Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/390/2022

ATA/652/2022 du 23.06.2022 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/390/2022-FPUBL ATA/652/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 juin 2022

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Robert Assael, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE

 



EN FAIT

1) Madame A______ a été engagée le 1er juillet 2014 en qualité de cheffe d’unité au Service B______de la Ville de Genève (ci-après : la ville). Le 18 novembre 2015, elle a été nommée au poste de directrice du département C______ (ci-après : C______), avec effet au 1er février 2016.

2) Par décision du 19 janvier 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, le Conseil administratif de la ville (ci-après : le CA) a prononcé la suspension avec effet immédiat de Mme A______ de son activité de directrice du C______ jusqu’au prononcé d’une éventuelle sanction ou d’un licenciement et l’a informée de ce que le CA avait décidé, dans un premier temps, de mandater un expert externe pour effectuer notamment un état des lieux de la situation au sein de la direction du C______.

La suspension se fondait, entre autres, sur « l’attitude » qui aurait été adoptée « récemment » par Mme A______ dans le cadre de ses fonctions, ainsi que sur « les graves accusations » qu’elle aurait proférées à l’encontre de la magistrate en charge du C______, lesquelles étaient entièrement contestées par cette dernière, en lien notamment avec la transmission du virus Covid-19. Si ces agissements étaient avérés, ils pouvaient conduire à une rupture définitive du lien de confiance. De plus, en raison de ses comportement et positionnements, le C______ aurait été confronté à des « problèmes de fonctionnement et de communication ».

La mesure de suspension devait être réévaluée si elle devait se poursuivre
au-delà du 19 juillet 2022. Dans cet intervalle, un éventuel solde de vacances et de jours de compensation dus pour cette période devait être épuisé. Le versement d’éventuelles indemnités liées à sa fonction de directrice, notamment en lien avec les horaires irréguliers, serait interrompu à compter du 1er février 2022 et reprendrait le premier jour du mois suivant la fin de la suspension d’activité.

3) Par courrier du 25 janvier 2022, Mme A______ a contesté l’intégralité des griefs formulés à son encontre.

4) Par courrier du 28 janvier 2022, le CA a informé Mme A______ que de « graves difficultés » lui avaient été rapportées et qu’il lui appartenait de prendre des mesures pour préserver, entre autres, le bon fonctionnement du C______ et les membres du personnel travaillant étroitement avec l’intéressée. Mme A______ avait affirmé à la magistrate en charge du C______ avoir contracté le Covid à cause d’une séance en présentiel exigée par cette dernière. Si ces propos devaient être avérés, ils seraient susceptibles de conduire à une rupture définitive du lien de confiance.

5) Par acte du 31 janvier 2022, Mme A______ a interjeté recours
par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision concluant à son annulation et à la restitution de l’effet suspensif.

La ville ne formulait concrètement aucun fait grave, ni n’apportait le début de la démonstration que la suspension était exigée « pour la bonne marche du service ». Elle avait contracté le virus du Covid en avril 2021 et n’avait jamais accusé la magistrate en charge du C______ de le lui avoir transmis, se limitant à lui rappeler les circonstances dans lesquelles elle pensait avoir été contaminée. Après la fin de son incapacité totale de travail, elle avait repris son activité à satisfaction. Une suspension intervenant plusieurs mois après était totalement injustifiée.

6) Mme A______ a sollicité des mesures provisionnelles urgentes par écritures des 7 février 2022 et 8 février 2022, qui ont été refusées par la chambre de céans.

7) M. D______ a rendu son rapport le 21 février 2022.

8) Le 2 mars 2022, la ville a produit la décision du CA d’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de Mme A______ du même jour. La suspension de l’activité de l’intéressée était également confirmée à titre de mesures provisionnelles.

À teneur du rapport du rapport de M. D______, il apparaissait que Mme A______ rencontrait des difficultés relationnelles avec la magistrate en charge du C______, l’équipe de direction ainsi que plusieurs cadres du C______. Sa manière de s’exprimer, laquelle n’aurait pas toujours été adéquate, et son comportement auraient engendré de la souffrance et une rupture du lien de confiance. Ses prestations en tant que directrice auraient été en outre insuffisantes. De plus, à la connaissance du CA, Mme A______ aurait fait preuve d’insubordination et d’une attitude de défi à l’endroit de la magistrate en charge du C______ et ne se serait pas investie dans le cadre de tâches sensibles.

9) Par décision du 25 mars 2022, après un échange d’écritures sur effet suspensif, la chambre de céans a constaté que la requête de restitution de l’effet suspensif au recours en tant qu’elle visait la mise en œuvre d’un état des lieux par un expert externe était sans objet et a rejeté la requête de restitution de l’effet suspensif au recours pour le surplus (ATA/315/2022).

10) Par réponse du même jour, la ville a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

La décision de suspension et de mandater un expert externe ne causait aucun préjudice irréparable à l’intéressée. L’état des lieux avait pour seul objectif de décider ultérieurement des suites éventuelles à donner à la procédure. Mme A______ avait d’ailleurs la possibilité d’y participer, ce qu’elle avait refusé de faire. Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y étaient liés ne constituait pas en soi un préjudice irréparable. Le fait que le CA ait décidé d’ouvrir une enquête administrative par la suite démontrait que M. D______ n’avait pas procédé à une enquête déguisée. À cela s’ajoutait que Mme A______ ne démontrait pas que l’admission du recours permettrait d’éviter une procédure longue et coûteuse. Mme A______ ne subissait, au demeurant, aucun dommage économique du fait de sa suspension, puisque celle-ci n’avait pas été assortie d’une suppression de traitement et qu’elle percevait l’entier de son salaire. L’état des lieux avait d’ailleurs été rapidement effectué.

Sur le fond, le recours contre la suspension, qui avait été confirmée par décision du CA du 2 mars 2022, contestée par Mme A______, était devenu sans objet.

11) Par réplique du 29 avril 2022, Mme A______ a contesté l’intégralité du rapport de M. D______, en particulier les remarques relatives à son attitude « non constructive et de déni », de « défi », et « non proactive » que lui prêtait la ville, ainsi que les éléments retenus en lien dans ses rapports avec ses collègues et la qualité de son travail.

12) Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1) La décision du 19 janvier 2022 prononçant la suspension de la recourante constitue une décision incidente susceptible de recours devant la chambre administrative dans les dix jours suivant sa notification (art. 132 al. 1 et 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; ATA/1840/2019 du 20 décembre 2019 consid. 1 ; ATA/1362/2019 du 10 septembre 2019 consid. 1).

En l’espèce, le recours contre la décision a été interjeté en temps utile
(art. 62 al. 1 let. b et 17 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) devant la juridiction compétente.

2) a. Selon l'art. 57 let. c LPA in initio, les décisions incidentes peuvent faire l'objet d'un recours si elles risquent de causer un préjudice irréparable. Selon la même disposition in fine, elles peuvent également faire l'objet d'un tel recours si cela conduisait immédiatement à une solution qui éviterait une procédure probatoire longue et coûteuse.

b. L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 
126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd. 2018 p. 432 n. 1265). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 
133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 précité consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1).

c. La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c et les arrêts cités ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/ Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

d. Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

3) a. En tant qu'employée de la ville, la recourante est soumise au statut du personnel de la ville de Genève du 29 juin 2010 (ci-après : SVPG - LC 21 151).

b. Lorsque l'instruction d'une cause le justifie, le CA peut confier une enquête administrative à une ou plusieurs personnes choisies au sein ou à l'extérieur de l'administration municipale (art. 97 SPVG).

L'art. 37 SPVG dispose que la procédure de licenciement est régie par les art. 96 ss SPVG, ainsi que par la LPA.

Conformément à l'art. 96 al. 2 SPVG, les membres du personnel ont la possibilité de s'exprimer par écrit sur les motifs invoqués à l'appui de la décision ; les membres du personnel ont également droit à une audition orale devant l'autorité compétente pour rendre la décision, ou une délégation de celle-ci s'il s'agit du CA, avec le droit de se faire assister.

Selon l'art. 99 SPVG, lorsqu'il s'avère qu'un membre du personnel est passible d'un licenciement au sens de l'art. 34 al. 2 let. a à c du statut, le CA ouvre une enquête administrative qu'il confie à une ou plusieurs personnes choisies au sein ou à l'extérieur de l'administration municipale au sens de l'art. 97 (al. 1) ; un licenciement ne peut être prononcé sans que la personne intéressée ait pu préalablement faire valoir ses observations sur les motifs avancés pour le justifier (al. 2) ; dans les cas de licenciement fondés sur les art. 30, 32 et 34, la personne intéressée peut demander à être entendue oralement par une délégation du CA ; la personne intéressée a le droit de se faire assister (al. 3) ; lorsque le licenciement a été précédé d'une suspension, il peut, si les conditions de l'art. 30 sont remplies, être prononcé avec effet à la date de la suspension (al. 4).

4) a. Selon la jurisprudence de la chambre administrative, l’ouverture d’une enquête administrative n’engendre pas un préjudice irréparable, dès lors qu’une décision finale suite à l’enquête administrative, dans l’hypothèse où elle serait entièrement favorable à la recourante, permettrait de réparer une éventuelle atteinte, notamment à sa personnalité (ATA/1018/2018 du 2 octobre 2018 consid. 11a).

b. Le fait que le membre du personnel conserve son traitement pendant sa libération de l’obligation de travailler, ce qui est le cas de la recourante, exclut une quelconque atteinte à ses intérêts économiques (ATA/184/2020 du 18 février 2020 consid. 4 ; ATA/231/2017 du 22 février 2017 consid. 4). S’agissant de l’atteinte à la réputation et à l’avenir professionnel, une décision de libération de l’obligation de travailler n'est en soi pas susceptible de causer un préjudice irréparable puisqu’une décision finale entièrement favorable à la recourante permettrait de la réparer (ATA/184/2020 précité consid. 4 ; ATA/1020/2018 du 2 octobre 2018 consid. 4b ; ATA/231/2017 précité consid. 5).

c. En l’occurrence, la recourante n’expose pas en quoi la décision litigieuse est susceptible de lui causer un préjudice irréparable. Elle se limite à relever que, dans le cadre du mandat confié à l’enquêteur externe, elle ne bénéficierait pas des mêmes droits qu’en cas d’enquête administrative. Elle se prévaut également d’une perte d’indemnités en lien avec les horaires irréguliers ainsi que de l’effet stigmatisant de la suspension prononcée.

S’agissant d’abord de la mise en œuvre d’un « état des lieux » par un expert externe, force est de constater qu’un rapport a été rendu le 21 février 2022. Les griefs soulevés dans ce contexte n’ont dès lors plus d’objet. On ne voit du reste pas en quoi la mise en œuvre d’un tel mandat serait susceptible d’engendrer un préjudice irréparable, en particulier s’agissant de la violation alléguée de ses droits procéduraux, puisque la recourante a eu l’occasion d’être entendue par l’expert, ce qu’elle a renoncé à faire. Elle aura à nouveau l’occasion de s’exprimer dans le cadre de l’enquête administrative et pourra se plaindre, en cas de sanction prise à son encontre, de l’éventuelle violation de ses droits procéduraux dans le cadre d’un recours devant la chambre administrative.

La chambre de céans relève ensuite que la recourante conserve son traitement pendant sa libération de l’obligation de travailler, ce qui exclut une quelconque atteinte à ses intérêts économiques. Dans ses écritures, la recourante se plaint certes de la perte d’indemnités, en lien avec les horaires irréguliers. Elle n’apporte toutefois aucune pièce démontrant l’existence d’un dommage financier. Que ce soit au stade du recours ou de la réplique, pourtant consécutive au rejet de la requête en restitution de l’effet suspensif, l’intéressée ne fournit pas non plus de précision quant à sa situation financière (éléments de fortune, autres revenus, charges etc.). Il n’est dès lors nullement établi qu’un éventuel dommage financier l’exposerait à un préjudice difficilement réparable, étant encore relevé que la réalisation d’heures supplémentaires ne devrait pas être la règle et ne constitue pas une assurance d’un gain régulier.

Quant à l'atteinte à la réputation et à l'avenir professionnel de l’intéressée, force est de rappeler qu’à teneur de la jurisprudence constante, une décision de libération de l'obligation de travailler n'est en soi pas susceptible de causer un préjudice irréparable puisqu'une décision finale entièrement favorable à l’intéressée permettrait de la réparer.

La seconde hypothèse de l’art. 57 let. c LPA, à savoir l’obtention immédiate d’une décision finale permettant d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse en cas d’admission des recours, n’est pas davantage réalisée dans la mesure où l’intimée a ordonné l’ouverture d’une enquête administrative par décision du 2 mars 2022. Il sera du reste rappelé qu’un dommage de pur fait, comme la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est pas considéré comme irréparable.

5) Vu l'issue de la procédure, un émolument de CHF 1’500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, étant relevé que l’intimée dispose de son propre service juridique (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare irrecevable le recours interjeté le 31 janvier 2022 par Madame A______ contre la décision de la Ville de Genève du 19 janvier 2022 ;

met un émolument de CHF 1’500.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert Assael, avocat de la recourante, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Payot Zen-Ruffinen, Lauber, McGregor et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :