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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2703/2010

ATA/313/2012 du 22.05.2012 sur JTAPI/173/2011 ( LDTR ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2703/2010-LDTR ATA/313/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 22 mai 2012

 

 

dans la cause


Monsieur G______

représenté par Me Antoine E. Böhler, avocat

contre

ASLOCA ASSOCIATION GENEVOISE DE DÉFENSE DES LOCATAIRES
et
ACTION PATRIMOINE VIVANT
représentées par Me Christian Dandrès, avocat

et

Département des constructions et des technologies de l'information

_________

 


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 mars 2011 (JTAPI/173/2011)


EN FAIT

1. Monsieur G______ est propriétaire des parcelles nos X______ et Y______, commune de Genève, section Cité, sur lesquelles sont érigés deux immeubles, l'un à l'adresse 57, rue Z______, et le second à l'adresse 55, rue Z______ - 30, rue A______ (immeuble d'angle).

Ce dernier bâtiment a une hauteur de 20,52 m. Par rapport à ses vis-à-vis, on mesure une distance de 13,26 m sur la rue Z______, et 18,27 m sur la rue A______.

2. Le 25 mai 2009, M. G______ a déposé auprès du département des constructions et des technologies de l'information (ci-après : DCTI) une demande d'autorisation définitive de construire, enregistrée sous numéro DD B______.

Les travaux projetés visaient notamment à surélever les deux immeubles précités.

3. Dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation de construire, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a émis le 21 juillet 2009 un préavis défavorable avec demande de révision du projet. Celui-ci aurait dû se limiter à la surélévation de l'immeuble d'angle. Les immeubles 57-59-61, rue Z______ formant un ensemble, le gabarit des différents bâtiments devait être maintenu et une intervention de surélévation d'un seul des trois éléments ne pouvait être admise, même à la condition que les autres soient traités de la même manière.

Le 7 juillet 2009, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS), soit pour elle sa commission d'architecture, a demandé à voir le projet modifié. Le bâtiment d'angle échappait à la notion d'ensemble, mais il convenait de revoir l'expression architecturale de la surélévation afin de présenter une meilleure adéquation avec le bâtiment environnant et le programme de logements proposé. Quant au 57, rue Z______, il s'intégrait dans l'ensemble déjà mentionné, si bien que le groupe de trois bâtiments devait conserver sa hauteur de corniche et sa toiture. Un aménagement des combles existants était en revanche envisageable.

4. Le 26 novembre 2009, l'architecte de M. G______ a soumis une nouvelle version du projet, sous forme de nouveaux plans ayant reçu le 3 novembre 2009 l'aval de la commission d'architecture, sous réserve de quelques mises au point architecturales.

Les travaux envisagés consistaient désormais en la rénovation des sous-sols des deux immeubles (caves et chaufferie), la mise aux normes du restaurant situé au rez-de-chaussée du 55, rue Z______, la création d'un ascenseur, la rénovation des parties communes et la création - par surélévation - de deux appartements de 6 pièces dans le même immeuble, ainsi que la création d'un appartement de 3 pièces après aménagement des greniers du 57, rue Z______.

5. Le 22 décembre 2009, la commission d'architecture a émis un préavis ayant la teneur suivante : « Pas d'observations. D'accord pour dérogation selon article 11 de la LCI [loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05)] ».

6. a. Lors de l'examen du second projet, la ville a émis un nouveau préavis défavorable le 18 février 2010. Elle persistait à considérer que ce projet ne s'intégrait pas de façon correcte.

b. En revanche, les préavis des différents services concernés ont tous été positifs. Le 7 décembre 2009, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) s'est déclaré favorable au projet sous réserve, cette dernière étant libellée comme suit :

« Vu le projet n° 2 qui répond aux remarques formulées par la commission d'architecture les 7 juillet et 3 novembre 2009, le service ne formule plus d'observation pour ce qui concerne le bâtiment 57, rue Z______, lequel forme un ensemble avec les nos 59 et 61 (cf. préavis 07.07.2009). Les détails d'exécution concernant la toiture et les façades seront soumis au SMS pour approbation, avant le début des travaux. Pour ce qui concerne le bâtiment d'angle, le service observe que les recommandations formulées dans le cadre du projet initial ont été suivies. Il relève cependant que ce bâtiment ne fait pas partie de l'ensemble 59-61 (recte : 57-61), rue Z______ et dès lors que les questions relatives au bâtiment protégé mitoyen ont été réglées, concernant le n° 30, rue A______, le service s'en remet à l'avis du service compétent de l'office des autorisations de construire ».

7. Le service juridique LDTR (loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 - LDTR - L 5 20) a émis le 1er avril 2010 un préavis favorable. Le ch. 2 des conditions y associées prévoyait que « les loyers des logements existants des deux immeubles (16 appartements = 48 pièces) n'excéderont pas après travaux ceux figurant dans les états locatifs susvisés d'un total de CHF 247'020.- et seront appliqués pour une durée de trois ans à partir de la fin des travaux ». Selon le ch. 3 desdites conditions, « les trois logements totalisant 15 pièces (2 x 6 pièces, 1 x 3 pièces) résultant de la surélévation (55 Z______) et de l'aménagement des combles (57 Z______) seront destinés à la location, leur loyer n'excédant pas CHF 9'666.- la pièce par an pendant une période de cinq ans à dater de la première mise en location ».

8. Le 13 juillet 2010, le DCTI a accordé à M. G______ l'autorisation de construire sollicitée.

Les ch. 6 et 7 de l'autorisation reprenaient les ch. 2 et 3 des conditions posées dans le préavis du service juridique LDTR du 1er avril 2010.

9. Par courrier du 13 juillet 2010, le DCTI a informé la ville de l'octroi de l'autorisation de construire, M. G______ s'étant conformé à toutes les observations formulées par le SMS ainsi qu'à celles émises par la commission d'architecture.

10. L'autorisation de construire DD B______ a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 16 juillet 2010.

11. Par un seul acte posté le 6 août 2010, l'association genevoise de défense des locataires (ci-après : ASLOCA) et l'association Action patrimoine vivant (ci-après : APV) ont interjeté recours contre l'autorisation de construire auprès de la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : CCRA), devenue depuis le 1er janvier 2011 le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant - du moins pour l'ASLOCA - à l'annulation de l'autorisation et à l'octroi d'une équitable participation aux honoraires d'avocat.

Les immeubles en cause faisaient partie d'un ensemble architectural, y compris le 55, rue Z______. Ce dernier bâtiment ne devait pas être défiguré par la « surélévation de l'importante construction moderniste » telle que projetée. Il convenait de respecter le gabarit des immeubles voisins, conformément à l'art. 23 al. 3 LCI.

L'ASLOCA invoquait également l'art. 9 LDTR. Le ch. 6 de l'autorisation de construire indiquait que le loyer après travaux des pièces existantes serait porté à CHF 5'000.- par pièce et par année, alors que selon l'art. 9 al. 3 LDTR ce montant ne devait pas dépasser CHF 3'350.-. Quant aux pièces supplémentaires, le loyer ne devait pas dépasser CHF 6'500.- à CHF 7'000.- par année, alors que le DCTI avait en l'occurrence autorisé un montant de CHF 9'666.- par pièce et par année.

12. Le 30 novembre 2010, le TAPI a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

a. La représentante de l'ASLOCA et d'APV a indiqué : « concernant les nouveaux appartements le montant des loyers est nettement supérieur aux besoins prépondérants de la population. Je pense que nous sommes au-delà de la pratique du DCTI ».

b. Le représentant du DCTI a alors répondu : « Je précise que nous sommes dans le cadre d'une nouvelle construction et non pas d'une transformation au sens de l'art. 9 LDTR. Concernant la pratique du DCTI, lorsque nous sommes dans le cadre de transformations - rénovations d'appartements existants nous appliquons le montant maximum de la LDTR (sauf si le loyer était déjà supérieur), soit à ce jour CHF 3'363.-. Lorsque nous sommes dans le cadre de l'aménagement d'appartements dans les combles, nous appliquons un loyer d'environ CHF 6'000.- la pièce. Lorsque nous sommes dans la création de niveaux supplémentaires, nous appliquons un loyer d'environ CHF 9'000.-. Dans ces deux derniers cas, le propriétaire doit prendre en charge des travaux de gros œuvre, ce qui n'est pas le cas pour des transformations - rénovations. Les chiffres que je viens de citer sont des ordres de grandeur issus de la pratique actuelle. Nous tenons compte des investissements qui devront être effectués dans chaque cas concret. Le DCTI a effectué un calcul d'ensemble pour la surélévation et l'aménagement des combles car il s'agit d'un projet global. Le coût global en cas de calcul différencié serait le même, certaines pièces auraient un loyer encore plus élevé et d'autres nettement moins. Pendant toute la durée du contrôle, le loyer de chaque pièce nouvelle sera le même indépendamment de l'étage concerné ».

13. Par jugement du 10 mars 2011, le TAPI a admis le recours et annulé l'autorisation de construire, sans renvoyer le dossier au DCTI.

Le recours formé par APV était recevable pour les griefs ayant trait à la LCI, mais irrecevable pour ceux relatifs à la LDTR ; l'inverse valait concernant l'ASLOCA.

Il n'y avait pas de raison de mettre en doute le point de vue de la CMNS lorsque celle-ci considérait que le 57, rue Z______ faisait partie d'un ensemble architectural, mais pas le 55, rue Z______. La commission d'architecture ayant donné son accord à l'octroi d'une dérogation quant au gabarit, le DCTI n'avait pas violé la LCI en autorisant une hauteur de 23 m.

Le projet comportait deux types de travaux distincts selon la LDTR, soit d'une part la transformation des appartements du 4ème étage, et d'autre part la création de nouveaux appartements par surélévation d'un immeuble et réaménagement des combles du second. Le DCTI avait procédé à un calcul global de loyer pour les deux types de travaux, sur la base exclusive de l'art. 11 LDTR, comme cela ressortait de la note technique du 16 avril 2010. Il avait ainsi estimé que le projet consistait en une nouvelle construction et non en une transformation. Il aurait dû effectuer un calcul séparé en faisant application de l'art. 9 LDTR pour les travaux relatifs à la transformation des appartements du 4ème étage et de l'art. 11 LDTR pour les autres travaux, en demandant au requérant d'effectuer une répartition des montants des travaux pour chacune des deux parties du projet.

14. Par acte posté le 29 avril 2011, M. G______ a interjeté recours contre le jugement précité auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il concluait principalement à l'annulation du jugement du TAPI en tant qu'il annulait l'autorisation de construire, raison prise d'une violation de la LDTR, et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Le TAPI avait versé dans l'arbitraire en retenant que le DCTI avait procédé à un calcul global de loyer pour les deux types de travaux (rénovations d'une part, surélévation et aménagement des combles d'autre part) sur la base du seul art. 11 LDTR. En effet, le DCTI avait arrêté le loyer des quinze appartements existants, y compris les deux appartements du 4ème étage du 55, rue Z______ à CHF 5'146,25 la pièce par année, tandis qu'il avait fixé, pour les trois nouveaux appartements issus de la surélévation et de la rénovation des combles, un loyer de CHF 9'666.- la pièce par année.

A titre subsidiaire, en vertu du principe de proportionnalité, même en cas de violation de la LDTR sur le point litigieux, l'autorité aurait dû procéder à un nouveau calcul ou renvoyer la cause au DCTI pour instruction complémentaire sur ce point, et non purement et simplement annuler l'autorisation de construire.

15. Le 14 juin 2011, l'ASLOCA et APV ont conclu à titre préalable à un transport sur place et à ce que le recourant soit acheminé à produire les états locatifs des immeubles 55 et 57, rue Z______ ainsi que le plan financier des travaux avec coûts et devis, et à titre principal au maintien du jugement querellé et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Les cinq façades des quatre immeubles 55 à 61, rue Z______ étaient identiques ; ces immeubles formaient un ensemble. Il n'était pas possible de surélever les immeubles des 55 et 57, rue Z______ sans violer les art. 10, 11, 23 al. 3 et 5 et 89 LCI.

S'agissant des loyers après travaux, il manquait divers éléments permettant de les calculer, soit notamment les états locatifs des vingt dernières années, le type des travaux prévus à chaque étage, et les plans horizontaux de répartition des pièces. En outre, la démolition des combles et la construction d'un seul étage supplémentaire de l'immeuble 57, rue Z______ était hors de prix, ce qui exigeait de transformer plutôt l'intérieur des combles, mode de faire qui ne devait avoir pour conséquence qu'un loyer après travaux par pièce et par année de CHF 6'500.- en lieu et place des CHF 9'500.- admis par le DCTI. Le même loyer de CHF 6'500.- la pièce par année devait prévaloir pour les nouveaux appartements issus de la surélévation du 55, rue Z______.

16. Le 15 juin 2011, l'ASLOCA et APV ont fait parvenir à la chambre administrative une écriture qui « rempla[çait] celle datée du 14 juin 2011 ». Hormis un léger surcroît de motivation, la principale différence avec l'écriture envoyée la veille résidait dans la modification de la conclusion préalable tendant à l'apport de pièces. La nouvelle conclusion était libellée comme suit : « ordonner la production du dossier complet lié à l'autorisation de construire B______ du DCTI, à savoir tous les plans et les indications portant sur les coûts des travaux autorisés ainsi et que (sic) :

la formule de requête du DCTI ;

les plans horizontaux et les modifications éventuelles des étages existants ;

l'aménagement des pièces des nouveaux étages des deux immeubles ;

le nombre de logements pour chacun des nouveaux étages, notamment l'étage supplémentaire de l'immeuble 57, rue Z______ ;

les plans financiers des deux immeubles ainsi que les travaux estimés ;

la nature des travaux dans les appartements existants et leurs devis ;

les états locatifs antérieurs évolués sur 20 ans, les états locatifs actuels et les loyers futurs des étages existants et des étages supplémentaires et toute autre pièce du dossier du DCTI ».

17. Le 15 juillet 2011, le DCTI a déclaré « adhérer au recours » et se rallier aux conclusions prises par M. G______.

Le TAPI avait erré en retenant que le DCTI n'avait pas appliqué correctement les art. 9 et 11 LDTR. Il suffisait de lire le préavis technique du 16 avril 2010 pour s'en convaincre.

Le DCTI avait ainsi pris en considération d'abord les loyers des appartements existants puis ceux des appartements à construire. Pour les premiers, il avait constaté que les loyers proposés étaient déjà supérieurs aux besoins prépondérants de la population, et il n'avait ainsi pas toléré que le coût des travaux soit répercuté sur ceux-ci, l'état locatif préexistant devant être appliqué pendant trois ans encore. Pour les seconds, il avait, conformément à la loi et à sa pratique constante, fait un calcul basé sur le rendement des travaux puisqu'il s'agissait de constructions nouvelles.

18. Le 19 octobre 2011, le juge délégué a effectué un transport sur place en présence des parties.

Le représentant du recourant a fait observer que l'alignement des fenêtres entre le numéro 55 et les numéros 57 à 61, rue Z______ n'était pas le même. Le représentant de l'ASLOCA et d'APV a contesté cette allégation, notant pour sa part que la cassure du toit à la mansarde était presque dans l'alignement de la corniche des trois autres immeubles.

Le juge délégué a constaté que par rapport au 55, rue Z______, l'immeuble adjacent sur la rue A______ était nettement plus élevé.

A l'issue du transport sur place, le juge délégué a indiqué aux parties qu'un délai leur serait donné pour renvoyer le procès-verbal signé, et qu'un autre délai serait fixé pour se prononcer avant que la cause ne soit gardée à juger.

19. Le 21 octobre 2011, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 4 novembre 2011 pour retourner le procès-verbal signé, accompagné de leurs éventuelles observations.

20. Le 3 novembre, le DCTI a indiqué n'avoir aucune remarque complémentaire à faire valoir.

21. Le 4 novembre 2011, l'ASLOCA et APV ont persisté dans leurs conclusions. D'une part, si des dérogations exceptionnelles pouvaient être accordées quant à la hauteur des bâtiments, il n'en allait pas de même pour les distances, qui constituaient un second élément essentiel en matière de gabarit des immeubles ; d'autre part, les deux appartements de 128 et 112 m2 issus de la surélévation violaient l'art. 9 LDTR car ils n'étaient pas de même genre que les appartements actuels du 55, rue Z______, lequel comptait deux appartements par palier.

22. Le 22 novembre 2011, M. G______ a persisté dans les conclusions de son recours, en demandant également à la chambre administrative de déclarer irrecevables les écritures de l'ASLOCA et d'APV du 15 juin 2011, ainsi que les conclusions de l'ASLOCA relatives à la violation de la LCI.

Les immeubles 57 à 61, rue Z______ formaient un ensemble architectural, ce qui avait conduit la CMNS, dont on ne pouvait contester la qualité d'« expert », à finalement avaliser le projet modifié. Le DCTI avait ainsi respecté les art. 23 et 89 LCI.

M. G______ a repris l'argumentation de son recours quant à l'application de la LDTR.

23. Le 24 novembre 2011, le juge délégué a transmis aux autres parties les observations précitées, en les informant de ce qu'elles valaient comme conclusions après enquêtes conformément au procès-verbal de transport sur place. Sans réaction de leur part d'ici le 16 décembre 2011, la cause serait gardée à juger.

24. Le 16 décembre 2011, le DCTI a persisté dans ses conclusions. Il s'en rapportait à justice concernant la recevabilité des conclusions d'APV, mais estimait que l'ASLOCA n'avait pas qualité pour se prononcer sur les aspects liés au droit des constructions.

25. Le 16 décembre 2011, l'ASLOCA et APV ont également persisté dans leurs conclusions.

26. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La question se pose de savoir si les conclusions de l'ASLOCA et d'APV concernant la LCI sont recevables.

3. Aucune autre conclusion que celles visant à la confirmation du jugement querellé et à l'octroi d'une indemnité de procédure ne peut être prise en dehors du délai légal de recours, le recours incident ou joint étant inconnu de la LPA (ATA/133/2012 du 13 mars 2012 consid. 2 ; ATA/98/2009 du 26 février 2009 ; ATA/320/2008 du 17 juin 2008 ; ATA/592/2007 du 20 novembre 2007).

En l’espèce, même s'il a formellement annulé l'autorisation de construire, le TAPI ne l'a fait que sur la base du grief lié à la LDTR ; il a en revanche rejeté tous les griefs des deux associations qui avaient recouru devant lui s'agissant du respect de la LCI. De plus, la conclusion principale du recours tend à l'annulation du jugement du TAPI en tant qu'il annule l'autorisation de construire raison prise d'une violation de la LDTR.

Néanmoins, il existe une contrariété entre le dispositif et les considérants du jugement du TAPI. Ce dernier n'aurait dû admettre le recours que partiellement dès lors qu'il n'admettait pas l'ensemble des griefs. Du fait de cette erreur, les deux associations intimées ont été privées de la possibilité de recourir devant la chambre de céans contre le jugement du TAPI, dans la mesure où le dispositif de celui-ci semblait leur donner pleinement raison.

De la même façon, c'est en raison de cette erreur que les associations intimées ont pu conclure dans le cadre du présent recours à la confirmation pure et simple du jugement attaqué, conclusion qui est en soi recevable.

4. Reste encore à déterminer si la qualité pour recourir peut être conférée à chacune des associations intimées, en fonction des types de griefs soulevés.

5. Les associations d’importance cantonale ou actives depuis plus de trois ans qui, aux termes de leurs statuts, se vouent par pur idéal à l’étude de questions relatives à l’aménagement du territoire, à la protection de l’environnement ou à la protection des monuments, de la nature ou des sites ont qualité pour recourir (art. 145 al. 3 LCI).

Selon la jurisprudence constante de la juridiction de céans, l'ASLOCA ne constitue pas une telle association (ATA/50/2012 du 24 janvier 2012 consid. 6 et 7 ; ATA/664/2011 du 18 octobre 2011 consid. 3), à l'inverse d'APV (ATA/232/2006 du 2 mai 2006 consid. 2b).

