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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/5254/2024

ACPR/105/2025 du 04.02.2025 sur OMP/424/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;AVOCAT;CONFLIT D'INTÉRÊTS;INDÉPENDANCE DE L'AVOCAT;CHOIX DE L'AVOCAT
Normes : Cst; CPP.127; LLCA.12

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5254/2024 ACPR/105/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 4 février 2025

 

Entre

Me A______, avocat, ______, agissant en personne,

et

B______, domiciliée ______, agissant en personne,

recourants,

 

contre la décision d'interdiction de postuler rendue le 8 janvier 2025 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par actes séparés expédiés le 20, respectivement le 27 janvier 2025, B______ et Me A______ recourent contre l'ordonnance du 8 précédent, notifiée les 9 et 16 suivants, par laquelle le Ministère public a interdit à Me A______ de postuler à la défense des intérêts de B______.

Les recourants concluent, sous suite de frais, à l'annulation de cette ordonnance, à ce que Me A______ soit autorisé à postuler à la défense des intérêts de B______ et le Ministère public obligé à remettre son dossier pénal à cette dernière pour consultation.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 15 février 2024, faisant suite à une plainte déposée par C______, avocat, en lien avec un litige ayant opposé ce dernier à B______, la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites de la Cour de justice (ci-après: la Chambre de surveillance) a rendu une décision, dans laquelle elle relevait notamment ce qui suit :

-        A______, avocat inscrit au registre cantonal, et son épouse, B______, ont été titulaires d'un compte auprès de D______ sur lequel était déposé un montant d'environ CHF 510'000.-.

-        À la suite d'un désaccord, D______ a souhaité mettre un terme à sa relation d'affaires avec les époux A______/B______ et les a invités à lui communiquer leurs coordonnées bancaires en vue du transfert du montant déposé sur le compte.

-        Ne souhaitant pas que le montant précité fût transféré auprès d'un autre établissement financier et désireux d'obtenir le paiement de cette somme en espèces, les époux A______/B______ ont mandaté C______.

-        Après être parvenu à récupérer le montant précité, C______ a invité les époux A______/B______ à lui communiquer leurs "coordonnées de paiement".

-        Les relations entre les époux A______/B______, d'une part, et C______, d'autre part, se sont ensuite détériorées et deux litiges se sont ensuivis, l'un concernant le principe et le montant des honoraires facturés par ce dernier à ses mandants, l'autre portant sur les modalités de la restitution aux époux A______/B______ du montant recouvré pour leur compte par leur conseil.

-        C______ a offert à de multiples reprises aux époux A______/B______ de leur verser le montant qu'il leur estimait dû, soit, après imputation de ses frais et honoraires, environ CHF 505'000.-. Ces derniers s'y sont opposés, se refusant à lui communiquer les coordonnées d'un compte bancaire et insistant par ailleurs pour que le montant leur fût remis en espèces.

-        Après que C______ eut évoqué, en mars 2020, un versement en mains de la Caisse de consignation de l'État, B______, à laquelle A______ avait dans l'intervalle déclaré céder ses prétentions, l'a invité en mai 2021 à lui confirmer qu'il était disposé à s'acquitter de sa dette sous la forme de six versements séparés, d'un montant de CHF 85'000.- environ, sur six comptes bancaires ouverts par celle-ci auprès de six banques différentes, dont les coordonnées lui seraient transmises une fois son accord de principe donné. C______ n'ayant pas donné suite à cette requête, B______ ne lui a transmis aucune référence bancaire.

-        Le 23 février 2022, B______ a engagé, à l'encontre de C______, six poursuites ordinaires tendant chacune au recouvrement d'un montant de CHF 84'963.25.

-        À la demande de l'Office cantonal des poursuites (ci-après: l'Office), B______ a confirmé que les six poursuites concernaient bien six créances différentes.

-        Bien qu'ayant fait opposition aux six commandements de payer émis dans le cadre des six poursuites précitées, C______, qui dénonçait le "saucissonnage artificiel" d'une créance unique, a proposé à l'Office de "solder complètement les 5 premières poursuites et de reporter le solde sur la 6ème", ce que ce dernier a finalement fait, provoquant ainsi l'extinction des poursuites.

-        Le 19 mai 2023, C______ a invité l'Office à constater la nullité des poursuites, estimant que celles-ci avaient été introduites dans le seul but de le contraindre à fractionner artificiellement la somme qu'il admettait devoir à B______, de manière à ce que chaque fraction fût inférieure à la limite autorisée de CHF 100'000.- pour les opérations en espèces "hors contrôle LBA".

-        Par courrier du 6 juin 2023, l'Office a indiqué à C______ que les poursuites ne pouvaient plus être annulées, dès lors qu'elles avaient été soldées, ce qui a conduit ce dernier à former une plainte auprès de la Chambre de surveillance.

b. En application de l'art. 33 al. 1 LaCP, la Chambre de surveillance a communiqué sa décision au Ministère public, considérant qu'il n'était pas exclu que la notification de six commandements de payer à C______, avocat de profession, aux fins d'obtenir de sa part qu'il s'acquittât de sa dette reconnue non pas en un seul versement, comme il s'y était montré disposé, mais par fractions de moins de CHF 100'000.-, comme il s'y refusait, dût être qualifié de contrainte ou de tentative de contrainte.

c. Le 25 juillet 2024, le Ministère public a transmis la procédure pour complément d'enquête (art. 309 al. 2 CPP) à la police, qui la lui a ensuite retournée, le 20 décembre 2024, au terme de ses investigations.

d. Entendue par la police, le 9 décembre 2024, en qualité de prévenue, B______ a refusé de répondre aux questions qui lui étaient posées, invoquant le fait qu'elle n'avait pas eu accès au dossier et son état de santé défaillant.

e. Le 16 décembre 2024, Me A______ a informé le Ministère public intervenir à la défense des intérêts de B______ et sollicité l'accès au dossier, demande rejetée par cette autorité au motif que le dossier se trouvait à la police.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public considère que les rôles de B______ et A______ devaient être instruits. Ce dernier ne disposait pas de l'indépendance nécessaire pour défendre correctement les intérêts de sa mandante, dès lors qu'il pourrait également être impliqué dans la commission de l'infraction dénoncée. Me A______ avait par ailleurs "intérêt à défendre sa position comme potentiel prévenu, personne appelée à donner des renseignements ou témoin dans la procédure pénale s'il devait y intervenir comme avocat", de sorte qu'il y avait un conflit entre ses intérêts et ceux de sa cliente.

D. a. Dans leurs recours, similaires sous réserve de quelques adaptations, B______ et Me A______ considèrent que leur droit d'être entendu, tout comme celui à la dignité humaine, ont été violés au motif que le Ministère public ne leur avait pas donné l'occasion de s'exprimer préalablement au prononcé de l'ordonnance litigieuse, alors qu'il n'y avait aucune urgence, de même que leur droit à un traitement équitable, cette autorité ayant "outrepassé sans retenue les règles de l'instruction qui [devait] être faite également à décharge". Les faits avaient été établis de manière manifestement erronée, l'ordonnance querellée mentionnant "insidieusement" à plusieurs reprises les "époux A______/B______", alors que seule B______ était concernée, afin d'impliquer A______ "à tout prix" dans le litige, quand bien même il n'avait été que le conseiller de B______, et de pouvoir ainsi l'évincer, violant ce faisant leur droit d'être traité sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi et nuisant par ailleurs à l'obligation d'assistance de A______ à l'égard de son épouse (at. 159 al. 3 CC) et au droit de celui-ci d'exercer librement sa profession d'avocat conformément à l'art. 27 al. 2 Cst. Me A______ disposait de toute l'indépendance requise et il n'y avait aucun conflit d'intérêts, dans la mesure où il avait cédé à son épouse tous ses droits à l'égard de C______ neuf mois et demi avant qu'elle n'initiât des poursuites contre ce dernier, et n'était ainsi en rien impliqué dans la "prétendue commission de contrainte". Le Ministère public avait en outre fait preuve de partialité en poursuivant B______ alors qu'aucune poursuite n'avait été initiée contre C______, quand bien même ce dernier avait usé de procédés similaires à l'endroit de D______.

b. À réception des recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Interjetés contre la même ordonnance et au vu de leur connexité évidente, les deux recours seront joints et traités en un seul arrêt.

2.             Les recours sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), d'une part, et du conseil de la prévenue, évincé de celle-ci par suite du prononcé de l'ordonnance litigieuse, d'autre part, qui ont tous deux qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

Cependant, les conclusions des recourants tendant à ce que le Ministère public soit obligé à remettre son dossier pénal à B______ pour consultation dépasse le cadre du présent recours, lequel se limite à la contestation de l'ordonnance d'interdiction de postuler. Faute d'avoir fait l'objet d'une décision préalable du Ministère public, cette problématique est exorbitante à la saisine de la Chambre de céans, de sorte que les conclusions y relatives doivent être déclarées irrecevables (art. 393 al. 1 let. a CPP).

3.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

4.             Les recourants se plaignent d'une violation de leur droit d'être entendu, de même que d'une atteinte à leur dignité humaine, au motif que le Ministère public ne leur aurait pas donné l'occasion de s'exprimer préalablement au prononcé de l'ordonnance litigieuse.

4.1. Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d'avoir accès au dossier, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF
142 II 218 consid. 2.3; 140 I 285 consid. 6.3.1).

Une violation du droit d’être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours qui jouit d'un plein pouvoir d'examen. Cela vaut également en présence d'un vice grave lorsqu’un renvoi à l’instance précédente constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de ladite partie à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 p. 226; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1135/2021 du 9 mai 2022 consid. 1.1).

4.2. Conformément à l'art. 3 al. 1 CPP, les autorités pénales respectent la dignité des personnes impliquées dans la procédure, à tous les stades de celle-ci.

4.3. En l'espèce, les recourants ont été en mesure de critiquer, sur près de sept pages, respectivement neuf pages, l'ordonnance querellée, faisant valoir une multitude de griefs à son encontre. En toute hypothèse, il faudrait considérer qu'une éventuelle violation de leur droit d'être entendu aurait été ainsi réparée dans le cadre du présent recours et ne saurait ainsi justifier une annulation de la décision querellée pour ce motif, laquelle ne constituerait qu'une vaine formalité au sens de la jurisprudence précitée, ce d'autant que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.).

Par conséquent, les griefs de la violation du droit d'être entendu et d'une atteinte à la dignité humaine seront rejetés.

5.             Les recourants déplorent une constatation manifestement erronée des faits, lesquels auraient été établis de manière arbitraire et contraire aux règles de la bonne foi.

Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait, tel que relevé supra (consid. 3.2), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Ce grief sera donc également rejeté.

6.             Les recourants soutiennent que les conditions d'une interdiction de postuler ne sont pas réalisées, l'ordonnance querellée consacrant par ailleurs, de l'avis de Me A______, une violation de sa liberté économique et nuisant à son obligation d'assistance à l'égard de son épouse.

6.1.  Les parties à une procédure pénale peuvent librement choisir un conseil juridique pour défendre leurs intérêts; la législation sur les avocats est toutefois réservée (art. 127 al. 1 et 4 CPP).

L'art. 12 LLCA énonce les règles professionnelles auxquelles l'avocat est soumis. Selon l'art. 12 let. a LLCA, il doit exercer sa profession avec soin et diligence. Cette disposition constitue une clause générale qui permet d'exiger de l'avocat qu'il se comporte correctement dans l'exercice de sa profession. Sa portée n'est pas limitée aux rapports professionnels de l'avocat avec ses clients, mais comprend aussi les relations avec les confrères et les autorités (ATF 144 II 473 consid. 4.1). L'art. 12 let. b LLCA prévoit notamment que l'avocat exerce son activité professionnelle en toute indépendance. L'indépendance est un principe essentiel de la profession d'avocat et doit être garantie tant à l'égard du juge et des parties, que du client (ATF 145 II 229 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_889/2008 du 21 juillet 2009 consid. 3.1.2 ; 2A.293/2003 du 9 mars 2004 consid. 2). Celui qui s'adresse à un avocat doit pouvoir admettre que celui-ci est libre de tout lien, de quelque nature que ce soit et à l'égard de qui que soit, qui pourrait restreindre sa capacité de défendre les intérêts de son client, dans l'accomplissement du mandat que ce dernier lui a confié (arrêt du Tribunal fédéral 1B_191/2020 du 26 août 2020 consid. 4.1.2 et les réf. citées). Quant à l'art. 12 let. c LLCA, il prescrit à l'avocat d'éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé. Même si cela ne ressort pas explicitement du texte légal, l'art. 12 let. c LLCA impose aussi d'éviter les conflits entre les propres intérêts de l'avocat et ceux de ses clients (arrêt du Tribunal fédéral 1B_191/2020 du 26 août 2020 précité consid. 4.1.2). Un avocat ne doit donc pas accepter un mandat, respectivement s'en dessaisir, quand les intérêts du client entrent en collision avec ses propres intérêts (arrêts du Tribunal fédéral 5A_124/2022 du 26 avril 2022 consid. 4.1.1 ; 1B_191/2020 du 26 août 2020 précité consid. 4.1.2). L'interdiction de plaider en cas de conflit d'intérêts se trouve en lien avec la clause générale de l'art. 12 let. a LLCA précité, selon laquelle l'avocat exerce sa profession avec soin et diligence, de même qu'avec l'obligation d'indépendance rappelée à l'art. 12 let. b LLCA (ATF 145 IV 218 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_476/2022 du 6 décembre 2022 consid. 2.2.1 ; 1B_191/2020 du 26 août 2020 précité consid. 4.1.2).

Il faut éviter toute situation potentiellement susceptible d'entraîner des conflits d'intérêts. Un risque purement abstrait ou théorique ne suffit pas; le risque doit être concret. Il n'est toutefois pas nécessaire que le danger concret se soit réalisé et que l'avocat ait déjà exécuté son mandat de façon critiquable ou en défaveur de son client (ATF 145 IV 218 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_993/2022 du 18 mars 2024 consid. 2.2.1 et 1B_476/2022 du 6 décembre 2022 consid. 2.2.1 et les références citées). Dès que le conflit d'intérêts survient, l'avocat doit mettre fin à la représentation (ATF 145 IV 218 consid. 2.1 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_993/2022 du 18 mars 2024 consid. 2.2.1).

Le Tribunal fédéral a souvent rappelé que l'avocat avait notamment le devoir d'éviter la double représentation, soit le cas où il serait amené à défendre les intérêts opposés de deux parties à la fois, car il n'est alors plus en mesure de respecter son obligation de fidélité et son devoir de diligence envers chacun de ses clients (ATF 145 IV 218 consid. 2.1). Pour autant qu'ils poursuivent des intérêts communs, des mandants peuvent être représentés par le même avocat dans la mesure où un risque élevé de conflit concret puisse être écarté d'emblée de cause compte tenu de la nature ou de l'objet du litige (M. VALTICOS / C. REISER / B. CHAPPUIS [éds], Commentaire romand, Loi fédérale sur la libre circulation des avocats, 2ème édition, Bâle, 2022, n. 159 ad art. 12 et les références citées). En matière pénale, même si l'existence d'un conflit concret n'apparaît pas d'emblée en cas de défense de coaccusés présentant une version identique, ceux-ci sont toutefois susceptibles d'évoluer dans leurs déclarations au gré de la procédure afin de se rejeter mutuellement leur responsabilité ou tenter de la minimiser (arrêts du Tribunal fédéral 1B_582/2019 du 20 mars 2020 consid. 5.2 et 1B_602/2019 du 5 février 2020 consid. 2.2). Une telle défense commune de coaccusés, voire de co-plaignants, pose ainsi des risques de conflits accrus dès lors que l'évolution de la procédure est par nature incertaine (arrêts du Tribunal fédéral 1B_358/2014 du 12 décembre 2014 consid 3.2 et 1B_360/2014 du 24 mars 2014).

En aucune mesure, l'avocat ne doit se laisser influencer par ses intérêts personnels et ne saurait accepter un mandat dans lequel il pourrait se trouver impliqué à titre personnel ou voir ses propres intérêts potentiellement en jeu, auquel cas il convient de se montrer particulièrement sévère dans l'appréciation du risque de conflit d'intérêts. Des liens de nature patrimoniale dans la cause qu'il est chargé de défendre, une trop grande proximité avec l'épouse de son client ou la représentation de l'épouse de son associé sont de nature à affecter l'indépendance de l'avocat et à présenter un risque d'intérêts contradictoires, dans la mesure où il demeure directement ou indirectement intéressé à l'issue du litige (M. VALTICOS / C. REISER / B. CHAPPUIS [éds], op. cit., n. 179 ad art. 12 et les références citées).

Les règles susmentionnées visent avant tout à protéger les intérêts des clients de l'avocat, en leur garantissant une défense exempte de conflit d'intérêts. Elles tendent également à garantir la bonne marche du procès, en particulier en s'assurant qu'aucun avocat ne soit restreint dans sa capacité de défendre l'un de ses clients (ATF
145 IV 218 consid. 2.1 ; 141 IV 257 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_476/2022 du 6 décembre 2022 consid. 2.2.1 ; 5A_124/2022 du 26 avril 2022 précité consid. 4.1.1 ; 1B_191/2020 du 26 août 2020 précité consid. 4.1.2).

Celui qui, en violation des obligations énoncées à l'art. 12 LLCA, accepte ou poursuit la défense alors qu'il existe un tel risque de conflit doit se voir dénier par l'autorité la capacité de postuler. L'interdiction de plaider est, en effet, la conséquence logique du constat de l'existence d'un tel conflit (ATF 147 III 351 consid. 6.1.3 ; ATF
138 II 162 consid. 2.5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_215/2024 du 6 mai 2024 consid. 2.1.1 et 2.1.2).

6.2.  Selon l'art. 159 al. 3 CC, les époux se doivent l'un à l'autre fidélité et assistance.

6.3.  Conformément à l'art. 27 Cst., la liberté économique est garantie (al. 1). Elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2).

6.4.  Aux termes de l'art. 36 Cst., les droits fondamentaux peuvent être limités, si la restriction repose sur une base légale, qui, en cas d'atteinte grave, doit être prévue dans une loi au sens formel (al. 1), si elle est justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2) et si elle respecte le principe de la proportionnalité (al. 3), sans violer l'essence du droit en question (al. 4; ATF 137 I 167 consid. 3.6; 136 I 197 consid. 4.4.4; 134 I 214 consid. 5.4).

6.5.       En l'espèce, les recourants contestent l'existence d'un conflit d'intérêts au motif que A______ aurait cédé à B______ – son épouse – tous ses droits à l'égard de C______ et ne serait ainsi en rien impliqué dans les faits que lui reproche le Ministère public.

Certes, A______ n'a pas été entendu à ce jour dans le cadre de la présente procédure, seule B______ l'ayant été, en qualité de prévenue, lors de l'enquête de la police. Il est vrai également qu'avant que cette dernière n'interpellât leur précédent conseil sur son souhait d'être réglée en six versements séparés et, partant, que les commandements de payer litigieux ne fussent notifiés à celui-ci, A______ avait déjà cédé à son épouse les prétentions qu'il détenait à l'égard de C______.

Cela ne signifie pas encore pour autant que le Ministère public ne pourrait pas être amené à devoir entendre, à un moment ou un à autre dans le cadre de la procédure, A______, que ce soit en qualité de témoin, de personne appelée à donner des renseignements ou encore de prévenu, étant à cet égard précisé que l'enquête n'en est qu'à ses balbutiements et que le Ministère public a indiqué devoir instruire tant le rôle de B______ que celui de A______. On peut aisément imaginer que, dans le cadre de son instruction, le Ministère public clarifiera les circonstances dans lesquelles A______ a été amené à céder ses prétentions à son épouse ou encore le rôle qu'il a pu jouer dans les démarches entreprises ultérieurement par celle-ci. Il n'est à cet égard pas exclu que cette autorité décide de les confronter.

Dans ce contexte, le fait que A______ en son statut d'avocat continue à assister B______ pourrait s'avérer problématique à plusieurs égards, cela indépendamment de la qualité en laquelle il serait entendu. En effet, s'il devait être entendu en qualité de témoin ou de personne appelée à donner des renseignements, il ne serait pas opportun qu'il ait au préalable pu avoir accès au dossier par l'entremise de sa mandante. Il en irait de même dans l'hypothèse où le Ministère public déciderait ultérieurement de l'auditionner en qualité de prévenu, ou de le confronter à son épouse, étant alors précisé qu'en pareil cas, outre le fait qu'il aurait pu consulter des pièces auxquelles il n'aurait potentiellement pas dû avoir accès sur la base de l'art. 101 CPP, il pourrait également être tenté de privilégier ses intérêts au détriment de ceux de B______, voire de rejeter la responsabilité sur elle.

S'ajoute à ces éléments, à eux seuls déjà problématiques, le fait que A______ est l'époux de B______ et qu'il pourrait ainsi ne pas avoir le recul nécessaire pour assurer adéquatement la défense de ses intérêts.

Dès lors que ces divers éléments pourraient conduire à des divergences entre les intérêts des époux A______/B______, c'est à bon droit que le Ministère public a considéré que A______ ne devait pas être autorisé à représenter B______ dans le cadre de la présente procédure.

Contrairement à ce que soutiennent les recourants, une telle décision ne consacre en rien une violation de leurs droits d'être entendus et traités équitablement, pas plus qu'elle ne constitue une violation de la liberté économique de A______, dès lors qu'elle repose sur une loi au sens formel du terme – soit en l'occurrence l'art. 12 LLCA –, est justifiée par des intérêts public et privé prépondérants – soit l'intérêt à la bonne marche de l'instruction et celui de B______ à être défendue par un avocat exempt de tout conflit d'intérêts – et respecte le principe de la proportionnalité, aucune autre mesure susceptible d'atteindre le même but n'étant envisageable in casu. Pour les mêmes motifs, on ne saurait donner raison à A______ lorsqu'il prétend que le Ministère public aurait nui à son obligation d'assistance à l'égard de son épouse.

Les recourants ne sauraient enfin tirer argument du fait que le Ministère public n'aurait pas initié de poursuites à l'encontre de C______, de tels faits ne faisant pas l'objet de la présente procédure.

7.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et, partant, les recours rejetés.

8.             Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, arrêtés à CHF 1'600.-, soit CHF 800.- chacun (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours.

Les rejette dans la mesure de leur recevabilité.

Condamne B______ et Me A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'600.-, à hauteur de CHF 800.- chacun.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/5254/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'505.00

Total

CHF

1'600.00