Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/3983/2023

ACPR/424/2024 du 07.06.2024 sur OMP/23064/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ASSISTANCE JUDICIAIRE;CAS BÉNIN
Normes : CPP.136

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3983/2023 ACPR/424/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 7 juin 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, agissant en personne,

recourante,

 

contre l'ordonnance de refus d'octroi de l'assistance judiciaire rendue le 7 décembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte daté du 13 décembre 2023 et reçu le 18 suivant par le Ministère public, qui l'a transmis à la Chambre de céans, A______ recourt contre l'ordonnance du 7 décembre 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de la mettre au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite.

La recourante, sans prendre de conclusions formelles, demande à ce que ladite décision soit "reconsidéré[e]".

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. B______ et C______ se sont mariés en 2021 en Tunisie.

En avril 2022, C______ et son fils D______, né le ______ 2016 d'une autre relation, ont emménagé dans l'appartement de B______ sis avenue 1______ no. ______ à E______ (Genève), que ce dernier partageait déjà avec F______, né le ______ 2006, et A______, née le ______ 2001, ses enfants issus d'un premier mariage.

b. Selon le rapport de renseignements du 10 juillet 2023, la Centrale d'engagement, de coordination et d'alarme (ci-après: CECAL) a, le 10 avril 2023, demandé l'intervention de la police à l'adresse précitée en raison d'un conflit familial. Aucun des protagonistes n'avait toutefois souhaité déposé plainte ce jour-là.

Il était précisé que la police était intervenue une dizaine de fois en un an en raison de conflits entre les membres de cette famille.

c. Le 12 avril 2023, A______ s'est présentée à la police pour déposer plainte contre C______.

En substance, elle a expliqué que la cohabitation avec sa belle-mère était difficile, en raison du comportement "exécrable" de cette dernière et des disputes récurrentes entre celle-ci et son père. C______ souhaitait qu'elle quitte le domicile familial mais, faute de revenus, il lui était difficile de trouver un logement.

Le 10 avril 2023, sa belle-mère avait trouvé un sachet de marijuana sur le balcon et l'avait accusée, ainsi que son frère, de l'avoir introduit chez elle et de vendre de la drogue. C______ l'avait traitée de "pute" et de "toxicomane". Comme elles s'étaient déjà disputées à de nombreuses reprises et que personne ne la croyait, elle avait filmé la scène, ce qui avait énervé l'intéressée. C______ lui avait sauté dessus pour saisir le téléphone et l'avait étranglée. Elle-même s'était fortement débattue, tentant de repousser sa belle-mère avec ses mains. Son père et son frère s'étaient interposés, de sorte que sa belle-mère avait lâché prise. Tout en continuant à filmer, elle s'était réfugiée dans sa chambre. Sa belle-mère était revenue à la charge. N'arrivant pas à saisir le téléphone, C______ lui avait asséné un coup de pied dans le bassin et elle-même avait tenté de la repousser avec des coups de pied. La prénommée avait saisi le bras avec lequel elle tenait son téléphone et avait tiré fortement, ce qui l'avait fait chuter. Sa belle-mère et son père tiraient le téléphone en leur direction, tandis que son frère et elle-même en faisaient de même dans la leur. Son frère avait quitté la pièce en pleurant. Puis, C______, qui avait réussi à s'emparer de l'appareil, s'était réfugiée dans sa chambre afin d'en effacer le contenu. Elle-même s'était rendue chez une voisine. Plus tard, en présence de la police, elle avait récupéré son téléphone et son contenu, sauvegardé sur le cloud. Pendant l'altercation, sa belle-mère avait cassé la porte de sa chambre.

À l'appui de ses déclarations, elle a produit: un constat médical établi le 11 avril 2023 par le Clinique G______, lequel fait état notamment d'ecchymoses au cou, aux avant-bras, aux cuisses et sur le flanc gauche; des photographies des lésions prises par la clinique; ainsi que la vidéo susmentionnée.

d. Figurent à la procédure un second constat médical établi le 23 avril 2023 par les Hôpitaux Universitaires de Genève, en lien avec l'altercation précitée et faisant notamment état de "contracture paracervicale", ainsi qu'un arrêt de travail à 100% du 23 avril 2023 au 1er mai 2023.

e.a. Entendue le 28 mai 2023 en tant que prévenue, C______ a contesté les faits reprochés, mais admis s'être emparée du téléphone de A______.

Le jour des faits, elles s'étaient disputées à la suite de la découverte de haschich sur le balcon, chacune s'accusant d'en être propriétaire. Le ton était monté et A______ avait commencé à la filmer, ce qui l'avait dérangée. Elle avait demandé à sa belle-fille de cesser, laquelle s'était jetée sur le canapé, prétextant y avoir été poussée. Souhaitant prendre le téléphone pour effacer la vidéo, elle s'était retrouvée sur sa belle-fille qui, ayant plus de force qu'elle, s'était retournée. Durant cet échange, sa jambe gauche avait tapé l'angle du lit. B______ avait tenté de les séparer. Elle avait finalement réussi à s'emparer du téléphone mais s'était tordu quatre doigts de la main. Elle avait tenté d'effacer la vidéo mais n'y était pas parvenue. Puis, la police était arrivée.

e.b. À l'issue de son audition, C______ a déposé plainte contre A______ en raison des faits précités.

À l'appui, elle a produit deux photographies ainsi qu'un constat médical établi le 12 avril 2023 par les HUG, lequel fait notamment état d'un hématome au mollet gauche, de douleurs lors de la flexion dorsale des doigts ainsi qu'au niveau du deltoïde gauche.

f. Réentendue en qualité de prévenue le 15 juin 2023, A______ a contesté les faits reprochés.

g. Selon le rapport de renseignements précité, la vidéo produite ne permettait pas de voir les échanges entre les parties.

h. Par pli du 15 mai 2023 adressé au Ministère public, A______ a déposé plainte contre C______, exposant avoir subi, et subir encore, des "violences physiques" et un "harcèlement moral" de la part de la précitée.

i. Dans le cadre de la présente procédure, le Ministère public traite plusieurs autres complexes de faits dans lesquels C______ est prévenue, respectivement plaignante, notamment ensuite d'une altercation survenue le 16 février 2023 avec B______ et d'une plainte déposée par H______, mère de A______, contre les précités pour "harcèlement", injure et violation du devoir d'assistance et d'éducation.

j. Le 17 novembre 2023, le Ministère public a tenu une audience de confrontation, à laquelle étaient présentes notamment C______ et A______, lesquelles ont été prévenues respectivement de lésions corporelles simples et tentative de détérioration des données pour la première, et lésions corporelles simples pour la seconde, en lien avec les faits du 10 avril 2023.

À cette occasion, C______ a contesté les faits reprochés par sa belle-fille. Contrairement à ses premières déclarations, elle a indiqué que cette dernière s'était frappée elle-même pour l'incriminer et qu'elle lui avait tordu les doigts. Elle n'avait pas réussi à prendre le téléphone de A______, laquelle avait quitté le logement avec l'appareil avant l'arrivée de la police.

A______, assistée de son conseil, a confirmé ses déclarations à la police et répondu aux questions du procureur.

k. Le même jour, A______ a déposé une demande d'assistance judiciaire pour la partie plaignante et a fourni des pièces attestant de sa situation financière précaire.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public considère que la cause est de peu de gravité et ne présente pas de difficultés particulières juridiques ou de fait. Par conséquent, A______ était à même de se défendre efficacement seule, étant précisé que si la prévenue – C______ – n'avait été visée que par les faits dénoncés par la précitée, elle n'aurait pas pu bénéficier d'une défense d'office, dès lors qu'il se serait agi d'une affaire de peu de gravité (art. 132 al. 2 et 3 CPP).

D. a. À l'appui de son recours, A______ relève ne pas être en mesure de supporter les frais liés à une représentation juridique compte tenu de son statut d'étudiante. Elle exprimait la "profonde détresse" et les conséquences dévastatrices de cette "situation de harcèlement" sur sa vie quotidienne et son bien-être. Elle entendait faire valoir ses droits, dès lors que ladite situation avait eu un impact "considérable" sur sa vie. Ainsi, la nécessité de l'assistance d'un conseil, pour faire face à cette réalité, était "cruciale".

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante reproche au Ministère public de lui avoir refusé l'assistance d'un conseil juridique gratuit.

3.1. À teneur de l'art. 136 al. 1 CPP, dans sa teneur au moment du dépôt de la demande, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente (let. a) et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).

Cette norme concrétise les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire pour la partie plaignante dans un procès pénal et reprend ainsi les trois conditions cumulatives découlant de l'art. 29 al. 3 Cst., à savoir l'indigence, les chances de succès et le besoin d'être assisté (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1B_317/2021 du 9 décembre 2021 consid. 4.1 et 6B_1321/2019 du 15 janvier 2020 consid. 3.5.1).

Selon les critères déduits de l'art. 29 al. 3 Cst. par la jurisprudence pour juger de la nécessité de la désignation d'un conseil juridique au lésé, il est considéré en principe que la procédure pénale ne nécessite que des connaissances juridiques modestes pour la sauvegarde des droits du lésé; il s'agit essentiellement d'annoncer ses éventuelles prétentions en réparation de son dommage et de son tort moral ainsi que de participer aux auditions des prévenus, des témoins et de poser, cas échéant, des questions complémentaires; un citoyen ordinaire devrait ainsi être en mesure de défendre lui-même ses intérêts de lésé dans une enquête pénale (ATF 123 I 145 consid. 2b/bb p. 147, repris dans le Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification de la procédure pénale, FF 2006 1160 ch. 2.3.4.2; cf. également arrêts 1B_450/2015 du 22 avril 2016 consid. 2.3; 6B_122/2013 du 11 juillet 2013 consid. 4.1.2; 1B_26/2013 du 28 mai 2013 consid. 2.3 et les références citées).

Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que la partie plaignante ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. Il faut tenir compte notamment des intérêts en jeu, de la complexité de la cause en fait et en droit, des circonstances personnelles du demandeur, de ses connaissances linguistiques, de son âge, de sa situation sociale et de son état de santé (ATF 123 I 145 consid. 2b/cc p. 147 et 3a/bb p. 149 s.; arrêts 1B_450/2015 du 22 avril 2016 consid. 2.3; 1B_173/2014 du 17 juillet 2014 consid. 3.1.2). 

3.2. En l'espèce, le Ministère public semble admettre que la recourante, partie plaignante, est indigente et ne s'est pas prononcé sur les chances de succès de ses conclusions civiles.

Le Procureur considère que les conditions de désignation d'un conseil juridique gratuit ne sont quoiqu'il en soit pas réalisées, faute de complexité de la cause, ce qui suffisait à rejeter la demande.

Cette approche est exempte de critique.

Les faits reprochés à la prévenue ne revêtent aucune complexité, quand bien même la recourante affirme en avoir souffert psychologiquement. La recourante s'est présentée seule à la police pour les exposer et fournir des pièces justificatives. Lors de l'audience du 17 novembre 2023 devant le Ministère public, où elle a été confrontée à la prévenue, elle a donné des explications complémentaires sur sa plainte pénale et su répondre aux questions qui lui ont été posées. Rien ne permet d'affirmer qu'elle présentait alors des difficultés à saisir les enjeux de la procédure et à prendre position sur celle-ci.

La qualification juridique des faits n'apparaît pas complexe non plus et l'instruction de la cause, simple. En réalité la tâche principale de la recourante consistera à annoncer ses prétentions, en étayant son dommage avec des factures médicales et en chiffrant son tort moral.

En outre, elle ne démontre pas s'être trouvée dans un état psychologique la distinguant du plaignant ordinaire, non assisté d'un avocat, dans une situation similaire. Par ailleurs, toute procédure pénale, de surcroit dirigée contre un membre de la même famille, implique inévitablement des tensions, et les relations avec sa belle-mère ne paraissent pas former une circonstance extraordinaire. Aucune autre circonstance personnelle n'est propre à modifier ce raisonnement.

Dans ces circonstances, il faut retenir que la recourante est capable de sauvegarder seule ses droits de lésée, sans l'assistance d'un conseil juridique gratuit. Le fait que la prévenue bénéficie pour sa part d'une défense d'office n'y change rien, dès lors que les conditions de cette mesure diffèrent de celles de l'assistance juridique pour la partie plaignante (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_605/2020 du 21 mars 2021 consid. 2.6) et, surtout, qu'une telle défense se justifie pour d'autres faits que ceux faisant l'objet de la plainte de la recourante.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Les frais de la procédure de recours seront laissés à la charge de l'État (art. 20 RAJ).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).