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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3008/2023

ACPR/875/2023 du 09.11.2023 sur ONMMP/2755/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;INJURE;ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE
Normes : CP.122; CP.123; CP.22; CPP.3; CPP.310.al1.leta; CP.177

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3008/2023 ACPR/875/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 9 novembre 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______, représentée par Me B______, avocat,

recourante,

contre l'ordonnance pénale et de non-entrée en matière partielle rendue le 10 juillet 2023 et l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 10 juillet 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 24 juillet 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 juillet 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur les faits visés par la procédure P/3008/2023 en tant qu'ils concernent l'infraction de dommages à la propriété, s'agissant des dégâts causés sur la porte de son appartement, et a déclaré C______ coupable de dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP), d'injure (art. 177 al. 1 CP) et de menaces (art. 180 al. 1 CP).

La recourante conclut, sous suite de frais, à ce que la violation de son droit d'être entendue soit constatée, à l'annulation du classement partiel – voire de l'ordonnance de non-entrée en matière – implicite "contenu" dans l'ordonnance querellée s'agissant du lancer de barre de fer (ou autre objet) dans sa direction, et au retour de la cause au Ministère public pour renvoi en jugement de C______; subsidiairement à ce que la cause soit renvoyée au Ministère public pour qu'il notifie "une ordonnance de classement partiel (ou une ordonnance de non-entrée en matière) respectant les formes prescrites, susceptible d'être attaquée au moyen d'un recours".

b. Par un second acte déposé le même jour, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 juillet 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 6 novembre 2022.

La recourante conclut, avec suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée en ce qui concerne les faits reprochés à D______, et, cela fait, au renvoi de la cause au Ministère public pour poursuite de l'instruction et renvoi en jugement du précité pour injure (art. 177 CP).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 6 novembre 2022, A______ s'est présentée au poste de police de E______ pour y déposer plainte contre sa sœur F______, et ses neveux C______ et D______.

Le 4 novembre 2022, F______ lui avait envoyé des messages d'insultes puis s'était rendue, avec ses deux fils, à son domicile, où ils avaient hurlé dans le couloir de l'immeuble, insulté et menacé sa famille. Alors qu'elle avait entrouvert la porte de son appartement, C______ avait tenté de la frapper avec une clé à molette, laissant une marque sur la porte d'entrée de son domicile, puis avait tenté de tirer G______, son fils, à l'extérieur de l'appartement. Sa sœur et ses deux neveux s'étant dirigés vers la sortie de l'immeuble ; elle les avait suivis pour leur demander des explications. Arrivés au rez-de-chaussée, C______ s'était retourné et avait lancé la clé à molette dans sa direction. Elle avait réussi à l'éviter mais l'outil, dans sa course, avait brisé la vitre de la porte d'entrée de l'immeuble. Elle n'avait pas été blessée mais restait choquée par l'agression. Elle craignait désormais pour les membres de sa famille, C______ étant venu "pour [les] tuer".

b. Le même jour, G______ a déposé plainte contre C______ pour divers messages et enregistrements audio d'insultes ou de menaces publiés sur le groupe WhatsApp familial.

Il a produit un enregistrement vidéo, qui contient un extrait de la vidéo prise par D______ avec son téléphone portable, au moment où ce dernier entrait dans l'immeuble et se rendait à l'appartement de sa tante.

c. Auditionné par la police le 14 novembre 2022, D______ a contesté avoir insulté A______ et expliqué s'être rendu avec sa mère et son frère au domicile de sa tante. Il n'avait pas vu son frère tenir un objet dangereux.

d. Auditionnée le même jour, F______ a déclaré que C______ souhaitant se rendre chez sa tante, D______ et elle l'avaient suivi, car il pouvait rapidement s'énerver, précisant que C______ prenait des antidépresseurs. Une fois sur place, ce dernier avait frappé à la porte de l'appartement de A______, qui en était sortie et les avait injuriés dans les escaliers. Sur le coup de l'énervement, C______ avait jeté un outil, qui avait atterri sur une vitre de l'immeuble. D______ n'avait proféré aucune injure.

e. Auditionné le 28 novembre 2022, C______ a déclaré que sur le trajet en direction du domicile de sa tante, il avait pris une barre de fer pour se protéger d'une éventuelle agression de son cousin. Lorsqu'il était arrivé devant la porte de l'appartement de sa tante, ils avaient discuté et celle-ci avait avoué avoir espionné le téléphone portable de sa mère, ce qui avait attisé la tension. Des insultes avaient été échangées et ils étaient partis, mais sa tante l'avait suivi en l'insultant. Pour la faire taire, il avait envoyé la barre de fer contre la paroi vitrée du rez-de-chaussée, ce qui avait fait fuir sa tante.

f. Par ordonnance rendue le 10 juillet 2023, le Ministère public a accordé l'assistance judiciaire à A______, avec effet au 11 novembre 2022 et désigné Me B______ en qualité de conseil d'office.

