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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1018/2024

JTAPI/316/2024 du 10.04.2024 ( MC ) , REJETE

REJETE par ATA/528/2024

Descripteurs : INTERDICTION DE PÉNÉTRER DANS UNE ZONE
Normes : LEI.74
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1018/2024 MC

JTAPI/316/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 avril 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Samir DJAZIRI, avocat, avec élection de domicile

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


EN FAIT

1.            Monsieur A______, né le ______ 1997, ressortissant du Nigéria est démuni de document d'identité.

2.            Il vit en France, où il a déposé une demande d’asile, depuis 2021 environ.

3.            Selon l’extrait de son casier judiciaire daté du 22 mars 2024, il a été condamné :

-          le 5 février 2022, par le Ministère public du canton de Genève, pour séjour illégal (art. 115 al.1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20)), à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, à CHF 10.-, avec sursis, délai d’épreuve 3 ans ;

-          le 4 juillet 2022, par le Tribunal de police de Genève, pour délit contre la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c et d de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121)) ainsi qu’entrée et séjour illégal (art. 115 al. 1 let. a et b LEI), à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 10.-, avec sursis, délai d’épreuve 3 ans ;

-          le 8 septembre 2023, par le Tribunal de police de Genève, pour violence ou menace contre les autorités ou les fonctionnaires (art. 285 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0)), empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP), consommation de stupéfiants (art. 19a ch. 1 LStup) ainsi qu’entrée et séjour illégal (art. 115 al. 1 let. a et b LEI), à une peine pécuniaire de 70 jours-amende à CHF 10.-, et à une amende de CHF 10.- ;

Par ailleurs, une procédure est en cours auprès du Tribunal de police de Genève pour infraction à la LEI et une autre auprès du Ministère public de Genève pour infractions aux art. 115 LEI et 19 LStup (trafic de cocaïne) et empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP).

4.            Le 23 mars 2024, M. A______ a été condamné par le Ministère public de Genève à une peine privative de liberté de 90 jours et à une peine pécuniaire de 20 jours-amende à CHF 30.-, pour infractions aux art. 115 LEI et 19 al. 1 let. c LStup (trafic de cocaïne et d'ecstasy) et empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP).

En substance, des agents de police ont constaté que le 21 mars 2024, vers 22h00, M. A______ et un comparse étaient installés à la hauteur du passage sis à B______, scrutant l’horizon. A un moment donné, les agents de police ont vu M. A______ dissimuler un petit sachet à proximité du lieu où il se trouvait et effectuer deux transactions avec deux inconnus, non identifiés. Le sachet dissimulé par M. A______ a été récupéré par les forces de l’ordre. Il contenait trois pilules d’ecstasy. Ce dernier a pris la fuite lorsque les agents de police ont souhaité l’interpeller.

5.            Le 23 mars 2024 à 11h00, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______, une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès à l’ensemble du territoire genevois) pour une durée de douze mois.

6.            Par courrier du 25 mars 2024, sous la plume de son conseil, M. A______ a formé opposition contre la décision prise par le commissaire de police le 23 mars 2024 à son encontre, auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).

7.            Le 30 mars 2024, il a été condamné par le Ministère public de Genève à une peine privative de liberté de 100 jours et à une peine pécuniaire de 20 jours-amende à CHF 10.-, pour infractions aux art. 115 et 119 LEI et empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP).

8.            M. A______ a été dûment convoqué pour l'audience du 9 avril 2024 devant le tribunal.

9.            Lors de l'audience du 9 avril 2024, il a expliqué vivre à C______(France) chez son amie, également ressortissante du Nigéria, et qui subvenait à ses besoins. Il n'avait pas de travail. La journée, il jouait au football. Toute sa famille vivait en Afrique. Il n'avait ni ami ni famille à Genève. Des fois, il s’y rendait, principalement pour faire la fête, avant de retourner à C______(France). S'il avait fait opposition à l’interdiction territoriale prise à son encontre, c'était car on l'accusait d'un crime qu'il n'avait pas commis. Il avait été arrêté lorsqu'il se rendait à une fête à D______, en mars, en même temps que deux autres personnes. Il n'avait pas de drogue sur lui. On les avait accusés de vendre de l'ecstasy alors que ce n'était pas vrai. La police n’avait aucune preuve qu'il se livrait à un trafic d'ecstasy.

Le conseil de l'intéressé a conclu à l'annulation de l'interdiction territoriale prise par le commissaire de police le 23 mars 2024, subsidiairement à ce que la durée soit réduite à six mois.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition formée le 25 mars 2024 par M. A______ et au maintien de l'interdiction territoriale pour une durée de douze mois.

 

 

 

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.

4.             Selon l'art. 74 al. 1 let. a LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée s’il n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants.

5.             Conformément à l'art. 74 al. 2 LEI, la compétence d'ordonner ces mesures incombe au canton qui exécute le renvoi ou l'expulsion ; l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée peut aussi être prononcée par le canton dans lequel est située cette région.

6.             De son côté, l'art. 6 al. 3 LaLEtr précise que l'étranger peut être contraint à ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

7.             Les mesures d'assignation d'un lieu de séjour et d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée répondent à deux préoccupations. Elles permettent d'intervenir pour protéger la sécurité et l'ordre publics - plus particulièrement dans les domaines qui ne peuvent guère être couverts par le droit pénal - à l'encontre de ressortissants étrangers dont le départ ne peut pas être exigé en raison d'une demande d'asile pendante ou de l'absence de titre de voyage. En outre, elles peuvent être ordonnées à l'égard d'étrangers dont le renvoi est durablement entravé et pour lesquels il est nécessaire de les tenir éloignés d'un endroit déterminé ou de pouvoir les surveiller (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001).

8.             Les mesures prévues par l'art. 74 al. 1 LEI visent à prévenir les atteintes à la sécurité et à l'ordre publics plutôt qu'à sanctionner un comportement déterminé de ressortissants étrangers dont le départ ne peut pas être exigé en raison d'une demande d'asile pendante ou de l'absence de titre de voyage (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2a).

9.             Les étrangers dépourvus d'une autorisation de séjour n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle, le seuil pour ordonner de telles mesures n'a pas été placé très haut. Pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics, il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police. En particulier, des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue suffisent, de même que la violation grossière des règles classiques de la cohabitation sociale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 2.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.1 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 et la référence citée ; ATA/233/2018 du 13 mars 2018 consid. 4b ; ATA/1041/2017 du 30 juin 2017 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017 ; ATA/885/2016 du 20 octobre 2016. De simples vétilles ne sauraient toutefois suffire, au regard du principe de la proportionnalité, pour prononcer une telle mesure (cf. Grégor CHATTON/Laurent MERZ, Code annoté de droit des migrations, vol. II, n. 16 ad art. 74 p. 733 et les arrêts cités).

10.         La mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise en particulier à combattre le trafic de stupéfiants et à éloigner les personnes qui sont en contact répété avec le milieu de la drogue des lieux où se pratique le commerce de stupéfiants (arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.1 ; 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.2 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017 ; ATA/73/2014 du 10 février 2014 ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014). D'autres comportements permettent néanmoins aussi de retenir un trouble ou une menace de la sécurité et de l'ordre publics. On peut songer à la commission de vols et d'autres larcins (réitérés), même de peu d'importance du point de vue du droit pénal, à la mendicité organisée ou aux « jeux » de bonneteau sur la voie publique, qu'ils soient ou non pénalisés, à des contacts que l'étranger entretiendrait avec des groupes d'extrémistes politiques, religieux ou autres, à la violation grave et répétitive de prescriptions et d'injonctions découlant du droit des étrangers, notamment le fait d'avoir passé outre à une assignation antérieure ou de tenter de saboter activement les efforts entrepris par les autorités en vue d'organiser le renvoi de l'étranger (cf. Grégor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 20 ad art. 74 p. 735 et les arrêts cités).

11.         La jurisprudence considère qu'une condamnation pénale n'a pas besoin d'être définitive pour fonder au moins l'existence de soupçons d'une infraction, lesquels sont suffisants dans le cadre de l'application de l'art. 74 LEI.

12.         Les mesures interdisant de pénétrer dans une région déterminée doivent respecter le principe de la proportionnalité énoncé à l’art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

13.         Elles doivent être nécessaires et suffisantes pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4). En particulier, la délimitation géographique et la durée de la mesure doivent être prises en considération en fonction du but poursuivi. En matière d'interdiction de pénétrer sur une partie du territoire, le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles.

14.         L'art. 74 LEI ne précise pas la durée de la mesure. Celle-ci doit répondre au principe de proportionnalité, à savoir être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3).

15.         Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2 ; ATA/1371/2020 du 30  décembre 2020 consid. 5); vers le haut, des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2 ; ATA/1347/2018 du 13 décembre 2018 consid. 6), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

16.         En l'espèce, M. A______ n'est pas au bénéfice d'une autorisation de courte durée (art. 32 LEI), de séjour (art. 33 LEI) ou d'établissement (art. 34 LEI). Il est dépourvu de documents d’identité, n’a pas de ressources, ni lieu de résidence et attaches à Genève. Il a au surplus été condamné par le Tribunal de police de Genève pour trafic de drogue à une reprise et à une autre reprise, pour consommation de stupéfiants. Par ailleurs, une procédure, notamment pour trafic de cocaïne, est en cours à son égard auprès du Ministère public de Genève. S’agissant des événements du 21 mars 2024, contestés par l’intéressé, le tribunal retiendra qu’il existe des indices sérieux et concrets que ce dernier s’est livré à un trafic d’ecstasy eu égard aux constatations policières et aux pilules d’ecstasy retrouvées dans le sachet dont il s’est débarrassé. Au vu de ces éléments et du fait que M. A______ est retourné à Genève au mépris de l’interdiction qui lui a été faite le 23 mars 2024, il apparaît qu’il s’installe durablement dans la délinquance à Genève, canton avec lequel il n’a aucune attache.

17.         Partant, M. A______ peut effectivement être perçu comme une menace pour l'ordre et la sécurité publics et il apparaît clairement, notamment au vu de sa situation économique précaire qu'il pourrait encore commettre des infractions de même nature que celles pour lesquelles il a été condamné et poursuivi s'il était autorisé à continuer à pouvoir se rendre à Genève. Les conditions d'une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée sont donc remplies.

18.         Le conseil de M. A______ remet en cause la durée de la mesure, laquelle devrait être réduite à six mois. M. A______ n’a aucune attache avec le canton de Genève et n’y dispose d’aucun domicile. Il n’a donc aucun intérêt privé à pouvoir s’y rendre. Au regard des circonstances et vu les agissements délictueux de l’intéressé qui occupe régulièrement les services de police depuis 2022, la durée de la mesure fixée à douze mois par le commissaire de police, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation, apparait proportionnée.

19.         Partant, le tribunal confirmera l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise à l'encontre de M. A______ pour une durée de douze mois.

20.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

21.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 25 mars 2024 par Monsieur A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 23 mars 2024 pour une durée de douze mois ;

2.             la rejette ;

3.             confirme la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 23 mars 2024 à l'encontre de Monsieur A______ pour une durée de douze mois ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier