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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/8715/2024

ACPR/377/2024 du 22.05.2024 sur OMP/8117/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PROFIL D'ADN;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION
Normes : CPP.255.al1bis

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8715/2024 ACPR/377/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 22 mai 2024

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocate,

recourant,

contre l'ordonnance d'établissement d'un profil ADN rendue le 17 avril 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 29 avril 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 avril 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a ordonné que soit établi son profil ADN.

Le recourant conclut, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif [accordé par ordonnance de la direction de la procédure du 1er mai 2024] et, principalement, à l'annulation de ladite ordonnance.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

A .A______ a été interpellé par la police le 9 avril 2024, vers 7h00, alors qu'il circulait au guidon d'un vélo électrique C______ sur un trottoir dans le quartier de D______, à Genève.

Selon le rapport d'arrestation du même jour, il avait alors dit aux policier avoir dérobé ce cycle à la rue 1______, pour l'utiliser.

b. Dans sa déclaration du 9 avril 2024 devant la police, environ 1h30 plus tard, il a indiqué avoir trouvé ce vélo électrique à côté d'un escalier derrière l'immeuble où il avait été interpellé. Il ne l'avait pas volé.

Il vivait dehors et reconnaissait séjourner illégalement en Suisse.

c. Devant le Ministère public le 9 avril 2024, A______ a déclaré que le vélo électrique en cause était dans la rue sans cadenas "depuis un moment" et que tout le monde l'utilisait. Il n'avait pas pris ce vélo et ne le pouvait pas, vu l'opération qu'il avait subie à la main. Il était assis sur le vélo à l'arrivée de la police et il l'avait utilisé pour se rendre à l'épicerie, sur la route, sans pédaler.

d. A______ a été condamné, notamment en raison de ces faits, pour vol et violation simple de la LCR, par ordonnance pénale du 9 avril 2024, contre laquelle il a formé opposition.

e. S'agissant de ses antécédents, A______ a été condamné, selon l'extrait de son casier judiciaire :

·      le 24 octobre 2022, par le Ministère public du E______ (F______), à une peine pécuniaire de 20 jours-amende à CHF 30.- le jour, assortie du sursis avec délai d'épreuve de 2 ans, pour infraction à l'art. 115 al. 1 let. a LEI;

·      le 25 août 2023, par le Ministère public, à une peine pécuniaire de 45 jours-amende à CHF 10.- le jour, pour infraction à l'art. 115 al. 1 let. b LEI;

·      le 26 août 2023, par le Ministère public, à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 10.- le jour, pour faux dans les certificats et dommages à la propriété;

·      le 7 novembre 2023, par le Tribunal de police, à une peine privative de liberté de 6 mois, une expulsion selon l'art. 66abis CP de 3 ans ayant en outre été prononcée, pour infraction à l'art. 115 al. 1 let. b LEI et vol.

Il a par ailleurs été condamné par ordonnance pénale du Ministère public du 27 mars 2024, notamment à une peine pécuniaire d'ensemble de 119 jours-amende, pour rupture de ban. Il a formé opposition contre cette ordonnance pénale.

f. A______ est célibataire, sans domicile connu, sans emploi, ni revenu. Il n'a aucune attache avec la Suisse.

C. L'ordonnance querellée comporte pour toute motivation "Infraction passée (art. 255 al. 1bis CP le prévenu a déjà été soupçonné par la police d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN (art. 139 CP, vol)".

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir une violation de son droit d'être entendu, dans la mesure où l'ordonnance litigieuse n'était pas suffisamment motivée. Si le Ministère public entendait ordonner l'établissement d'un profil ADN pour d'autres affaires passées et/ou futures, que le vol reproché le 9 avril 2024, il lui appartenait d'exposer à tout le moins quels indices suggéraient son implication dans la commission d'autres infractions qui ne pourraient être élucidées que par la mise en œuvre de cette mesure.

Le principe de proportionnalité avait également été violé. Il avait été condamné par ordonnance pénale pour vol dans le cadre de la présente procédure, mais avait fait opposition. La procédure n'avait en effet pas permis de démontrer avec une certitude suffisante qu'il serait l'auteur des faits reprochés et le vélo électrique en cause ne figurait pas comme dérobé dans les fichiers de la police. Dans la mesure où il avait reconnu avoir tenu le vélo électrique, il peinait à comprendre comment l'établissement de son profil ADN servirait à élucider la présente cause. Ces faits revêtaient une gravité toute relative, au vu du contexte et des éléments recueillis. Son casier judiciaire ne comportait des condamnations, en majorité, qu'à des peines pécuniaires et à une peine privative de liberté de courte durée, assortie du sursis. Il avait déjà fait l'objet d'un classement pour vol. L'existence d'indices sérieux et concrets, de la commission passée ou à venir de vols – infraction d'un degré de gravité moindre – permettant l'établissement de son profil ADN, en tant que mesure préventive, faisait manifestement défaut en l'espèce.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.

Le vol qui avait fait l'objet de la condamnation du recourant du 7 novembre 2023 portait sur une montre de marque G______ d'une valeur de CHF 9'800.-. Le 27 mars 2024, il avait classé partiellement la procédure P/2______/2024 en tant qu'elle concernait le vol d'une sacoche dans un véhicule. Les images de vidéosurveillance avaient permis d'établir la présence du recourant sur les lieux du vol, mais non sa participation.

Si la motivation de la décision attaquée était brève, elle était toutefois claire tant en fait, s'agissant de soupçons antérieurs de vol, qu'en droit, s'agissant de l'application de l'art. 255 al. 1bis CPP. Cette motivation avait permis au recourant de faire recours utilement. Il s'était appuyé sur le fait que le recourant, par le passé, avait déjà été soupçonné de vol, infraction qui n'avait pas été élucidée.

Il avait ordonné l'établissement du profil ADN le 17 avril 2024, soit avant d'avoir connaissance du fait que le recourant avait formé opposition à l'ordonnance pénale du 9 avril 2024, dans un courrier du 18 avril 2024, indiquant que l'opposition était formée "à titre préventif". Il ressortait de son recours qu'il persistait à contester être l'auteur du vol du 9 avril 2024, ce qui impliquait une nouvelle appréciation de la nécessité de l'établissement de son profil ADN. Ledit établissement était dès lors désormais justifié non seulement en vertu de l'art. 255 al. 1bis CPP, mais aussi de son al. 1 let. a. La comparaison de son profil ADN avec des traces pouvant se trouver par exemple sur le cadenas du vélo électrique ou sur d'autres objets, était de nature à permettre d'établir les faits avec certitude, à charge et à décharge.

Le recourant avait déjà été condamné pour faux dans les titres, vol, rupture de ban et s'était trouvé à proximité immédiate de la commission d'un vol, sans que sa participation n'ait été établie. Dans un tel complexe, d'établissement de son profil ADN aux fins de comparaison avec les prélèvements effectués suite à d'autres vols ne saurait en aucun être qualifié de disproportionné.

d. Dans sa réplique du 13 mai 2024, A______ a relevé que l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_631/2022 du 14 février 2023 auquel se référait le Ministère public devait conduire dans le cas d'espèce à refuser l'établissement de son profil ADN, puisque ni le cadenas du vélo, ni aucun autre objet permettant de démontrer sa soustraction, n'avaient été retrouvés par la police.

 

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2. Le recourant reproche au Ministère public la violation de son droit d'être entendu, faute de motivation de la décision.

2.1. La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu ancré à l'art. 29 al. 2 Cst féd. l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et exercer son droit de recours à bon escient (arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 du 19 mars 2020 consid. 3.1 et les références citées).

2.2. En l'espèce, la motivation du Ministère public est certes succincte. Cependant, l'argumentation développée par le recourant démontre qu'il a fort bien compris la décision querellée. Le grief, partant, est infondé.

3. Le prévenu conteste la légalité et la proportionnalité de la mesure ordonnée par le Ministère public.

3.1. L'établissement d'un profil ADN est de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst féd.) et à la protection contre l'emploi abusif de données privées (art. 13 al. 2 Cst féd. et 8 CEDH).

Cette mesure doit, en conséquence, se fonder sur une base légale, être justifiée par un intérêt public et être proportionnée au but visé (ATF 147 I 372 consid. 2.3.3; arrêt du Tribunal fédéral 1B_631/2022 du 14 février 2023 consid. 2).

3.1.1. Selon l'art. 255 CPP, l’établissement d’un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 précité, consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_631/2022 précité).

3.1.2. Dite mesure tend à éviter que les policiers/magistrats se trompent sur l'identification d'une personne ou qu’un soupçon soit jeté sur des innocents; elle peut aussi avoir des effets préventifs et contribuer à la protection de tiers (ibidem).

3.1.3. L'établissement d'un profil ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait/pourra être impliqué dans d'autres infractions. Celles-ci doivent revêtir une certaine gravité. L'on prendra en considération, dans la pesée des intérêts à réaliser, les éventuels antécédents de l'intéressé (ATF 145 IV 263 consid. 3.4; arrêt du Tribunal fédéral 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid 2.2).

3.2. Une telle mesure peut être ordonnée, soit par le ministère public durant l’instruction (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.2), soit par le tribunal dans son jugement pour autant qu'il existe des indices concrets laissant présumer que la personne condamnée pourra commettre d'autres crimes ou délits (art. 257 CPP).

3.3. En l'espèce, l'établissement du profil ADN du recourant a été ordonné sur la base de l'art. 255 al. 1bis CPP pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes répréhensibles – "infraction passée", selon la motivation de l'ordonnance querellée – qu’il aurait pu perpétrer précédemment et encore inconnus des autorités.

Il sied donc de déterminer s'il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le prévenu, d'infractions contre le patrimoine, plus précisément de vol, seul type de délit visé par l'ordonnance attaquée, non identifiées à ce jour.

Le recourant a été condamné le 7 novembre 2023 par le Tribunal de police pour le vol d'une montre de marque G______ d'une valeur de près de CHF 10'000.-, selon les indications du Ministère public qu'il ne remet pas en cause. Les magistrats chargés d'instruire, puis de juger cet antécédent spécifique ont (implicitement) considéré qu’il ne se justifiait pas, à l'époque de leur saisine, d'ordonner l'établissement du profil ADN de l'intéressé pour élucider d'autres éventuelles infractions similaires, passées ou futures.

Depuis lors, le recourant a toutefois fait l'objet d'une ordonnance de classement partiel le 27 mars 2024, après avoir été mis en cause pour le vol d'une sacoche dans une voiture, alors qu'il se trouvait à proximité, sans toutefois apparaître sur les images de vidéosurveillance disponibles.

Il est derechef mis en cause, dans la présente procédure, dans une affaire de vol d'un vélo électrique. Il conteste ces faits et a formé opposition à l'ordonnance pénale du 9 avril 2024.

Il s'ensuit de ces éléments que la possible commission, par le prévenu, de crimes ou délits contre le patrimoine à tout le moins depuis le 7 novembre 2023 est vraisemblable.

S'y ajoute que, depuis le 24 octobre 2022, le prévenu s’est vu reprocher et condamner à quatre reprises, selon son casier judiciaire, pour d'autres infractions, à l'art. 115 LEI, mais aussi pour faux dans les certificats et dommages à la propriété, et est encore mis en cause, selon ordonnance pénale du Ministère public du 27 mars 2024, à laquelle il a formé opposition, pour rupture de ban, ce qui dénote son ancrage dans la délinquance. Sa situation personnelle est précaire, vu l'absence de revenu régulier avéré et de domicile connu.

Ces éléments permettent de fonder des indices sérieux et concrets que le recourant pourrait être impliqué dans d'autres infractions contre le patrimoine, de type vols de montres ou de vélos électriques, dont la presse se fait largement l'écho, qui pourraient lui être attribués si l’on était en mesure de comparer son profil ADN à des traces prélevées sur les lieux de leur commission.

À cette aune, les réquisits pour le prononcé de la mesure querellée sont réunis.

Il s'ensuit que le recours doit être rejeté.

4.                  Bien qu'au bénéfice de l'assistance juridique, le recourant, qui succombe, supportera les frais de la procédure de recours (art. 428 al. 1 CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4), fixés en totalité à CHF 900.- et tenant compte de l'ordonnance sur effet suspensif du 1er mai 2024 (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

5.             Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.

5.1. Selon la jurisprudence, le mandat de défense d'office conféré à l'avocat du prévenu pour la procédure principale ne s'étend pas aux procédures de recours contre les décisions prises par la direction de la procédure en matière de détention avant jugement, dans la mesure où l'exigence des chances de succès de telles démarches peut être opposée au détenu dans ce cadre, même si cette question ne peut être examinée qu'avec une certaine retenue. La désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_516/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5.1).

5.2. En l'occurrence, quand bien même le recourant succombe, on peut admettre que l'exercice du présent recours ne procède pas d'un abus.

L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/8715/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00