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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10593/2022

ACPR/4/2024 du 09.01.2024 sur OCL/776/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;INFRACTIONS CONTRE L'INTÉGRITÉ SEXUELLE
Normes : CPP.319; CP.187; CP.188; CP.189; CP.191; CP.197

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10593/2022 ACPR/4/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 9 janvier 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, représentée par Me B______, avocate,

C______, domiciliée ______, représentée par Me Manon PASQUIER, avocate, @LEX AVOCATS, rue de Contamines 6, 1206 Genève,

D______, domiciliée ______, représentée par Me Robert ASSAËL, avocat, MENTHA AVOCATS, rue de l'Athénée 4, case postale 330, 1211 Genève 12,

recourantes,

 

contre l'ordonnance de classement et de refus de réquisitions de preuves rendue le 31 mai 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a.a. Par acte déposé le 12 juin 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 31 mai 2023, notifiée le 1er juin 2023, par laquelle le Ministère public a classé la procédure ouverte à la suite de sa plainte contre son père, E______, pour actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP), actes d'ordre sexuel avec des personnes dépendantes (art. 188 CP), contrainte sexuelle (art. 189 CP), actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP) et pornographie (art. 197 CP).

Elle conclut, sous suite de frais et dépens non chiffrés, à son annulation et au renvoi de la cause au Ministère public pour instruction complémentaire, notamment mise en œuvre de ses réquisitions de preuves, puis mise en accusation de E______ devant le tribunal compétent.

a.b. Au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite, elle a été dispensée du versement des sûretés.

b.a. Par acte déposé le même jour, C______ recourt également contre cette ordonnance, prenant des conclusions similaires à celles de sa sœur A______, sous suite de frais et dépens.

b.b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

c.a. Par acte expédié le 12 juin 2023, D______ recourt elle aussi contre cette ordonnance, concluant, sous suite d'indemnité non chiffrée, au renvoi de la cause au Ministère public pour audition des personnes citées dans ses réquisitions et la poursuite de E______ des chefs d'infractions aux art. 187, 189, 191, 197 et 219 CP (soit violation du devoir d'assistance ou d'éducation).

c.b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, née le ______ 1997, C______, née le ______ 2000, et D______, née le ______ 2005, sont les filles de F______ et de E______, 1______ professionnels.

À la séparation de leurs parents, en septembre 2006, une garde alternée a été aménagée, à raison d'une semaine chez chacun d'eux. Lorsque A______ a atteint l'âge de 14 ans, elle a émis le souhait d'habiter chez son père, au motif qu'elle y aurait plus de liberté. À l'âge de 12 ans, C______ l'a suivie, pour la même raison.

Selon A______, leur père était peu présent et elle avait dû jouer le "rôle de maman" avec C______ et D______, une semaine sur deux. Cela avait créé des conflits, car C______ était en pleine crise et n'allait pas à l'école. Son père, lorsqu'elle lui en parlait, disait que ce n'était pas grave, que c'était l'adolescence, avis qu'elle ne partageait pas. À 17 ans, elle était revenue chez sa mère, puis à 20 ans s'était constituée son propre domicile.

C______ est revenue vivre chez sa mère à 18 ans, puis a pris une colocation une année plus tard.

À partir de 2018, D______ a continué de se rendre chez son père un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, tandis que les deux aînées ne le voyaient plus régulièrement, mais le rencontraient de temps en temps.

b. Le 1er janvier 2021, F______ a appris par la presse que son ex-époux, ______ [activité dans le domaine 1______], avait été prévenu, en 2018, dans le canton de Vaud, d'actes d'ordre sexuel sur une jeune 1______ en formation.

Elle en a immédiatement informé ses filles.

c.a. Par jugement du 17 août 2021, le Tribunal de police de l'arrondissement de M______ [VD] a déclaré E______ coupable d'actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance et l'a condamné à une peine privative de liberté de 150 jours, avec sursis.

c.b. E______ a informé ses filles de cette condamnation quelques jours plus tard, ajoutant qu'elle reflétait "une réalité subjective du ressenti de la plaignante et non pas des actes condamnables" et qu'il était "énormément désolé" du mal que cela pouvait leur faire et dont il aurait aimé pouvoir les protéger.

Le 21 septembre 2021, en réponse à une lettre que lui avait fait parvenir D______, il lui a réitéré dans des termes similaires ses excuses pour les souffrances occasionnées.

c.c. L'appel, respectivement le recours, formés par E______ ont été rejetés par la Cour d'appel pénale du canton de Vaud, puis par le Tribunal fédéral.

Dans le cadre de cette procédure, E______ a admis qu'il était possible qu'il ait, dans le cadre de l'exercice de ______ exécuté lors d'un stage de 1______, touché les fesses ou passé les mains sous le t-shirt de la plaignante, mais a affirmé qu'il n'était pas animé d'intentions sexuelles. Il contestait avoir été en érection lors du débriefing qui avait suivi, contrairement à ce qu'alléguaient la plaignante et une autre participante. Il n'avait pas perçu de gêne chez sa partenaire et n'avait peut-être pas été assez à l'écoute. Le fait que deux personnes se soient déclarées choquées par le déroulement de l'exercice (qui était selon elles couramment utilisé dans le milieu de 1______, mais s'était déroulé, ici, de manière complètement différente) n'engageait qu'elles et il n'avait pas subi d'autres critiques de la part de participants à l'exercice.

Les juges ont retenu que les gestes décrits avaient à l'évidence une connotation sexuelle – preuve en était l'érection de l'intéressé – et qu'aucune justification artistique ne les validait.

d. Le 11 mars 2022, l'avocat de F______ a contacté la police, sa mandante lui ayant expliqué avoir reçu une lettre de sa fille D______ dans laquelle celle-ci expliquait avoir été victime d'inceste de la part de son père.

F______ a ainsi été convoquée le 22 mars 2022 par la police et a déposé plainte en exposant ce qui suit:

Ses filles avaient été bouleversées par l'annonce de la procédure pénale ouverte contre E______ et les révélations détaillées parues dans la presse. En particulier, D______, suivie depuis 2018 par des psychiatres, avait refusé de voir son père et montré des signes de grande souffrance, se répercutant sur son sommeil, son alimentation et son assiduité scolaire. Durant l'été 2021, D______ avait évoqué avec elle des "choses chelou" qui se passaient chez son père: celui-ci était souvent nu à la maison, prenait sa douche alors qu'elle regardait la télévision dans la chambre paternelle et pouvait l'apercevoir à travers la paroi de plexiglas, fréquentait de très jeunes femmes, toutes choses qui la mettaient mal à l'aise.

En septembre 2021, après avoir discuté avec ses sœurs, D______ s'était rendue au centre LAVI. À la même époque, soit fin août début septembre 2021, elle avait fait une crise d'angoisse, été prise en charge par les urgences psychiatriques, puis dirigée vers le centre de consultation "G______", unité de crise destinée aux adolescents en détresse, angoissés, déprimés ou ayant des idées suicidaires. Ces deux unités avaient conjointement fait une demande de prise en charge rapide dans un centre de consultation spécialisé dans le traitement des séquelles d’agressions sexuelles H______ [ci-après : le H______], où la jeune fille avait été suivie.

Le 6 décembre précédent, D______, à la suite d'une consultation au centre "G______", lui avait remis un courrier en lui demandant de le lire en sa présence.

La teneur de ce dernier est la suivante : "Maman, il faut que je te dise quelque chose que je n'arrive pas à dire par oral. Je te l'ai pas dit avant car je ne voulais pas que tu t'effondres. Je crois que j'ai vécu la même chose que A______ et C______ concernant papa. J'ai pas fait d'amnésie traumatique, c'est là depuis longtemps dans ma mémoire. Si je te dis tout ça aujourd'hui, c'est que je veux apprendre à vivre normalement. Je veux pas que t'en parles à A______ ou C______ pour l'instant".

Sa fille avait refusé de lui en dire davantage et elles n'avaient pas discuté du contenu de cette lettre par la suite. À sa propre demande, elle avait toutefois eu un entretien avec la psychologue du H______ qui suivait D______, en présence de cette dernière. À cette occasion, sa fille avait exprimé le souhait de déposer plainte contre son père, lorsqu'elle s'en sentirait capable. Elle-même avait toutefois constaté que la jeune fille perdait de plus en plus de poids depuis décembre et, après une discussion avec elle en février 2022, avait décidé d'activer la procédure, D______ craignant d'être responsable du suicide de son père si elle le faisait elle-même. Ses deux autres filles étaient en accord avec cette démarche et avaient déclaré qu'elles étaient prêtes à le faire pour elles-mêmes, car elles ne pouvaient plus "vivre avec cette chose qui n'était pas nommée et que la lumière doit être faite là-dessus".

À titre personnel, F______ a déclaré se rappeler en particulier d'un épisode, intervenu juste après la séparation: alors qu'elle était revenue au domicile conjugal pour y chercher des affaires des filles, elle avait trouvé, posées sur une couverture, des poupées Barbie dont les seins et les cheveux étaient brûlés, et dans les seins et les parties génitales desquelles des clous avaient été enfoncés. A______ et C______ lui avaient expliqué que leur père avait défiguré les Barbies devant elles, sous forme de jeu. Choquée, elle les avait montrées au directeur [du centre de consultations conjugales] U______, qui lui avait fortement suggéré un travail de médiation pour comprendre et faire en sorte que E______ ne se libre plus à ce genre de jeu, ce à quoi son ex-époux s'était engagé dans le cadre de la convention sur mesures protectrices de l'union conjugale.

La procédure en retrait d'autorité parentale, qu'elle-même avait entamée à la suite des révélations de la presse, avait abouti à un jugement en ce sens en novembre 2021, auquel E______ ne s'était pas opposé.

e. D______ a été entendue (vidéo filmée) le même jour par la police conformément au protocole d'audition des enfants victimes d'infractions graves (EVIG) du National Institute of Child Health and Human Development (NICHD). À l'invitation de dire "tout sur le truc qui s'est passé avec ton père quand t'étais petite", elle a répondu qu'"en fait, en vrai, genre.. ben j'me souviens de très peu de choses et genre c'est… assez flou... et c'est plus genre des sensations dans le corps". La seule chose dont elle se rappelait était que, quand elle était petite et qu'elles devaient aller à l'école, ses sœurs aînées avaient un réveil, alors que s'agissant d'elle, son père venait dans sa chambre et "j'pense pas que c'était méchant genre..", il venait dans son lit – qui était un lit à une place – et se collait à elle, en cuillère, et il "bandait genre dans l'bas de [son] dos", par-dessus son pyjama. Quand il venait dans son lit, elle se rappelait d'une odeur particulière, "ça sent genre l'homme un peu", une "odeur corporelle, naturelle", "et après voilà…ben il…genre je le sens j'crois en érection…pis après ben c'est tout…y part et moi j'me lève…j'crois…c'est assez flou en vrai genre...". La sensation dans le bas du dos était que c'était "dur" et "chaud" et que cela ne lui faisait pas du bien. Elle sentait que ce n'était pas "bien", dans le sens "gênant" et très inconfortable, qui lui donnait envie de partir. Entre le moment où elle sentait son père en érection et le moment où il s'en allait, il ne se passait rien d'autre. Elle avait juste envie de partir. Des fois, elle entendait qu'il respirait fort, comme s'il dormait, mais elle ne s'en rappelait pas bien. Cela s'était passé entre ses 7 et ses 12 ans environ, à moins que cela n'ait débuté vers 3 ou 4 ans. Elle n'arrivait pas à se rappeler la première fois, mais se souvenait de la dernière, vers 12 ans, car cela faisait environ deux ans qu'il n'était plus venu la réveiller le matin et cela lui avait fait bizarre. Le sentir "hyper proche" et respirer son odeur, elle "n'aimait pas trop". Il était en caleçon et était resté longtemps; elle pensait qu'il s'était aussi endormi. Elle croyait qu'il "bandait". Elle l'avait poussé un peu pour le réveiller, pour dire qu'elle allait s'habiller, et il était parti. C'était tout. Elle ne savait pas ce qu'il faisait de ses mains pendant l'érection.

Peu de temps auparavant, elle avait rêvé qu'alors qu'elle avait 2 ou 3 ans et était sur la table à langer, son père était juste au-dessus d'elle et "je sais pas…rien de genre…bizarre ou quoi…mais j'sais que quand j'me suis réveillée, j'étais vraiment pas bien". Du coup, elle était devenue un peu parano et s'était imaginée qu'il s'était passé "un truc" ou alors que son subconscient inventait des problèmes là où il n'y en avait pas. En en parlant avec ses sœurs, elle avait été un peu rassurée, car elle n'avait pas l'impression d'être folle.

Après en avoir parlé avec ses sœurs, l'une d'elles ou leur mère avait voulu faire une thérapie familiale et elles étaient toutes allées consulter une psychologue. Ce qui la rassurait, c'était que lorsque ses sœurs parlaient de leurs souvenirs, ceux-ci étaient aussi flous que les siens, parfois une image, parfois une sensation, une odeur. Elle craignait en effet parfois d'être "une énorme mythomane". Elle avait toujours ressenti un profond mal-être, sans savoir d'où il venait; les psys et les médecins disaient qu'elle avait eu pas mal de "trucs post traumatiques". Deux semaines après avoir appris [qu'une personne issue du milieu 1______] avait porté plainte contre son père pour agression sexuelle, elle avait eu une "révélation" en sortant du bus, comme si les choses avaient enfin un sens. Quand elle en avait parlé à des amis, leur disant que cela l'avait fait réaliser des choses sur elle, ils lui avaient répondu, à sa grande surprise, qu'ils "savaient", même s'ils n'avaient pas voulu poser de questions, car elle "le" leur avait déjà fait comprendre.

Hormis ses sœurs et les personnes mentionnées dans l'enquête parue dans la presse sur les abus commis par son père dans son cadre professionnel, elle ne lui connaissait pas d'autres victimes à ce dernier.

Son père ne lui avait jamais montré de photos ou de films qui l'auraient mise mal à l'aise, mais il laissait des livres de photographies ouverts sur la table, montrant des seins, "des trucs comme ça". Il avait également des livres du même genre dans sa chambre. Il disait que c'était pour ses spectacles, mais elle n'en était pas sûre. Elle n'en avait jamais parlé avec ses sœurs.

Lorsqu'il lui a été demandé de parler de son père, et de leur relation, elle a exposé que ses parents se détestaient, au point qu'elle se demandait comment ils avaient pu avoir trois enfants ensemble. Son père laissait beaucoup de libertés à ses sœurs, lorsqu'elles étaient adolescentes; il disait de leur mère qu'elle était psychorigide et hystérique. Désormais, elle s'entendait "super bien" avec cette dernière, même si parfois c'était "un peu mouvementé". Lorsqu'elle lui avait dit que des "trucs" s'étaient passé avec son père quand elle était petite, celle-ci "avait voulu porter plainte j'crois", "'fin, elle a dit qu'elle était obligée".

f. Convoquée par la police le 5 avril 2022, A______ a à son tour déposé plainte contre son père, précisant que ses souvenirs avaient refait surface récemment.

Lors de cette audition, ainsi que devant le Ministère public, le 28 septembre suivant, elle a expliqué que, pendant longtemps, le climat dans lequel elle avait grandi lui avait fait paraître certaines choses comme normales. Pour d'autres, elle avait "oublié" et ce n'était que lorsque C______ avait évoqué, en 2021, que "quelque chose" aurait pu se passer avec leur père, que cela avait déclenché chez elle des questionnements. La plainte de [la personne issue du milieu 1______] avait ensuite "ouvert plusieurs choses" et sa mémoire s'était "réveillée". Elle avait également effectué un travail psychologique, notamment par EMDR ("Eye Movement Desensitization and Reprocessing"), qui lui avait permis d'expliquer beaucoup d'événements de sa vie et les souffrances qu'elle avait vécues.

Elle se rappelait notamment fort bien qu'alors qu'elle avait 3 ou 4 ans, elle avait enlevé son pyjama pour jouer dans sa chambre. Son père, dont elle pensait qu'il était habillé, était venu et l'avait prise sur ses genoux pour lui remettre son vêtement. Elle savait qu'il était en érection car elle le sentait sur les fesses et le bas du dos. Il l'avait caressée "un peu partout", mais il n'y avait pas eu de caresse directe sur le sexe. Le souvenir concernant cette seconde étape était "un peu flou" et "pas très clair"; au moment où elle était sur ses genoux, c'étaient "des sensations qu'elle avait ressenties en travaillant avec [sa] psy et en étant dans le contexte actuel, avec la condamnation de [son] père". Elle croyait que "c'était plutôt affectueux", mais que "c'était l'intention qui était mauvaise". En travaillant avec sa psy, elle avait clairement compris ce qu'il s'était passé. Certes, cela avait eu lieu 23 ans auparavant, mais "[elle] cro[yait] qu['elle était] sûre que cela s'[était] passé".

Elle se rappelait également que son père lui faisait prendre sa douche dans le vestiaire des filles, après son cours de piscine, la lavant et la frottant sur tout le corps. Elle "ressentait une intention qui n'était pas juste venant de la part d'un père"; certaines mamans avaient demandé à E______ de quitter les vestiaires. Elle avait toujours eu la sensation qu'il s'y était peut-être passé quelque chose, mais ce n'était que récemment que l'hypothèse avait été émise que son père aurait pu abuser d'elle à la piscine, et plus généralement lors des douches, en rapprochant cette sensation du fait que, lorsqu'elle devait doucher ses sœurs à la maison, son père lui disait de bien laver l'intérieur les parties intimes de ces dernières.

Jusque vers six ans, son père, lorsqu'il la lavait, lavait également son "vagin", en frottant bien "et c'était long". Elle ne savait pas s'il avait ressenti de l'excitation. Il lui disait de faire de même lorsqu'elle lavait ses sœurs.

De manière générale, les attouchements arrivaient dans des moments de soin, soit lorsque leur père les lavait, leur mettait de la crème ou les habillait. Son attitude n'était pas "juste", quand bien même ce n'était pas précis pour elle, juste des ressentis. Dans tous les cas, elle avait rapidement voulu changer elle-même les couches de sa sœur et la laver, et désiré qu'elle dorme avec elle. E______ ne s'y était pas opposé.

Une fois, alors qu'elle avait 8 ou 10 ans, elle était allée sur l'ordinateur de son père, qui servait à toute la famille, et avait vu, dans la partie "images", des photos de son père, nu et en érection, prises en mode "selfie" dans plusieurs pièces de la maison. Il y avait également plusieurs photographies de ses petites amies, ainsi que de F______, nues. À son souvenir, ces photographies étaient archivées au même endroit que celles des vacances; il y avait un album avec les photos de son père, un autre avec celles des copines de ce dernier et un avec les photos de F______. Ces photos l'avaient gênée, mais elle n'en avait parlé que vers 17 ou 18 ans, avec sa sœur C______, alors qu'elles parlaient de leurs liens avec leurs parents et essayaient de "comprendre leurs vies".

À une autre reprise, alors qu'elle avait environ 14 ans et se trouvait chez son père, elle était descendue dans la salon aux environs de 21 heures. Elle avait alors eu l'impression d'entendre un bruit étrange, peut-être d'ordinateur. Arrivée en bas, elle en avait déduit que son père était en train de se masturber devant l'écran. Elle ne l'avait pas vu se masturber, ni ce qu'il regardait, car lorsqu'il l'avait aperçue, il avait vite fermé l'appareil, qu'il avait placé sur son pénis, comme pour se cacher, en lui demandant ce qu'elle faisait là. Elle pensait que son père regardait un film pornographique, au vu du bruit, mais peut-être se l'était-elle seulement imaginé, même si elle ne le pensait pas. Son père était assis sur le canapé; il y avait un rouleau de papier de toilette à côté de lui; il n'était pas nu et elle le voyait de profil. Elle ne s'était pas rapprochée et ne savait pas s'il portait un caleçon. Elle pensait qu'il avait dû baisser son pantalon. Tous deux étaient en tous cas très gênés.

Une fois également, pendant les vacances, alors qu'elle avait 17 ans, elle avait eu une crampe et son père lui avait massé la cuisse, alors qu'elle était en short ou en culotte. Il avait pris sa jambe entre les siennes et appuyé son pied sur son sexe. Elle sentait son pénis, même si elle ne croyait pas qu'il était en érection; il l'avait massée en remontant vers son sexe, qu'il n'avait pas touché, mais "ce n'était vraiment pas loin". Le massage était long et gênant, mais n'y avait eu aucun acte sexuel concret.

Son père avait l'habitude d'entrer dans la chambre de ses filles sans frapper, de sorte qu'elle-même avait pris l'habitude de se changer derrière une armoire, afin qu'il ne la voie pas; il faisait de même dans la salle de bains, lorsqu'elle était sous la douche. C'était toujours pour leur dire quelque chose.

Ses filles le voyaient aussi se laver lorsqu'elles regardaient la télévision sur son lit, où il les obligeait à être en culotte ou en pyjama. Cela avait duré entre ses 7 et ses 17 ans.

Enfin, E______ avait de nombreuses petites amies, assez jeunes, et en changeait souvent. Elle les entendait faire l'amour bruyamment. Lorsqu'elle-même et C______ avaient entre 15 et 17 ans, dans le cadre d'une discussion sur la pilosité, il leur avait parlé de l'épilation intégrale définitive sur tout le corps de sa copine en leur disant qu'il aimait bien cela et en ajoutant qu'elles pourraient faire la même chose. Quand elle avait commencé à avoir de la poitrine, elle avait senti son père regarder avec insistance ses seins et ses fesses; il avait fait de même avec ses sœurs. En le croisant dans le couloir, il y avait parfois aussi eu des frôlements; il ne lui avait pas directement touché les seins avec sa main, mais elle savait "qu'il y avait quelque chose qui la dérangeait".

Son père ne l'avait jamais frappée ni n'avait été violent verbalement avec elle. Il était plutôt tactile et câlin, "mais de la mauvaise manière", même si tous les gestes de tendresse qu'il avait eus pour elle n'étaient pas animés par des desseins obscurs. Elle était partie une fois seule avec son père à Londres, quand elle avait 12 ans, et ne se rappelait pas de comportement problématique de sa part.

Vers 3 ou 4 ans, elle avait vu un "psy" car elle avait peur des adultes et ne parlait plus. Dès 15 ans, elle s'était scarifiée et à 20 ans, elle avait fait une dépression. En février 2021, C______, lors d'une grosse crise d'angoisse, lui avait dit "qu'elle avait l'impression que quelque chose d'incestueux avait été fait par [leur] père". En août 2021, elle-même avait consulté une psychiatre et lui avait fait part des révélations de sa sœur. Le médecin lui avait demandé si elle avait également subi des "choses" de la part de son père. Après avoir débuté une thérapie EMDR, elle avait eu une réaction physique très forte, "comme si quelque chose était sorti [d'elle]", avait beaucoup pleuré et eu la certitude que son père lui avait fait subir des attouchements, "même si rien n'était clair dans [sa] tête". Elle n'avait pas eu de souvenirs concrets à ce moment-là, mais avait ressenti une tristesse immense, un soulagement. Les souvenirs étaient venus plus tard. Le temps passé entre sa déposition à la police et son audition par le Ministère public lui avait par ailleurs permis de transformer les sensations initialement décrites en souvenirs.

Depuis les révélations dans la presse, E______ avait tenté d'entrer en contact avec elle, en disant qu'il était innocent et n'avait jamais eu l'intention de faire du mal. La situation était difficile, mais elle continuait d'être suivie médicalement et sentait que "cela allait aller".

g. Entendue également le 5 avril 2022 par la police, puis par le Ministère public le 28 septembre 2022, C______ a à son tour déposé plainte pénale contre son père.

En décembre 2020, alors qu'elle était en année sabbatique aux Canaries avec une amie, elle avait fait une grosse décompensation psychotique à la suite d'une prise d'ecstasy. Elle était rentrée d'urgence à T______ [France], où son père était venu la chercher pour la ramener chez lui à Genève. Elle souffrait d'un état de stress post-traumatique, de crises d'angoisse, était dans un état d'extrême faiblesse, n'arrivait plus à s'alimenter et à sortir ou voir du monde. Or, son père n'avait rien fait, lui disant qu'il s'agissait d'une indigestion. Ce n'était que lorsque A______ l'avait vue, à Noël, qu'elle avait appelé leur mère, qui était venue la chercher et chez qui elle était restée jusqu'en mars 2021. Elle avait ensuite été internée à la clinique [psychiatrique privée] de I______ pendant un mois et, grâce aux soins et aux médicaments, avait réussi à faire baisser son stress et reprendre sa vie.

Pendant la période où elle était chez sa mère, elle avait commencé à se demander si elle avait ou non été abusée par son père, se disant que cela pouvait être le cas, sans en être sûre. Un soir, au cours d'une conversation, sa mère lui avait demandé si son père l'avait déjà touchée. Cela avait provoqué en elle une crise de cris et pleurs, qui lui avait permis de commencer à faire un "puzzle" de ce qui s'était passé chez son père.

À la police, elle a expliqué se souvenir d'un suppositoire que son père lui avait administré alors qu'elle était vraiment petite, et des sensations qu'il mettait son doigt dans son anus. C'était arrivé plusieurs fois, sur plusieurs années, sans qu'elle puisse préciser la fréquence. Entre 9 et 11 ans, elle avait eu des problèmes de constipation. Son père était très concerné par le problème et l'avait envoyée en consultation chez plusieurs médecins, mais curieusement, pas chez la psychologue, alors qu'elle en avait vu une lors de la séparation de ses parents. Au Ministère public, elle a précisé que les pénétrations anales étaient survenues au moins à cinq reprises et s'inscrivaient dans une gestuelle de soins. À l'époque, elle avait entre 10 et 12 ans, souffrait de gros problèmes de transit et prenait des laxatifs. Son père l'accompagnait pour tout le suivi médical. Elle avait le souvenir très clair d'avoir été couchée sur le canapé du salon et de son père lui mettant de la crème et son doigt dans l'anus. Elle avait ressenti une vive douleur. Elle ne se rappelait pas s'il avait fait quelque chose d'autre, ni combien de temps cela avait duré. Il ne s'agissait en réalité pas d'un suppositoire, mais d'un thermomètre.

À la suite d'une séance avec la psychologue qui la suivait depuis janvier 2021, elle s'était rappelée du premier voyage avec son père après la séparation du couple, alors qu'elle avait environ 6 ans (police), ou entre 4 et 6 ans (Ministère public). Ils étaient en vacances en Grèce. Elle se revoyait, nue dans la cuisine, son père étalant la crème sur son corps, y compris sur son pubis et sur les lèvres intérieures, pendant plusieurs minutes. Il n'y avait pas eu de pénétration.

Au Ministère public, elle a indiqué que, postérieurement à sa déposition à la police, elle s'était souvenue d'un épisode lors duquel elle léchait le sexe de son père, sur le lit, alors qu'elle avait environ 7 ans; elle n'avait que cette image et le souvenir du dégoût qui l'avait saisie, mais ne pouvait pas dire comment son père s'était comporté. Ce souvenir se préciserait certainement lors d'une prochaine séance d'EMDR.

Elle avait aussi un souvenir, l'impression du sexe de E______ érigé contre elle. C'était une sensation assez familière, sans qu'elle puisse situer le contexte; lorsqu'elle était jeune adulte, c'était lors d'embrassades; plus jeune, il était en érection lorsqu'il les lavait sous la douche; D______ n'était pas encore née. Elle avait le souvenir, lorsqu'elle était restée chez lui à son retour des Canaries, d'avoir été allongée sur le canapé et qu'il ait pris ses pieds pour les masser, alors qu'il était assis à côté d'elle. Il les avait mis sur son sexe, qu'elle avait senti, sans savoir s'il était en érection ou pas. Cela l'avait gênée, mais elle n'avait rien fait, car elle avait l'impression que si elle réagissait, on l'accuserait de voir de la perversité là où il n'y en avait pas. Son père avait placé la télévision dans sa chambre à lui, de telle sorte que, s'il prenait sa douche, on ne pouvait que le voir.

Lorsqu'elle avait 11 ou 12 ans (à la police), voire environ 14 ans (au Ministère public), étant précisé qu'elle avait du mal à situer son âge dans une tranche de trois ou quatre ans, elle s'était amusée avec D______ à faire des selfies avec le téléphone portable de son père, dont il lui avait donné le code. En allant regarder les photographies qu'elle venait de prendre, elle avait vu que la photographie précédente montrait son père, nu et en érection, devant un miroir.

Elle avait également accès à l'ordinateur de son père, sur lequel elle et ses sœurs avaient leurs propres sessions. Celles-ci étant bloquées par un code parental, elles utilisaient la session de leur père pour aller sur internet et faire des jeux, ce qu'il savait. Or, en allant regarder les albums photo de vacances, elle avait aperçu des photographies de son père, nu – mais à son souvenir, pas en érection –, ainsi que d'au moins deux de ses partenaires, nues sur le lit avec les jambes écartées. Il y avait également une page internet ouverte d'un site de rencontre coquin auquel son père était inscrit, sur lequel il avait mis une description de lui et une photographie de son torse, et avait des discussions autour du sexe. Elle avait culpabilisé à la vue de ces images, ayant le sentiment de voir des choses qu'elle ne devait pas voir, et n'en avait pas parlé. Elle ne pouvait dire précisément à quel âge elle avait vu ces photos "problématiques", car c'était arrivé souvent, tout étant mélangé et accessible dans l'ordinateur.

Lors d'une fête de Noël, leur père avait donné à leur mère un album de photos sur lesquelles tous étaient nus en vacances. "Ce n'était vraiment pas agréable". Entre 2018 et 2019, E______ avait par ailleurs été voir une exposition de l'artiste J______ [dont l'œuvre photographique est essentiellement composée de nus] et lui avait envoyé une quinzaine de photographies, notamment d'hommes avec le pénis en érection ou de femmes avec les cuisses ouvertes. Il en avait également acheté le livre qu'il avait posé sur la table du salon.

Elle avait vu défiler les nombreuses partenaires féminines de son père, qui devaient avoir entre 25 et 35 ans, et l'entendait régulièrement avoir des rapports sexuels, car leurs chambres étaient contiguës. E______ n'avait aucune réticence à lui parler de ses partenaires sexuelles. Lorsqu'elle avait 14 ou 15 ans, il lui avait parlé de l'épilation au laser de sa copine du moment et lui avait conseillé de faire de même, "car c'était tout doux".

Elle avait beaucoup de souvenirs de nudité. Quand ils partaient en vacances, tout le monde était nu et lorsqu'il sortait de sa chambre, son père n'était pas forcément habillé.

Elle était aussi partie seule en vacances avec son père, notamment à Londres, mais ne se rappelait pas d'un comportement pervers ou malsain de sa part.

Elle reprochait à E______ d'entrer dans sa chambre ou sa salle de bains de manière intrusive, en trouvant toujours des excuses, par exemple pour lui demander quelque chose, alors qu'elle lui avait pourtant clairement dit vouloir être seule. Elle n'avait pas senti de regard particulier de sa part. Il avait enlevé la clé de la pièce sous prétexte qu'il était dangereux, en cas de problème, qu'elle s'enferme, ce qui l'avait amenée à pousser des meubles devant la porte pour en empêcher l'accès.

Après avoir quitté le domicile de son père, à 18 ans, elle avait réalisé peu à peu que le rapport, notamment physique, qu'elle avait avec lui n'était pas "normal", soit parce qu'il était trop sensuel, soit car il lui faisait mal. Par exemple, lorsqu'ils allaient voir un spectacle, il la prenait par la taille et l'embrassait dans le cou; lorsqu'ils étaient en voiture, il mettait sa main sur sa cuisse; lorsqu'il lui faisait un câlin, il la serrait fort, ou lui massait la nuque de manière douloureuse. Après son retour des Canaries, son père lui avait massé le pied en le posant sur son propre sexe. Il ne lui semblait pas qu'il était en érection. Elle ne lui avait pas dit que cela la dérangeait car cela "aurait ancré ça dans une réalité".

Elle n'avait pas révélé à son père qu'elle avait pris de l'ecstasy, mais lui avait dit qu'elle se sentait vraiment mal et qu'elle allait mourir, ce à quoi il avait répondu qu'il s'agissait d'une simple "gastro". C'était sa mère qui l'avait emmenée chez le médecin le lendemain.

Elle avait déjà entendu des bruits au sujet de son père, avant la parution de l'article, car les [personnes issues du milieu 1______] étaient de la même génération qu'elle et parlaient en sa présence. L'une d'elles avait notamment déclaré que E______ avait toqué à sa porte et lui avait proposé avec insistance de coucher avec lui. De manière générale, il avait un comportement de consommation avec les femmes et il était arrivé qu'il quitte la table, alors qu'ils étaient en train de boire un verre, et qu'elle le retrouve à draguer une femme.

Elle espérait que son père comprenne de sa propre démarche que son comportement envers les femmes, et en particulier ses trois filles, les avaient "abîmées" et mises en danger psychique. Et qu'il puisse le reconnaître, seule façon de pouvoir envisager une vie dans laquelle il aurait sa place, car elle l'aimait.

Elle bénéficiait d'un suivi psychiatrique et prenait des antidépresseurs depuis deux ans, mais ne se sentait toujours pas bien. Après les révélations dans la presse, elle avait parlé avec sa mère et ses sœurs dans le cadre d'un suivi thérapeutique.

h. À la suite des plaintes, le Ministère public a ouvert une instruction contre E______ pour infractions aux articles 187, 188, 189, 191 et 197 CP.

Interpellé le 21 juin 2022, entendu par la police le jour même, puis par le Ministère public le lendemain (hors la présence des parties plaignantes), le 28 septembre (en présence de ses deux filles aînées) et le 18 novembre 2022, E______ a contesté les accusations portées contre lui. Il ne s'expliquait pas, notamment, comment ses filles avaient pu construire des souvenirs d'érection, alors que cela n'avait jamais existé, ou pu sexualiser des événements qui ne l'étaient pas.

Il avait toujours été très tactile, que ce soit avec ses enfants ou ses amis, et n'avait jamais touché ses filles autrement que comme un père aimant, sans connotation érotique.

Il ne considérait pas la nudité comme un problème et, du temps de leur vie commune, il arrivait régulièrement aux filles de voir leurs parents nus, notamment lorsqu'elles venaient dans leur chambre les réveiller, le dimanche matin. Toute la famille était nue, rigolait et jouait sur le lit. Il possédait encore une série de photographies faites à cette occasion. Des photos avaient également été prises lors de vacances en Grèce, de tous les quatre, nus, de dos dans l'eau.

Il lui était arrivé de prendre avec son téléphone des photos de lui nu – il ne se rappelait pas s'il était en érection – et de les envoyer à une copine. Il avait également photographié la copine qu'il avait eue entre 2012 et 2015 sur le lit, mais elle n'avait pas les jambes écartées, images qu'il avait certainement encore dans son ordinateur portable. Il n'avait jamais montré ces photographies à ses filles et il était navré qu'elles aient pu les voir. Il avait toujours été clair avec elles qu'elles pouvaient utiliser son téléphone, ou sa session d'ordinateur pour aller sur internet, mais qu'elles ne devaient pas aller voir ses images. Si elles l'avaient fait, c'était donc à son insu. Il n'avait en tous cas jamais laissé ces photographies sur l'écran. Il s'était par ailleurs effectivement inscrit sur des sites de rencontres éphémères, et il n'était pas impossible que C______ ait pu en voir la page internet sur son ordinateur, mais il ne l'avait pas fait exprès, s'agissant de quelque chose qu'il voulait plutôt cacher à ses filles.

Il y avait un livre contenant des photos d'art de nus dans le salon et il possédait également, dans la bibliothèque dans sa chambre, un livre sur l'histoire du "cinéma rose"; il ignorait si ses filles les avaient regardés, mais il ne les leur avait pas montrés.

Il ne voyait pas le problème de prendre ses douches alors que ses filles regardaient la télévision dans sa chambre et pouvaient le voir. Il ne l'avait toutefois jamais fait à dessein, mais la nudité entre parents et enfants n'était pas taboue pour lui. Il n'avait pas agencé sa chambre, ni pris ses douches, de manière à ce qu'elles le voient.

Dans la mesure où, à la clinique, la sage-femme lui avait recommandé de bien nettoyer entre les lèvres, avec la lingette, pour éviter les infections, il y était attentif. Il n'avait cependant jamais frotté plus que nécessaire. De même, sous la douche, il passait le savon entre les fesses et les lèvres (mais pas à l'intérieur du vagin), pour être sûr que la région soit propre, mais ne s'y attardait pas plus longuement que sur le reste du corps. Il avait lavé ses filles jusqu'à ce qu'elles puissent le faire seules, vers 4 ou 5 ans.

C______ ne pouvait pas l'avoir vu en érection lorsqu'il la douchait, petite, d'une part car il ne l'avait jamais été, et d'autre part, parce qu'elle était dans la baignoire et lui-même à genoux ou accroupi pour la laver, de sorte que même si tel avait été le cas, elle n'aurait rien pu voir.

Il ne s'était pas non plus masturbé devant elles et ne pensait pas qu'elles aient pu le surprendre, car il faisait attention et n'avait jamais regardé de sites ou de films pornographiques en leur présence. Il ne se rappelait pas d'un épisode où A______ serait arrivée au salon et où il aurait caché son pénis avec son ordinateur. Il lui était toutefois arrivé de fermer brusquement son appareil alors qu'il regardait des images violentes du Brésil, par exemple le téléjournal, quand il ne voulait pas qu'elles les voient.

Il était impossible qu'il ait mis volontairement de la crème solaire dans le sexe de l'une de ses filles, car elles étaient toujours en maillot de bain et il n'en mettait que sur les parties exposées. Il n'était toutefois pas impossible qu'il ait une fois touché le sexe de C______ par erreur, en lui appliquant la crème. Il avait par ailleurs appliqué des lotions sur la vulve de ses filles lorsque cette région était irritée, à l'époque où elles portaient des couches. Dans les deux cas, il n'y avait jamais eu d'intention malsaine de sa part.

Il n'avait mis de suppositoires "dans les fesses" de C______ que sur prescription du médecin, et n'avait jamais introduit son doigt dans son anus, qui plus est "juste pour mettre le doigt": vers 8 ou 9 ans, sa fille avait eu de gros problèmes de constipation. Le pédiatre l'avait envoyée chez un gastroentérologue, où lui-même l'avait accompagnée. Après un examen, le praticien avait prescrit un médicament et lui avait recommandé d'huiler l'anus de la fillette durant quelques jours. Cela durait quelques secondes. C______ se mettait sur le ventre, dans sa chambre ou la salle de bains; il n'avait pas utilisé de suppositoire ou de thermomètre à cette occasion. En dehors de cet événement, il n'avait jamais mis son doigt dans l'anus de sa fille, ni n'avait eu recours à des suppositoires en dehors des prescriptions du pédiatre. C______ avait mélangé ses souvenirs.

C______ n'avait bien évidemment jamais approché sa bouche de son sexe et il ne savait pas d'où elle tirait ce souvenir.

Lorsque D______ était petite, il venait parfois le matin dans son lit, pour la réveiller, comme sa propre mère le faisait avec lui. Elle se blottissait contre lui, parfois de dos, en lui demandant de rester cinq minutes de plus à dormir. Il portait toujours un caleçon ou un pyjama et n'avait jamais eu ni d'érection ni de geste sexuel envers elle. Vu sa petite taille et sa position, elle n'aurait de toute façon pas pu sentir s'il était en érection et il ignorait pourquoi elle avait été raconter cela à la police.

Il avait régulièrement massé les pieds de ses filles, à leur demande et il n'était pas impossible que pour ce faire, il ait mis leur pied proche de son sexe. S'agissant de A______, il lui avait prodigué un massage sportif sur toute la cuisse, comme ceux qu'il avait lui-même reçus en tant que 1______, mais jamais dans une intention sexuelle.

De même, il n'était pas impossible qu'il ait pris A______ sur ses genoux pour lui faire des caresses dans le dos. Il n'avait toutefois jamais eu d'intention sexuelle envers ses filles et n'avait jamais été en érection.

Il considérait sa sexualité plutôt normale et avait eu plusieurs relations depuis sa séparation, avec des femmes plus jeunes que lui de dix à quinze ans en moyenne, la plus jeune ayant 28 ans à l'époque.

Dans la mesure où la chambre de A______, puis de C______, était contiguë à la sienne, il était possible qu'elles aient entendu ses ébats sexuels; telle n'était toutefois pas son intention. D'ailleurs, il n'avait pas l'impression d'avoir été très bruyant. Il avait une fois entendu C______ et son copain dans la chambre à côté et s'était fait la réflexion que si lui pouvait les entendre, l'inverse devait être possible. Aucune de ses filles ne lui avait toutefois fait de réflexion à ce sujet.

Lorsque ses filles étaient adolescentes et habitaient avec lui, elles mettaient la musique "à fond" lorsqu'elles prenaient leur douche et ne l'entendaient pas lorsqu'il les appelait, ce qui l'obligeait à monter et à ouvrir la porte pour leur parler. La douche était toutefois derrière la porte, de sorte qu'il n'était pas possible de la voir en l'ouvrant. Pour ce faire, il aurait fallu entrer dans la pièce et refermer la porte, ce qu'il n'avait jamais fait. Il n'avait jamais eu l'intention de les voir sous la douche.

La séparation du couple, en 2006, avait été assez conflictuelle. Un incident avait effectivement eu lieu en lien avec un jeu qu'il avait lancé avec les enfants, visant à créer la Barbie la plus laide: ses filles en avaient fait des monstres assez impressionnants. Lorsqu'elle les avait découverts, F______ avait été scandalisée et les avait montrés au Centre V______, où C______ était suivie dans le cadre d'un groupe d'enfants de parents divorcés. Il ne se souvenait pas que A______, vers 3 ou 4 ans, n'aurait plus parlé et aurait eu peur des adultes, ni qu'elle aurait dû consulter un psychologue pour cela. Vers 15 ans, elle lui avait effectivement révélé qu'elle se scarifiait, sans qu'elle en sache les raisons. Il l'avait amenée chez un psychiatre, qui l'avait suivie pendant deux ou trois ans. Vers 19 ans, alors que A______ était inscrite à la Haute Ecole K______ en première année et travaillait du matin au soir, elle avait commencé à devenir fragile et avait finalement fait une dépression. Comme elle vivait chez sa mère, il n'en savait toutefois pas plus.

Il s'était toutefois toujours occupé du mieux qu'il pouvait de ses filles et avait eu de très bonnes relations avec elles jusqu'en 2021, même s'il ne voyait pas très souvent les aînées, depuis qu'elles habitaient seules. C______ avait longtemps eu une relation conflictuelle avec sa mère et il l'avait beaucoup soutenue pour qu'elle recrée un lien avec celle-ci. Il avait dès lors été content lorsque leur relation s'était apaisée et qu'elle était repartie vivre chez elle, à 18 ans. Il était parti pour la dernière fois en vacances avec ses filles fin 2019 ou fin 2020; A______ était venue avec son compagnon. Lorsque l'affaire avait été révélée par la presse, cela avait été très dur pour ses filles, car, même s'il n'était pas nommé, il était reconnaissable. A______ lui avait dit être très gênée, car des gens lui en parlaient à [la Haute Ecole] K______, où elle était inscrite. D______ ne pouvait pas aller à l'école de ce fait. Après sa condamnation, en août 2021, elles n'avaient plus voulu avoir de contact avec lui et n'avaient plus répondu à ses messages et cadeaux, à l'exception de quelques messages de D______ et d'une carte pour son anniversaire, en août 2022, de C______ et D______.

Il estimait avoir été un bon père, présent et aimant, et avait toujours été fier de les avoir bien éduquées. Il était très inquiet pour elles et de la poursuite de la thérapie EMDR, qui leur fabriquait des souvenirs de choses qui ne leur étaient jamais arrivées ou les poussaient à chercher des intentions malsaines là où il n'y en avait pas.

i. Quelques jours après l'audience du 28 septembre 2022 – à laquelle, bien que convoquée, F______ n'était pas présente, mais représentée par son avocat –, ce dernier a fait parvenir au Ministère public trois photos de E______, jugées "particulièrement inadéquates", que ce dernier avait remises à sa fille à Noël, quand elle avait dix ans, dont l'une le montrant de dos, nu, accroupi sur les talons, genoux et bras écartés.

L'avocat a également transmis le courrier adressé par E______ à sa fille le 27 septembre 2021, dont selon lui une phrase, "je suis tellement désolé que mes actes te font souffrir ainsi que tes sœurs. J'aimerais vous protéger, mais je n'arrive pas", résonnait comme un aveu.

E______ a expliqué que les photographies avaient été prises lorsqu'il était jeune, par un photographe/chorégraphe très connu; elles avaient été exposées dans une galerie et éditées en cartes postales. La position adoptée, accroupi, bras écartés, était abstraite, sans geste ou intention sexuelle. Il les avait données à fille comme cadeau, car il était fier d'avoir fait ces photographies artistiques.

j.a. Lors de l'audience du 18 novembre 2022, E______ a produit deux études publiées en 2021 et 2022 dans la revue scientifique "Memory" ("Memory and eye movement desensitization and reprocessing therapy: a potentially risky combination in the courtroom" et "The messy landscape of eye movement and false memories"), concluant notamment au fait que les mouvements oculaires avaient un impact négatif sur la qualité et la quantité de la mémoire et que plusieurs composantes de la thérapie EMDR augmentaient le risque de faux souvenirs spontanés.

j.b. Il a par ailleurs fait parvenir ultérieurement au Ministère public une vidéo de la salle de bains utilisée par ses filles, confirmant ses explications, soit que la douche était dissimulée par la porte ouverte et qu'il fallait pénétrer dans la salle de bains et se retourner pour en apercevoir l'intérieur.

j.c. Il a enfin fourni des extraits des conversations échangées entre le 19 et le 22 décembre 2020 avec C______, dans lesquelles elle lui annonçait être tombée malade et avoir une "grosse gastro", puis, deux jours plus tard, qu'elle rentrait, précisant avoir arrêté de vomir mais avoir encore un peu de diarrhée. À plusieurs reprises, (19, 20, 22, 25, 26, 31 décembre) E______ lui a demandé si cela allait et de le rappeler pour donner des nouvelles.

k. Selon le rapport de renseignements établi par la brigade de criminalité informatique (BCI) en janvier 2023 à la suite de l'analyse des différents appareils électroniques et disques durs saisis sur E______ et à son domicile, aucun fichier pédopornographique ou "tendancieux" n'a été mis en évidence, seules des photographies de F______ et de ses filles, nues sur un lit, ayant été trouvées.

E______, qui a produit une série de photographies supplémentaires de la famille, nue dans le lit ou à la mer, a précisé qu'elles avaient toutes été prises en présence de F______ avant la séparation du couple.

Les supports numériques séquestrés ont été restitués à E______, à sa demande, entre novembre 2022 et mars 2023.

l. Par courrier du 14 mars 2023, le Ministère public a informé les parties de son intention de classer la procédure.

l.a. A______ a fait valoir que le classement était prématuré et sollicité l'audition des deux psychiatres qu'elle avait été amenée à consulter, soit celle avec laquelle elle avait pratiqué la première fois l'EMDR – et qui pourrait donner des explications sur le fonctionnement de cette méthode et la manière dont ses souvenirs avaient ressurgi – et celle vue ponctuellement à l'âge de 15 ans, avec laquelle elle avait poursuivi la thérapie EMDR et qu'elle voyait à raison de deux fois par mois, sur son état psychologique avant et après les révélations et sur la teneur de celles-ci. Elle a également sollicité l'audition de sa mère, afin de témoigner de son évolution et d'éclairer certains épisodes vécus par ses filles, notamment au regard du mode de vie de la famille.

l.b. C______ a sollicité l'audition de sa mère (sur le contexte familial, les premières révélations de ses filles et les soins prodigués lorsque C______ souffrait de constipation, dont elle était prétendument informée). Elle souhaitait également que la psychologue qui la suivait depuis 2021 soit entendue sur la méthode EMDR, sur les souvenirs traumatiques qu'elle avait évoqués dans le cadre de son suivi et l'état de stress post-traumatique dont elle souffrait ensuite de ces reviviscences.

C______ a également requis un rapport complémentaire de la BCI, estimant que celui versé au dossier ne permettait pas de connaître les critères du tri effectué ni l'outil utilisé à cette fin, en particulier ne précisait pas si l'analyse visait uniquement les images à caractère pédopornographique ou également les photos de nu auxquelles elle et ses sœurs affirmaient avoir été confrontées durant leur enfance. Le fait que E______ ait lui-même remis plusieurs photographies sur lesquelles lui et sa famille apparaissaient nus, alors qu'elles ne figuraient pas dans le rapport, démontrait au demeurant que ce tri était relatif.

Plusieurs documents accompagnaient ses réquisitions de preuves, en particulier:

- la lettre de sortie de la clinique de I______ du 3 mai 2021, faisant état d'une admission médicale volontaire en raison d'une décompensation anxieuse et dépressive, d'une réaction aiguë à un facteur de stress et de syndromes de dépendance liés à la consommation de cannabis, cocaïne et autres stimulants. Ce courrier mentionnait, entre autres, qu'adolescente rebelle, elle avait été suivie à l'époque dans le cadre d'une psychothérapie d'orientation analytique qu'elle aurait mal vécue.

- une lettre de sortie de [la clinique] I______ datée du 30 novembre 2022, faisant état d'une admission du 25 octobre 2022 à la demande de sa psychiatre traitante, pour décompensation anxieuse et état de stress post-traumatique, dans un contexte de procédure pénale en cours concernant les événements ayant précédé ses troubles psychiques.

- un certificat établi par sa psychologue le 23 mars 2023, décrivant les symptômes présentés par C______ en janvier 2021 et le suivi mis en place. Lorsqu'elle avait abordé le contexte familial, sa patiente avait identifié certains comportements inadéquats de son père, jusqu'alors banalisés et perçus comme normaux. C______ avait également décrit un climat "incestuel", son père la prenant par la taille en public, lui mettant la main sur la cuisse lors de trajets en voiture ou ayant certains regards insistants sur son corps lorsqu'elle était en maillot de bain. Son père ne respectait par ailleurs pas certaines limites, entrant dans sa chambre ou dans la salle de bains à des moments inappropriés, ou lui demandant de se mettre en sous-vêtements dans une pièce sombre pour tester des lunettes infrarouges pour un spectacle. Très rapidement après le début du suivi, le 7 janvier 2021, C______ avait appris la mise en prévention de son père, ce qui avait constitué un facteur de stress supplémentaire et avait exacerbé un état déjà fragilisé. En octobre 2021, un massage prodigué par une amie avait fait émerger, en flash-back, la sensation d'introduction de doigts de son père dans son anus alors qu'elle était toute petite. Ce souvenir, intense et involontaire, avait généré une détresse aiguë, caractéristique des états de stress post-traumatique, lesquels étaient associés à des réactions physiologiques causées par une hyperactivation du système nerveux en cas d'exposition à des indices évoquant les souvenirs traumatiques. Après son audition par la police, des souvenirs lui étaient encore revenus, notamment d'un jeu dans la chambre de son père, puis l'image du sexe de ce dernier s'approchant de sa bouche, avec la sensation d'une présence d'un autre homme, probablement un ami de son père.

- une attestation de son médecin traitant, consultée en octobre 2019 pour un sentiment d'angoisse et d'épuisement, ainsi que des troubles du sommeil, dans le cadre de son travail de maturité consistant à interroger des femmes sur leur vécu, parfois traumatique, qui aurait fait écho au sien. Une dépression de degré sévère avait été diagnostiquée, des anxiolytiques prescrits et la patiente adressée à un psychiatre. En parallèle, la patiente avait émis le souhait de rapidement débuter une sexothérapie, souhaitant comprendre pourquoi elle était envahie par des sentiments de peur et de dégoût lors des rapports sexuels et était mal à l'aise avec sa nudité. À la suite de son évaluation, le médecin avait posé l'indication d'une thérapie par EMDR avant de débuter un travail sexothérapeutique.

- une attestation d'une amie qu'elle connaissait depuis ses 17 ans, disant que C______ lui avait souvent dit être dérangée par les nombreuses jeunes compagnes que son père ramenait à la maison et son absence de pudeur au sein du foyer, notamment le fait qu'il avait pour habitude d'entrer dans la salle de bains sans prévenir. Lorsque C______ avait eu son épisode de décompensation psychotique, en décembre 2020, elle s'était posé la question de l'origine d'un tel état psychique, qui lui faisait penser aux cas de victimes d'abus sexuels dans leur enfance.

- une attestation du petit ami qu'elle avait eu entre 16 et 18 ans, mentionnant avoir constaté, chez E______, un rapport à l'intimité "avec lequel il n'était personnellement pas habitué". C______ avait pour réflexe de s'enfermer dans sa chambre de peur que son père ne rentre sans prévenir, alors qu'elle était en train de se changer, et devait bloquer la porte de la salle de bains avec un meuble, pour éviter les irruptions soudaines et indésirées. Elle lui avait avoué, durant l'été 2020, que son état de santé mental était la conséquence d'abus sexuels subis dans l'enfance de la part de son père.

l.c.a. D______ a sollicité l'audition de son père au sujet du courrier du 27 septembre 2021 (cf. let. j supra).

Elle a également produit une enquête parue dans [le journal] "L______" le ______ 2021, intitulée "______ [personnes issues du milieu 1______] dénoncent des ______ abus sexuels" et un rapport d'analyse "des dispositifs de prévention et de la lutte contre le harcèlement sexuel au sein des entités genevoises subventionnées dans le domaine 1______" établi sur mandat conjoint de l'Office cantonal de la culture et du sport et des services culturels des Villes de Genève et de Meyrin en ______ 2022 – dans le cadre duquel F______ avait été interrogée en sa qualité de ______ –, à la suite des révélations sur le comportement de E______. Selon elle, ces documents renforçaient la crédibilité de ses propres accusations, dans la mesure où ils dénonçaient les abus sexuels commis par ce dernier sur [des personnes issues du milieu 1______], démontraient sa personnalité dysfonctionnelle, notamment son caractère manipulateur, mû par un sentiment de toute-puissance et d'impunité, qui le poussait à enfermer ses victimes sous son emprise.

l.c.b. Par courrier additionnel, D______ a requis l'audition: de sa mère (sur le dévoilement des faits, les démarches entreprises pour la soutenir, les symptômes qu'elle-même présentait et son évolution); de N______, rencontrée au H______, qui la suivait depuis novembre 2021 (sur ce qu'elle avait raconté des abus sexuels subis de la part de son père, les symptômes constatés et son état de stress post-traumatique); de O______, thérapeute, qui avait régulièrement reçu F______ et ses filles en 2021 et 2022 afin de les aider à traverser le vécu de l'inceste paternel; P______, à l'époque ami de E______, qui avait assisté, en janvier 2007, au jeu des Barbies (qui dénotait l'absence de limites du prévenu en matière sexuelle); Q______, qui avait, elle aussi, assisté à ce "jeu" et l'avait trouvé particulièrement déplacé; R______, thérapeute, qui à l'époque de la séparation des époux était directeur [du centre de consultations conjugales] U______ et suivait la famille (sur ce qu'il avait pensé du "jeu" des Barbies); S______, compagnon de F______ depuis trois ans (sur les souffrances des trois filles, consécutives au comportement sexuel de leur père).

D______ a également, entre autres, produit un courrier adressé par son grand-père maternel à F______ en octobre 2021, mentionnant s'être rappelé, en examinant le passé, que lorsque la famille venait passer les vacances d'été chez eux, "rien de flagrant ne [lui] était revenu", si ce n'est que E______ voulait absolument s'occuper de ses filles après chaque bain de mer et allait dans la salle de bains leur laver les fesses "à cause du sable", ce qui durait assez longtemps. Il comprenait désormais mieux les difficultés existentielles de ses petites-filles.

C. Le Ministère public – tout en précisant que les faits dénoncés étaient susceptibles de tomber sous le coup des articles 187, 188, 189 et 197 CP – justifie la décision querellée parce que E______ nie toute infraction et qu'hormis les déclarations de ses filles, rien ne permettrait de le contredire. En tout état, il convenait de prendre les accusations dont il faisait l'objet avec circonspection, au vu notamment de l'ancienneté des faits, décrits à plusieurs reprises par les plaignantes comme étant des "sensations" ou des "ressentis", sans qu'elles soient à même de donner des souvenirs précis.

Les plaignantes étaient par ailleurs particulièrement jeunes au moment des événements rapportés, avaient discuté durant plusieurs mois, entre elles et avec leur mère, avant le dépôt de leurs plaintes respectives, après avoir été informées par la presse de la procédure ouverte contre leur père, et avaient suivi diverses thérapies individuelles et familiales, hors la présence de ce dernier, étant relevé que certains griefs n'avaient pas été évoqués devant la police, mais uniquement par la suite.

Certes, E______ avait admis avoir prodigué des soins corporels à ses enfants lorsqu'elles étaient jeunes. Rien ne permettait toutefois d'accréditer la thèse selon laquelle ces gestes auraient eu une quelconque connotation sexuelle au sens pénal du terme, quand bien même ils auraient pu être ressentis comme gênants.

En toute hypothèse, même si les actes étaient avérés, l'élément constitutif subjectif des infractions visées n'était pas réalisé, que ce soit pour l'épisode rapporté par A______, lors duquel elle aurait surpris son père en train de se masturber devant son ordinateur, les gestes quotidiens décrits ou les rapports sexuels entendus à travers la porte, dont rien n'indiquait que le prévenu aurait eu conscience, pour le premier du potentiel caractère sexuel, pour les seconds d'être audibles.

Enfin, à supposer que les plaignantes aient réellement vu des photographies à caractère pornographique sur le téléphone portable ou l'ordinateur de leur père, la condition de mise à disposition posée par l'art. 197 al. 1 et 2 CP faisait défaut, rien ne permettant d'affirmer que les appareils n'étaient pas protégés par un mot de passe, comme l'alléguait E______. Les faits étaient du reste très vraisemblablement prescrits.

Les réquisitions de preuve devaient être rejetées, faute de pertinence et d'être à même de modifier la solution retenue.

D. a. Dans son recours, A______ fait grief au Ministère public d'avoir fait abstraction de la procédure pénale vaudoise dont son père avait fait l'objet et de certaines pièces qu'elle avait produites, mentionnant des contacts corporels imposés aux [personnes pratiquant 1______], alors que E______ était en érection, des gestes sexualisés, des jeux de pouvoir et des actes de voyeurisme ou d'exhibitionnisme. Leur similitude avec les comportements dénoncés par ses enfants devait amener le Ministère public à s'interroger et à ne pas privilégier la version du prévenu par rapport aux leurs. Elles n'avaient en effet aucun intérêt à mentir ou à exagérer.

Son mal-être objectivé et celui de ses sœurs était aussi de toute évidence un élément à charge, qui devait conduire à relativiser les dénégations de E______, lesquelles se heurtaient en outre aux preuves de ses différents comportements dysfonctionnels.

Dans ce contexte, le refus d'entendre les thérapeutes des plaignantes était choquant, la seule gravité des accusations devant justifier ces auditions. Il en allait de même de celle de leur mère, qui pourrait renseigner sur l'évolution de l'état de ses filles, le mode de vie et le contexte familial, de même que sur l'allégué du prévenu selon lequel le médecin avait recommandé de huiler l'anus de C______.

À ce stade, une appréciation objective de l'ensemble des éléments au dossier ne permettait pas d'écarter l'existence d'actes d'ordre sexuel.

L'infraction pénale de pornographie n'était quant à elle pas prescrite. Le fait que de telles photographies ne figurent pas au dossier ne signifiait pas qu'elles n'existaient pas, dès lors que l'on ignorait les critères et outils utilisés par la BSI pour exploiter le matériel saisi.

b.a. Dans son recours, C______ rappelle avoir dénoncé le climat "incestuel" qui régnait au domicile de son père – contacts physiques "anormaux", ébats amoureux bruyants, entrées intempestives dans la salle de bains ou sa chambre à coucher, douches alors que ses filles pouvaient le voir – et les photographies qu'elle avait pu voir sur son téléphone portable ou son ordinateur. E______ y avait opposé des dénégations peu crédibles, au vu de sa précédente condamnation, des nombreux témoignages attestant de sa personnalité déviante et des souffrances psychologiques de ses filles.

Or, le Ministère public avait fait fi de ces éléments, notamment de la ligne de défense identique adoptée par E______ dans le cadre de la procédure pénale vaudoise, consistant à admettre la matérialité des faits mais à nier toute intention d'ordre sexuel.

Le Ministère public avait par ailleurs fait abstraction des détails qu'elle avait fournis en décrivant la manière dont son père introduisait son doigt dans son anus. Certes, son médecin avait confirmé qu'elle avait souffert de douleurs intestinales au retour d'un voyage de trois semaines avec son père au Brésil, traitées avec de la pommade anale, des suppositoires et du sirop. Il apparaissait toutefois particulièrement incompréhensible que E______ ait administré lui-même ces traitements, alors que sa fille aurait été à même d'y procéder seule, vu son âge. L'audition de F______, dont le prévenu alléguait qu'elle était au courant de ces soins, était dès lors indispensable. Il en allait de même de celle de sa psychologue, afin qu'elle expose les raisons l'ayant conduite à établir un diagnostic de stress post-traumatique et explique en quoi consistait la méthode EMDR, dont la validité était remise en cause par le prévenu. Le Ministère public avait enfin écarté à tort la mise en œuvre d'un rapport complémentaire de la BCI, dont on ignorait si la méthodologie permettait également de saisir les photos de nu évoquées par les plaignantes, sans pour autant qu'elles aient un caractère pédopornographique.

L'affirmation du Ministère public selon laquelle les filles du prévenu n'avaient pas accès à sa session d'ordinateur était enfin contredite par les aveux mêmes de l'intéressé, qui avait reconnu qu'elles devaient consulter internet sur sa session, les leurs étant bloquées.

b.b. À l'appui de son recours, C______ produit entre autres une attestation de son pédiatre concernant le suivi mis en place en raison des douleurs à l'anus lors de la défécation et la présence de sang dans les selles, qui étaient apparues en octobre 2010 – si l'on se réfère aux documents établis à l'époque –, ou au retour des vacances de Noël 2010 au Brésil – selon l'attestation établie le 11 avril 2023 – et avaient duré jusqu'en juillet 2012. Une échographie de l'abdomen avait confirmé les problèmes de constipation. Le pédiatre avait noté en 2011, que F______ avait emménagé l'année précédente avec son compagnon et les trois enfants de ce dernier et que C______, qui reconnaissait être anxieuse, avait très mal supporté cette nouvelle étape, au point que sa mère avait décidé, après quelques mois, de retourner dans son ancien appartement avec ses trois filles. Des séances chez un psychologue avaient été organisées en septembre 2011 "en raison d'une situation familiale complexe".

c. Dans son recours, D______, en citant in extenso de larges passages des pièces du dossier, fait valoir que la motivation du Ministère public était laconique et que le refus opposé aux auditions sollicitées faisait fi de la réalité des infractions sexuelles, qui se déroulaient presque toujours à huis-clos et qui commandaient de confier au juge du fond la tâche d'évaluer les déclarations de la partie plaignante. En effet, elle-même avait été constante dans les descriptions des agissements de son père et avait donné des détails qui ne pouvaient être inventés. Le processus de dévoilement était classique des victimes d'abus sexuel (facteur déclenchant, péjoration de son état, culpabilité à l'idée que son père pourrait se suicider si elle déposait plainte). Plusieurs éléments accréditaient sa thèse : la propension de son père à adopter un comportement inadéquat (épisode des Barbies, photos de lui, nu, qu'il lui avait envoyées) et sa personnalité dysfonctionnelle (qui ressortait des enquêtes susmentionnées); sa condamnation pour les actes commis sur une jeune [personne pratiquant 1______], qui présentait des similitudes avec les récits de ses filles; les constatations du père de F______; l'existence de trois dénonciatrices, qui ne tiraient aucun gain secondaire de leurs plaintes, les actes décrits différant pour chacune, ce qui démontrait leur absence de coordination.

d. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             1.1. Les recours sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignantes qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les faits et moyens de preuve nouveaux sont recevables devant l'instance de recours (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2020 du 19 novembre 2022 consid. 2.1), de sorte que les pièces produites par les recourantes à l'appui de leurs écritures seront admises.

2.             Vu la connexité des recours, il y a lieu de les joindre.

3.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

4.             Les recourantes contestent le classement des différentes infractions qu'elles ont dénoncées.

4.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public classe la procédure lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi (let. a) ou que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition s’interprète à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un certain pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu, le principe précité impose, en règle générale, que ce dernier soit mis en accusation. Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation, mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2). L'autorité de recours ne saurait ainsi confirmer un classement au seul motif qu'une condamnation n'apparaît pas plus probable qu'un acquittement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1381/2021 du 24 janvier 2022 consid. 2; 6B_258/2021 du 12 juillet 2021 consid. 2.2). Il peut néanmoins être renoncé à une mise en accusation si la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles, lorsqu'une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs, ou lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_957/2021 du 24 mars 2022 consid. 2.3).

4.2. Le ministère public doit aussi classer la cause lorsqu'il existe des empêchements de procéder (art. 319 al. 1 let. d CPP), ce qui est le cas de la prescription de l’action pénale (ATF 146 IV 68 consid. 2.1).

De même, un classement est possible lorsqu’on peut renoncer à toute poursuite ou à toute sanction en vertu de dispositions légales (let. e), notamment lorsque la culpabilité de l’auteur et les conséquences de son acte sont peu importantes (art. 52 CP cum 8 CPP).

5. En l'occurrence, l'instruction a été ouverte pour infractions aux articles 187 CP (actes d'ordre sexuel avec des enfants), 188 CP (actes d'ordre sexuel avec des personnes dépendantes), 189 CP (contrainte sexuelle), 191 CP (actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance) et 197 CP (pornographie).

Dans son ordonnance de classement, le Ministère public n'a toutefois examiné les agissements dénoncés que sous l'angle des art. 187 à 189 CP et de l'art. 197 CP, sans plus évoquer l'art. 191 CP.

D______ conclut au renvoi en jugement de E______ pour violation de l'art. 191 CP, sans aucunement motiver sa position, ni détailler en quoi les éléments constitutifs de cette disposition seraient réalisés, la concernant. Or, la Chambre de céans ne saurait y suppléer (cf. art. 385 al. 1 let. b CPP).

À aucun moment, durant l'instruction, D______, pourtant assistée d'un avocat, n'a non plus sollicité que les actes dénoncés soient examinés sous l'angle de l'art. 219 CP, qui réprime la violation du devoir d'assistance et d'éducation. Elle ne saurait dès lors invoquer cette disposition au stade du recours, alors qu'elle ne fait pas l'objet de la décision attaquée.

En toutes hypothèses, pour autant que les éléments constitutifs des art. 188 à 190 CP soient réalisés, ces dispositions prennent le pas sur l'application de l'art. 219 CP (concours imparfait; cf. ATF 126 IV 136 consid. 1.d), ce qui rendrait vain un renvoi en jugement de ce chef.

D______ sera dès lors déboutée de ses conclusions sur ces points.

6. Reste à déterminer si c'est à bon droit que le Ministère public a considéré que les éléments constitutifs des infractions envisagées n'étaient pas réalisés, respectivement qu'aucun soupçon suffisant ne justifiait une mise en accusation.

6.1. Enfreint l'art. 187 ch. 1 CP celui qui aura commis un acte d’ordre sexuel sur un enfant de moins de 16 ans (ch. 1).

Par acte d'ordre sexuel, il faut entendre une activité corporelle sur soi-même ou sur autrui qui tend à l'excitation ou à la jouissance sexuelle de l'un des participants au moins. Il faut d'abord distinguer les actes n'ayant aucune apparence sexuelle, qui ne tombent pas sous le coup de la loi, des actes clairement connotés sexuellement du point de vue de l'observateur neutre, qui remplissent toujours la condition objective de l'infraction, indépendamment des mobiles de l'auteur ou de la signification que le comportement a pour celui-ci ou pour la victime (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1122/2018 du 29 janvier 2019 consid. 3.2). Les comportements simplement inconvenants, inappropriés, indécents, de mauvais goût, impudiques ou désagréables, doivent demeurer hors du champ des actes pénalement répréhensibles (ATF 125 IV 58 consid. 3b p. 63; arrêt du Tribunal fédéral 6B_744/2016 du 1er mars 2017 consid. 3.2). Dans les cas équivoques, qui n'apparaissent extérieurement ni neutres, ni clairement connotés sexuellement, une appréciation objective de l'ensemble des circonstances est requise, l'acte incriminé devant porter clairement atteinte au bien juridique protégé par la disposition légale, soit le développement sexuel non perturbé de l'enfant. Il convient alors de tenir compte de l'ensemble des éléments d'espèce, notamment de l'âge de la victime ou de sa différence d'âge avec l'auteur, de la durée de l'acte et de son intensité, ainsi que du lieu choisi par l'auteur (ATF 125 IV 58 consid. 3b p. 63; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1122/2018 du 29 janvier 2019 consid. 3.2).

Dans ce contexte, constituent des actes clairement connotés sexuellement, l'introduction d'objets dans le vagin ou l'anus, le frottement des parties sexuelles de l'auteur contre les parties génitales ou la poitrine de la victime, ou des caresses insistantes du sexe, des fesses ou des seins, même par-dessus les habits (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 23 ad art. 187).

Au nombre des actes considérés comme équivoques figurent par exemple les soins corporels prodigués à un jeune enfant (ATF 125 IV 58 consid. 3b p. 62). Dans ce cas, l'existence d'un acte d'ordre sexuel sera écartée lorsque le traitement est nécessaire et qu'il est effectué dans les règles de l'art ou lorsqu'il s'agit d'une simple maladresse. Il en va de même pour les attouchements des parties génitales effectués dans le but d'assurer les soins corporels d'un enfant, dans la mesure où l'ensemble de l'opération apparaît, selon le jugement d'un observateur objectif, comme un acte de nettoyage, et donc pas comme un acte sexuel (arrêt du Tribunal fédéral 6S_355/2006 du 7 décembre 2006 consid. 3.1).

N'ont en revanche pas été reconnus comme constituant des actes d'ordre sexuel au sens de cette disposition le fait de se déshabiller ou de se montrer nu; de doucher ou de laver un mineur, même si, au vu de l'indépendance de l'enfant, cela n'apparaît pas nécessaire; le fait de caresser les cuisses, les genoux, le visage ou les cheveux, que ce soit d'un adulte ou d'un enfant (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), op.cit., n. 28 ad art. 187).

6.2. L'art. 188 al. 1 ch. 1 CP punit celui qui, profitant de rapports d’éducation, de confiance ou de travail, ou de liens de dépendance d’une autre nature, aura commis un acte d’ordre sexuel sur un mineur âgé de plus de 16 ans.

6.3. L'art. 189 al. 1 CP vise celui qui, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister l’aura contrainte à subir un acte analogue à l’acte sexuel ou un autre acte d’ordre sexuel.

La liste des moyens de contrainte énumérée par cette disposition n'est pas exhaustive. Il faut que l'auteur surmonte ou déjoue la résistance que l'on pouvait raisonnablement attendre de la victime, en lui faisant redouter, par ses paroles ou son comportement, la survenance d'un préjudice, ce qui l'amène à céder (ATF 133 IV 49 consid. 4; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 20 ad art. 189).

En introduisant la notion de "pressions psychiques", le législateur a voulu viser les cas où la victime se trouve dans une situation sans espoir, sans pour autant que l'auteur ait recouru à la force physique ou à la violence (ATF 128 IV 106 consid. 3a/bb; 122 IV 97 consid. 2b). Ainsi, l'infériorité cognitive et la dépendance émotionnelle et sociale peuvent – en particulier chez les enfants – induire une pression psychique extraordinaire et, partant, une soumission comparable à la contrainte physique, les rendant incapables de s'opposer à des atteintes sexuelles. La jurisprudence parle de "violence structurelle", pour désigner cette forme de contrainte d'ordre psychique commise par l'instrumentalisation de liens sociaux: la victime a peur de l'intransigeance ou de la sévérité de l'auteur ou craint de perdre son affection, elle se considère comme perdue sans l'aide de celui-ci ou craint les conséquences d'un refus, ou encore elle est si épuisée physiquement et psychiquement qu'elle ne peut pas résister (ATF 131 IV 107 consid. 2.4; 128 IV 106 consid. 3a/bb). Compte tenu du caractère de délit de violence que revêt la contrainte sexuelle, la pression psychique générée par l'auteur et son effet sur la victime doivent cependant atteindre une intensité particulière (ATF 131 IV 167 consid. 3.1). Plus l'enfant est jeune, moins élevées sont les exigences liées à l'intensité des pressions psychiques pour admettre l'usage d'un moyen de contrainte (arrêt du Tribunal fédéral 6B_216/2017 du 11 juillet 2017 consid. 1.4.1; cf. ATF 146 IV 153 consid. 3.5.5 et 3.5.7). Une pression psychique sous la forme d'une injonction de se taire peut en remplir les conditions. En revanche, la simple exploitation de rapports généraux de dépendance ou de subordination entre l'enfant et l'adulte n'est en général pas suffisante et il faut au moins que les circonstances concrètes rendent la soumission compréhensible (ATF 131 IV 107 consid. 2.4; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1084/2015 du 18 avril 2016 consid. 2.1).

6.4. D'un point de vue subjectif, les infractions susmentionnées impliquent que l'auteur agisse intentionnellement, ce qui inclut le dol éventuel (art. 12 al. 2 CP). Il faut qu'il soit conscient du caractère sexuel de son comportement, mais ses motifs ne sont pas déterminants, de sorte qu'il importe peu que l'acte tende ou non à l'excitation ou à la jouissance sexuelle (arrêts du Tribunal fédéral 6B_180/2018 du 12 juin 2018 consid. 3.1 et les références ; 6B_288/2017 du 19 janvier 2018 consid. 5.1).

6.5. L'art. 197 al. 1 CP réprime quiconque offre, montre, rend accessibles à une personne de moins de 16 ans ou met à sa disposition des écrits, enregistrements sonores ou visuels, images ou autres objets pornographiques ou des représentations pornographiques, ou les diffuse à la radio ou à la télévision.

La pornographie s'entend de ce qui vise à provoquer une excitation sexuelle du consommateur alors que la sexualité est à tel point détachée de ses composantes humaines et émotionnelles que la personne en est réduite à un pur objet sexuel dont on peut disposer à volonté. Le comportement sexuel est grossier et mis exagérément au premier plan (ATF 133 IV 31 consid. 6.1.1; 131 IV 64 consid. 10.1.1; 128 IV 260 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_693/2020 du 18 janvier 2021 consid. 5.1).

Le comportement réprimé vise à rendre accessible à un enfant un objet ou une représentation pornographique, peu importe comment, la liste dressée par le législateur n'étant qu'exemplative (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op.cit., n. 25 ad art. 197). Ce comportement n'est toutefois pas punissable si l'auteur a pris des mesures efficaces pour empêcher que des jeunes accèdent à la représentation pornographique (ATF 119 IV 145 consid. 3; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3e éd., Berne 2010, n. 27 ad art. 197). N'est pas non plus punissable la mise à disposition du moyen d'accéder au matériel pornographique, sans que celui-ci soit directement accessible, sans quoi l'art. 197 al. 1 CP, déjà très large, s'en trouverait excessivement étendu (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op.cit., n. 29 ad art. 197).

Sur le plan subjectif, il est nécessaire que l'auteur agisse intentionnellement. En particulier, il faut qu'il sache et accepte que l'objet ou la représentation pornographique soit accessible à des jeunes de moins de 16 ans. Le dol éventuel suffit (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), op.cit., n. 39 ad art. 197).

À l'heure actuelle, l'infraction se prescrit par dix ans (art. 97 al. 1 let. c CP cum art. 197 al. 1 CP). Jusqu'au 1er janvier 2014, elle se prescrivait cependant par sept ans, étant précisé que la lex mitior, soit celle la plus favorable à l'auteur, s'applique (art. 2 al. 2 et 389 al. 1 CP).

6.6. En l'espèce, les recourantes s'en prennent à la motivation du Ministère public, qui aurait fait une mauvaise application de la jurisprudence commandant qu'en cas de doute, particulièrement en cas d'actes perpétrés "entre quatre yeux", la cause devrait être soumise à l'appréciation du juge du fond.

Ce principe n'est toutefois pas absolu et, même en présence d'infractions graves, notamment en matière sexuelle, le Tribunal fédéral admet qu'un classement puisse se justifier, en particulier lorsque les éléments du dossier permettaient déjà à ce stade de considérer qu'une mise en accusation aboutirait à un acquittement avec une vraisemblance confinant à la certitude (cf. par exemple arrêt du Tribunal fédéral 6B_277/2021 du 10 février 2022, qui présente un certain nombre de similitudes avec la présente cause).

Or, tel est le cas en l'occurrence.

6.6.1. A______ et C______ ont toutes deux affirmé avoir vu des photographies de leur père, nu et en érection, prises en mode "selfie", ainsi que de ses petites amies, nues, tant sur l'ordinateur que sur son téléphone portable.

Il est toutefois difficile de dater les occurrences décrites. A______ a déclaré qu'elle avait à l'époque huit ou neuf ans (devant la police), voire dix ans (Ministère public), ce qui ferait remonter les faits à 2007 au plus tard. C______ a dans un premier temps estimé qu'elle avait 11 ou 12 ans lorsqu'elle avait aperçu le selfie sur le téléphone, soit en 2011 ou 2012, puis a situé cet épisode vers 14 ans environ, ajoutant qu'elle avait "du mal à situer son âge dans une tranche de trois ou quatre ans".

Dans ces conditions, il n'est pas possible d'affirmer que les faits se seraient produits après 2014. Compte tenu du délai de prescription en vigueur avant cette date et de l'application de la lex mitior, les infractions, si elles étaient établies, devraient donc selon toute vraisemblance être considérées comme prescrites.

À cela s'ajoute que, si les jeunes filles avaient accès à l'ordinateur de leur père pour consulter internet, voire à son téléphone, elles n'étaient pas supposées aller ouvrir les documents qui y étaient enregistrés, le prévenu ayant affirmé, sans être contredit, les avoir mises en garde à ce propos. Or, à entendre A______, les images visionnées sur l'ordinateur figuraient dans un onglet dédié aux photographies, dans lequel elles étaient enregistrées dans des albums ad hoc. C'est également en allant regarder la galerie d'images que C______ aurait vu des photographies qui, à l'évidence, ne lui étaient pas destinées. L'on se trouve dès lors davantage dans un cas – non punissable – d'une mise à disposition d'un moyen d'accès, que d'un accès direct à un matériel qui pourrait cas échéant être jugé pornographique, indépendamment de la protection des appareils par un mot de passe.

Compte tenu des circonstances, la question de la réalisation de l'élément constitutif subjectif de l'infraction peut aussi se poser, dès lors qu'il est difficile de considérer que le prévenu aurait agi sciemment, fût-ce par dol éventuel, et non par négligence, en acceptant l'éventualité que les photographies, le site internet ou ses conversations relatives au sexe soient vue par ses filles.

En toutes hypothèses, les images incriminées ne figurant pas au dossier, il n'est pas possible de juger de leur caractère pornographique ou non, n'importe quelle photographie dénudée n'en présentant pas nécessairement les caractéristiques. À cet égard, il n'y a pas de raison de douter de la fiabilité de l'analyse exécutée par la BCI qui, informée de la teneur des plaintes, a cherché les fichiers tant pédopornographiques que "tendancieux", sans rien trouver. Le fait que le prévenu ait, ultérieurement, produit des photographies dans lesquelles lui et les autres membres de sa famille apparaissaient dénudés est à cet égard sans pertinence, dès lors que les recourantes ne prétendent pas qu'elles relèveraient de la (pédo)pornographie. Dans ces conditions, un rapport complémentaire ne serait pas propre à apporter des éléments de nature à étayer les accusations, ce d'autant moins qu'entretemps, le matériel a été restitué au prévenu.

Une condamnation du chef de l'art. 197 al. 1 CP est dès lors si peu probable qu'un classement à ce stade de la procédure ne viole pas le principe "in durio pro duriore".

6.6.2. En ce qui concerne les autres agissements reprochés au prévenu, l'on peine à clairement distinguer, dans les écritures des recourantes, faute d'une quelconque analyse juridique, ceux auxquels elles prêtent un caractère pénal de ceux destinés à illustrer, selon elles, l'existence d'un climat incestueux et de comportements inadéquats de la part de leur père. Il est dès lors malaisé, dans le cadre du recours, de discuter l'éventuelle réalisation des éléments constitutifs de l'une ou l'autre des dispositions légales évoquées par le Ministère public.

En tout état, force est de constater que, pour nombre d'entres eux, les recourantes ont elles-mêmes qualifié leurs souvenirs de vagues, constitués davantage de sensations que de certitudes.

En effet, si elles se rappellent fort bien des circonstances périphériques aux actes d'ordre sexuel dénoncés, elles sont beaucoup moins affirmatives en ce qui concerne ceux-ci. Ainsi, à la police, si A______ a pu dire que, vers 3 ou 4 ans, elle s'était déshabillée pour jouer et que son père l'avait prise sur ses genoux pour lui remettre son pyjama, elle a ajouté que le reste (caresses, érection) était "un peu flou", "pas très clair" et qu'il s'agissait davantage de "sensations". À la piscine, elle "ressentait une intention qui n'était pas juste", qu'il s'était "peut-être" passé quelque chose, sans toutefois pouvoir décrire un geste clairement significatif d'abus sexuel. À 14 ans, elle avait "eu l'impression" d'entendre un bruit étrange venant de l'ordinateur que son père regardait au salon, "pensait" qu'il avait baissé son pantalon, et en avait "déduit" que E______ regardait un film pornographique et se masturbait, sans pourtant avoir rien vu. De manière plus générale, l'attitude de son père n'était pas "juste", quand bien même "ce n'était pas précis pour elle, juste des ressentis". Il ne la touchait pas directement "mais il y avait quelque chose qui la dérangeait". Il lui avait massé la jambe, mais "elle ne croyait pas qu'il était en érection". Elle avait la certitude d'avoir subi des attouchements, "même si rien n'était clair dans sa tête". C______ avait la "sensation qu'il mettait son doigt dans son anus", "la sensation de son sexe bandant contre elle… sans qu'elle puisse en situer le contexte"; il lui avait massé les pieds, posés contre son entrejambe, sans "savoir s'il était en érection ou pas". Quant à D______, elle a déclaré se souvenir "de très peu de choses et genre c'est… assez flou", "plus genre des sensations dans le corps", elle le "sentait, j'crois, en érection", la "sensation" de quelque chose de "dur" et "chaud" dans son dos, elle "croyait qu'il bandait". Par la suite, les descriptions de A______ et C______ se sont précisées, mais toujours dans un registre dépeignant davantage des sensations que des constats visuels : A______ savait que le prévenu était en érection car elle le "sentait" sur les fesses et le bas du dos et, lorsqu'il lui avait massé la cuisse, "il n'y avait eu aucun acte sexuel concret", "c'était juste son ressenti"; C______ n'était toujours pas certaine que lorsqu'il lui avait massé les pieds, il était en érection.

Or, compte tenu des circonstances dans lesquelles la mémoire des actes sexuels décrits est revenue aux jeunes filles, leur réalité, voire leur description, ne peut par ailleurs être appréciée qu'avec circonspection.

Les recourantes estiment que la similitude, tant de leurs déclarations respectives, que de celles-ci avec les événements relatés dans la presse ou ayant fait l'objet de la procédure pénale vaudoise, renforcerait leur crédibilité.

Tel serait le cas si elles avaient porté leurs accusations sans avoir eu préalablement connaissance du contenu des plaintes des autres jeunes filles se présentant comme victimes de E______. Tel n'est cependant pas le cas.

C______ a en effet déclaré que c'était après avoir appris que son père avait été prévenu d'actes d'ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance qu'elle avait commencé à se demander si elle n'avait pas également été abusée par son géniteur, et que les pièces du puzzle s'étaient mises en place lorsque F______ lui avait directement demandé si son père ne l'avait pas touchée. A______ n'a pour sa part acquis la certitude de l'existence d'attouchements de la part de leur père qu'après que la psychiatre à laquelle elle avait révélé que sa sœur "avait l'impression que quelque chose d'incestueux avait été fait par leur père" lui avait demandé si elle avait aussi subi des "choses". Quant à D______, elle a eu "une révélation en sortant du bus", deux semaines après avoir appris qu'une [personne issue du milieu 1______] avait porté plainte contre son père.

Les recourantes ont par ailleurs reconnu qu'elles avaient abondamment discuté entre elles des événements et de leur vécu, se confortant l'une l'autre de la réalité des actes subis, ainsi que cela ressort des déclarations de D______, mentionnant sa crainte d'être "une énorme mythomane" et le fait d'avoir été rassurée d'entendre ses sœurs échanger leurs souvenirs.

L'on ne peut dès lors exclure une influence plus ou moins (in)consciente de ces discussions, et des questions plus ou moins fermées qui leur ont été posées par leurs proches et/ou thérapeutes, sur leurs souvenirs.

À ce propos, il est notoire que la certitude de l'existence d'un fait et la bonne foi de la personne concernée ne reflètent pas nécessairement la réalité. Les articles produits par le prévenu en attestent, qui soulignent en outre les faiblesses de la méthode EMDR dont bénéficient les recourantes dans le cadre de leurs thérapies et le risque non négligeable de faux souvenirs susceptibles d'être ainsi suscités. Il faut donc prendre avec précaution les souvenirs réapparus ou précisés au cours de la thérapie et/ou de la procédure pénale, et s'assurer qu'ils soient étayés par des éléments objectifs.

Or, en l'occurrence, peu d'indices extérieurs accréditent les dires des plaignantes, hormis ceux admis par le prévenu, avec les limites qui s'y associent. Si un grand nombre des événements relatés a en effet très vraisemblablement existé, les détails leur conférant un caractère pénal sont fermement contestés par l'intéressé. Or, ces dénégations ne peuvent d'emblée être écartées comme dénuées de crédibilité.

Comme les recourantes le reconnaissent elles-mêmes, de nombreux faits s'inscrivent dans un contexte de soins et étaient eux-mêmes justifiés par les circonstances (douches quotidiennes ou après la piscine, crème solaire à la plage, prescriptions médicales, crampe, etc.), sans que s'y attache en principe de connotation sexuelle.

Compte tenu de l'ancienneté des faits et des incertitudes liées à la perception de durée, il n'est pas possible de considérer que le prévenu aurait consacré aux zones intimes de ses filles, lors de ces soins, un temps devant être considéré comme suspect.

Par ailleurs, aucune des jeunes filles ne soutient avoir éprouvé des difficultés à faire cesser un comportement ressenti comme gênant, lorsqu'elles s'en sont ouvertes à leur père. Il apparaît ainsi que ce dernier n'a eu aucune réticence à laisser A______ s'occuper de la douche ou des soins à ses sœurs et qu'il ne paraît en tout cas pas les avoir aidées au-delà d'un âge où elles étaient manifestement en mesure de le faire seules. Les recourantes n'ont pas non plus remis en cause l'affirmation selon laquelle il avait encouragé leur autonomie dans le domaine de l'hygiène corporelle. Rien n'indique dès lors que E______ aurait, en adoptant les gestes incriminés, été animé par des intentions malsaines. Au contraire, le fait qu'il ait recommandé à sa fille aînée, lorsqu'elle devait doucher ses sœurs, de bien nettoyer l'intérieur de leurs parties intimes tend à confirmer qu'ils résultaient exclusivement d'un souci de bien faire.

Dans ces conditions, quand bien même il serait démontré que le prévenu, en passant de la crème solaire sur le corps de C______, en aurait également appliqué dans son sexe, soit sur les lèvres intérieures, rien ne permettrait de conclure qu'il n'a pas agi par inadvertance, le fait que les fillettes soient "tout le temps nues" à la mer en Grèce – ce dont témoignent leurs photographies de vacances – ne permettant pas de qualifier d'emblée d'inadéquat le crémage de la zone intime.

En ce qui concerne les faits dénoncés par D______, E______ a reconnu qu'il venait au réveil dans le lit de sa fille, comme sa propre mère le faisait avec lui, et sans avoir jamais ressenti une quelconque excitation sexuelle. Que la proximité engendrée ait gêné la jeune fille et suscité une sensation de malaise, ne lui confère pas pour autant de caractère pénal. La position "en cuillère" adoptée par E______, s'inscrivant dans le contexte d'un câlin matinal, n'a pas dépassé, elle-même, les limites de la légalité, la jeune fille ayant confirmé qu'hormis la sensation "dure" et "chaude" dans son dos, il ne se passait rien d'autre. Par ailleurs, si son avocat a souligné, dans ses écritures, que, lorsqu'il venait dans le lit de sa fille, "elle l'entendait respirer fortement", il omet de signaler qu'elle pensait que c'était parce qu'il s'était endormi, et que lorsqu'elle le poussait pour le réveiller et lui dire qu'elle devait se lever, il partait sans autres.

C______ a dénoncé des pénétrations anales, survenues à cinq ou six reprises, tout en admettant qu'elles étaient intervenues à une époque où elle souffrait de gros problèmes de transit, attestés par les certificats médicaux produits, ce qui rend superflue une audition de F______ à ce propos. La plaignante a décrit des souvenirs précis de son père lui appliquant de la crème sur l'anus, puis de l'introduction de son doigt dans cet orifice, après celle d'un suppositoire et/ou d'un thermomètre (ses déclarations ont été fluctuantes sur ce dernier point). Les déclarations du prévenu à ce propos, alléguant des gestes purement médicaux, sont confirmées, là aussi, par les documents fournis, mentionnant la prescription d'une pommade anale et de suppositoires. Compte tenu du geste nécessaire à l'introduction d'un suppositoire dans l'anus et de la position de la jeune fille, qui ne lui permettait selon toute vraisemblance pas de le voir, rien ne permet de considérer que E______ ait été, ce faisant, au-delà de ce qui était nécessaire à l'accomplissement du soin. Pour le même motif, auquel s'ajoute le jeune âge de la recourante à l'époque, l'on ne saurait la suivre lorsqu'elle soutient qu'elle aurait été parfaitement à même de s'administrer elle-même ces traitements.

C______ a également évoqué la sensation du sexe de son père "bandant contre elle" sous la douche et une image dans laquelle elle se voyait lui lécher le sexe sur le lit. Les démentis du prévenu à ce propos ne sont contredits par aucun élément. Au contraire, l'on observera: que l'acte le plus grave, concernant une éventuelle fellation, ne figurait pas au nombre des souvenirs que la plaignante a rapportés à la police; qu'au Ministère public, elle a omis de mentionner qu'un tiers y aurait assisté, détail qu'elle n'a fourni qu'à la psychologue qui la suivait depuis janvier 2021; que dans ses écritures de recours, cet événement n'est évoqué que brièvement, sans développement particulier.

De manière plus générale, d'éventuels penchants pédophiles du prévenu ne sont pas étayés par des images compromettantes qui auraient pu être trouvées dans les différents appareils électroniques lui appartenant et qui ont été analysés. Le fait que les femmes qu'il a fréquentées aient été plus jeunes que lui n'est pas non plus un indice, dès lors qu'elles étaient a priori majeures, et ne permet pas de considérer qu'il aurait une quelconque attirance pour les fillettes prépubères, qui plus est pour les siennes.

Le fait qu'il ait adopté des comportements pénalement répréhensibles dans un contexte professionnel ou social ne permet pas non plus d'en inférer, sans autre élément concret, qu'ils se seraient étendus à sa sphère familiale. Les recourantes n'ont d'ailleurs rapporté aucune attitude suspecte lors des vacances qu'elles ont passées seules avec lui, situation qui aurait pourtant été plus propice à la perpétration d'abus sexuels.

L'on relèvera également que le prévenu a consulté à de nombreuses reprises des médecins, lorsqu'il estimait que l'état de santé, y compris psychologique, de ses filles le justifiait. Or, l'on peut douter qu'il aurait pris le risque que celles-ci parlent à des tiers s'il s'était réellement rendu coupable d'actes d'ordre sexuel sur elles, aucune des recourantes ne faisant valoir pour le surplus qu'elles auraient été incitées au silence, d'une manière ou d'une autre.

À cet égard, contrairement à ce qu'elle a allégué à la police, C______ a bien été adressée à la consultation d'une psychologue à l'âge de 11 ans, lorsqu'elle a souffert de troubles intestinaux. C'est par ailleurs elle qui a banalisé la situation à son retour des Canaries, en parlant à son père d'une gastro, sans mentionner la prise de drogue. L'on ne saurait dès lors tirer des seules déclarations de la précitée que le prévenu n'était pas soucieux de l'état de ses filles et qu'il aurait pu volontairement porter atteinte à leur intégrité.

Le mal-être des recourantes tout au long de leur vie et leurs souffrances psychologiques actuelles sont indéniables, ce qui rend superflu l'audition de leurs différents thérapeutes. Pour réels qu'ils soient, il n'en demeure toutefois pas moins que ces troubles ne sauraient être la preuve de la réalité des abus allégués. Les mauvaises relations entre F______ et E______ ont en effet été admises par toutes les parties, au point que D______ s'est demandée comment ils avaient pu avoir des enfants ensemble, tant ils se détestaient. Lors de la séparation, C______ a été suivie dans le cadre d'un groupe pour enfants de parents divorcés et, par la suite, lorsque sa mère a emménagé avec son nouvel ami, a à nouveau été adressée à un psychologue "en raison d'une situation familiale complexe". Même si cet aspect n'a pas été développé, il est vraisemblable que d'autres motifs que le simple fait de bénéficier de davantage de liberté ont motivé la décision des deux aînées d'aller vivre chez leur père à l'adolescence, ce qui rend d'autant moins crédible l'existence d'abus de la part de l'intéressé avant cette période. Enfin, les révélations détaillées au sujet du comportement de leur père, les accusations portées contre lui, sanctionnées par un jugement condamnatoire dans le canton de Vaud, et le caractère public retentissant de la procédure, qui a conduit de nombreuses personnes de leur entourage à en avoir connaissance, ont certainement constitué un choc pour les recourantes, dont l'état de stress post-traumatique constaté par leurs thérapeutes est nécessairement, à tout le moins en partie, la résultante.

Enfin, il est indéniable que le prévenu a un rapport libre à la nudité et à la sexualité, ce qu'il a lui-même admis. Il a par ailleurs pu se montrer inadéquat, dans ses gestes ou ses propos, ou peu à l'écoute du besoin d'intimité de ses filles et du malaise que ses gestes suscitaient parfois. Cette attitude ne permet pas pour autant d'en inférer l'existence d'actes pénalement relevants, dès lors qu'elle ne revêt elle-même pas un tel caractère.

Dans ce contexte, il n'est pas anodin de constater que la démarche de déposer plainte contre le prévenu n'a pas été spontanée, mais a été initiée par F______. D______ a en effet indiqué qu'après les révélations qu'elle avait faites, sa mère "avait voulu porter plainte j'crois", "'fin, elle a dit qu'elle était obligée"; elle n'a formellement confirmé sa volonté que son père soit poursuivi pénalement ni lors de son audition par la police, alors qu'elle était âgée de plus de 17 ans et donc parfaitement capable de le faire (cf. art. 30 al. 3 CP), ni après son accession à la majorité, le ______ 2023. Quant à A______ et C______, ce n'est qu'après avoir été convoquées par la police, au terme de leur audition, qu'elles ont à leur tour déposé plainte.

Il résulte de ce qui précède qu'aucun élément du dossier ne vient étayer de manière suffisamment solide les accusations des recourantes et qu'aucun des actes d'enquêtes proposés ne serait de nature à le faire. La probabilité d'un acquittement au cas où la cause serait soumise au juge du fond est ainsi considérablement plus élevée que celle d'une condamnation.

C'est partant à juste titre, et sans violer le principe in dubio pro duriore, que le Ministère public a classé la procédure.

7.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

8.             Les recourantes succombent. C______ et D______ supporteront par conséquent, à raison d'un tiers chacune, les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 3'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). A______, qui plaide au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite, en sera exemptée (art. 136 al. 2 let. b CPP).

9.             Vu l'issue, les prétentions en indemnisation formulées par C______ et D______ seront rejetées (art. 433 al. 1 CPP).

10.         A______ bénéficie de l'assistance judiciaire gratuite mais son conseil n'a toutefois pas déposé d'état de frais.

Selon l'art. 16 al. 1 let. c RAJ, l'indemnité doit être calculée, pour un chef d'étude, à un taux horaire de CHF 200.-; conformément à l'art. 16 al. 2 RAJ, seules doivent être retenues les heures nécessaires, cette appréciation se faisant en fonction notamment de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu.

Sur la base de ces principes, au regard des écritures déposées (19 pages, page de garde comprise) et de l'absence de difficulté de la cause, l'indemnité due sera arrêtée à CHF 1'000.-, correspondant à cinq heures d'activité, majorée de la TVA (7.7%), soit au total CHF 1'077.- TTC.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Joint les recours.

Les rejette.

Arrête les frais de la procédure à CHF 3'000.- et les répartit à raison d'un tiers à charge de C______ (soit CHF 1'000.-), un tiers à charge de D______ (soit CHF 1'000.-), le solde (CHF 1'000.-) étant laissé à la charge de l'État.

Dit que la part incombant à C______ et D______ sera prélevée sur les sûretés versées.

Arrête à CHF 1'077.- TTC l'indemnité due à Me B______, conseil juridique gratuit de A______.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux parties, soit pour elles leurs avocats respectifs, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/10593/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

2'895.00

-

CHF

Total

CHF

3'000.00