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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1097/2024

JTAPI/1080/2024 du 04.11.2024 ( LCI ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1097/2024 LCI

JTAPI/1080/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 31 octobre 2024

 

dans la cause

 

Mesdames A______ et B______, représentées par Me Aurèle MULLER, avocat, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

C______ SA et Monsieur D______, représentés par Me Pascal PETROZ, avocat, avec élection de domicile

 


EN FAIT

1.             Monsieur D______ est propriétaire de la parcelle n° 1______, feuille ______ de la commune de E______, sur laquelle est érigé un immeuble de style contemporain, à l'adresse ______[GE] (ci-après : l’immeuble), contenant plusieurs logements et un rez-de-chaussée affecté à un usage commercial.

2.             Madame A______ et feu son mari ont signé en 2005 un contrat de bail portant sur un appartement de six pièces situé au huitième étage (attique) de l’immeuble, pour un loyer mensuel de CHF 1'130.-.

Madame B______ a également signé en 2005 un contrat de bail portant sur deux appartements de 3.5 et 2 pièces, réunis en un seul logement (attique) de l’immeuble pour un loyer de CHF 730.-.

L’art. 5 des clauses desdits contrats prévoyait qu’ils ne prendraient respectivement fin qu’au décès des locataires et pouvaient être inscrits au Registre foncier (ci-après  : RF).

Suite à des réquisitions effectuées le 13 mai 2005, les baux des précitées ont été annotés au RF.

3.             Par courriers du 27 janvier 2017, Mmes A______ et B______ ont été informées de ce que leur bailleur était désormais la société C______ SA, usufruitière de l’immeuble en lieu et place de M. D______, demeuré nu-propriétaire.

4.             Le 6 octobre 2017, F______ SA, par l'intermédiaire de son architecte, Madame G______ du bureau H______ SA, a déposé auprès du département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, devenu département du territoire (ci-après : le département ou DT), une demande d'autorisation de construire définitive tendant à la surélévation de deux étages de l'immeuble, de façon à créer treize logements.

Ce projet nécessitait la démolition des appartements loués par Mmes A______ et B______.

Cette demande a été enregistrée sous le numéro DD 2______.

5.             Par décision du ______ 2019, prise notamment en application de l'art. 11 al. 6 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), le DT a délivré l'autorisation de construire sollicitée par F______ SA, selon les plans produits à l'appui de la cinquième version du projet, à teneur desquels dix logements seraient finalement créés.

Cette autorisation prévoyait notamment que les travaux ne pourraient pas être entrepris tant que les locaux à transformer ne seraient pas libres de tout occupant.

6.             Par acte du 21 juin 2019, la ville de E______ a recouru devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision, dont elle a requis l'annulation.

7.             Par jugement du 26 février 2020 (JTAPI 3______2020), le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI ou le tribunal) a rejeté le recours et confirmé l’autorisation DD 2______, qui est entrée en force.

8.             Par courrier et avis du 22 mars 2021, C______ SA a résilié les baux de Mmes A______ et B______ avec effet au 30 juin 2021, en application de l’art. 266g de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220).

9.             Par jugement JTBL 4______2022 du 20 décembre 2022, le tribunal des baux et loyers a déclaré inefficaces les congés notifiés par C______ SA. Ce jugement a été confirmé le 12 février 2024 par arrêt de la chambre des baux et loyers de la Cour de justice (ACJC 5______2024).

Suite au recours de C______ SA, le litige est pendant depuis le 15 mars 2024 par-devant le Tribunal fédéral.

10.         Le 22 février 2022, le département a prolongé la validité de l'autorisation de construire DD 2______ jusqu’au 26 février 2023.

11.         Le 22 février 2023, une nouvelle prolongation a été accordée jusqu’au 26 février 2024.

12.         Le 19 janvier 2024, la requérante a sollicité une nouvelle prolongation de l’autorisation DD 2______ « en raison de la procédure judiciaire pendante relative aux congés notifiés aux occupantes des appartements du 8ème étage de l’immeuble …».

13.         Le 22 février 2024, l’OAC a prolongé l’autorisation de construire jusqu’au 26 février 2025, tout en indiquant que le DT n’entendait pas la prolonger une nouvelle fois. Partant, l’autorisation deviendrait caduque si les travaux n’étaient pas entrepris dans l’année à venir.

Cette prolongation a été publiée dans la FAO du même jour.

14.         Par acte du 25 mars 2024, sous la plume de leur conseil, Mesdames A______ et B______ ont interjeté recours contre cette décision auprès du tribunal, concluant à son annulation et à la constatation de la nullité de l’autorisation DD 2______, sous suite de frais et dépens.

La prolongation de l’autorisation violait l’art. 4 al. 8 LCI.

Le DT avait octroyé cette nouvelle prolongation sans motiver sa décision, alors qu’on ne voyait pas quelles « circonstances exceptionnelles » justifieraient la troisième prolongation d’une autorisation dont le dossier avait été déposé sept ans auparavant. L'existence d'une procédure judiciaire en lien avec la validité des congés ne pouvait être considérée comme une situation exceptionnelle au sens de cette disposition, au regard des particularités du cas d'espèce. En effet, l'autorisation de construire prévoyait tout à la fois l'obligation de reloger les locataires et celle de respecter les contrats de location existants. Or, ces derniers avaient la particularité d'être des baux à vie annotés au RF, soit des contrats qui, par définition, n’étaient pas congéables. Dans ces circonstances, il était évident que le requérant de l'autorisation de construire ne serait pas en mesure de respecter les charges de ladite autorisation et qu'il ne pourrait donc pas ouvrir le chantier tant qu’elles occuperaient leurs logements, étant rappelé que ces risques étaient parfaitement connus du propriétaire. Ce dernier avait ainsi dès le départ indiqué être conscient des particularités des baux dont elles bénéficiaient, indiquant que la demande d'autorisation était déposée à titre exploratoire, à ses frais, risques et périls, afin de déterminer le potentiel de surélévation de l'immeuble et les conditions financières applicables. Cette impossibilité matérielle de mettre en œuvre l'autorisation tant qu’elles seraient en vie avait ensuite été confirmée tant par le tribunal des baux et loyers que par la chambre des baux et loyers de la Cour de justice. Compte tenu de ces circonstances, la prolongation litigieuse devait être annulée.

Elles ont produit plusieurs pièces, dont un courrier de la régie J______ du 21 septembre 2018 les informant que M. D______, via ses mandataires, avait décidé de déposer à ses frais, risques et périls une demande d’autorisation de surélévation de l’immeuble. Il leur confirmait son engagement à leur trouver un logement de remplacement et à prendre en charge les frais y relatifs. Il s’engageait également à les reloger ensuite dans l’immeuble aux mêmes conditions que leurs baux respectifs, étant précisé que cette surélévation n’entrainerait aucune hausse de leur loyer ni modification de bail.

15.         Par courrier du 25 mars 2024 adressé au DT, M. D______, par l’intermédiaire de son mandataire, a demandé à être inscrit comme nouveau requérant de l’autorisation de DD 2______, en lieu et place d’F______ SA, tout en précisant qu’il s’agissait d’un changement de requérant et non de mandataire. Un formulaire de changement de responsable du dossier de ladite autorisation daté du 6 mars 2024 était annexé à ce courrier.

16.         Par courriel du 26 mars 2024, le DT a confirmé à M. D______ que le changement de requérant avait été effectué, conformément à sa demande.

17.         Par courrier du 24 mai 2024, sur demande de renseignements du tribunal, l’office des faillites de l’arrondissement de la Côte a informé ce dernier que la faillite d’F______ SA avait été prononcée par décision du 25 avril 2024 de la Présidente du Tribunal d’arrondissement de la Côte à K______(VD).

18.         Par courrier du 31 mai 2024, les recourantes ont indiqué au tribunal que la faillite d'F______ SA devait conduire à l'admission de leur recours, subsidiairement à la constatation que la prolongation litigieuse ne répondait plus à aucun intérêt objectif. La requérante n’existant plus, la prolongation de l’autorisation de construire était caduque et ne déployait plus d’effet.

19.         Dans ses observations du 5 juin 2024, le département a conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

La situation n’avait pas évolué depuis la délivrance de l’autorisation de construire initiale. Ainsi, conformément à la jurisprudence, il ne pouvait se fonder sur un tel motif pour refuser la prolongation litigieuse. A cela s’ajoutait le fait que la procédure judiciaire du droit du bail en cours consistait une circonstance exceptionnelle au sens de l’art. 4 al. 8 LCI. En effet, à défaut d’une telle procédure, les baux des recourantes auraient été résiliés et la condition de l’autorisation de construire, selon laquelle les travaux ne pouvaient débuter qu’une fois les locaux libérés de leurs occupants, satisfaite. C’était donc bien cette procédure qui représentait un obstacle à l’ouverture du chantier et qui permettait à l’autorisation de construire de ne pas devenir caduque. De surcroit, le propriétaire avait entrepris cette démarche dans ce but, de sorte qu’il n’était pas abusif d’avoir considéré qu’en l’espèce, les circonstances étaient exceptionnelles. La jurisprudence avait d’ailleurs estimé que tel était le cas lorsqu’un recours était pendant contre une autorisation complémentaire et que les travaux de celle initiale en force n’avaient pas débuté, dans l’attente de l’issue judicaire. Cela valait mutatis mutandis dans le cas d’espèce.

Quant à la faillite d’une partie, en l’occurrence F______ SA, elle était tout au plus susceptible d’entrainer une suspension du recours et non son admission (art. 78 let. c LPA). Enfin, les autres parties intimées, à savoir le propriétaire et la société usufruitière conservaient, sauf indication contraire, un intérêt actuel à la prolongation de l’autorisation.

20.         Le 10 juin 2024, par l’intermédiaire de leur conseil, C______ SA et M.  D______ ont transmis plusieurs pièces au tribunal, notamment la demande de changement de requérant de l’autorisation de construire DD 2______ du ______ 2024.

21.         Ils se sont déterminés le 20 juin 2024, sous la plume de leur conseil, concluant à l’irrecevabilité du recours et, sur le fond, à son rejet ainsi qu’à la confirmation de la prolongation d’une année de l’autorisation DD 2______.

Les recourantes ne disposaient pas de la qualité pour recourir contre la prolongation litigieuse, la procédure civile pendante - dont elles étaient les instigatrices - ne constituant pas un motif suffisant et ne remplissant pas la condition légale de l’intérêt digne de protection. Elles n’avaient d’ailleurs pas recouru contre les deux prolongations précédentes.

Sur le fond, pour s'opposer à l'urgence invoquée par les intimés dans le cadre de la procédure civile actuellement pendante devant le Tribunal fédéral, les recourantes avaient admis de manière contradictoire dans leur duplique du 7 juin 2023 (cause C 6______2021) qu'il était commun que les autorisations de construire soient prolongées plus de deux fois en vertu de l'art. 4 al. 8 LCI. Elles avaient même affirmé que « si l'autorisation arrivait à échéance, rien n'empêcherait la bailleresse [C______ SA] d'en obtenir une nouvelle (...) ». Or, ce comportement était manifestement constitutif d'un abus de droit. En tout état, la condition de « circonstances exceptionnelles » prévue par l'art. 4 al. 8 LCI était remplie en l'espèce.

Ils ont joint une copie de la duplique du 7 juin 2023 déposée par les recourantes auprès de la chambre des baux et loyers de la Cour de justice dans le cadre de la procédure civile (cause C 6______2021).

22.         Les recourantes ont répliqué le 22 juillet 2024, sous la plume de leur conseil.

Titulaires de baux à vie annotés au RF, elles avaient qualité pour recourir puisqu’elles étaient touchées plus que quiconque par la décision litigieuse.

De plus, suite à la faillite d’F______ SA, le bénéficiaire et requérant de l’autorisation de construire n’existait plus, et n’avait donc plus d’intérêt à obtenir une prolongation de celle-ci, faute de pouvoir la mettre en œuvre.

Par ailleurs, M. D______ n’avait pas formellement démontré qu’F______ SA lui aurait valablement cédé les droits sur l’autorisation. A cet égard, il n’avait produit que des échanges de courriels faisant référence à un « formulaire » de changement de requérant de l’autorisation CC 7______/1, sans produire ledit formulaire. Dans ces conditions, il était impossible de déterminer si F______ SA avait valablement cédé l’autorisation dont elle était titulaire, et ce avant sa mise en faillite.

Sur le fond, comme déjà invoqué, la décision violait l’art. 4 al. 8 LCI, dans la mesure où il n’existait pas de circonstances exceptionnelles justifiant une troisième prolongation. Il ressortait de l’analyse de cette disposition que la première et la seconde prolongation ne nécessitaient pas de telles circonstances, contrairement à la troisième. Or, le DT n’avait pas procédé à cette distinction. Pire, il n’avait effectué aucune instruction de la cause, se contentant d’un simple courrier de demande, sans chercher à se renseigner plus avant notamment sur l’état de la procédure judiciaire en cours. Or, dans l’intervalle, les circonstances avaient changé puisque la Cour de justice avait rendu son arrêt, lequel était exécutoire, puisque le recours au TF n’avait pas d’effet suspensif. L’OAC aurait dès lors dû tenir compte du fait que les congés de leurs baux étaient inefficaces, ce qui rendait impossible la mise en œuvre de l’autorisation de construire.

Partant, il n’existait aucune circonstance exceptionnelle justifiant une troisième prolongation et le recours devait être admis.

23.         Le département a dupliqué le 14 août 2024, persistant intégralement dans les conclusions prises dans ses précédentes observations.

F______ SA n’était plus la requérante de l’autorisation de construire dont la prolongation était litigieuse et la position des recourantes méconnaissait le caractère éminemment réel du permis de construire de sorte que la disparation du premier requérant n’influençait pas sa validité. Cela valait mutatis mutandis pour la validité de sa prolongation. Le grief tiré de la faillite d’F______ SA devait donc être écarté.

Par ailleurs, il avait non seulement spécifié que les circonstances n’avaient pas changé et qu’il ne pouvait donc se prévaloir de ce motif pour refuser une prolongation, mais aussi expliqué de manière motivée, exemples à l’appui, que les litiges en droit du bail constituaient une circonstance exceptionnelle au sens de l’art. 4 al. 8 LCI.

Enfin, faisant l’objet d’un recours au Tribunal fédéral, l’arrêt de la Cour de justice n’était pas entré en force, même si ledit recours n’avait pas d’effet suspensif. Partant, un litige de droit du bail étroitement lié au projet de construction était toujours pendant et cette situation constituait une circonstance exceptionnelle. Les recourantes l’avait d’ailleurs reconnu en proposant de suspendre l’instruction du présent recours dans l’attente de cette issue, mesure qui ne se justifiait toutefois pas in casu puisque l’issue du litige de droit civil n’aurait aucune influence sur la question à trancher.

24.         Les intimés ont également dupliqué le 14 août 2024.

Les recourantes admettaient que la faillite d'F______ SA serait sans pertinence dans l'hypothèse où le changement de requérant serait intervenu antérieurement à celle-ci. C’était le cas en l’occurrence, le changement ayant été demandé le 25 mars 2024 et la faillite d’F______ SA étant intervenue le 25 avril suivant.

La question de l’absence d’effet suspensif du recours pendant au Tribunal fédéral, n'était pas pertinente, dans la mesure où la situation était strictement identique à celle qui prévalait en 2023, les résiliations des baux des recourantes ne pouvant avoir d'effet jusqu'à décision de cette autorité judiciaire. La condition de circonstances exceptionnelles prévue par l'art. 4 al. 8 LCI était donc manifestement remplie en l'espèce.

Les recourantes évoquaient la suspension de la procédure, sans pour autant démontrer que les conditions de l'art. 78 LPA (recte : art. 14 LPA) seraient remplies. Or, comme rappelé par le département, tel n’était pas le cas en l'espèce.

Pour le surplus, ils persistaient dans leurs conclusions.

Ils ont joint une copie de la demande de changement de requérant de l’autorisation de construire DD 2______, datée du ______ 2024, à savoir le formulaire idoine et sa lettre d'accompagnement.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             La recevabilité du recours suppose encore que son auteur dispose de la qualité pour recourir.

4.             À teneur de l’art. 60 al. 1 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir (ATA/186/2019 du 26 février 2019 ; ATA/1159/2018 du 30 octobre 2018 ; ATA/661/2018 du 26 juin 2018).

5.             Cette notion de l’intérêt digne de protection correspond aux critères exposés à l’art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), que les cantons sont tenus de respecter en application de la règle d’unité de la procédure figurant à l’art. 111 al. 1 LTF (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1 ; 1C_170/2018 du 10 juillet 2018 consid. 4.1 ; ATA/258/2020 du 3 mars 2020 consid. 2b).

6.             L’intérêt digne de protection, qui ne doit pas nécessairement être de nature juridique, un intérêt de fait étant suffisant (cf. ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 143 II 506 consid. 5.1 ; 142 V 395 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1), réside dans le fait d’éviter de subir directement un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre, qui serait causé par la décision entreprise. Il implique que le recourant, qui doit pouvoir retirer un avantage pratique de l’annulation ou de la modification de la décision en cause, doit se trouver dans une relation spécialement étroite et digne d’être prise en considération avec l’objet de la contestation et qu’il soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés, de façon à exclure l’action populaire (cf. ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 139 II 499 consid. 2.2 ; 138 II 162 consid. 2.1.1 ; 137 II 40 consid. 2.3 ; 137 II 30 consid. 2.2.3 et 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1 ; 1C_27/2018 du 6 avril 2018 consid. 1.1 ; 1C_96/2017 du 21 septembre 2017 consid. 2.1).

7.             D’une manière générale, la jurisprudence et la doctrine n’admettent que de manière relativement stricte la présence d’un intérêt propre et direct lorsqu’un tiers entend recourir contre une décision dont il n’est pas le destinataire (ATF 133 V 239 consid. 6.3 ; 131 II 652 consid. 3.1 ; 131 V 300 consid. 3 ; 124 II 504 consid. 3b et les références citées). Il découle d’ailleurs du texte de l’art. 89 al. 1 let. b LTF que le législateur a voulu rendre encore plus stricte la condition de l’intérêt personnel au recours, puisqu’il est précisé que le recourant doit être « particulièrement atteint » par l’acte attaqué (ATF 133 II 468 consid. 1 et les auteurs cités). Ainsi, pour qu’une atteinte soit assez pertinente pour léser un intérêt digne de protection, il faut qu’il y ait véritablement un préjudice porté de manière directe, réelle et pratique à la situation personnelle du recourant (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd., 2011, n° 5.7.2.1 let. d p. 734 s.).

8.             En matière de construction, la qualité pour recourir est en principe donnée lorsque le recours émane du propriétaire ou du locataire d’un terrain directement voisin de la construction ou de l’installation litigieuse (ATA/557/2015 du 2 juin 2015 ; ATA/577/2014 du 29 juillet 2014).

9.             Toutefois, s'agissant d'un recourant, tiers locataire, il convient d'apprécier l'enjeu de la procédure pour le recourant concerné en fonction de sa situation concrète, soit d'apprécier la gravité de l'atteinte apportée par le projet à ses intérêts (RDAF 2001 I 344 p. 348). Selon les principes généraux du droit, il n'appartient pas à l'administration de s'immiscer dans les conflits de droit privé. Le Tribunal fédéral a jugé que s'il existe un moyen de droit privé, même moins commode, à disposition de l'intéressé pour écarter le préjudice dont il se plaint, la qualité pour agir fondée sur l'intérêts digne de protection doit lui être niée (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.70/2005 du 22 avril 2005, consid. 3 .3.3). Les intérêts du locataire dans ses rapports avec le bailleur sont plus spécifiquement protégés par les dispositions spéciales du code des obligations en matière de droit du bail (cf. art. 253ss CO, spéc. 271ss CO s'agissant de la protection contre les congés abusifs) complétées, le cas échéant, par certaines règles de droit public cantonal (ATF 131 II 649, consid. 3.4).

10.         La chambre administrative a déjà jugé de façon constante qu'en matière de qualité pour recourir des locataires, lorsque la décision litigieuse implique la démolition des locaux qui font l'objet d'un bail à loyer, le locataire ne peut plus se prévaloir d'un intérêt digne de protection à l'annulation de l'autorisation de démolition dès lors qu'il a reçu son congé. En effet, quand bien même il conteste ce dernier, la procédure ouverte à ce sujet ne peut aboutir qu'à deux solutions alternatives : si la résiliation du bail est annulée, la démolition ne peut avoir lieu et le locataire perd son intérêt au recours ; si, au contraire, le congé est confirmé, le locataire, qui doit quitter les lieux, n'est plus concerné par le projet de démolition et n'a ainsi plus d'intérêt pratique à recourir (ATA/1755/2019 du 3 décembre 2019 consid. 3 et les références citées).

En revanche, la qualité pour recourir contre une autorisation de construire des locataires, dont les baux n'étaient pas résiliés, a été admise lorsque, si elle était confirmée, ladite autorisation les priverait de la jouissance de locaux situés dans les combles de l'immeuble dont la transformation était projetée. Certains des griefs invoqués portaient sur le gabarit de l'immeuble après travaux et sur les vices de forme ayant affecté la procédure qui, s'ils devaient se révéler bien fondés, pourraient abouti à un refus de l'autorisation de construire litigieuse, à l'abandon du projet, voire à un remaniement substantiel de celui-ci, et à la mise en œuvre d'une nouvelle enquête (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_61/2011 du 4 mai 2011 ; ATA/181/2013 du 19 mars 2013 consid. 4 et les références citées).

11.         En l’espèce, les recourantes sont titulaires de baux portant sur des appartements visés par l’autorisation querellée mais leurs baux ont été résiliés en date du 22 mars 2021. Le litige civil opposant les parties n’est pas encore tranché. Cependant, quelle que soit l'issue de cette procédure, les recourantes n'ont pas d'intérêt à recourir contre la prolongation de l'autorisation DD 2______. En effet, si le Tribunal fédéral venait à confirmer l’inefficacité de la résiliation de leurs baux, le projet litigieux ne pourrait pas se réaliser. En revanche, si dite résiliation venait à être confirmée, les recourantes - n'étant plus locataires - n'auraient aucun intérêt digne de protection à recourir contre un projet qui ne les concernera pas.

Certes, les baux ici concernés ont la spécificité d’être à vie et d’être inscrits au RF. Cela ne change toutefois rien au raisonnement fait ci-dessus.

Au vu de ce qui précède, il doit être retenu que les recourantes ne disposent pas de la qualité pour recourir, de sorte que leur recours doit être déclaré irrecevable.

12.         Cela étant et à toutes fins utiles, le tribunal ne peut que constater que la troisième prolongation de l'autorisation de construire DD 2______ a été accordée à bon droit, la procédure judiciaire civile en cours, qui fait indiscutablement obstacle à l’ouverture du chantier, étant, selon la jurisprudence, considérée comme des « circonstances exceptionnelles » au sens de l’art. 4 al. 8 LCI, autorisant une telle prolongation (cf notamment dans ce sens ATA/539/2012 du 21 août 2012 consid. 2).

13.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourantes, prises conjointement et solidairement, qui succombent sont condamnées au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de cette avance leur sera restitué.

14.         Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 750.-, à la charge conjointe et solidaire des recourantes, sera allouée à C______ SA et M. D______ à titre de dépens (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 25 mars 2024 par Mesdames A______ et B______ contre la décision du département du territoire du ______ 2024 ;

2.             met à la charge des recourantes, prises conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

3.             ordonne la restitution aux recourantes du solde de l’avance de frais de CHF 200.- ;

4.             condamne les recourantes à verser à C______ SA et M. D______ une indemnité de procédure de CHF 750.- ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Marielle TONOSSI, présidente, M. Patrick BLASER et M. Carmelo STENDARDO, juges assesseurs

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

La greffière