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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/235/2021

ATA/599/2022 du 07.06.2022 sur JTAPI/5/2022 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/235/2021-PE ATA/599/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 juin 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Mme A______, agissant en son nom et pour le compte de son enfant mineure, B______,

représentées par le Centre Social Protestant

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 janvier 2022 (JTAPI/5/2022)


EN FAIT

1) Mme A_____, née le ______ 1992, est de nationalité C______.

2) Le 22 juin 2020, elle a déposé auprès de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) un formulaire de demande d’autorisation de séjour avec activité lucrative en qualité de masseuse thérapeute daté du 15 juin 2020.

3) Elle a indiqué être arrivée en Suisse le 10 mai 2017 et être mère d’une fille, B______, née le ______ 2019.

4) Le 21 octobre 2020, l’OCPM a indiqué à Mme A______ que sa demande du 22 juin 2020 pouvait être interprétée soit comme une demande d’autorisation de séjour avec activité lucrative, auquel cas son employeur devait introduire en sa faveur une demande auprès de l’office cantonal de l’inspection des relations de travail (ci-après : OCIRT), soit comme une demande d’autorisation de séjour pour cas de rigueur, auquel cas il l’informait de son intention de refuser de soumettre son dossier avec un préavis favorable au secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) et de prononcer son renvoi.

Elle n’avait pas prouvé son séjour en Suisse de 2010 à 2019, son séjour n’étant prouvé à satisfaction que pour 2020, et n’avait pas démontré une très longue durée de séjour en Suisse ni aucun élément permettant de déroger à cette exigence. Elle n’avait pas non plus démontré qu’une réintégration dans son pays aurait de graves conséquences sur sa situation personnelle, indépendamment des circonstances générales affectant l’ensemble de la population restée sur place. Concernant l’intérêt supérieur de son enfant, il convenait de retenir que, née le 30 janvier 2019, son intégration en Suisse n’était pas encore déterminante.

5) Le 20 novembre 2020, Mme A______ s’est déterminée.

Elle avait fui l’C______ car elle refusait la pratique des mariages arrangés. Elle s’était d’abord rendue à D______ et était arrivée en octobre 2017 à Genève, pour travailler comme femme de ménage, puis comme masseuse. En mai 2018, elle avait revu son petit ami et était alors tombée enceinte. Son ami l’avait alors quittée. En novembre 2018, elle avait bénéficié d’aides de la part des E______ (ci-après : E______) et de la F______ et avait tenté de se rapprocher de sa famille en C______, sans succès, étant bannie après avoir refusé un mariage arrangé. Il lui avait par ailleurs été rapporté que son frère, policier, aurait l’intention de la tuer si elle revenait en C______.

Elle avait trouvé un emploi d’esthéticienne et de masseuse en juin 2019 mais avait perdu celui-ci à cause du Covid-19 en mars 2020. Elle allait débuter un nouveau travail de masseuse dès que la situation sanitaire se serait améliorée.

Il ne lui était pas possible de retourner en C______ et rien n’y était prévu pour les femmes seules avec un enfant en bas âge. En cas de retour, elle se retrouverait ainsi à la rue avec une enfant de vingt-deux mois.

Elle avait été suivie psychologiquement après son accouchement mais avait dû arrêter ce suivi par manque de temps. Elle allait toutefois le reprendre.

Elle a produit un certain nombre de documents afin de prouver sa présence en Suisse depuis 2017.

6) Par décision du 4 décembre 2020, l’OCPM a refusé d'accorder une autorisation de séjour à Mme A______, de même qu'à sa fille B______, et a prononcé leur renvoi de Suisse, valant également pour les États de l'Union européenne et les États associés à Schengen, leur impartissant un délai au 4 février 2021 pour quitter le territoire.

Elle n'avait pas prouvé son séjour en Suisse de manière satisfaisante pendant les années 2010 à 2019. Son séjour était démontré uniquement pour l'année 2020. Elle ne remplissait pas les critères relatifs à un cas d'extrême gravité au sens des art. 30 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et 31 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Sa fille étant née le 30 janvier 2019, l'intégration en Suisse de cette dernière n'était pas déterminante.

7) Le 21 janvier 2021, Mme A______ a formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation.

Jusqu’à la crise sanitaire, elle avait toujours travaillé et subvenu à ses besoins mais depuis un an trouver du travail était extrêmement compliqué. Sa situation était très difficile.

Au vu de sa situation de mère célibataire d'un enfant illégitime, il lui serait impossible de se réintégrer en C______ sans le soutien des siens. Elle se retrouverait à la rue avec sa fille de deux ans. L’OCPM n’avait pas du tout compris sa situation personnelle.

Selon une attestation du 4 mars 2021, elle était totalement aidée par l'Hospice général (ci-après : l’hospice) depuis le 1er janvier 2021.

8) Le 24 mars 2021, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Selon les pièces du dossier, Mme A______ serait arrivée à Genève en octobre 2017 et travaillerait comme masseuse et esthéticienne. Il n’était pas clairement précisé si elle était rentrée en C______ pour donner naissance à sa fille le ______ 2019, ayant indiqué dans le formulaire du 15 juin 2020 que sa fille ne venait pas habiter à Genève.

Elle ne pouvait par ailleurs pas se prévaloir d’un long séjour en Suisse ni d’une intégration socio-professionnelle remarquable. Elle n’avait pas non plus démontré que sa réintégration en C______ serait compromise. À cet égard, l’Ambassade de Suisse sur place avait confirmé l’existence d’instances venant en aide aux victimes, notamment de violences domestiques, et que la protection étatique était réglementée par la loi.

Concernant B______, Mme A______ avait indiqué que son père ne l’avait pas reconnue. Dès lors, aucun droit de pouvait être tiré de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) ou de la Convention relative aux droits de l'enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, approuvée par l'Assemblée fédérale le 13 décembre 1996. Instrument de ratification déposé par la Suisse le 24 février 1997 (CDE - RS 0.107).

Ainsi, aucun élément du dossier ne permettait en l’état de légitimer le séjour de Mme A______ en Suisse.

9) Le 19 octobre 2021, Mme A______ a transmis une attestation d’activité de bénévolat pour la Fondation H______ datée du 19 octobre 2021.

10) Le 22 octobre 2021, Mme A______ a répliqué.

Elle avait accouché à Genève, comme le confirmait son certificat d’accouchement. Elle n’était par ailleurs jamais retournée en C______ depuis sa fuite en mai 2017.

Elle était une mère célibataire abandonnée par le père de son enfant mais n’avait jamais été victime de violence. Il n’existait toutefois aucune protection pour les femmes dans sa situation en C______ ni aucune structure pouvant l’accueillir. Sa famille n’acceptait pas de la voir et la menaçait de mort en cas de retour.

Cela faisait quatre ans qu’elle se battait pour trouver un équilibre pour elle et sa fille. Elle se sentait bien intégrée, avait appris le français et trouvé une place en crèche pour B______. En attendant de trouver un travail rémunéré, elle offrait ses services en tant que bénévole.

Elle sollicitait son audition.

11) Le 16 novembre 2021, l’OCPM a informé le TAPI qu’il n’avait pas d’observations ni requêtes complémentaires à formuler, ne s’opposant pas à l’audition de Mme A______.

12) Le 17 novembre 2021, Mme A______ a demandé à l’OCPM un visa pour lui permettre de se rendre à un mariage d’amis au G______.

13) Par jugement du 6 décembre 2022, le TAPI a rejeté le recours et refusé d’ordonner la comparution personnelle de Mme A______.

La durée de son séjour ne pouvait être considérée comme longue et devait être fortement relativisée dès lors que celui-ci avait été effectué de manière illégale puis à la faveur d’une tolérance. Concernant son intégration professionnelle, elle ne travaillait plus depuis presque deux ans et était totalement dépendante de l’aide sociale depuis le 1er janvier 2021. Elle n’indiquait pas avoir tissé des amitiés lors de son séjour et il ne résultait pas du dossier qu’elle s’était investie dans la vie associative ou culturelle autrement qu’en faisant du bénévolat pour l’association H______. Elle s’était établie en Suisse à l’âge de 25 ans et avait passé toute sa jeunesse et le début de sa vie d’adulte en C______, dont elle connaissait parfaitement les us et coutumes et où elle avait dû garder de fortes attaches, même si elle semblait être rejetée par sa famille.

Elle avait placé les autorités devant le fait accompli et ne pouvait ignorer qu’elle pourrait à tout moment devoir quitter la Suisse. Elle ne démontrait pas que les difficultés qu’elle rencontrerait à son retour seraient plus graves que pour n’importe quel citoyen dans une situation similaire. Le réseau social et familial qu’elle avait certainement conservé en C______ l’aiderait dans sa réintégration et elle pourrait au besoin habiter dans une autre ville que sa proche famille. Elle était jeune et en bonne santé, les difficultés qu’elle pourrait rencontrer pour trouver un emploi ne constitueraient pas une situation rigoureuse ou de détresse personnelle justifiant une exception aux mesures de limitation. Sa fille était âgée de deux ans et pas encore scolarisée, ce qui faciliterait sa réintégration.

Elle n’avait pas prouvé l’existence d’une mise en danger concrète au sens de l’art. 83 al. 4 LEI. Ses allégations relatives aux menaces pesant sur elle du fait qu’elle avait dû quitter l’C______ n’étaient pas prouvées. Elle pouvait en toute hypothèse s’installer dans une ville d’C______ distante de sa famille.

14) Par acte remis à la poste le 8 février 2022, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et à ce que leur soit délivré, à elle et à sa fille, un permis humanitaire, subsidiairement à ce qu’une admission provisoire soit ordonnée. Préalablement, une comparution personnelle des parties devait être ordonnée.

Elle avait tenté de rentrer en C______ au sixième mois de grossesse, comme son ami l’avait abandonnée, mais sa famille lui avait ordonné de ne plus jamais tenter de la joindre après qu’elle fût partie puis devenue mère célibataire. Son frère avait l’intention de la tuer si elle rentrait en C______. Elle avait perdu son travail et n’avait pu en retrouver en raison de la pandémie. Sa situation compliquait la recherche d’un emploi. Elle offrait ses services comme bénévole et s’occupait de sa fille. Elle avait obtenu le niveau A2 en français. Un travailleur du SPMi l’avait menacée de lui retirer la garde de sa fille si elle ne régularisait pas sa situation administrative à Genève. Elle s’était alors annoncée auprès des autorités alors qu’elle aurait pu bénéficier d’une régularisation de type Papyrus en 2022.

Elle n’avait pu apporter la preuve des menaces de mort, et particulièrement de celles de son frère, car celles-ci avaient été faites par téléphone. Aucune enquête n’avait été conduite par les autorités en C______ pour établir la situation concrète. Si sa famille avait accepté de l’accueillir, elle serait retournée au pays. Même si des structures venant en aide aux victimes de violences existaient en C______, elles ne lui seraient d’aucun secours, car elle était une mère abandonnée par le père et par sa famille. L’existence d’une protection étatique établie par la loi n’assurait pas encore que celle-ci était effective. Si elle devait retourner en C______, elle n’aurait ni logement ni argent ni aucune aide de quiconque et devrait vivre seule à la rue avec sa fille âgée de trois ans.

15) Le 10 mars 2022, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

Il ressortait du Progress Report 2019, National Social Protection Strategy 2015-2020 publié en septembre 2020 que l’C______ tendait à développer l’aide sociale en faveur des catégories vulnérables et d’augmenter la participation de femmes au marché du travail. L’amélioration de la situation des femmes à risques et le bien-être des enfants faisaient partie des priorités de la stratégie de protection sociale voulue par la législation. Les recourantes pourraient donc trouver en C______ l’aide nécessaire, même s’il pouvait être admis qu’il leur faudrait un moment d’adaptation pour s’accoutumer au nouvel environnement.

16) Le 12 avril 2022, Mme A______ a persisté dans ses conclusions.

Le rapport ne pouvait mettre en lumière les possibilités réelles et concrètes pour une femme seule avec un enfant né hors mariage de trouver de l’aide en C______. Nulle part dans le rapport n’étaient citées de structures disponibles, et pour cause, car il n’existait aucun endroit en C______ pouvant l’accueillir avec sa fille.

17) Le 13 avril 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante conclut préalablement à ce que soit ordonnée sa comparution personnelle.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour les parties de faire administrer des preuves et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 154 consid. 2.1 et 4.2 ; 132 II 485 consid 3.2). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

b. En l’espèce, la recourante s’est vue offrir l’occasion d’exposer son point de vue par écrit devant l’OCPM, le TAPI et la chambre de céans. Elle a en outre pu produire toute pièce utile. Elle n’explique pas en quoi son audition apporterait des éléments complémentaires sur les dangers qu’elle courrait ou l’absence de protection disponible en C______. La chambre de céans dispose d’un dossier complet lui permettant de statuer en connaissance de cause, de sorte qu’il ne sera pas donné suite aux actes d’instruction sollicités, étant rappelé que la recourante ne dispose pas d’un droit d’être entendue oralement devant la chambre de céans.

3) Dans un premier grief, la recourante se plaint que sa situation particulière n’aurait pas été prise en compte.

a. Le recours devant la chambre administrative peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte des faits (art. 61 al. 1 LPA). En revanche, celle-ci ne connaît pas de l'opportunité des décisions prises en matière de police des étrangers, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte (art. 61 al. 2 LPA ; art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10, a contrario ; ATA/12/2020 du 7 janvier 2020 consid. 3).

b. Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi sur les étrangers du 16 décembre 2005 (aLEtr), qui a alors été renommée LEI, et de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées comme en l’espèce après le 1er janvier 2019 sont régies par le nouveau droit, étant précisé que la plupart des dispositions sont demeurées identiques.

La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants d’C______.

c. Aux termes de l'art. 30 al. 1 let. b LEI, il est possible de déroger aux conditions d'admission (art. 18 à 29 LEI) notamment dans le but de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

d. L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire la personne requérante aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique que la personne concernée se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'elle tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question et auxquelles la personne requérante serait également exposée à son retour, ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1 ; 2A.255/1994 du 9 décembre 1994 consid. 3). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par la personne requérante à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/163/2020 du 11 février 2020 consid. 7b).

La question n'est donc pas de savoir s'il est plus facile pour la personne concernée de vivre en Suisse, mais uniquement d'examiner si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de sa situation personnelle, professionnelle et familiale, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1)

e. L'art. 31 al. 1 OASA prévoit que, pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration de la personne requérante sur la base des critères d'intégration définis à l'art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f), ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené une personne étrangère à séjourner illégalement en Suisse (SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, 2013 - état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.10 [ci-après : directives LEI] ; ATA/340/2020 du 7 avril 2020 consid. 8a).

f. L'art. 58a al. 1 LEI précise que pour évaluer l'intégration, l'autorité compétente tient compte des critères suivants : le respect de la sécurité et de l'ordre publics (let. a), le respect des valeurs de la Cst. (let. b), les compétences linguistiques (let. c), la participation à la vie économique ou l'acquisition d'une formation (let. d).

g. Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4 ; ATA/257/2020 du 3 mars 2020 consid. 6c). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/92/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4d).

h. La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que la personne étrangère concernée se trouve dans une situation de détresse personnelle. Ses conditions de vie et d'existence doivent ainsi être mises en cause de manière accrue en comparaison avec celles applicables à la moyenne des personnes étrangères. En d'autres termes, le refus de la soustraire à la réglementation ordinaire en matière d'admission doit comporter à son endroit de graves conséquences. Le fait que la personne étrangère ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu'elle y soit bien intégrée, tant socialement que professionnellement, et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d'extrême gravité. Encore faut-il que sa relation avec la Suisse soit si étroite qu'on ne puisse exiger qu'elle vive dans un autre pays, notamment celui dont elle est originaire. À cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage que la personne concernée a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exception (ATF 130 II 39 consid. 3 ; 124 II 110 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_754/2018 du 28 janvier 2019 consid. 7.2 ; 2A_718/2006 du 21 mars 2007 consid. 3).

i. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine, une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse, la situation des enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d'études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n'arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l'aide sociale ou des liens conservés avec le pays d'origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF] C-5414/2013 du 30 juin 2015 consid. 5.1.4 ; C-6379/2012 et C-6377/2012 du 17 novembre 2014 consid. 4.3).