6. En revanche, et toujours selon la jurisprudence constante de la juridiction de céans, l'ASLOCA possède la qualité pour recourir au sens de l'art. 35 al. 3 LDTR, selon lequel ont la qualité pour recourir auprès du TAPI et de la chambre administrative contre les décisions prises en vertu de cette dernière loi les associations régulièrement constituées d’habitants, de locataires et de propriétaires d’importance cantonale, qui existent depuis trois ans au moins, et dont le champ d’activité statutaire s’étend à l’objet concerné (ATA/40/2010 du 26 janvier 2010 consid. 9 ; ATA/571/2006 du 31 octobre 2006 consid. 2).

Les statuts d'APV ne s'étendent pas à l'objet concerné par la LDTR, en particulier s'agissant du contrôle des loyers. Elle ne possède dès lors pas la qualité pour recourir sur ce point.

7. En résumé, APV dispose de la qualité pour recourir pour les griefs tirés de la LCI, et l'ASLOCA pour les griefs tirés de la LDTR, ce qui correspond du reste aux allégués de ces deux associations.

8. Dans son écriture du 15 juin 2011, l'ASLOCA sollicite la production d'une série de pièces.

Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 132 II 485 consid. 3.2 p. 494 ; 127 I 54 consid. 2b p. 56 ; 127 III 576 consid. 2c p. 578 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_424/2009 du 6 septembre 2010 consid. 2). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3 p. 158 ; Arrêts du Tribunal fédéral 2C_58/2010 du 19 mai 2010 consid. 4.3 ; 4A_15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.2 ; ATA/432/2008 du 27 août 2008 consid. 2b, et les arrêts cités).

En l’espèce, le DCTI a produit son dossier d'autorisation de construire, qui contient la plupart des éléments demandés (notamment les formulaires de requête, les plans, l'aménagement des pièces des nouveaux étages des deux immeubles, le nombre de logements pour chacun des nouveaux étages, le montant des travaux estimés, la nature des travaux dans les appartements existants et leurs devis et les loyers futurs des étages existants et des étages supplémentaires), tandis que les associations intimées n'indiquent pas en quoi les autres éléments qu'elles réclament, comme les états locatifs complets des vingt dernières années, seraient utiles à la solution de la présente affaire. La chambre de céans dispose dès lors des éléments nécessaires pour trancher. Il n’y a ainsi pas lieu d’ordonner des mesures d’instruction complémentaires demandées.

9. Selon l'art. 89 al. 1 LCI, l’unité architecturale et urbanistique des ensembles du XIXème siècle et du début du XXème siècle situés en dehors des périmètres de protection : a) de la Vieille-Ville et du secteur sud des anciennes fortifications ; b) du vieux Carouge doit être préservée. Sont considérés comme ensemble les groupes de deux immeubles ou plus en ordre contigu, d’architecture identique ou analogue, ainsi que les immeubles séparés dont l’emplacement, le gabarit et le style ont été conçus dans le cadre d’une composition d’ensemble dans le quartier ou dans la rue (art. 89 al. 2 LCI).

APV invoque la violation de cette disposition, qui n'aurait pas été prise en considération alors même que l'immeuble du 55, rue Z______ ferait partie du même ensemble architectural que ceux des 57 à 61, rue Z______.

10. Selon une jurisprudence bien établie, la chambre de céans observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis pour autant que l'autorité inférieure suive l'avis de celles-ci. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'est pas écarté sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/113/2012 du 28 février 2012 consid. 8 ; ATA/360/2010 du 1er juin 2010 et les références citées).

Lorsque la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission est déterminant dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours (ATA/113/2012 précité ; ATA/703/2010 du 12 octobre 2010 et les références citées).

11. En l'espèce, la CMNS a admis dans son préavis du 7 juillet 2009 que l'immeuble du 55, rue Z______ ne faisait pas partie du même ensemble architectural que ceux des 57 à 61, rue Z______. Un même constat a pu être effectué par le juge délégué lors du transport sur place du 19 octobre 2011, et il ressort également du dessin d'architecte figurant au dossier et représentant les deux façades de la rue Z______ côte à côte. La toiture du 55, rue Z______ est en effet très différente de celle des trois immeubles voisins ; les corniches et fenêtres ne sont pas alignées, et les fenêtres du 4ème étage du 55, rue Z______ sont intégrées à la toiture à la Mansart, à la différence des trois immeubles voisins où elles sont situées sous la corniche.

Le grief de violation de l'art. 89 LCI doit dès lors être écarté.

12. Le gabarit de hauteur de l’immeuble litigieux, situé en 2ème zone, est réglé par les art. 22 ss LCI.

Selon l’al. 1 de cette disposition légale, à front ou en retrait des voies publiques ou privées, la hauteur du gabarit ne peut dépasser de plus de 3 m la distance fixée entre alignements (H D + 3).

En l’espèce, la distance des immeubles en vis-à-vis est de 13,26 m sur la rue Z______ et de 18,27 m sur la rue A______.

En application de l’art. 23 al. 1 LCI, la hauteur maximale du gabarit est de 21,27 m si l'on retient - comme l'a fait le TAPI - la valeur la plus élevée, de 19,26 m (hauteur inférieure à l'actuelle) si l'on retient la valeur la plus basse.

13. a. Le 22 février 2008, le Grand Conseil a adopté une modification de l'art. 23 LCI (loi 10088) selon laquelle le département peut autoriser le dépassement du gabarit d'un immeuble afin de permettre la création de logements supplémentaires, en tenant compte de celui des immeubles voisins et pour autant que cela ne compromette pas l'harmonie urbanistique de la rue (art. 23 al. 3 LCI). La hauteur de la ligne verticale du gabarit ne peut dépasser nulle part 24 m (H  24) ; afin de permettre la construction de logements supplémentaires au sens des al. 3 à 5, la hauteur de la ligne verticale du gabarit ne peut dépasser nulle part 30 m (H  30).

Les art. 10 et 11 LCI restent applicables (art. 23 al. 7 LCI). Le Tribunal fédéral précise que la modification législative maintient donc le régime dérogatoire prévu à l'art. 11 LCI, comme le confirme l'exposé des motifs accompagnant le projet de loi modifiant la LCI (PL 10088 ad art. 23 al. 6 LCI p. 11) ; l'art. 11 LCI permet ainsi de déroger, à certaines conditions, aux prescriptions relatives aux gabarits applicables dans la zone concernée (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_362/2011 du 14 février 2012 consid. 5.5).

b. Selon l'art. 11 al. 4 let. c et d LCI, le département peut, après consultation de la commission d'architecture, autoriser un dépassement du gabarit prescrit par la loi lorsque les constructions prévues ne nuisent pas à l'harmonie de la silhouette de l'agglomération ni à la perception de sa topographie, se justifient par leur aspect esthétique et leur destination et sont compatibles avec le caractère, l'harmonie et l'aménagement du quartier.

14. En l'espèce, la surélévation partielle de l'immeuble d'angle et le dépassement du gabarit n'ont pas été autorisés en application des nouvelles dispositions de l'art. 23 LCI, mais par le biais de la clause dérogatoire de l'art. 11 al. 4 LCI ; c'est en effet l'art. 11 LCI qui est mentionné expressément dans l'autorisation de construire. Consultée, la commission d'architecture a émis un préavis favorable, précisant le 22 décembre 2009 qu'elle donnait son accord à la dérogation susmentionnée.

Comme indiqué ci-dessus, la chambre de céans observe une certaine retenue dans son pouvoir d’eyamen lorsque l’autorité inférieure a suivi les préavis. En effet, la commission, composée pour une part de spécialistes, est plus à même de prendre position sur des questions qui font appel aux connaissances de ces derniers, que la chambre administrative, composée de magistrats (ATA/385/2011 du 21 juin 2011 consid. 4 ; ATA/649/2002 du 5 novembre 2002).

Dans ces circonstances, en suivant le préavis de ladite commission, composée de spécialistes et ayant analysé précisément les deux projets soumis, le département, puis le TAPI, n’ont pas mésusé de leur pouvoir d’appréciation ; ce d'autant moins que, comme en attestent les plans visés ne varietur figurant au dossier ainsi que les observations effectuées lors du transport sur place, la hauteur de l'immeuble voisin sur la rue A______ est plus importante que le projet autorisé. L'autorisation litigieuse respecte dès lors l'art. 11 LCI expressément réservé par l'art. 23 LCI.

15. Reste à examiner la question du respect de la LDTR.

a. A teneur de l’art. 9 al. 1 LDTR, une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation au sens de l’art. 3 al. 1 LDTR. Elle est accordée notamment lorsque les travaux permettent la réalisation de logements supplémentaires (art. 9 al. 1 let. c LDTR).

b. Aux termes de l’art. 9 al. 2 LDTR, l’autorisation de transformation ou de rénovation n'est accordée que si les logements transformés répondent quant à leur genre, leur loyer ou leur prix aux besoins prépondérants de la population ; le DCTI tient compte, dans son appréciation, des éléments suivants :

a) du genre, de la typologie et de la qualité des logements existants ;

b) du prix de revient des logements transformés ou nouvellement créés, notamment dans les combles ;

c) du genre de l'immeuble ;

d) du nombre de pièces et de la surface des appartements ainsi que de la surface des logements nouvellement créés ;

e) des exigences liées à l'objectif de préservation du patrimoine.

c. Le département fixe, comme condition de l’autorisation, le montant maximum des loyers des logements après travaux (art. 10 al. 1 LDTR). Il renonce à la fixation des loyers lorsque cette mesure apparaît disproportionnée, lorsque les logements à transformer sont des logements de luxe ou que leurs loyers dépassent d’ores et déjà d’au moins deux fois et demie les besoins prépondérants de la population (art. 10 al. 2 LDTR).

16. a. Par ailleurs, l’art. 11 al. 4 LDTR prévoit que le coût des travaux se rapportant à une surélévation d'immeubles au sens des art. 23 al. 3 à 7 et 27 al. 3 à 7 LCI ne peut pas être répercuté sur le montant des loyers des logements existants.

b. Selon l’exposé des motifs, plus particulièrement le commentaire article par article, relatif aux nouvelles normes LCI sur la surélévation d’immeubles, l’art. 11 al. 4 LDTR vise à conditionner la délivrance d’une autorisation de construire à ce que le montant des loyers des appartements situés dans les étages courants ne soit pas augmenté en raison des travaux. En effet, le montant des loyers des logements nouvellement créés permettent à eux seuls de rentabiliser les travaux entrepris (MGC 2006-2007 XI/2, p. 9977ss, 9987).

17. En l’espèce, la surélévation - alliée à la rénovation des combles du 57, rue Z______ - permet la création de deux logements de 6 pièces et d’un de 3 pièces.

Il résulte de l'autorisation de construire litigieuse - laquelle reprend sur ces points le préavis technique du 16 avril 2010 du service juridique LDTR - que les loyers des logements existants et ceux des logements nouvellement créés ont été différenciés. Selon les déclarations du représentant du DCTI lors de l'audience de comparution personnelle des parties du 30 novembre 2010, le département n'a pas procédé à un calcul indifférencié entre la transformation des appartements du 4ème étage d'une part et la surélévation (du 55, rue Z______) et l'aménagement des combles (du 57, rue Z______) d'autre part, mais uniquement entre ces deux derniers types de travaux visant la création d'appartements nouveaux.

Ainsi, le coût des travaux sera répercuté sur les logements nouvellement créés. L’autorisation mentionne d'ailleurs expressément que les travaux n’auront pas d’incidence sur les loyers des logements existants pendant au moins trois ans.

L’art. 11 al. 4 LDTR est ainsi respecté par l'autorisation de construire litigieuse, de même que l'art. 9 LDTR.

18. Bien fondé, le recours sera admis. Le jugement du TAPI sera annulé et l'autorisation de construire litigieuse rétablie.

Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge conjointe et solidaire de l'ASLOCA et d'APV, lui sera allouée, dès lors qu'il y a conclu et qu'il a eu recours aux services d'un mandataire (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 avril 2011 par Monsieur G______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 mars 2011 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 mars 2011 ;

rétablit l'autorisation de construire DD B______ du 13 juillet 2010 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur G______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à charge de l'association genevoise de défense des locataires (ASLOCA) et de l'association Action patrimoine vivant (APV), prises conjointement et solidairement ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Antoine Böhler, avocat de Monsieur G______, au département des constructions et des technologies de l'information, à Me Christian Dandrès, avocat de l'ASLOCA association genevoise de défense des locataires et de l'association Action patrimoine vivant, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Dentella Giauque

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :