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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14792/2025

ACPR/608/2025 du 07.08.2025 sur OMP/15881/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PROFIL D'ADN;PESÉE DES INTÉRÊTS;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.255.al1; CP.122

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14792/2025 ACPR/608/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 7 août 2025

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocate,

recourant,

 

contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 30 juin 2025 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 10 juillet 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 30 juin 2025, notifiée le même jour, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation de cette ordonnance, subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Une instruction est ouverte contre A______ pour lésions corporelles graves (art. 122 CP), subsidiairement tentative de lésions corporelles graves (art. 22 cum 122 CP), et rupture de ban (art. 291 CP).

Il lui est reproché d'avoir, dans la nuit du 28 au 29 juin 2025, dans un appartement genevois, assené intentionnellement de nombreux coups de poing et de pied à C______, en particulier au niveau du visage, à la tête et sur tout le corps, lui causant ainsi une fracture du plancher de l'orbite gauche, des lésions au visage et au cuir chevelu des deux côtés, des ecchymoses aux quatre membres, dans le dos, autour des orbites et sous la lèvre inférieure gauche, lésions ayant nécessité son hospitalisation.

Il lui est également reproché d'avoir, entre le 4 et le 29 juin 2025, persisté à séjourner en Suisse, en dépit d'une mesure d'expulsion judiciaire prononcée le 27 avril 2021, par le Tribunal de police, pour une durée de 20 ans.

b. À teneur des rapports de la police du 29 juin 2025, un conflit a éclaté ce jour-là entre A______ et C______, dans un appartement genevois, après qu'ils eurent entretenu une relation sexuelle. Lors de cette altercation, A______ aurait donné deux gifles à C______, laquelle lui aurait mordu la jambe droite à plusieurs reprises. Au moment de l'arrivée des forces de l'ordre, C______ était allongée sur le sol, à plat ventre, dénudée et à peine consciente. Acheminée à l'hôpital, elle a déclaré s'être fait violer par A______ et vouloir déposer plainte contre lui, avant de se raviser en indiquant que leur rapport sexuel était consenti.

Le médecin légiste a constaté diverses lésions sur la tête et le corps de C______ (cf. supra B.a), lesquelles étaient compatibles avec les explications fournies par cette dernière à teneur desquelles, après avoir entretenu un rapport sexuel consenti avec A______ et alors qu'elle se trouvait au sol, celui-ci l'aurait frappée à coups de poing et de pied sur tout le corps et la tête.

c. Entendue par la police en qualité de prévenue le 29 juin 2025, C______, qui se voyait reprocher d'avoir refusé de donner son identité aux policiers, ainsi que sa prise en charge par le personnel soignant, a fait part de son intention de déposer ultérieurement plainte contre A______, qui l'avait "tapée" et "défoncée".

d. Entendu par la police en qualité de prévenu le 29 juin 2025, puis par le Ministère public le lendemain, A______ a expliqué avoir entretenu une relation sexuelle consentie avec C______ dans une chambre qu'un de ses amis lui avait mis à disposition. Suite à leurs ébats, le propriétaire l'avait appelé pour lui signifier qu'ils devaient quitter la chambre. C______, qui ne voulait pas sortir, avait "pété un câble". Il avait appelé un ami de cette dernière, afin de la faire sortir de la chambre, ce que celui-ci n'était toutefois pas parvenu à faire. Il avait ensuite souhaité se rendre aux toilettes mais cette dernière lui avait attrapé la jambe avec sa main et l'avait serrée très fort. Elle lui avait ensuite mordu la jambe, à plusieurs reprises, en dépit de ses protestations. Il lui avait alors "mis deux gifles" et mordu le bras, mais ne lui avait pas donné de coups de poing. Elle s'était levée et "avait fait semblant", avant de tomber par terre, en s'allongeant, position dans laquelle elle était restée jusqu'à l'arrivée de la police, environ trois minutes plus tard.

e. À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse, A______ a été condamné à onze reprises entre le 19 août 2016 et le 17 septembre 2024, principalement pour des délits contre la loi fédérale sur les stupéfiants (à cinq reprises), des infractions à la législation sur les étrangers (à sept reprises) et des ruptures de ban (à quatre reprises).

C. Le Ministère public motive l'ordonnance querellée par le fait que l'infraction porte sur un crime ou un délit susceptible d'être élucidé au moyen de l'ADN (cf. liste des infractions mentionnées dans la Directive A.5, art. 4), soit des lésions corporelles graves (art. 122 CP) ou une tentative de lésions corporelles graves (art. 22 cum 122 CP).

D. a. Dans son recours, A______ déplore une multiplication des ordonnances d'établissement de profil d'ADN, "les procureurs ne prenant même plus la peine de vérifier si un profil d'ADN a déjà été établi par le passé avant d'en ordonner un nouveau". La Directive du Procureur général, sur laquelle se basait la mesure, allait à l'encontre de l'art. 255 CPP, lequel n'autorisait pas, à teneur de la jurisprudence, le "prélèvement d'échantillons d'ADN et leur analyse de manière systématique". L'établissement de son profil d'ADN avait déjà été ordonné à de très nombreuses reprises par le passé, la dernière fois en novembre 2024, et le Ministère public n'expliquait pas en quoi un énième établissement de son profil d'ADN serait nécessaire pour élucider une infraction. Quand bien même les profils d'ADN seraient soumis à effacement après un certain délai, il ne se justifiait guère d'ordonner derechef à son égard une telle mesure – "arbitraire", "inutile" et portant atteinte à sa liberté personnelle et à son droit d'être protégé contre l'emploi abusif des données le concernant –, dont les frais devraient être mis à sa charge et à celle du contribuable genevois, ce d'autant que son profil d'ADN pourrait de toute façon être conservé pendant 20 ans, soit jusqu'en novembre 2044, et qu'un tel profil ne changeait pas "au cours de la vie d'un être humain".

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.

2.1.       Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).

L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

2.2.       Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).

2.3.       À teneur des art. 4.1. et 4.2 de la Directive A.5 du Procureur général sur la gestion et la conservation des données signalétiques et des profils d'ADN, lorsque la police a procédé au prélèvement d'un échantillon d'ADN, le procureur en charge de la procédure pénale ordonne l'établissement d'un profil d'ADN (art. 4.1.), en cas d'infraction(s) sur laquelle (lesquelles) porte la procédure (art. 255 al. 1 CPP), notamment lorsque ladite procédure porte sur une liste déterminée d'infractions, parmi lesquelles les lésions corporelles graves (art. 122 CP).

2.4.       En l'espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné par le Ministère public afin d'élucider une infraction en cours d'instruction.

L'infraction susceptible d'être élucidée revêt une certaine gravité puisque l'instruction porte sur des faits potentiellement constitutifs de tentative de lésions corporelles graves (art. 22 cum 122 CP), voire de lésions corporelles graves (art. 122 CP). Il s'agit par ailleurs d'une infraction expressément listée par la Directive A.5 du Procureur général (cf. n. 4.2) qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1 CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour des infractions en cours d'instruction.

Si le recourant admet avoir giflé C______ à deux reprises et lui avoir mordu la jambe, il conteste pour le surplus lui avoir donné des coups de poing, affirmant n'avoir agi ainsi qu'en réaction au comportement de cette dernière, laquelle lui aurait serré très fort la jambe, avant de la lui mordre à plusieurs reprises.

Cela étant, le légiste a constaté de nombreuses lésions sur le corps et la tête de C______ – soit en particulier une fracture du plancher de l'orbite gauche, des lésions au visage et au cuir chevelu des deux côtés, des ecchymoses aux quatre membres, dans le dos, autour des orbites et sous la lèvre inférieure gauche –, lesquelles apparaissent compatibles avec les explications fournies par cette dernière, à teneur desquelles A______ l'aurait frappée à coups de poing et de pied sur tout le corps et la tête, alors qu'elle se trouvait au sol. Il existe ainsi des soupçons suffisants à l'encontre du recourant.

Reste à déterminer si le principe de la proportionnalité est respecté.

S'agissant de faits présumés qui se seraient déroulés à huis-clos et au vu des déclarations contradictoires des parties, la mesure ordonnée est indispensable, en tant qu'elle permettra de déterminer si le recourant est bien à l'origine des nombreuses lésions constatées sur la tête et le corps de C______, aucune autre mesure moins incisive ne paraissant susceptible d'élucider les faits.

Compte tenu de la gravité des faits dont le recourant est soupçonné, l'atteinte à sa personnalité – découlant de la mesure contestée – paraît minime au regard de l'intérêt public poursuivi, à savoir l'élucidation de faits graves, de sorte que ladite mesure est proportionnée. L'intérêt à la manifestation de la vérité prime en effet de manière manifeste l'intérêt privé du recourant au respect de sa liberté personnelle et de son droit d'être protégé contre l'emploi abusif des données le concernant (art. 197 al. 1 let. d CPP).

Au vu de ces considérations, l'acte entrepris – qui repose sur une base légale, est proportionné et dicté par un intérêt public – se justifie pour les besoins de l'enquête visant à déterminer si le recourant est à l'origine des nombreuses lésions constatées sur la tête et le corps de C______.

À titre superfétatoire, le recourant ne saurait tirer argument du fait que son profil d'ADN a d'ores et déjà été établi. Dès lors que les profils d'ADN sont soumis à effacement après un certain délai (cf. art. 16 de la Loi sur les profils d'ADN; RS 363), il existe un intérêt, quand bien même l'établissement de son profil d'ADN aurait déjà été ordonné à une ou plusieurs reprises et son effacement n'interviendrait pas avant de nombreuses années, à le soumettre derechef à cette mesure, afin que le délai de conservation de son profil d'ADN puisse courir à partir de la date de sa dernière interpellation, pour autant bien évidemment que les conditions soient à nouveau réalisées, ce qui est le cas en l'espèce. Cet intérêt public prime les intérêts privés invoqués par le recourant.

Le recourant invoque enfin que les frais de ce nouvel établissement de son profil d'ADN allaient être mis à sa charge et à celle du contribuable genevois. Il n'a toutefois pas été condamné à en supporter le coût et il ne saurait se soustraire à la mesure au prétexte que les frais pourraient incomber au contribuable genevois.

En définitive, l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique, les réquisits pour le prononcé de l'établissement du profil d'ADN du recourant étant réunis.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

5.             Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.

Dans la mesure où la procédure se poursuit, l'indemnité de son défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/14792/2025

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

415..00

Total

CHF

500.00