C. a. Dans son ordonnance entreprise intitulée "ordonnance pénale et de non-entrée en matière partielle", le Ministère public reconnaît C______ coupable de dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP), d'injure (art. 177 al. 1 CP) et de menaces (art. 180 al. 1 CP). S'agissant de la première infraction, il a retenu que l'intéressé avait, le 4 novembre 2022, vers 21h00, endommagé la porte en verre de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève, en y lançant une barre de fer.

En revanche, il n'entrait pas en matière sur les faits concernant des dégâts causés sur la porte de l'appartement de A______.

b. Dans son ordonnance de non-entrée en matière querellée, le Ministère public retient que les faits dénoncés n'étaient pas établis. A______ n'avait apporté aucune précision sur les propos tenus par D______ et F______. Ces derniers avaient contesté avoir tenu des propos injurieux à son égard et l'audition de son fils n'avait pas permis d'apporter plus d'éléments. Or, aucun élément de preuve ne permettait de privilégier l'une ou l'autre des versions contradictoires.

D. a. Dans son recours contre la première ordonnance, A______ soutient que son droit d'être entendue avait été violé. Par ailleurs, l'ordonnance querellée omettait de préciser que la barre de fer, ayant brisé la porte vitrée de l'immeuble, avait été lancée contre elle, ce qui constituait une tentative de lésions corporelles graves, subsidiairement de lésions corporelles simples aggravées. À tout le moins, le Ministère public aurait dû tenir une audience de confrontation pour déterminer la crédibilité des déclarations des protagonistes.

b. Le Ministère public conclut, sous suite de frais, au rejet du recours précité. L'ordonnance querellée – qui concernait un seul et même événement – ne contenait pas de non-entrée en matière implicite, de sorte que seule l'infraction de dommages à la propriété était concernée, conformément à la jurisprudence selon laquelle il ne se justifiait pas d'exclure expressément d'autres qualifications juridiques non retenues. Sur le fond, aucun élément au dossier ne corroborait le fait que A______ avait été spécifiquement visée par le lancer d'un objet métallique.

c. Dans sa réplique, A______ soutient qu'à suivre le Ministère public, selon lequel aucun élément ne permettait de retenir qu'elle se trouvait entre C______ et la porte vitrée, il lui appartenait de toute façon d'éclaircir cette situation de "parole contre parole".

E. a. Dans son recours contre la seconde ordonnance, A______ conteste qu'aucun moyen de preuve n'existerait pour corroborer sa version des faits. Une vidéo versée au dossier montrait D______ et C______ ainsi que leur mère se diriger vers son appartement. Sur la suite de la vidéo, dont la version au dossier était tronquée, on entendait clairement l'insulte "pute" prononcée par D______ devant ses voisins. Le terme constituait une injure formelle exprimée auprès de tiers.

Elle a produit une version complète de la vidéo prise par D______, dont il ressort que ce dernier explique aux voisins s'inquiétant des cris dans l'immeuble que A______ est une "pute".

b. Le Ministère public conclut, sous suite de frais, au rejet dudit recours. Il relève que la vidéo sur laquelle il s'était fondé avait été produite par G______, également plaignant dans la présente procédure. Or, si le Ministère public ou une partie avait connaissance d'un moyen de preuve ou d'un fait important sans les soulever dans la procédure ayant conduit au classement ou à la non-entrée en matière, elle ne pouvait de bonne foi requérir la poursuite de la procédure en produisant ledit moyen de preuve a posteriori, un tel comportement n'étant pas compatible avec les conditions de l'art. 323 CPP. Devant l'absence d'explications quant à la variation de la durée des deux vidéos produites, on devait admettre que la partie plaignante avait connaissance de la vidéo complète, sans avoir soulevé ce fait dans la procédure, de sorte qu'il ne pouvait procéder à la reprise de la procédure.

c. Dans sa réplique, A______ fait valoir que le droit de proposer des moyens de preuve complémentaires peut s'exercer au moyen du recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière et que l'art. 323 CPP relatif à la reprise de la procédure préliminaire n'est pas applicable, l'ordonnance querellée n'étant pas entrée en force. Enfin, l'assistance judiciaire lui avait été accordée le même jour que le prononcé de l'ordonnance entreprise, de sorte que son conseil n'avait pu intervenir en amont dans le cadre de la procédure.