4) En l'espèce, la recourante et sa fille n’auraient pu bénéficier de l’opération Papyrus, qui avait pris fin le 31 décembre 2018 (ATA/121/2021 du 2 février 2021 consid. 8a). Leur situation ne peut être examinée que sous l’angle du cas individuel d’extrême gravité que concrétisait d’ailleurs Papyrus.

De ce point de vue, le raisonnement suivi par le TAPI apparaît exempt de reproches. La recourante ne séjourne en Suisse que depuis mai 2017, soit cinq ans, ce qui ne peut être considéré comme une longue durée, et réalise d’autant moins les conditions du cas personnel d’extrême rigueur que le séjour s’est déroulé dans l’illégalité puis au bénéfice d’une tolérance. Elle est entièrement dépendante de l’aide sociale et ne peut faire valoir d’intégration professionnelle et encore moins une intégration exceptionnelle. Elle n’invoque pas de relations particulièrement étroites avec des membres de sa famille ou des proches en Suisse et ne fait pas valoir qu’elle se serait constitué un réseau d’amis et de collègues en Suisse. Elle n’établit pas un investissement dans la vie sociale, culturelle ou sportive, mis à part un bénévolat à raison de trois jours par semaine sur le site de I______ de l’association H______. Aussi, si elle n’a ni dettes, ni poursuites, ni antécédents pénaux et si elle maîtrise le français oral au niveau A2, elle ne remplit pas les conditions de la durée du séjour, de l’intégration socioprofessionnelle exceptionnelle et de l’autonomie financière.

La recourante, encore jeune et en bonne santé, qui a passé toute son enfance, son adolescence et le début de son âge adulte en C______, dont elle maîtrise la langue et la culture, pourrait effectivement se réintégrer dans son pays et y faire valoir l’expérience acquise en Suisse, en s’installant au besoin dans une autre ville que sa famille, étant observé qu’elle a dû conserver des attaches avec sa patrie et sa famille élargie – ainsi d’ailleurs que des liens avec des amis et des connaissances au G______ voisin, puisqu’elle a demandé le 17 novembre 2021 un visa pour se rendre à un mariage dans ce pays.

La recourante ne conteste pas explicitement le raisonnement du TAPI sur ces points. Au sujet de sa réinsertion professionnelle, elle n’établit notamment pas que les difficultés auxquelles elle aurait à faire face pour retrouver un emploi seraient différentes de celles du reste de la population, de sorte qu’elles constitueraient une situation rigoureuse.

Le grief sera écarté.

5) La recourante fait valoir qu’elle ne bénéficierait d’aucune aide étatique en C______ en sa qualité de mère célibataire seule et qu’elle serait menacée de mort par son frère et d’autres personnes, de sorte que l’exécution de son renvoi serait inexigible.

a. Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation (ATA/1798/2019 du 10 décembre 2019 consid. 6 et les arrêts cités).

Selon l’art. 83 LEI, le SEM décide d'admettre provisoirement l'étranger si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion n'est pas possible, n'est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée (al. 1). L'exécution n'est pas possible lorsque l'étranger ne peut pas quitter la Suisse pour son État d'origine, son État de provenance ou un État tiers, ni être renvoyé dans un de ces États (al. 2). L'exécution n'est pas licite lorsque le renvoi de l'étranger dans son État d'origine, dans son État de provenance ou dans un État tiers est contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international (al. 3). L'exécution de la décision peut ne pas être raisonnablement exigée si le renvoi ou l'expulsion de l'étranger dans son pays d'origine ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (al. 4).

L'art. 83 al. 4 LEI s'applique en premier lieu aux « réfugiés de la violence », soit aux étrangers qui ne remplissent pas les conditions de la qualité de réfugié parce qu'ils ne sont pas personnellement persécutés, mais qui fuient des situations de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée, et ensuite aux personnes pour qui un retour reviendrait à les mettre concrètement en danger, notamment parce qu'elles ne pourraient plus recevoir les soins dont elles ont besoin. L'autorité à qui incombe la décision doit donc dans chaque cas confronter les aspects humanitaires liés à la situation dans laquelle se trouverait l'étranger concerné dans son pays après l'exécution du renvoi à l'intérêt public militant en faveur de son éloignement de Suisse (ATAF 2009/52 consid. 10.1, ATAF 2008/34 consid. 11.2.2 et ATAF 2007/10 consid. 5.1).

Les motifs résultant de difficultés consécutives à une crise socio-économique (pauvreté, conditions d'existence précaires, difficultés à trouver un travail et un logement, revenus insuffisants, absence de toute perspective d'avenir), ou encore, la désorganisation, la destruction des infrastructures ou des problèmes analogues auxquels chacun peut être confronté, dans le pays concerné, ne suffisent pas en soi à réaliser une mise en danger concrète selon l'art. 83 al. 4 LEI (ATAF D-3039/2014 du 13 mai 2015).

b. En l’espèce, la recourante n’établit pas les menaces de mort dont elle serait l’objet, pas plus que leur caractère éventuellement concret et sérieux, ni ne discute la possibilité de s’y soustraire ou d’en limiter la portée en s’installant dans une autre ville ou tout au moins dans un autre quartier de la capitale Tirana que celui de sa famille proche. Elle ne soutient pas par ailleurs que le pays serait en guerre ou en proie à de graves troubles intérieurs, ni qu’elle-même serait affectée dans sa santé physique ou psychique au point que l’exécution de son renvoi serait impossible.

S’agissant du dispositif social, la recourante soutient qu’il n’y aurait pas en C______ de structure qui pourrait l’accueillir. Cependant, le I______ Report 2019 de la Commission européenne publié le 29 mai 2019 (https://ec.europa.eu/ neighbourhood-enlargement/I______-report-2019_en) a relevé des progrès dans l’accès au marché du travail et la nécessité de poursuivre la réalisation de la stratégie de protection sociale 2015-2020, avec une attention particulière pour les groupes vulnérables, en renforçant la capacité du gouvernement à déterminer les besoins en aide sociale sur le territoire (p. 78). Le Progress Report 2019 pour l’C______ de l’Organisation des Nations Unies portant sur le programme de coopération pour un développement soutenable 2017-2021 (https://unsdg.un.org/sites/default/files/ 2020-06/Government-of-I______-United-Nations-Progress-Report-2019.pdf) a de son côté relevé les mesures en faveur de l’inclusion sociale, le développement des structures de service social et des outils d’intervention, l’octroi d’aide sociale de qualité à 2'750 personnes vulnérables, la mise en place d’un cadre légal pour le renforcement des structures locales de protection de l’enfance, l’entrée en force en février 2019 de nouvelles mesures contre la violence dans les relations familiales, l’adoption de standards dans l’offre de services sociaux pour les cas de violence liée au sexe dans des centres résidentiels d’urgence à court terme publics et
non publics, le développement du personnel judiciaire et administratif compétent, la délivrance d’ordres de protection policière, l’offre du centre Lilium aux victimes de violences et le développement des capacités psycho-sociales et multidisciplinaires de l’hôpital Mère Theresa (pp. 22 à 23).

La recourante objecte que les lois ne seraient pas mises en œuvre en C______. La lecture des rapports suggère au contraire que des mesures concrètes sont appliquées, en termes de dotation en personnel et en lieux, et de mesures effectives de protection.

La recourante se plaint qu’aucun nom de structures sociales disponibles n’est indiqué dans le rapport de l’ONU. Elle perd cependant de vue que les rapports de l’ONU et de la Commission européenne n’enregistrent que les progrès généraux. Des informations concrètes en vue du retour peuvent être obtenues de structures professionnelles d’assistance internationale comme par exemple le Service Social International (https://www.iss-ssi.org/index.php/fr/).

La recourante soutient encore que l’aide, réservée aux victimes de violences, ne lui serait pas accessible en sa qualité de mère célibataire dépourvue de soutien. Or, elle se plaint précisément de menaces de mort, qui entrent dans les violences liées au sexe ou à la famille, lesquelles font justement l’objet de mesures de prévention et de protection étatiques concrètes.

Il suit de là que la recourante échoue à rendre vraisemblable que l’exécution de son renvoi serait rendue inexigible ou impossible.

Le grief sera écarté.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

6) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 février 2022 par Mme A______, agissant en son nom et pour le compte de son enfant mineure, B______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 janvier 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de Mme A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt au Centre Social Protestant, mandataire des recourantes, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Marmy

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.