout le moins suspendue ».

13) Par jugement du 28 avril 2022, le TAPI, faisant application de l’art. 72 LPA, a déclaré le recours irrecevable, faute de qualité pour recourir de A______.

Vu cette issue, la requête tendant au retrait de l'effet suspensif au recours formulée par B______ était devenue sans objet.

14) A______ a formé recours contre ce jugement par acte expédié le 30 mai 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elle a conclu à titre préalable à ce qu’il lui soit confirmé que l'effet suspensif s'appliquait de plein droit à son recours. Sur le fond, elle a demandé « d’annuler le jugement entrepris, et d’enjoindre au Tribunal d’instruire le recours du 14 mars 2022, et son complément du 7 avril 2022, conformément à son ordonnance du 16 mars 2022 ».

Le TAPI avait commis un déni de justice formel et violé les principes de la légalité, de la bonne foi et de l’égalité de traitement. Il résultait de l’art. 72 LPA que lorsqu’une instruction préalable avait, comme en l’espèce, été ordonnée, une avance de frais requise et payée, la faculté offerte par cette disposition n’était plus donnée. Il ne pouvait alors plus être question d’une décision sans que l’instruction ne soit menée à son terme, faute de base légale. Le TAPI n’avait pas estimé en analyse préliminaire que le recours était manifestement mal fondé ou irrecevable puisqu’il avait notamment immédiatement invité les parties à se déterminer sur le fond du recours, sans attendre qu’elle le complète. Il avait ce faisant décidé de ne pas utiliser le pouvoir conféré par l’art. 72 LPA et décidé d’instruire pleinement le recours. Il était lié par cette décision. Or, il n’expliquait nulle part la raison de son revirement, laissant redouter une activité partiale. Ce comportement, contradictoire, n’avait pas été loyal. Elle aurait pu prendre des dispositions pour demander au TBL des mesures conservatoires urgentes si elle avait su que sa qualité pour recourir allait faire l’objet d’une décision sans échange d’écritures, étant encore relevé que son conseil était en incapacité de travail.

La conséquence en était que le TAPI n’avait pas statué sur sa conclusion préalable en apport de la procédure C/4______/2019, de sorte qu’elle s’était vu privée d’apporter les preuves de sa qualité pour recourir. Le département n’avait pas pu se prononcer sur sa qualité pour recourir, ni sur le fond du recours et pouvait avoir une position différente du TAPI.

Le jugement entrepris ne comportait pas d’état de fait, qui ne pouvait pas simplement être un résumé du dossier, permettant d’asseoir le droit et lui permettant de le contester effectivement et efficacement, respectivement à l’autorité de recours de trancher le litige en connaissance de cause.

La chambre administrative avait récemment confirmé la qualité pour recourir à celle qui n’était plus locataire mais disposait d’un intérêt pratique, soit économique à ce que le recours soit tranché. L’issue du litige au fond pourrait, sur la base des principes de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20), entraîner une réduction du loyer dont elle s’était acquittée (ATA/572/2021 du 1er juin 2021).

Elle développait les éléments, faisant l’objet la procédure civile C/4______/2019 en cours, démontrant qu’B______ voulait détruire les preuves qui établissaient qu’elle avait investi au début du bail des montants considérables pour l’aménagement des locaux, aménagements dont elle voulait disposer sans droit, détruire ou modifier à son profit exclusif. Par ailleurs, elle avait requis du TBL, puis de la chambre des baux et loyers, de constater que le jugement JTBL/2______/2021, dans la cause C/3______/2021, ne contenait aucun dispositif permettant l’exécution immédiate de son évacuation par la force publique dès le 1er mars 2022. Dans la cause C/6______/2022, la Cour de justice devait dire si B______ pouvait dans ces circonstances, comme elle l’avait fait, changer les serrures des locaux en question. Il ne faisait alors aucun doute qu’elle disposait de la qualité pour recourir contre l’autorisation délivrée.

Celle-ci réservait expressément les droits des tiers, ce que suffisait à la lui conférer, étant relevé qu’B______ l’avait obtenue de manière illégitime puisqu’elle n’avait volontairement pas informé le département de la cause C/4______/2019. À ce jour, compte tenu des procédures civiles en cours, elle était toujours locataire des locaux en cause, quand bien même B______ l’avait forcée sans droit à les quitter. Quand bien même il serait dit par la Cour de justice qu’elle ne l’était plus depuis le 1er mars 2022, la qualité pour recourir ne saurait lui être déniée compte tenu de la procédure en cours C/4______/2019. Dans le cadre de cette dernière, le TBL devait encore dire si les faits devaient être dénoncés au Ministère public, si un transport sur place était ordonné et si l’interdiction de ne pas modifier les installations existantes devait être notifiée à B______. Elle avait par conséquent un intérêt digne de protection à ce que les preuves qui seraient débattues dans cette procédure ne soient pas détruites ou modifiées.

15) Le département a indiqué, le 23 juin 2022, considérer que le jugement contesté était conforme au droit, de sorte qu’il concluait au rejet du recours.

16) B______ a conclu, le 1er juillet 2022, à l’irrecevabilité du recours, à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de A______ en tous les frais et dépens, comprenant une équitable indemnité valant participation aux honoraires de son conseil.

Le fait que les intimés n’aient pas pu s’exprimer sur le recours ne leur causait aucun préjudice, dès lors qu’ils avaient tous deux manifestement un intérêt à ce que l’autorisation concernée entre en force, le département pour l’avoir octroyée et elle-même parce qu’elle en bénéficiait.

17) Après des échanges de courriers intervenus avec la chambre administrative, A______ a procédé au paiement de l’avance de frais dans le délai imparti en dernier lieu, respectivement produit sa réplique du 31 août 2022.

Elle a ajouté qu’il était important de rappeler que le débat ne portait que sur la question de sa qualité pour recourir. Dans cet examen, la question de savoir si elle avait demandé au TBL de préserver des preuves n’était pas déterminante ou du moins pas à elle seule. Par contre, l’intérêt économique qu’elle avait à recourir l’était.

18) Les parties ont été informées, le 2 septembre 2022, que la cause était gardée à juger.

19) Les arguments et griefs des parties seront discutés ci-dessous dans la seule mesure nécessaire au traitement du litige.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) L’objet du litige est le jugement du TAPI déclarant irrecevable le recours formé par un ancien locataire des locaux concernés contre une autorisation de construire.

a. Selon l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

La jurisprudence a précisé que les lettres a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/286/2018 du 27 mars 2018 et la jurisprudence citée).

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1). L'intérêt invoqué, qui n'est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver, avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération (ATF 143 II 512 consid. 5.1). L'intérêt à obtenir un jugement favorable doit être personnel, direct, immédiat et actuel (MGC 1984 I 1604 ss ; 1985 III 4373 ss ; ATA/1059/2015 du 6 octobre 2015 consid. 3a).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_892/2011 du 17 mars 2012 consid. 1.2). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; ATA/286/2018 précité).

d. S'agissant d'un recourant tiers locataire, le Tribunal fédéral a jugé que s'il existait un moyen de droit privé, même moins commode, à sa disposition pour écarter le préjudice dont il se plaignait, la qualité pour agir fondée sur l'intérêt digne de protection devait lui être niée (ATF 101 1b 212 ; 100 Ib 119 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.70/2005 du 22 avril 2005). Les intérêts du locataire dans ses rapports avec le bailleur sont plus spécifiquement protégés par les dispositions spéciales du droit du bail complétées, le cas échéant, par certaines règles de droit public cantonal (ATF 131 II 649 consid 3.4).

e. La chambre de céans a déjà jugé de façon constante qu'en matière de qualité pour recourir des locataires, lorsque la décision litigieuse implique la démolition de locaux qui font l'objet d'un bail à loyer, le locataire ne peut plus se prévaloir d'un intérêt digne de protection à l'annulation de l'autorisation de démolition, dès lors qu'il a reçu son congé. En effet, quand bien même il conteste ce dernier, la procédure ouverte à ce sujet ne peut aboutir qu'à deux solutions alternatives : si la résiliation du bail est annulée, la démolition ne peut plus avoir lieu et le locataire perd son intérêt au recours ; si, au contraire, le congé est confirmé, le locataire, qui doit quitter les lieux, n'est plus concerné par le projet de démolition et n'a ainsi plus d'intérêt pratique à recourir (ATA/1755/2019 du 3 décembre 2019 et les références citées).

En revanche, la qualité pour recourir contre une autorisation de construire des locataires dont les baux n'étaient pas résiliés a été admise lorsque, si elle était confirmée, ladite autorisation les priverait de la jouissance de locaux situés dans les combles de l'immeuble dont la transformation était projetée. Certains des griefs invoqués portaient sur le gabarit de l'immeuble après travaux et sur les vices de forme ayant affecté la procédure qui, s'ils devaient se révéler bien fondés, pourraient aboutir à un refus de l'autorisation de construire litigieuse, à l'abandon du projet, voire à un remaniement substantiel de celui-ci, et à la mise en œuvre d'une nouvelle enquête (arrêt du Tribunal fédéral 1C_61/2011 du 4 mai 2011 ; ATA/710/2021 du 6 juillet 2021 ; ATA/985/2020 du 6 octobre 2020).

De même, se sont vu reconnaître la qualité pour recourir les locataires d'immeubles d'habitation soumis à la LDTR ou dans les causes où l'application même de la LDTR était litigieuse (ATA/512/2010 du 3 août 2010 ; ATA/384/2010 du 8 juin 2010 ; ATA/572/2021 du 1er juin 2021). Cette loi prévoit notamment l'obligation d'informer au préalable et par écrit les locataires et de les consulter en dehors de toute résiliation de bail, lorsque le bailleur a l'intention d'exécuter des travaux (art. 43 al. 1 LDTR). Elle subordonne également l'ouverture du chantier au relogement des locataires touchés par l'autorisation définitive (art. 42 al. 4 LDTR ; ATA/1755/2019 du 3 décembre 2019 consid. 3 c et les références citées).

3) En l’espèce, la recourante était titulaire d’un bail à loyer portant sur des locaux commerciaux et les travaux autorisés ne sont pas soumis à la LDTR, laquelle s’applique uniquement aux immeubles servant à l’habitat (art. 1 al. 1 LDTR). Ils le sont à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Son contrat de bail a concrètement pris fin le 28 février 2022, conformément à un accord entériné par un jugement du TBL, soit avant même le dépôt du recours. Elle n'a plus accès aux locaux, qui sont désormais débarrassés de ses biens. La question de savoir si B______ était ou non légitimée à faire appel à la force publique pour récupérer les locaux n'a aucune incidence sur l’autorisation de construire querellée. Le fait que celle-ci réserverait au contraire expressément les droits de tiers, comme soutenu par la recourante qui n’a pas produit l’autorisation querellée mais seulement l’avis paru dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève, renforcerait cette absence de dépendance entre l’aspect civil et administratif du dossier.

Si la recourante entend préserver des éléments de preuve se trouvant dans l'immeuble litigieux susceptibles d'être utiles dans le cadre d'un litige de nature civile qui l'oppose à B______ en lien avec des travaux qu’elle aurait effectués à son entrée dans les locaux, cette problématique n’a, à nouveau, aucun lien direct avec l’autorisation attaquée. Autrement dit, les prétentions que la recourante a formées à l’encontre de son ancienne bailleresse, à juste titre devant le TBL respectivement la chambre des baux et loyers, sont sans lien direct avec l’autorisation de construire délivrée. Certes, il apparaît que la réalisation des travaux autorisés pourrait être susceptible de faire disparaître l’état des locaux avant rénovation/transformation. Toutefois, c’est bien dans le cadre des procédures civiles que doit se traiter cette problématique, le cas échéant par une demande de mesures provisionnelles ou d’administration de preuve devant l’instance civile concernée.

Ainsi, l’intérêt invoqué par la recourante pour justifier sa demande d’annulation de l’autorisation de construire querellée n’est pas direct. Elle ne s’y trompe au demeurant pas, puisqu’elle ne forme aucun grief à l’encontre de ladite autorisation.

C’est ainsi à juste titre que le TAPI lui a dénié la qualité pour recourir.

4) Reste à déterminer si ce dernier pouvait le faire en application de l’art. 72 LPA.

a. Selon cette disposition, l’autorité de recours peut, sans instruction préalable, par une décision sommairement motivée, écarter un recours manifestement irrecevable ou rejeter un recours manifestement mal fondé.

b. En l’espèce, le recours a été reçu par le TAPI le 15 mars 2021. Dès le lendemain, il a relevé à l’attention de la recourante que se posait la problématique de sa qualité pour agir, sous l’angle d’un intérêt actuel, et ce alors même que celle-ci avait consacré dans son acte une page et demie à cette question. Dès lors, la recourante ne peut valablement soutenir que le TAPI aurait été déloyal et l’aurait surprise en rendant un jugement d’irrecevabilité après avoir reçu son complément au recours du 7 avril 2022, ce sans interpeller les intimés sur le fond de la cause, qui au demeurant ne s’en plaignent nullement. Ainsi, la recourante s’est exprimée en dernier lieu devant le TAPI, y compris sur la question de la recevabilité de son recours, de sorte que c’est sans violer l’art. 72 LPA, son droit d’être entendu ou le principe de la bonne foi que le TAPI, par économie de procédure, y a mis un terme.

Le fait que le TAPI ait demandé une avance de frais, expressément prévue à l’art. 86 LPA, n’y change rien et ne l’empêchait pas de déclarer le recours irrecevable, étant relevé que même un jugement d’irrecevabilité ouvre la voie à la perception d’un émolument au sens de l’art. 87 LPA.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

5) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée à B______, qui y a conclu, à la charge de la recourante (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 mai 2022 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 avril 2022 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

alloue une indemnité de CHF 1'000.- à B______, à la charge de A______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Hrant Hovagemyan, avocat de la recourante, à Me Emmanuelle Guiguet-Berthouzoz, avocate de B______, au département du territoire-oac, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Krauskopf et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Poinsot

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :