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C/21207/2024

ACJC/647/2025 du 19.05.2025 sur OTPI/741/2024 ( SP ) , MODIFIE

Normes : CPC.261; CC.28
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21207/2024 ACJC/647/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 19 MAI 2025

 

Entre

1) A______ SWITZERLAND, sise ______ [GE],

2) A______ FRANCE, sise ______ (France),

3) A______ AUSTRIA GEMEINNÜTZIGE GMBH, sise ______ (Autriche),

appelantes d'une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 25 novembre 2024, représentées par Me Edouard CAPDEVILLE, avocat, B&B Avocats, cours des Bastions 5, 1205 Genève,

et

B______, association de droit suisse, sise ______ [GE], intimée, représentée par
Me Renato CAJAS, avocat, PBM Avocats SA, boulevard Georges-Favon 26, case postale 48, 1211 Genève 8.


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/741/2024 du 25 novembre 2024, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures provisionnelles, a ordonné à A______ AUSTRIA et à A______ FRANCE de cesser de diffuser sur toute plateforme la vidéo "______" jusqu'à ce que le passage entre les minutes 2:10 et 2:30 ait été supprimé (chiffre 1 du dispositif), fait interdiction à A______ AUSTRIA, A______ FRANCE et A______ SWITZERLAND de mentionner nommément [l'association] B______ dans l'un de ses reportages ou articles (ch. 2), ainsi que de mentionner nommément "C______" dans l'un de ses reportages ou articles (ch. 3) ou encore de filmer de manière reconnaissable les locaux de B______ (ch. 4), rejeté la requête pour le surplus (ch. 5) et dit que l'ordonnance déploierait ses effets jusqu'à droit jugé ou accord entre les parties (ch. 6).

Le Tribunal a mis les frais judiciaires, arrêtés à 1'800 fr., à la charge de A______ AUSTRIA, A______ FRANCE et A______ SWITZERLAND, prises conjointement (ch. 7 et 8), condamné ces dernières, conjointement et solidairement, à payer à B______ 1'800 fr. à titre de restitution de l'avance de frais (ch. 9), ainsi que 800 fr. à titre de dépens (ch. 10) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 11).

B. a. Par acte expédié le 6 décembre 2024 à la Cour de justice, A______ AUSTRIA, A______ FRANCE et A______ SWITZERLAND appellent de cette ordonnance, concluant à son annulation et à ce que B______ soit déboutée de l'intégralité de ses conclusions prises à leur encontre.

b. Dans sa réponse, B______ conclut au rejet de l'appel et à la confirmation de l'ordonnance entreprise.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Elles ont encore déposé des écritures spontanées les 14 et 26 février, 10, 21 et 26 mars 2025.

e. Par avis de la Cour du 27 mars 2025, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. B______ est une association, sise à Genève, dont le but social consiste notamment à offrir à la communauté homosexuelle une structure d'accueil, d'écoute, d'information, d'expression, de convivialité et de solidarité, ainsi que ______.

Elle offre à la population LGBTIQ+ une structure d'accueil, appelée "C______". D______ y travaille en qualité d'éducateur social.

b. A______ SWITZERLAND (A______ SWITZERLAND), A______ FRANCE (A______ FRANCE) et A______ AUSTRIA GEMEINNÜTZIGE GMBH (A______ AUSTRIA) (collectivement désignées : A______) sont des entités de droit suisse, français et autrichien, ayant pour but, en substance, la promotion des droits de l'homme et des droits civils à travers une vision judéo-chrétienne.

c. Le 22 février 2023, le Service de protection des mineurs (SPMi) a signalé au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (TPAE) la situation d'une mineure née en novembre 2007 qui avait effectué son "coming out" (transition de genre) en 2021 auprès de ses parents et de son école.

Selon les termes de ce signalement, l'enfant avait demandé aux intervenants de l'appeler par un prénom masculin, que l'école utilisait également. Il avait expliqué que ses parents n'acceptaient pas sa transition et que depuis cette annonce les relations familiales s'étaient fortement détériorées. L'enfant avait confié sa souffrance et son impuissance face à cette situation.

Toujours selon le rapport de signalement, les parents avaient mis en place un suivi à l'Unité santé jeunes aux HUG, mais y avaient mis fin sans demander l'avis de l'enfant lorsque le médecin consulté avait mentionné une dysphorie de genre et une transition sociale à envisager comme première piste de solution (selon les propos de [nom caviardé]).

d. Le SPMi a suggéré à l'enfant de prendre contact avec "C______", ce qu'il a fait.

Il s'en est suivi un entretien avec les parents de l'enfant, les intervenants du SPMI et une intervenante de "C______". Selon les observations du SPMi, consignées dans le rapport du 22 février 2023, la collaboration avec les parents est par la suite devenue encore plus difficile. Le SPMI est resté en contact avec l'enfant qui leur avait expliqué être privé de téléphone et d'ordinateur à la maison et qu'il ne pouvait que rarement sortir, ce qui était très pesant pour lui. En outre, les parents avaient interdit à la psychologue scolaire de parler avec l'enfant, ainsi qu'à tous les professionnels de l'école de l'appeler par le prénom masculin.

e. Au terme de son rapport, le SPMI a conclu à l'instauration d'une curatelle éducative et de représentation de l'enfant en matière de santé, spécifiquement pour mettre en place un suivi thérapeutique répondant à ses besoins et pour l'orienter vers des spécialistes professionnels en mesure de l'aider à répondre à ses questionnements au sujet de son identité de genre, tout en s'assurant de sa capacité de discernement à toutes les étapes de ce processus.

Le rapport était signé par une intervenante en protection de l'enfant et le chef de groupe.

f. A______ expose que les parents avaient développé une grande méfiance à l'encontre, notamment, des HUG, de l'école et du SPMi. Les HUG leur avaient annoncé que leur fille pourrait présenter une dysphorie de genre sur la base d'une évaluation d'une trentaine de minutes à l'aide d'un graphique militant intitulé "la licorne de genre". Après quatre mois de suivi des conseils de l'équipe médicale, on leur avait annoncé que la prochaine étape consistait en la prise de bloqueurs de puberté, ce qu'ils avaient refusé, choisissant alors d'orienter l'enfant vers la Dresse E______, psychiatre. L'école s'était impliquée sans leur consentement, les professeurs, l'administration et les élèves commençant à l'appeler d'un prénom masculin. L'école avait ensuite pris contact avec le SPMi, lequel avait orienté l'enfant vers "C______". Celui-ci estimait que l'entourage familial et psychologique n'était pas compétent et souhaitait faire entourer l'enfant de personnes favorables aux thématiques de trans. A cette date, les parents, démunis, étaient extrêmement inquiets pour leur enfant.

g. Par ordonnance du 31 mars 2023, le TPAE a instauré une curatelle d'assistance éducative en faveur de l'enfant.

h. Le 17 avril 2023, les curateurs ont informé le TPAE que l'enfant les avait contactés le 4 avril 2023 pour se plaindre de la situation extrêmement pesante aux domiciles de ses parents et exprimer son souhait de pouvoir intégrer un foyer. La psychologue de son école avait exprimé son inquiétude, craignant un acte suicidaire de l'enfant, qui avait fait l'objet d'une hospitalisation en avril 2023 au sein d'une unité prenant en charge les adolescents en crise suicidaire des HUG.

i. L'enfant a été entendu par le TPAE et a confirmé son souhait d'un placement en foyer.

j. Par ordonnance rendue sur mesures provisionnelles le 24 avril 2023, le TPAE a notamment retiré aux parents la garde et le droit de déterminer le lieu de résidence de leur enfant et ordonné son placement immédiat au sein d'un foyer.

Cette ordonnance a été confirmée par décision de la Chambre de surveillance de la Cour de justice du 10 octobre 2023.

k. Dans un courriel daté du 31 mai 2023, D______ a écrit que l'enfant n'avait pas de suivi psychologique et avait pu évoquer une expérience particulièrement difficile en avril avec la psychiatre choisie par ses parents (la Dresse E______), ajoutant "il nous semble important et nécessaire de mettre en place un suivi avec des personnes de confiance qui on (sic) une expertise sur la thématique trans en adéquation avec son vécu".

l. A une date indéterminée, les sites internet de A______ AUSTRIA et de A______ FRANCE ont fait référence à l'affaire concernant la mineure précitée, en indiquant un lien vers une vidéo, postée sur la plateforme YouTube, intitulée "______", consistant en substance en un entretien avec les parents.

Entre les minutes 2:10 et 2:25, les parents affirment "C______ is a transgender advocacy organization and has taken our daughter down the path of believing that she's a boy in a girl's body".

Entre les minutes 2:25 et 2:30, le commentaire suivant est fait "C______ convinced the daughter that her psychotherapist was transphobic. She immediately ended the treatment".

Cette vidéo a été réalisée et postée sans que B______ ne soit consultée.

m. Par courrier du 13 août 2024, B______ a mis A______ en demeure de supprimer cette vidéo.

A______ n'a pas donné suite à ce courrier.

n. Par acte du 13 septembre 2024, B______ a formé une requête de mesures provisionnelles à l'encontre de A______.

Elle a conclu, en substance, à ce que soit ordonnée la cessation de la diffusion de la vidéo "______" jusqu'à ce que le passage entre la minute 2:10 et 2:30 soit supprimé, à ce qu'il soit fait interdiction à A______ de mentionner nommément B______ ou "C______" dans l'un de ses reportages ou articles, ainsi que de filmer de manière reconnaissable les locaux de B______, le tout sous la menace de la peine prévue à l'article 292 CP.

Elle a fait valoir que les propos tenus dans cette vidéo étaient mensongers, le seul objectif étant de nuire à sa réputation. En la présentant comme une entité ayant pour vocation de convaincre des jeunes d'entamer une procédure de transition de genre, le film réduisait à néant le travail effectué au cours des années pour gagner la confiance des parents en vue d'un dialogue serein et constructif avec eux. Cette atteinte à son image, si elle se prolongeait, était susceptible de la priver des fonds publics et privés dont elle dépendait pour assurer sa mission. La fréquentation des parents était déjà quasiment nulle depuis la diffusion du film.

o. Dans leurs déterminations écrites du 28 octobre 2024, les entités A______ ont conclu au rejet de la requête.

Elles ont fait valoir que les extraits litigieux de la vidéo ne faisaient que traduire la réalité, de sorte que l'atteinte faisait défaut. L'immixtion de B______ dans les choix intimes d'une enfant mineure, sur la base d'une conclusion immédiate et définitive, était inadmissible, puisque de tels choix devaient faire l'objet d'une évaluation régulière et d'un consentement éclairé. D______ n'avait pas hésité à mentir à la mineure quant aux qualités et à l'expertise de la Dresse E______. Il existait un intérêt public prépondérant à la diffusion du film litigieux, B______ n'agissant pas conformément à sa mission. En outre et en tout état, le risque de préjudice difficilement réparable n'était pas rendu vraisemblable. Les mesures requises revenaient à les priver de la liberté d'expression et, ainsi, à leur causer un préjudice irréparable.

p. Au cours de l'audience qui s'est tenue le 11 novembre 2024, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives.

q. Dans l'ordonnance entreprise, le Tribunal a considéré que les termes employés dans la vidéo litigieuse pour décrire B______ apparaissaient être de nature à porter atteinte à sa personnalité dès lors qu'elle y était présentée comme une entité ayant pour but de convaincre des enfants de leur dysphorie de genre, contrairement à son véritable but d'accompagnement et de soutien. Ne serait-ce que le titre de la vidéo ("______") donnait à celui qui la regardait l'impression que B______ avait joué un rôle visant à séparer l'enfant de ses parents. Quant à la véracité des propos de la vidéo, il apparaissait que A______ avaient retranscrit les événements selon la seule vision des parents de l'enfant, sans que B______ ait été invitée à donner sa propre version des faits. Au vu du caractère péremptoire et en l'absence de toute contradiction, A______ ne pouvait se prévaloir d'un intérêt public prépondérant. Enfin, B______ risquait de subir un préjudice difficilement réparable, sa réputation lui étant nécessaire à l'accomplissement de sa mission statutaire, laquelle se trouvait vraisemblablement compromise par la diffusion de la vidéo.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions de première instance rendues sur mesures provisionnelles dans une procédure en protection de la personnalité, soit dans une affaire de nature non pécuniaire (ATF 127 III 481 consid. 1a; arrêt du Tribunal fédéral 5A_268/2022 du 18 mai 2022 consid. 1), sont susceptibles de faire l'objet d'un appel écrit et motivé auprès de la Cour de justice dans un délai de 10 jours à compter de leur notification (art. 308, 311 al. 1 et 314 al. 1 CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ).

1.2 En l'espèce, l'appel contre l'ordonnance du 25 novembre 2024 a été interjeté auprès de l'autorité compétente, dans la forme prescrite par la loi et dans le délai utile de 10 jours. Il est ainsi recevable.

1.3 Les maximes des débats (art. 55 al. 1 et 255 CPC a contrario) et de disposition (art. 58 al. 1 CPC) sont applicables.


 

1.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), la cognition du juge est limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit, l'exigence de célérité étant privilégiée par rapport à celle de sécurité (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_293/2019 du 29 août 2019 consid. 4.2).

2. Les appelantes reprochent au Tribunal d'avoir procédé à une constatation inexacte des faits sur plusieurs points.

L'état de fait présenté ci-dessus a été rectifié et complété dans la mesure utile, selon les griefs pouvant être retenus sur la base des actes et des pièces de la procédure. Pour le surplus, les griefs soulevés par les appelantes seront rejetés pour les motifs qui suivent.

2.1 Les appelantes contestent certains passages du rapport de signalement établi le 22 février 2023 par le SPMi, soit ceux dont il ressort, premièrement, que les parents n'acceptaient pas la transition de leur enfant, deuxièmement, que c'était un médecin qui avait mentionné une dysphorie de genre et, troisièmement, que l'enfant avait été privé de téléphone, d'ordinateur à la maison et ne pouvait que rarement sortir, ce qui était pesant pour lui, et que les parents avaient interdit à la psychologue scolaire de parler avec l'enfant ainsi qu'à à tous les professionnels de l'école de l'appeler par le prénom masculin. Par ailleurs, on ne pouvait, selon les appelantes, parler de collaboration entre les parents, B______ et "C______" dans la mesure où les échanges s'étaient limités à un seul rendez-vous (cf. let. C.c et C.d, p. 3 supra).

Quoi qu'en disent les appelantes, ces faits, bien qu'ils ressortent de la partie en fait, ne sont pas tenus pour établis mais reflètent les propos recueillis par le SPMi et retranscrits dans le rapport de signalement du 22 février 2023. Les phrases en question correspondent aux explications fournies par l'enfant, telles que perçues par les intervenants, ce qui est souligné par les termes " Il [l'enfant] avait expliqué" "l'enfant leur avait confié" ou encore "selon les propos de [nom caviardé]". Aucun élément ne permet du reste de mettre en doute les propos recueillis par le SPMi, ce d'autant plus que le rapport est signé par deux personnes.

En tout état de cause, les passages précités dont la rectification, voire la suppression est demandée ne sont pas pertinents pour l'issue du litige, en particulier pour statuer sur la question de savoir si la vidéo litigieuse porte atteinte à la personnalité de l'intimée justifiant le prononcé des mesures provisionnelles.


 

2.2 En outre, les appelantes souhaitent que la doctoresse E______ ne soit pas décrite comme étant uniquement psychiatre, mais plus précisément comme étant une pédopsychiatre et psychiatre d'adultes, psychanalyste, membre formateur de la société suisse de psychanalyse, psychosomaticienne formée à [l'institut de psychosomatique] F______, auteure de plusieurs livres et d'articles scientifiques et sans connotation partisane ou politique au sujet du transsexualisme.

Les pièces produites à l'appui de cet allégué, soit deux articles publiés sur internet, ne fournissent cependant aucune information quant aux titres et aux qualifications de la doctoresse E______. Les appelantes ne rendent ainsi pas vraisemblables les titres et l'expertise qu'elles prêtent à cette dernière, si bien que l'état de fait ne saurait être complété comme elles le souhaitent. Quoi qu'il en soit, là encore, la pertinence de la modification souhaitée demeure douteuse.

2.3 Enfin, les appelantes soutiennent que l'allégué de fait selon lequel elles n'auraient pas donné suite au courrier du 13 août 2024 de B______ (let. C.m, p. 5 supra) serait manifestement inexact. Elles ne fournissent toutefois pas le moindre début d'élément probant à l'appui de leur contestation et le dossier ne contient aucun élément permettant de retenir, même sous l'angle de la vraisemblable, qu'elles auraient répondu audit courrier. La rectification n'est dès lors pas justifiée sur ce point également.

3. Les appelantes reprochent au Tribunal d'avoir prononcé les mesures provisionnelles requises en les considérant comme étant fondées.

D'une part, elles contestent toute atteinte, alléguant que les propos tenus dans la vidéo sont conformes à la réalité, pouvant être qualifiés d'opinions et/ou de jugement de valeur protégés par la liberté fondamentale de la liberté d'expression. D'autre part, elles soutiennent que le préjudice difficilement réparable n'est pas rendu vraisemblable.

3.1
3.1.1
En vertu de l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable.

Le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice et notamment prononcer une interdiction (art. 262 let. a CPC).

Celui qui requiert des mesures provisionnelles doit ainsi rendre vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte - ou risque de l'être - et qu'il s'expose de ce fait à un préjudice difficilement réparable (ATF 139 III 86 consid. 5; arrêt du Tribunal fédéral 5D_219/2017 du 24 août 2018 consid. 4.2.2).

Le dommage difficilement réparable au sens de l'art. 261 al. 1 let. b CPC est principalement de nature factuelle. Il concerne tout préjudice, patrimonial ou immatériel, et peut même résulter du seul écoulement du temps pendant le procès. Le dommage est constitué, pour celui qui requiert les mesures provisionnelles, par le fait que, sans celles-ci, il serait lésé dans sa position juridique de fond et, pour celui qui recourt contre le prononcé de telles mesures, par les conséquences matérielles qu'elles engendrent (ATF 138 III 378 consid. 6.3 et les références citées). Est notamment difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement au fond ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêts du Tribunal fédéral 4A_50/2019 du 28 mai 2019 consid. 6.6.2; 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

3.1.2 L'art. 28 CC prévoit que celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe (al. 1). Une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public ou par la loi (al. 2). Il résulte de cette disposition que l'atteinte est en principe illicite, ce qui découle du caractère absolu des droits de la personnalité, l'atteinte devenant cependant licite si son auteur peut invoquer un motif justificatif décrit à l'al. 2.

Il y a atteinte à la personnalité au sens de l'art. 28 CC non seulement lorsque la bonne réputation d'une personne ou son sentiment d'honorabilité sont lésés, mais aussi lorsque sa considération professionnelle ou sociale est touchée. L'honneur, comme partie intégrante de la personnalité en droit civil, est une notion clairement plus large que l'honneur protégé pénalement par l'art. 173 CP. Pour juger objectivement si une déclaration, dans un article de presse par exemple, porte atteinte à la considération d'une personne, il faut se placer du point de vue d'un lecteur moyen (ATF 147 III 185 consid. 4.2.3 et les références citées). A cet égard, il est admis que les lecteurs ne lisent souvent pas un texte fouillé dans tous ses détails, mais portent attention principalement sur les titres, les sous-titres et les intertitres ou les légendes des images (ATF 147 III 185 consid. 4.2.3; s'agissant de contenus médiatiques publiés sur Internet: 116 IV 31 consid. 5b), lesquels peuvent, selon les circonstances, en eux-mêmes, porter atteinte à la personnalité (ATF 147 III 185 consid. 4.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_654/2021 du 13 janvier 2022 consid. 4.2; 5A_612/2019 du 10 septembre 2021 consid. 6.1.2).

Selon l'art. 28a al. 1 CC, le demandeur peut requérir du juge d'interdire une atteinte illicite si elle est imminente, (1) de la faire cesser si elle dure encore (2) ou d'en constater le caractère illicite si le trouble qu'elle a créé subsiste (3). Sont réservées les actions en dommages-intérêts et en réparation du tort moral, ainsi que la remise de gain selon les dispositions sur la gestion d'affaires (al. 3).

3.2 En l'espèce, les propos litigieux présentent l'intimée comme une structure qui aurait influencé l'enfant dans sa dysphorie de genre et l'aurait convaincu que sa psychiatre était transphobe ("C______ is a transgender advocacy organization and has taken our daughter down the path of believing that she's a boy in a girl's body", "C______ convinced the daughter that her psychotherapist was transphobic. She immediately ended the treatment").

Quoi qu'en disent les appelantes, ces propos n'expriment pas une opinion ou un jugement de valeur pour donner leur avis sur un sujet ou des faits déterminés, mais sont des affirmations portées directement à l'encontre de la structure d'accueil de l'intimée et dont rien n'indique qu'ils seraient conformes à la réalité.

La lecture du dossier ne laisse, en effet, apparaître aucun signe que D______ aurait joué un rôle quelconque dans le questionnement de l'enfant dans son identité de genre ou qu'il l'aurait définitivement convaincu qu'il était un garçon dans le corps d'une fille, comme le prétendent les appelantes. Le fait qu'il ait, tout comme le SPMi, mentionné (et non "diagnostiqué") une dysphorie de genre concernant l'enfant ne permet pas de lui en imputer la responsabilité, mais ne fait que constater le sentiment éprouvé par l'enfant quant à son trouble d'identité. A cet égard, il sied de relever que c'est l'enfant qui a pris contact avec "C______" et demandé d'emblée aux divers intervenants de l'appeler par un prénom masculin, qu'il avait fait son "coming out" déjà deux ans auparavant et qu'il était en situation de souffrance depuis lors, de sorte que la problématique liée à son identité de genre existait déjà avant l'intervention de l'intimée et qu'au vu des circonstances les intervenants pouvaient légitiment évoquer une dysphorie de genre. Par ailleurs, les propos de D______ ne laissent transparaître aucun signe d'incitation, de pression ou d'une quelconque confirmation. Ce dernier se veut plutôt prudent dans ses propos, à l'écoute de l'enfant et en quête de solutions efficaces impliquant l'enfant, ses parents et un professionnel expérimenté dans ce domaine afin de répondre au mieux aux besoins de l'enfants.

Le courriel de D______ du 31 mai 2023 - qui contient le passage "il nous semble important et nécessaire de mettre en place un suivi avec des personnes de confiance qui on (sic) une expertise sur la thématique trans en adéquation avec son vécu" - poursuit précisément le but précité de trouver un soutien adapté aux difficultés de l'enfant. Contrairement à l'avis des appelantes, on ne saurait y inférer un quelconque reproche ni la forme d'une méfiance à l'égard de la Dresse E______, choisie par les parents, et encore moins que celle-ci serait transphobe. Ce commentaire ne fait que recommander un thérapeute expérimenté dans le domaine spécifique et sensible de l'identité de genre, sans en nommer un en particulier, laissant ainsi le choix à l'enfant et à ses parents. L'objectif est ici vraisemblablement de trouver une personne de confiance, en mesure


d'appréhender les spécificités de cette problématique et capable de répondre au mieux aux besoins de l'enfant, ce qui semble aller dans l'intérêt de ce dernier. Ce commentaire semble du reste faire état du souhait exprimé par l'enfant lui-même de pouvoir bénéficier d'un autre thérapeute que celui choisi par ses parents.

Aucun élément ne permet ainsi de rendre vraisemblables les accusations portées à l'endroit de l'intimée. Il n'est pas contesté que celle-ci n'a pas été consultée avant la diffusion de la vidéo et n'a pas eu l'occasion de donner son point de vue sur les propos litigieux.

La Cour retiendra, avec le Tribunal, que les propos tenus dans la vidéo ne font que retranscrire les événements selon la seule vision des parents de l'enfant et qu'ils ne peuvent être tenus pour être conformes à la réalité ni mêmes soutenables au vu de l'état de fait auquel ils se rapportent. Partant, ils ne peuvent être justifiés par un intérêt public prépondérant et constituent dès lors vraisemblablement une atteinte illicite à la personnalité de l'intimée.

Quant au préjudice difficilement réparable, il est avant tout d'ordre réputationnel. Il paraît vraisemblable que la diffusion de propos laissant entendre que l'intimée tend à influencer les mineurs et à les éloigner de leurs parents portent atteinte à la réputation de l'intimée, ce d'autant plus dans le domaine de l'identité de genre, notoirement controversé et sensible. Dans la mesure où le dommage peut être, comme en l'espèce, immatériel il n'est pas nécessaire pour l'intimée de démontrer une perte de revenus ou une baisse de fréquentation. Quoi qu'il en soit, un risque suffit et il paraît vraisemblable que si l'atteinte à l'image de l'intimée perdure, elle est susceptible de mettre à mal l'accomplissement de sa mission statutaire qui tend notamment à favoriser le dialogue avec l'ensemble des composantes de la société et qui, de ce fait, repose en grande partie sur la confiance et le sérieux de la structure. Par ailleurs, le préjudice subi est difficilement réparable puisque l'atteinte à la personnalité, rendue vraisemblable, subie jusqu'à l'issue de la procédure au fond, ne pourrait être supprimée que difficilement.

Infondés, les griefs des appelantes seront rejetés.

4. Les appelantes reprochent au Tribunal d'avoir violé le principe de proportionnalité en ordonnant des interdictions allant au-delà des mesures nécessaires.

4.1 Lorsque les conditions relatives aux mesures provisionnelles sont remplies, le juge doit accorder la protection immédiate. Cependant, la mesure qu'il prononce doit être proportionnée au risque de l'atteinte et le choix de la mesure doit tenir compte des intérêts de l'adversaire. La pesée d'intérêts, qui s'impose pour toute mesure envisagée (ATF 131 III 473 consid. 2.3; RSPC 2006 69), prend en compte


le droit présumé du requérant à la mesure conservatoire et les conséquences que celle-ci entraînerait pour le requis (arrêts du Tribunal fédéral 1C_377/2023 du 7 décembre 2023 consid. 4.1; 1C_294/2019 du 26 juin 2019 consid. 5.2; Bohnet, in Commentaire romand CPC, 2ème éd., 2019, n. 17 ad art. 261 CPC et les références citées).

La mesure prononcée doit respecter le principe de proportionnalité, ce qui signifie qu'elle doit être adaptée aux circonstances de l'espèce. Il s'agit de préférer la mesure qui préserve au mieux les intérêts des parties et donc, entre plusieurs solutions possibles, de choisir la moins incisive (arrêts du Tribunal fédéral 5A_778/2021 du 8 juillet 2022 consid. 4.2.1; 5A_520/2021 du 12 janvier 2022 consid. 5.2.2.1; 5A_915/2019 du 18 mars 2020 consid. 6.2.2).

4.2 En l'espèce, comme cela ressort du considérant précédant, l'atteinte vraisemblablement portée à la personnalité de l'intimée a été commise au travers de la vidéo litigieuse, en particulier par les propos selon lesquels elle s'emploierait à influencer les enfants dans leur dysphorie de genre. La mesure visant à supprimer ces passages et à interdire de diffuser la vidéo dans l'intervalle paraît suffisamment propre et adéquate pour faire cesser l'atteinte subie. Il ne se justifie pas de prononcer une mesure supplémentaire visant à interdire, de manière toute générale, aux appelantes de mentionner nommément l'intimée ou "C______", ou encore de filmer leurs locaux. En effet, c'est bien le portrait qui est dressé de l'intimée et de "C______" qui est problématique. En revanche, la simple mention de leur nom ou l'identification de leurs locaux ne sont vraisemblablement pas, en elles-mêmes et à elles seules, attentatoires à l'honneur et il n'y a pas lieu de prononcer des interdictions pour éviter un futur risque hypothétique et abstrait. L'intimée ne fournit pas davantage d'explication susceptible de justifier, en l'état, ces interdictions supplémentaires.

Il s'ensuit que les interdictions de mentionner nommément l'intimée ou "C______", ou de filmer de manière reconnaissable leurs locaux ont une portée excessive allant à l'encontre du principe de proportionnalité.

Les chiffres 2, 3 et 4 du dispositif entrepris seront donc annulés.

5. L'issue du litige ne commande pas de revoir les frais de première instance.

Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 2'500 fr. (art. 26 et 37 RTFMC), compte tenu notamment des nombreuses écritures déposées devant la Cour, des intérêts en jeu et du travail que la cause a impliqué (art. 5 et 6 RTFMC). Ils seront partiellement compensés avec l'avance fournie par les appelantes à hauteur de 1'440 fr. qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 aCPC en relation avec l'art. 407f a contrario) et répartis à concurrence de 2'000 fr. à la charge des appelantes et à concurrence de 500 fr. à la charge de l'intimée vu l'issue du litige (art. 106 al. 2 CPC).

Les appelantes seront, en conséquence, condamnées à verser le montant de 560 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, et l'intimée le montant de 500 fr. à titre de frais judiciaires d'appel.

Pour les mêmes motifs, les appelantes seront condamnées à verser à l'intimée 2'500 fr. à titre de dépens d'appel (84, 86, 88 et 90 RTFMC).

* * * * *

 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 6 décembre 2024 par A______ SWITZERLAND, A______ FRANCE et A______ AUSTRIA GEMEINNÜTZIGE GMBH contre le l'ordonnance OTPI/741/2024 rendue le 25 novembre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/21207/2024.

Au fond :

Annule les chiffres 2, 3 et 4 du dispositif entrepris.

Confirme l'ordonnance entreprise pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'500 fr., dit qu'ils sont partiellement compensés avec l'avance fournie et les met à la charge des parties à concurrence de 2'000 fr. à la charge de A______ SWITZERLAND, A______ FRANCE et A______ AUSTRIA GEMEINNÜTZIGE GMBH, prises solidairement, et à concurrence de 500 fr. à la charge de B______.

Condamne A______ SWITZERLAND, A______ FRANCE et A______ AUSTRIA GEMEINNÜTZIGE GMBH, prises solidairement, à verser 560 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à titre de frais judiciaires.

Condamne B______ à verser 500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à titre de frais judiciaires.

Condamne A______ SWITZERLAND, A______ FRANCE et A______ AUSTRIA GEMEINNÜTZIGE GMBH, prises solidairement, à verser à B______ la somme de 2'500 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.