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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/546/2024

JTAPI/909/2024 du 12.09.2024 ( LDTR ) , REJETE

REJETE par ATA/495/2025

Descripteurs : PERMIS DE CONSTRUIRE;RÉNOVATION D'IMMEUBLE;LOYER CONTRÔLÉ;GARANTIE DE LA PROPRIÉTÉ;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LDTR.9; LDTR.10; LDTR.11.al3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/546/2024 LDTR

JTAPI/909/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 septembre 2024

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Régie E______ SA, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             A______ SA (ci-après A______) est une société immobilière ayant pour but : achat, vente, possession, exploitation et location d'immeubles et d'une manière générale toutes opérations se rattachant directement ou indirectement au but principal. Monsieur B______ et Madame C______ en sont les administrateurs avec signature collective à deux.

2.             A______ est propriétaire depuis juin 2022 d’un immeuble de logements (ci-après : l’immeuble) et d’un ancien garage mécanique désaffecté situés ______[GE] de la commune de D______, en zone 4B protégée. Ces immeubles acquis en décembre 2020 par les époux B______ et C______, au prix de CHF 1'650'000.-, lui ont été cédés pour la somme de CHF 1'660'000.-.

3.             L’immeuble, datant du 18ème siècle et sur trois niveaux, comprenait en 2022 quatre logements pour un total de 19 pièces. Il est géré par la Régie E______ SA (ci-après : la Régie).

4.             Courant juin 2022, la Régie a résilié l’ensemble des baux des locataires en place pour le compte de A______.

5.             Le 27 juin 2022, une requête en autorisation de construire portant sur la rénovation et transformation de l’immeuble et la transformation et agrandissement du garage a été déposée auprès du département du territoire (ci-après : DT ou le département), laquelle a été enregistrée sous DD 2______.

Il ressortait notamment du dossier joint à cette demande que selon les calculs de l’architecte et de la Régie, les loyers au jour du dépôt de l'autorisation de construire d'un montant total de CHF 34’440.-/an (soit CHF 81.-/m2/an) ne couvraient pas les coûts actuels de l'immeuble, que le loyer avant travaux aurait dû être, pour cet immeuble extrêmement vétuste et en partie insalubre, de CHF 48'723.-/an (soit CHF 115.4 m2/an ; méthode de calcul de l’art. 269 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 ; Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220), que l'opération (acquisition + travaux) coûtait globalement plus de CHF 4.5 millions, les travaux étant estimés à plus de CHF 2'750'000.-, et que les hausses de loyer de CHF 111’924.- pour les pièces existantes, de CHF 11'121.- pour les 2 pièces supplémentaires créées dans le grenier ainsi qu’un loyer de CHF 22'241.-, pour l'appartement prévu dans le garage à transformer, devaient être retenues pour rentabiliser les travaux. En ajoutant ces montants à l'état locatif minimal de CHF 48'723.-/an, nécessaire pour couvrir les coûts avant travaux, l'état locatif total après travaux était donc de CHF 194'009.-/an.

Les justificatifs pour le calcul du rendement avant travaux avec calcul des loyers après travaux, dont un tableau détaillant l’état locatif avant travaux, étaient joints. A teneur de ce dernier, les loyers se décomposaient comme suit :

Appartement 3 p. CHF 4'200.-/an, soit CHF 1'400.- la pièce/an

Appartement duplex (6 p.) CHF 10’968.-/an, soit CHF 1'828.- la pièce/an

Appartement 5,5 p. CHF 9’000.-/an, soit CHF 1'636.36 la pièce/an

Appartement 5,5 p. CHF 10’272.-/an, soit CHF 1'867.64 la pièce/an

6.             Dans le cadre de l'instruction de cette demande, une séance de travail a notamment été agendée le 13 octobre 2022 et le projet a fait l'objet de nombreuses demandes de modification ou de compléments de la part de plusieurs instances, dont l'office du patrimoine et des sites (SMS et CMNS), la direction des autorisations de construire (DAC) ou encore l'office cantonal du logement et de la planification foncière (OCLPF). S'agissant de ce dernier, le service de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) a, en particulier, requis à plusieurs reprises des pièces complémentaires notamment concernant l'état locatif.

7.             Par courrier du 20 janvier 2023, la Régie s'est expliquée sur le calcul de l'état locatif avant et après travaux et a transmis des pièces complémentaires, soit des devis généraux pour les travaux des appartements existants, des deux nouvelles pièces et dans le garage, des formulaires D05 pour l'immeuble et le garage, des formulaires D13 « Coûts des travaux et calcul des hausses » et « Etat locatif avant/après travaux », un tableau corrigé des surfaces et pièces (actuel/futur), le calcul de rendement avant travaux avec calcul des loyers après travaux modifié en tenant compte des annexes ci-dessus, le calcul de rendement CO après travaux, l’état locatif après travaux, des nouvelles résiliations du bail des appartements dans les combles et au rez-de-chaussée.

8.             S’en sont suivis divers compléments d’explications et modifications du projet pour faire suite aux préavis des 29 mars 2023 de la DAC, 30 mars 2023 du SMS et 24 avril 2023 de l’OCLPF-LDTR. Dans un courrier du 3 novembre 2023 et son annexe, l’architecte de A______ indiquait en particulier que les loyers calculés avec le formulaire D13 pour les appartements 01, 21 et 22 ne couvraient pas les coûts.

9.             Le 21 décembre 2023, l’OCLPF-LDTR a rendu un préavis favorable sous conditions, fixant notamment le loyer de l'appartement de 3 pièces au rez-de-chaussée à CHF 4'302.- la pièce/l'an, celui du duplex de 6 pièces au rez-de-chaussée et 1er étage à CHF 4’302.- la pièce/l'an, celui de 5 pièces au 1er étage à CHF 4'302.- la pièce/l'an, celui de 3 pièces au 2ème étage (combles) à CHF 4'302.- la pièce/l'an et celui de 4 pièces au 2ème étage (combles) à CHF 5'175.- la pièce/l'an.

Tous les autres préavis étaient favorables au projet, avec ou sans réserves.

10.         Par décision DD 2______ du ______ 2024, le département a délivré l’autorisation requise pour la quatrième version du projet (transformation du garage en local commercial en lieu et place d’un logement), laquelle a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du même jour.

Cette autorisation était assortie d'une condition sous chiffre 7 renvoyant au préavis du 21 décembre 2023 de l’OCLPF, à teneur duquel (conditions n° 2 à 6), les loyers des appartements n’excèderaient pas après travaux : CHF 12'908.- par an, soit CHF 4'302.- la pièce par an (3 pièces au rez-de-chaussée) ; CHF 25'817.- par an, soit CHF 4'302.- la pièce par an (duplex de 6 pièces au rez-de-chaussée) ; CHF 21'517.- par an, soit CHF 4'302.- la pièce par an (5 pièces au 1er étage) ; CHF 12'908.- par an, soit CHF 4'302.- la pièce par an (3 pièces aux combles) ; CHF 20'698.- par an, soit CHF 5'175.- la pièce par an (4 pièces aux combles). Ces loyers seraient appliqués pour une durée de cinq ans à dater de la remise en location après la fin des travaux (art. 10 al. 1, 11 et 12 LDTR).

Il en résultait un état locatif pour les pièces existantes de CHF 81'753.-/an auquel s’ajoutait l'état locatif des deux pièces supplémentaires calculé selon le formulaire D05 à CHF 12'093.-/an (2 x CHF 6'046.-/pièce/an).

11.         Par acte du 16 février 2024, A______, agissant sous la plume de la Régie, a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision, concluant principalement à sa modification en ce sens que l’état locatif après travaux de l’immeuble en question devait être fixé à CHF 173’844.-/an pendant les cinq ans de contrôle imposés par l’OCLPF dès la remise en location des appartements et, subsidiairement, à ce que soit réservée la révision de cet état locatif une fois les travaux terminés afin de tenir compte dans l’état locatif définitif de tous les coûts supplémentaires, sous suite de frais et dépens. Préalablement, elle a conclu au retrait de l'effet suspensif attaché au recours afin de pouvoir commencer sans attendre les travaux autorisés.

L’état locatif après travaux auquel s'ajoutait le loyer du local commercial de CHF 24'180.-/an, devait se répartir comme suit :

Appartement 01 (3 p.) CHF 25'536.-/an, soit CHF 8'514.- la pièce/an

Appartement 02 duplex (6 p.) CHF 51’084.-/an, soit CHF 8'514.- la pièce/an

Appartement 11 (5 p.) CHF 42’564.-/an, soit CHF 8'514.- la pièce/an

Appartement 21 (3 p.) CHF 25’536.-/an, soit CHF 8'514.- la pièce/an

Appartement 22 (4 p.) CHF 29’124.-/an, soit CHF 7'280.- la pièce/an

Dans son préavis du 21 décembre 2023, l'OCLPF-LDTR avait écarté sans explications la méthode de calcul de loyer qu’elle avait produite dans la procédure d'autorisation de construire pour aboutir, depuis décembre 2023, à l’état locatif querellé et retenait, à tort, que l’état locatif après travaux ne devrait pas dépasser le plafond LDTR de CHF 93'848.-/an, en se référant aux art. 9, 10 al, 1, 11 et 12 LDTR. Or, en l’espèce, au vu du caractère particulier de l'immeuble et des travaux très importants qui devaient être entrepris pour le réhabiliter, il aurait dû renoncer à fixer le loyer après travaux en application de l'art. 10 al. 2 LDTR, dès lors qu’une telle mesure de blocage était disproportionnée. Elle renvoyait à cet effet à la jurisprudence de la chambre administrative (ATA/561/2013 du 27 août 2013).

Subsidiairement, l'OCLPF aurait dû fixer l'état locatif de l'immeuble à CHF 173'844.-/an, étant rappelé que des exceptions permettaient de fixer les loyers après travaux au-dessus du plafond des besoins prépondérants de la population (ci-après : BPP). A cet égard, l'art. 11 al. 1 LDTR prévoyait comment déterminer les loyers avant travaux (lettre d) et comment calculer la hausse de loyer après travaux sur la base des coûts de ceux-ci (lettres a à c, ainsi que d). Or, le calcul de rendement qu'elle avait produit démontrait qu'il était nécessaire de fixer le loyer avant travaux au-dessus de CHF 34'440.-, soit à CHF 54'480.-/an (CHF 125.-/m2/an, soit CHF 2’762.-/pièce/an), pour qu'ils puissent couvrir les coûts actuels des appartements. Son calcul se basait sur l'art. 11 al. 1 let. d LDTR, lequel renvoyait aux art. 269 et suivants CO. Concernant la détermination des loyers après travaux, il fallait appliquer l'art. 11 al. 1 let. a à c LDTR (méthode Fracheboud-LDTR), étant rappelé qu’il ressortait des art. 9 al. 4 à 6 LDTR, des travaux préparatoires et de la jurisprudence que le plafond LDTR pouvait être dépassé à certaines conditions. Dans le cas où le loyer avant travaux ne suffisait pas à couvrir les coûts d'exploitation du bien à rénover et que celui après travaux ne couvrait pas non plus les coûts, il s'agissait de faire ce calcul de rendement en deux étapes comme décrit dans la jurisprudence (cf ATA/98/2002 consid. 3c et 8-16). Ces calculs de rendement s'appliquaient lorsque les loyers avant travaux étaient supérieurs au plafond LDTR (art. 11 al. 3 LDTR), mais également lorsqu'ils étaient inférieurs. En l’espèce, le calcul d'état locatif de CHF 173’844.-/an pour les appartements de l’immeuble permettait d'obtenir l'état locatif minimal nécessaire pour payer tous les coûts de ce dernier (charges d'exploitation, intérêts hypothécaires), en obtenant le rendement admissible permettant de payer encore toutes autres factures (impôt sur le revenu, impôt sur la fortune, tous les coûts ne pouvant pas être pris en compte dans les charges d'exploitation lors du calcul de rendement en application de la jurisprudence du Tribunal fédéral, comme les frais de contentieux, les loyers perdus des locaux vacants, les frais de publicité pour trouver des locataires, etc.) alors que l'état locatif fixé par l'OCLPF-LDTR était insuffisant. La banque F______ lui avait ainsi refusé le financement pour les travaux et sa faillite était pronostiquée pour 2026, avec ensuite la faillite personnelle du couple B______ et C______, et portait atteinte aux art. 1, 10 al. 2, 11 al. 1 let. i à d et 11 al. 3 LDTR.

Par ailleurs, la décision violait la garantie de la propriété, la liberté économique (art. 26 et 27 de la Constitution fédérale) et la primauté du droit fédéral (à savoir le droit du bail fédéral s'agissant du calcul de rendement de l'art. 269 CO qui assurait au bailleur d'obtenir un loyer couvrant ses coûts).

Enfin, dans un cas comme le sien, visant à rénover totalement un immeuble et impliquant la fixation d'un nouvel état locatif complet après travaux calculé selon les coûts, il conviendrait que le département fixe l'état locatif en deux temps, comme cela se faisait pour les immeubles LGL/LGZD, soit d'abord « de façon provisoire » dans l'autorisation de construire, en se fondant sur le calcul de rendement provisoire établi selon les estimations des coûts actuels connus et futurs inconnus puis après la fin des travaux « de manière définitive » sur la base des coûts effectifs intégrés dans le calcul de rendement réactualisé sur la base des factures.

Elle a joint un chargé de pièces.

12.         Par courrier du 29 février 2024, se déterminant sur la question du retrait de l’effet suspensif, le département a indiqué s’en rapporter à justice tout en demandant, dans l’hypothèse où la requête devait être acceptée, qu’il soit précisé que les appartements ne pouvaient être remis en location jusqu’à droit connu sur les loyers.

13.         Dans sa réplique sur effet suspensif du 12 mars 2024, la recourante a souligné la gravité financière de sa situation du fait du blocage de l’état locatif à un montant très largement insuffisant. Afin de rassurer le tribunal et l’OCLPF sur son sérieux, elle proposait « lorsque les travaux seront terminés et si la présente procédure n’est pas encore finie à ce moment-là, de rechercher des locataires prêts à payer les loyers revendiqués dans la présente procédure et de conclure des baux à ces montants en précisant dans lesdits baux que ces montants font l’objet d’une procédure en cours et que la régie communiquera aux locataires, à l’issue de la présente procédure les loyers définitivement fixés avec effet dès le début du bail ».

14.         Dans sa duplique sur effet suspensif du 25 mars 2024, le département a indiqué ne pas être opposé à ce que l’effet suspensif soit intégralement retiré y compris concernant la location des appartements, pour autant que la précision proposée par la recourante soit inscrite dans les futurs baux et qu’il en soit pris acte dans la décision du tribunal. Il invitait au surplus ce dernier à bien vouloir reprendre dans dans sa décision la formule : « par leur demande de pouvoir entamer immédiatement les travaux, les recourants consentent par avance à ce que les coûts y relatifs ne puissent par hypothèse être rentabilisés, en cas de location de l'appartement durant les trois [5ans] ans suivant la fin des travaux, qu'à hauteur du loyer maximum autorisé, au cas où le chiffre 7 de la décision litigieuse serait confirmé au terme de la présente procédure ».

15.         Par décision du 26 mars 2024 (DITAI/132/2024), le tribunal a admis la demande de retrait d'effet suspensif au recours formée par A______, dit que l'effet suspensif du recours était retiré dans le sens des considérants et lui a donné acte de ce qu’elle s’engageait, une fois les travaux terminés et si la présente procédure n’était pas encore finie, à rechercher des locataires prêts à payer les loyers revendiqués dans la présente procédure et à conclure des baux à ces montants en précisant dans lesdits baux que ces montants faisaient l’objet d’une procédure en cours et que la régie communiquerait aux locataires, à l’issue de la présente procédure, les loyers définitivement fixés avec effet dès le début du bail.

16.         Dans ses observations au fond du 19 avril 2024, le département a conclu au rejet du recours, dont l’objet ne portait en l’occurrence que sur la fixation et le blocage des loyers.

A cet égard, la recourante soutenait principalement que l’OCLPF aurait dû renoncer à fixer le loyer après travaux, en application de l'art. 10 al. 2 LDTR, au vu des particularités du cas d’espèce et du caractère disproportionné d’une telle fixation. Elle ne saurait être suivie dans la mesure où il n’était pas contesté que l’on se trouvait dans aucun des cas de figure prévus par cette disposition et que le cas d’espèce n’était aucunement comparable à celui visé par l'ATA/561/2013 qu’elle citait. La présente espèce était un cas classique et le blocage des loyers n'apparaissait pas disproportionné mais, au contraire, parfaitement conforme au but poursuivi par la LDTR. Il relevait pour le surplus que les loyers avaient été fixés selon le formulaire D13 produit par la recourante à l’appui de sa requête et que toute modification ultérieure devait faire l'objet d'une demande complémentaire.

La recourante ne saurait pas plus être suivie lorsqu’elle soutenait qu'elle se trouverait dans un des cas où le loyer après travaux pourrait être supérieur au plafond des BPP, dès lors que le calcul du rendement qu’elle avait effectué démontrait la nécessité de fixer le loyer au-dessus du plafond afin de lui permettre de couvrir ses coûts. En effet, en l’espèce, il n’était pas contesté que les appartements faisaient partie de la catégorie d'appartements où sévissait une pénurie au sens de l'art. 25 LDTR, ce qui en faisait des logements correspondant aux BPP, et leur loyer après transformation devait ainsi répondre à ces derniers en ne dépassant pas CHF 3'528.- par pièce par an (art. 11 al. 2 et 9 al. 2 LDTR). Le loyer avant travaux qu'il y avait lieu de prendre en compte était le dernier loyer brut avant travaux. La fixation du loyer dans le préavis de l'OCLPF du 21 décembre 2023 était ainsi parfaitement justifiée.

Dans ce cadre, l’OCLPF avait de plus pris en compte les différents postes de calcul prévus à l'art. 11 al. 1 LDTR, ainsi que les coûts des travaux, notamment ceux rendus nécessaires du fait de la protection patrimoniale, et les éléments énergétiques (art. 9 al. 4 à 6 LDTR), soumis par la recourante, augmentant les loyers considérés dans la mesure indiquée dans le formulaire D 13 qu’elle avait communiqué. Quant aux autres coûts considérables qui auraient dû être pris en compte et qui auraient justifié une augmentation encore plus importante des loyers au titre de circonstances particulières (art. 9 al. 5 LDTR), la recourante ne les développait pas et la jurisprudence allait dans le sens d’une interprétation restrictive de cette disposition.

L’argumentation de la recourante en lien avec l’interprétation erronée de l’art. 11 al. 3 LDTR à laquelle aurait procédé l’OCLPF devait être écartée. Il renvoyait à cet égard aux JTAPI/15/2024 et JTAPI/16/2024 du 9 janvier 2024 (confirmés par ATA/661/2024 et ATA/662/2024 du 4 juin 2024, faisant actuellement l’objet de recours au Tribunal fédéral [1C_405/2024 et 1C_407/2024]), dans lesquels le tribunal avait procédé à une analyse détaillée de l'art. 11 al. 3 LDTR tant au niveau du texte que de sa portée. Ainsi, cette disposition n’avait pas à s’appliquer et aucun élément ne permettait de considérer que l'OCLPF aurait violé les dispositions de la LDTR en fixant et en bloquant durant cinq ans les loyers querellés.

Les griefs de violation de la garantie de la propriété et d’atteinte à la propriété et à la liberté économique devaient enfin être rejetés, le Tribunal fédéral ayant notamment confirmé que la fixation du loyer, et partant l’intérêt public à la préservation d'un parc locatif répondant aux besoins de la population était légitime et justifiait l'atteinte aux garanties constitutionnelles de la propriété et de la liberté économiques des propriétaires.

17.         Dans sa réplique du 3 mai 2024, la recourante a persisté dans ses motifs et conclusions.

Les jugements cités par le département étaient contestés devant la chambre administrative. Elle avait pour le surplus démontré le caractère disproportionné de la mesure de blocage en exposant qu’il fallait un état locatif de CHF 173'844.-/an après travaux pour couvrir les coûts et persistait à soutenir que la présente espèce était similaire à celle de l’ATA/561/2013. Elle avait rempli et déposé le formulaire D13 car elle n’avait pas d’autres choix si elle voulait obtenir son autorisation de construire. Les références doctrinales et jurisprudentielles du département étaient non pertinentes et les conséquences qu’il en tirait erronées.

18.         Dans sa duplique du 28 mai 2024, le département a persisté dans ses observations et conclusions. Tel que démontré dans ses précédentes écritures, le loyer de référence était le dernier loyer brut avant travaux, le seul cas où le calcul de rendement pouvait s'appliquer, et ainsi justifier une réactualisation du loyer avant travaux, étant celui où le locataire demeurait le même après les travaux.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), en soi non réalisée dans le cas d'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9).

4.             Saisi d'un recours, le tribunal applique le droit d'office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n'est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/1024/2020 du 13 octobre 2020 consid. 1 et les références citées).

5.             La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; ATF 135 II 416 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 135 II 243 consid. 4.1 ; ATF 133 III 175 consid. 3.3.1). L'interprétation de la loi peut conduire à la constatation d'une lacune. Une lacune authentique (ou proprement dite) suppose que le législateur s'est abstenu de régler un point alors qu'il aurait dû le faire et qu'aucune solution ne se dégage du texte ou de l'interprétation de la loi. En revanche, si le législateur a renoncé volontairement à codifier une situation qui n'appelait pas nécessairement une intervention de sa part, son inaction équivaut à un silence qualifié. Quant à la lacune improprement dite, elle se caractérise par le fait que la loi offre certes une réponse, mais que celle-ci est insatisfaisante. D'après la jurisprudence, seule l'existence d'une lacune proprement dite appelle l'intervention du juge, tandis qu'il lui est en principe interdit, selon la conception traditionnelle qui découle notamment du principe de la séparation des pouvoirs, de corriger les silences qualifiés et les lacunes improprement dites, à moins que le fait d'invoquer le sens réputé déterminant de la norme ne soit constitutif d'un abus de droit, voire d'une violation de la Constitution (ATF 139 I 57 consid. 5.2 ; 138 II 1 consid. 4.2).

6.             La recourante conclut à la modification de la DD 2______ en ce sens que l’état locatif après travaux de l’immeuble en question devait être fixé à CHF 173’844.-/an et non pas à CHF 93'848.-/an pendant les cinq ans de contrôle imposés par l’OCLPF dès la remise en location des appartements.

7.             La LDTR s'applique à tout bâtiment situé dans l'une des zones de construction prévues par l'art. 19 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) ou construit au bénéfice d'une norme de l'une des quatre premières zones de construction en vertu des dispositions applicables aux zones de développement (art. 2 al. 1 let. a LaLAT), et comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l'habitation (art. 2 al. 1 let. b LaLAT).

Elle a pour but de préserver l’habitat et les conditions de vie existants, ainsi que le caractère actuel de l’habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR). Celle-ci prévoit notamment à cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR).

Plus spécifiquement, la LDTR vise à protéger les locataires contre des changements d’affectation quantitatifs du parc locatif, soit contre le remplacement de locaux d’habitation par des locaux commerciaux ou à usage professionnel, mais aussi et de façon primordiale, à les protéger contre des changements d’affectation qualitatifs. Sont en effet également visés les travaux de rénovation qui ont pour conséquence de faire basculer des catégories de logement conçues pour des familles modestes et nombreuses dans des catégories de logement destinées à des personnes aisées et sans enfant, ou des catégories d’immeubles à loyer bas ou modérés vers des loyers d’appartements de luxe (ATA/859/2010 du 7 décembre 2010 consid. 6b et la référence citée).

8.             À teneur de l’art. 9 al. 1 LDTR, une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation au sens de l’art. 3 al. 1 LDTR. Elle est accordée notamment lorsque l’état du bâtiment comporte un danger pour la sécurité et la santé de ses habitants ou des tiers (let. a), lorsque la réalisation d’opérations d’aménagement ou d’assainissement d’intérêt public le commande (let. b) ou pour les travaux de rénovation (let. e), c’est-à-dire la remise en état, même partielle, de tout ou partie d’une maison d’habitation, en améliorant le confort existant sans modifier la distribution des logements (art. 3 al. 1 let. d LDTR), et si les logements transformés répondent, quant à leur genre, leur loyer ou leur prix, aux BPP (art. 9 al. 2 LDTR).

Par BPP, il faut entendre les loyers accessibles à la majorité de la population (art. 9 al. 3 LDTR). Un logement correspond en principe par son genre ou par son loyer aux BPP lorsque son loyer est compris entre CHF 2'627.- et CHF 3'528.- la pièce par année (arrêté du Conseil d'État du 12 janvier 2022 relatif à la révision des loyers répondant aux BPP - ArRLoyers - L 5 20.05), ou lorsque ce logement entre dans la catégorie des appartements dans lesquels règne la pénurie au sens de l'art. 25 LDTR. Selon l'arrêté déterminant au moment des faits, comme selon celui actuellement en vigueur (arrêté du Conseil d'État déterminant les catégories d'appartements où sévit la pénurie en vue de l'application des art. 25 à 39 LDTR - ArAppart - L 5 20.03, modifié régulièrement), il y a pénurie dans toutes les catégories d'appartements d'une à sept pièces inclusivement.

L’art. 9 al. 4 et 5 LDTR précise que la fourchette des loyers peut exceptionnellement être dépassée si la surface brute locative des pièces est importante, respectivement si des circonstances particulières le justifient, soit si la protection du patrimoine génère des coûts supplémentaires.

Selon l’art. 9 al. 6 LDTR, les mesures suivantes peuvent également être répercutées sur les loyers, aux conditions prévues par l’art. 14 de l’ordonnance sur le bail à loyer et le bail à ferme d'habitation et de locaux commerciaux du 9 mai 1990 (OBLF - RS 221.213.11) :

-          les mesures destinées à réduire les pertes énergétiques de l’enveloppe du bâtiment ;

-          les mesures visant à une utilisation rationnelle de l’énergie ;

-          les mesures destinées à réduire les émissions des installations techniques ;

-          les mesures visant à utiliser les énergies renouvelables ;

-          le remplacement d’appareils ménagers à forte consommation d’énergie par des appareils à faible consommation.

Pour les loyers correspondant, avant travaux, aux BPP, le loyer après travaux n'excédera pas le montant maximum de la fourchette des loyers correspondant aux BPP, majoré :

a) d'un montant correspondant à la baisse prévisible des charges énergétiques du locataire, auquel peut être rajouté, si nécessaire :

b) un montant correspondant à la contribution énergétique du locataire, qui ne pourra pas dépasser 10 francs par pièce, par mois.

9.             En l'espèce, les appartements visés par la décision querellée sont un 3 pièces au rez-de-chaussée, un duplex de 6 pièces au rez-de-chaussée et 1er étage, un 5 pièces au 1er étage, un 3 pièces au 2ème étage (combles) et un 4 pièces au 2ème étage (combles), dont les loyers avant travaux (CHF 34'440.- l'an pour un total de 19 pièces avant travaux) étaient tous inférieurs au plafond LDTR. Il s'agit donc de logements répondant aux BPP et les travaux de rénovation projetés sont soumis à la LDTR, ce que la recourante ne conteste au demeurant pas.

10.         L'objet du litige est circonscrit à la question de la fixation du montant des loyer LDTR dans l'autorisation de construire DD 2______.

11.         Selon l'art. 10 LDTR, le département fixe, comme condition de l'autorisation, le montant maximum des loyers des logements après travaux. Il tient compte des critères énumérés à l'art. 11 LDTR (« mode de calcul »).

Il renonce à la fixation des loyers et des prix prévue à l’al. 1 lorsque cette mesure apparaît disproportionnée, notamment lorsque les logements à transformer sont des logements de luxe ou que leurs loyers dépassent d’ores et déjà d’au moins deux fois et demie les BPP (art. 10 al. 2 let. b LDTR).

12.         En l'espèce, la recourante estime tout d’abord que l’autorité compétente aurait dû renoncer à la fixation du loyer des appartements après travaux, dès lors qu’une telle mesure de blocage serait disproportionnée. Elle renvoie à cet égard à l’ATA/561/2013 du 27 août 2013.

Cet arrêt concerne un immeuble dont les travaux de transformation, par une surélévation et par l’aménagement des combles, avaient engendré des problèmes techniques imprévisibles laissant craindre un effondrement de l’immeuble, ce qui avait entraîné un dépassement du coût des travaux de CHF 19'000'000.- et conduit les copropriétaires à solliciter du département qu’il renonce à toute restriction quant aux loyers et aux prix de vente des appartements, sous réserve des loyers convenus avec les locataires pour les appartements occupés, afin d’éviter un désastre financier et d’assurer l’achèvement du chantier, ce qui leur avait été accordé puis refusé dans le cadre d’une requête en autorisation subséquente visant à rénover un appartement de l’immeuble. Comme relevé à juste titre par le département, le cas d’espèce n’est aucunement comparable à celui visé dans cette jurisprudence, tout à fait exceptionnel. La recourante ne saurait dès lors s’en prévaloir pour exiger un traitement similaire, la mesure décidée par le département apparaissant en tout état parfaitement proportionnée dans le cas d’espèce. La recourante ne démontre enfin pas que l’on serait dans l’un des cas de figure mentionné à l’art. 10 al. 2 let. b LDTR, ni d’ailleurs le caractère disproportionné de la fixation, respectivement du blocage des loyers querellés.

C'est donc à bon droit que l'autorité intimée n'a pas renoncé à la fixation du loyer des appartements en cause, après travaux.

13.         L'art. 11 al. 1 LDTR énumère les critères que doit utiliser le département pour arrêter un loyer maximum, en considérant l'ensemble des travaux effectués, sous déduction des subventions octroyées, soit : un rendement équitable des capitaux investis pour les travaux, calculé en règle générale sur les 70% au maximum de leur coût et renté à un taux de 0,5 point au-dessus de l'intérêt hypothécaire de 1er rang pratiqué par la Banque cantonale de Genève, en tenant compte de l'amortissement (let. a) ; un amortissement calculé sur une durée de 18 à 20 ans, soit de 5,55% à 5% (let. b) ; les frais d'entretien rentés en règle générale à 1,5% des travaux pris en considération (let. c) ; les autres facteurs de hausse et de baisse à prendre en considération selon les art. 269 ss du CO (let. d).

14.         L'art. 11 al. 2 LDTR précise que les loyers après transformation doivent répondre aux BPP lorsque les logements répondent eux-mêmes à ces besoins prépondérants quant à leur genre, leur typologie, leur qualité, leur prix de revient, le nombre de pièces ou leur surface.

15.         Cependant, selon l'art. 11 al. 3 LDTR, si le loyer avant transformation ou rénovation dépasse le niveau des loyers répondant aux BPP, il est maintenu par le département au même niveau lorsqu'il apparaît qu'il permet économiquement au propriétaire de supporter le coût des travaux sans majoration de loyer.

Dans ce cas, il appartient au propriétaire de démontrer, par toutes pièces utiles, qu'il n'est pas en mesure de supporter économiquement le coût des travaux sans majoration de loyer. Par pièces utiles, le département fait prioritairement référence à un calcul de rendement de l’immeuble. Subsidiairement, il peut être recouru à une étude comparative entre les loyers de l’immeuble et ceux résultant des statistiques publiées chaque année par le canton, étant précisé, qu’à année de construction égale, la limite au-delà de laquelle le propriétaire est présumé pouvoir supporter économiquement le coût des travaux sans majoration de loyer est fixée, sauf exception, au 3ème quartile. Le département tient compte, dans son appréciation, des autres facteurs de hausse et de baisse à prendre en considération au sens des art. 269 ss CO (art. 5 al. 4 du règlement d’application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 29 avril 1996 - RDTR - L 5 20.01 ; ATA/253/2011 du 19 avril 2011 consid. 8 ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DEFAGO GAUDIN, La LDTR, Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation, Immeubles de logements et appartements, 2014, p. 315).

Si le propriétaire ne produit pas les pièces permettant d'effectuer un calcul de rendement, voire d'appliquer la méthode des loyers du quartier ou la méthode relative, le département doit refuser sa demande de validation de hausse de loyer. Cette hausse devrait aussi être refusée s'il apparaît, au vu du dossier, que les loyers avant travaux sont surfaits (Mémorial du Grand Conseil 1999, p. 1087-1088).

16.         L'application de l'art. 11 al. 3 LDTR est limitée aux cas des logements qui, sans être des logements de luxe sont loués à un prix qui apparaît, avant les travaux, comme abusivement élevé et qui correspond déjà à ce qui serait admissible après transformation. La réserve selon laquelle le blocage des loyers doit être économiquement supportable permettra à l'autorité de respecter le principe de la proportionnalité lors de l'application de cette disposition (cf. Mémorial, op. cit., p. 1087-1088; arrêt du Tribunal fédéral 1P.664/1999 consid. 6; Alain MAUNOIR, La LDTR genevoise: les principes et quelques applications, in RDAF 2002 I p. 21). Dans l’arrêt précité, le Tribunal fédéral a confirmé que cette interprétation était en accord avec le texte légal, relevant qu’elle correspondait d'ailleurs aux travaux préparatoires. Ainsi comprise de façon restrictive, la disposition attaquée est susceptible d'une interprétation conforme à la Constitution. Elle ne va pas au-delà de la protection contre les loyers procurant un rendement abusif et répond à un objectif de politique sociale.

17.         Se penchant sur la conformité au droit fédéral et aux principes de la garantie de la propriété, de la liberté économique et de l'égalité de traitement de l’art. 11 al. 3 LDTR, le Tribunal fédéral a encore rappelé que le but de la LDTR était la préservation de l'habitat et des conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de cet habitat, en apportant notamment des restrictions aux transformations et au changement d'affectation des maisons d'habitation. Les transformations ou rénovations, au sens de l'art. 3 de la loi, ne sont ainsi autorisées, selon l'art. 9 LDTR, qu'en présence d'un intérêt public ou général, compte tenu notamment des BPP. La loi ne répond ainsi à l'intérêt public que dans la mesure où elle vise à maintenir l'affectation des logements qui répondent, par leur loyer, leur prix et leur conception, aux BPP. Les restrictions à la propriété qu'elle institue doivent être propres à atteindre ce but. À cet égard, s'il se justifie d'empêcher que des logements à loyer modéré soient transformés en appartements de luxe l'intérêt public ne commande pas, en revanche, de limiter la transformation et la rénovation de logements de luxe préexistants (ATF 116 Ia 401 consid. 11b/bb).

18.         En l'espèce, les loyers des appartements avant travaux étaient inférieurs au maximum de la fourchette légale correspondant aux BPP. Partant, l'art. 11 al. 3 LDTR, dont le texte, parfaitement clair, et la portée ont été confirmés par la chambre administrative (ATA/661/2024 et ATA/662/2024 précités) et le Tribunal fédéral, ne trouve pas application dans le cas d'espèce.

Dans ces conditions, il n’y a pas d’espace pour l’interprétation extensive que la recourante souhaite donner à cette disposition.

19.         La recourante soutient que les loyers avant travaux à prendre en compte dans le cadre de la fixation des loyers après travaux ne doivent pas être ceux que payaient effectivement les anciens locataires, dans la mesure où ils ne couvraient pas les coûts de l’immeuble avant travaux. C’était un état locatif minimal de CHF 48'723.- calculé en tenant compte du rendement de l’immeuble, cela en application des art. 11 al. 1 let. d LDTR et 269 CO, qui devait être retenu.

20.         La jurisprudence et la doctrine ont eu l’occasion de préciser que les critères de calcul retenu à l’art. 11 LDTR s’inspiraient déjà des règles de droit fédéral contenues à l’art. 269a CO en matière de fixation de loyer dans la mesure où ils font intervenir des éléments liés au rendement des fonds investis dans les travaux par le propriétaire (Alain MAUNOIR, La nouvelle LDTR au regard de la jurisprudence, in RDAF 1996 p. 327). La finalité de l’art. 11 LDTR est cependant différente : il s’intègre dans un dispositif légal mis en place pour assurer le maintien en faveur de toutes les catégories de la population d’un parc de logements dont les caractéristiques et les loyers correspondent à leur besoin. La loi impose un contrôle des loyers pour une durée limitée, dont l’objectif est de contenir l’augmentation des loyers des logements les plus fortement recherchés en période de pénurie pour qu’il en subsiste sur le marché (ATA/502/2008 du 30 septembre 2008 consid. 7b).

S’agissant plus précisément de l’art. 11 al. 1 let. d LDTR, la jurisprudence a déjà exposé que le renvoi fait par cette disposition aux art. 269 et ss CO visait les cas où les calculs de loyer selon les lettres a à c de l’art. 11 al. 1 LDTR s’avéreraient conduire à un loyer qui serait encore abusif (ATA/502/2008 précité consid. 7d).

21.         Une réactualisation des loyers avant travaux n’est acceptée par la jurisprudence et la doctrine qu’en cas de maintien des locataires dans leurs appartements et non lorsque les logements sont loués à de nouveaux locataires après les travaux. En effet, la méthode relative appliquée pour réactualiser les loyers, soit en déterminant l’évolution des facteurs de hausse et de baisse de loyer selon les règles du droit du bail, ne s’applique pas pour calculer les loyers de nouveaux baux (Emmanuelle GAIDE, Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 282 ch. 4.1.1 et 285 ch. 4.2.2).

22.         L’application des jurisprudences et doctrine précitées a été confirmée par la chambre administrative dans les ATA/661/2024 et ATA/662/2024 du 4 juin 2024.

23.         En l'espèce, les logements étant vides d’occupants suite à la résiliation de l’ensemble des baux de l’immeuble, une réactualisation du loyer n’est pas possible et c'est ainsi à bon droit que le département a pris en compte les derniers loyers effectifs dans le cadre de la fixation des loyers après travaux.

Au demeurant, l’argumentation de la recourante tombe donc à faux puisqu’elle invoque le rendement insuffisant que lui auraient procuré les anciens loyers pour justifier l’application de l’art. 11 al. 1 let. d LDTR aux loyers des logements vacants, dans le but d’obtenir un résultat différent du calcul du loyer après travaux, dont il sera démontré ci-après qu’il est pour le reste conforme à l’art. 11 LDTR.

24.         La recourante estime être dans une situation justifiant le dépassement de la fourchette des loyers LDTR en se prévalant de l'art. 9 al. 4 à 6 LDTR.

25.         Selon l’art. 9 al. 4 LDTR, la fourchette des loyers peut exceptionnellement être dépassée si la surface brute locative des pièces est importante. Elle peut également l’être si des circonstances particulières le justifient, soit si la protection du patrimoine génère des coûts supplémentaires, selon l’art. 9 al. 5 LDTR. L’art. 9 al. 6 LDTR prévoit des mesures qui peuvent également être répercutées sur les loyers à certaines conditions. Il s’agit de mesures en lien avec la consommation d’énergie.

La chambre de céans a déjà été amenée à examiner ces dispositions visant des circonstances particulières en lien avec les buts poursuivis par la LDTR. Elle a retenu que constituait des circonstances particulières le coût accru notoirement lié à la création d’un appartement dans des combles (ATA/391/2013 du 25 juin 2013). Elle a rappelé à cette occasion, ainsi que dans une autre espèce, s’agissant de l’interprétation de ces dispositions et de la mesure dans laquelle les circonstances particulières permettaient le dépassement du plafond de loyers, que les propriétaires étaient priés, soit de justifier leur loyer par l'un ou plusieurs des motifs figurant à l'art. 9 al. 4, 5 et 6 LDTR, soit de procéder à des travaux moins coûteux (lorsque le calcul opéré en vertu de l'art. 11 LDTR ne permettait pas de parvenir à des loyers accessibles à la majorité de la population), soit encore de réduire leurs exigences de rendement (ATA/865/2022 du 30 août 2022 consid. 6f ; ATA/391/2013 précité).

Le département dispose corrélativement d'une importante latitude de jugement dans l'interprétation de la notion des « circonstances particulières » visées à l'art. 9 al. 5 LDTR pouvant justifier un dépassement de la fourchette fixée par l'ArRLoyers (ATA/391/2013 précité consid. 13).

26.         Il est enfin à rappeler que selon une jurisprudence bien établie, les autorités de recours observent une certaine retenue pour éviter de substituer leur propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de celles-ci. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'est pas écarté sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA 581/2014 précité consid. 5 ; ATA/720/2012 du 30 octobre 2012 consid. 9a ; ATA/313/2012 du 22 mai 2012 consid. 10).

27.         En l’occurence, la recourante mentionne au titre de circonstances particulières, les coûts supplémentaires induits par la nécessité de protection du patrimoine et les travaux permettant des réductions de la consommation énergétique (art. 9 al. 5 et 6 LDTR). Des travaux importants induisant des coûts considérables, comme en l’espèce, devaient aussi permettre la hausse de loyer calculée en application de l’art. 11 al. 1 let. a à c LDTR.

Or, il ressort du dossier, notamment du formulaire D13 transmis par la recourante, que pour fixer le loyer après travaux, le département a pris en compte les différents postes de calcul prévus à l'art. 11 al. 1 LDTR ainsi que les coûts supplémentaires liés à la protection patrimoniale et aux réductions énergétiques parvenant ainsi à une augmentation du loyer des appartements de CHF 34'440.- à CHF 81'753.- pour les pièces existantes, auquel vient s’ajouter CHF 12'093.-/an pour les deux pièces supplémentaires créées. Ce montant correspond au maximum de la fourchette des loyers BPP. Quant aux autres coûts considérables qui auraient dû être pris en compte et qui auraient justifié une augmentation encore plus importante des loyers au titre de circonstances particulières (art. 9 al. 5 LDTR), la recourante ne les développe pas, ses affirmations s’appuyant sur des arguments déjà examinés ci-dessus, dont on a vu qu’ils devaient être rejetés. Il doit enfin être rappelé que la jurisprudence va dans le sens d’une interprétation restrictive de cette disposition.

Dans ces conditions, l’autorité intimée n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation en ne retenant pas d’autres circonstances particulières au sens de l’art. 9 al. 4 à 6 LDTR.

28.         La recourante se prévaut enfin d'une atteinte à son droit à la propriété, ainsi qu'à sa liberté économique, dans la mesure où l’état locatif fixé par le département ne lui permettrait pas de couvrir les coûts de son immeuble.

29.         Comme tout droit fondamental, la garantie de la propriété et la liberté économique, ancrées aux art. 26 al. 1 et 27 al. 1 Cst., ne sont pas absolues et, elles peuvent être restreintes aux conditions fixées à l’art. 36 Cst. La restriction doit être fondée sur une base légale, les restrictions graves devant être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés. L’al. 2 de cette norme dispose que toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui. En outre, toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé (art. 36 al. 3 Cst.), l’essence des droits fondamentaux étant inviolable (art. 36 al. 4 Cst.) (ATF 141 I 20 consid. 6.2.1; 140 I 168 consid. 4.2.1; 135 I 233 consid. 3.1).

30.         Le Tribunal fédéral a déjà jugé que la LDTR, y compris dans la mesure où elle prévoit un contrôle des loyers après transformations, était conforme à la garantie de la propriété et à la liberté économique (ATF 116 Ia 401 consid. 9c ; 111 Ia 401 consid. 9 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_195/2021 du 28 octobre 2021 consid. 5.1.3 ; 1C_110/2017 du 29 mai 2018 consid. 4.1.2 et 4.2 ; ATA/260/2014 du 15 avril 2014 consid. 6).

31.         Il ressort des jurisprudences précitées que l'atteinte à la garantie de la propriété et à la liberté économique de la recourante se fonde sur une base légale suffisante et répond à un intérêt public prépondérant. Elle s'avère également proportionnée, dans la mesure où l'autorité intimée a effectué une pesée des intérêts en présence et évalué l'importance des motifs fondant les mesures prononcées, à savoir la préservation du parc locatif genevois, au regard des intérêts, essentiellement économiques, de la recourante. Les intérêts publics défendus par la LDTR doivent ainsi l’emporter sur les intérêts privés, purement économiques, de cette dernière à pouvoir louer ses appartements avec le rendement qu'elle souhaite. L’atteinte à la garantie de propriété de la recourante n’apparait également pas disproportionnée dans la mesure où le département a fixé le loyer à la limite maximale de la fourchette prévue par la loi. La durée du contrôle, de cinq ans, n’est enfin pas contestée en soi et ne saurait, en tout état être qualifiée de grave restriction, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral.

Les griefs de la recourante sont dès lors écartés.

32.         En tous points infondé, le recours doit être rejeté.

33.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1'500.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

34.         Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 16 février 2024 par A______ contre la décision du département du territoire du ______ 2024;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'500.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Marielle TONOSSI, présidente, Suzanne AUBERT-LEBET, Thierry ESTOPPEY, Diane SCHASCA et Romaine ZÜRCHER, juges assesseurs

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

La greffière