EN DROIT :

1.             La recourante a déposé deux recours dirigés contre deux décisions distinctes. Ces actes émanent de la même personne et concernent la même procédure. Par conséquent, il se justifie, par économie de procédure, de joindre les deux actes et de les traiter par un seul arrêt.

2.             Les recours sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner des ordonnances sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

3.             À titre liminaire, la Chambre de céans constate que la recourante ne remet pas en cause l'ordonnance de non-entrée en matière en tant qu'elle concerne les infractions reprochées à F______ et l'infraction de menaces reprochée à D______. Elle ne remet pas non plus en cause l'ordonnance pénale et de non-entrée en matière partielle en tant qu'elle concerne les dégâts dénoncés sur la porte de l'appartement de A______. Ces points n'apparaissant plus litigieux, ils ne seront pas examinés plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).

4.             La pièce nouvelle produite devant la juridiction de céans à l'appui du recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière est également recevable, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2). À cet égard et contrairement à ce que semble laisser entendre le Ministère public, il n'y a pas lieu d'examiner la recevabilité de la vidéo produite au stade du recours à l'aune des conditions de l'art. 323 CPP, le recours ayant été interjeté dans le délai prescrit. De plus, la pièce en question a été produite devant la police par un autre plaignant, et non par la recourante, dont rien n'indique qu'elle en disposait durant la procédure préliminaire.

5. Dans un grief formel qu'il convient d'examiner en premier, la recourante invoque une violation de son droit d'être entendue, reprochant au Ministère public de n'avoir pas traité, dans l'ordonnance querellée, l'infraction dénoncée contre son intégrité corporelle.

5.1. Le droit d'être entendu, garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et afin que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. L'autorité doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause
(ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 p. 46; 142 I 135 consid. 2.1).

La motivation peut également être implicite et résulter des différents considérants de la décision. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1).

Tel n’est toutefois pas le cas en matière de classement implicite, l’absence de décision formelle constituant une atteinte grave aux droits procéduraux des parties, singulièrement à celui d'obtenir un acte motivé. Une telle violation ne peut être guérie dans la procédure de recours stricto sensu; la pratique de la Chambre de céans veut, en pareilles circonstances, que la cause soit renvoyée à l’instance précédente pour qu’elle rende une ordonnance (ACPR/824/2022 du 23 novembre 2022 consid. 4.3.2; ACPR/261/2022 du 21 avril 2022 consid. 4.4 in fine; cf. également arrêts du Tribunal fédéral 6B_819/2018 du 25 janvier 2019 consid. 3.8 et 6B_84/2020 du 22 juin 2020 consid. 2.1.2).

5.2. En l'espèce, contrairement à ce que soutient le Ministère public, la problématique n'est pas celle d'une qualification juridique différente de faits, mais de faits précis – le lancer d'un objet métallique en direction de la recourante – non retenus dans la décision, sans qu'il ne soit clair, à la lecture de l'ordonnance querellée, s'ils ont été considérés comme non établis ou simplement été omis dans la subsomption juridique. Le chiffre 1 du dispositif de l'ordonnance querellée se limite à refuser l'entrée en matière sur les faits "en tant qu'ils concernent l'infraction de dommages à la propriété, s'agissant des dégâts causés sur la porte de l'appartement" de la recourante. La partie "en droit" de ladite ordonnance semble également se rapporter uniquement à cet aspect de la plainte de la recourante. Or, les motifs ayant conduit le Ministère public à écarter une infraction aux art. 122 CP ou 123 CP ne peuvent être inférés de l'ordonnance entreprise.

La recourante – à qui le Ministère public a octroyé l'assistance judiciaire simultanément au prononcé de l'ordonnance querellée – n'était pas assistée d'un conseil durant la procédure préliminaire. Arabophone, elle a déposé plainte pénale lors d'une audition devant la police, sans qualifier les infractions dénoncées – ce qu'elle n'était pas tenue de faire –. Or, il ressort clairement de son audition du 6 novembre 2022 qu'elle reprochait au mis en cause d'avoir tenté de l'atteindre avec un objet métallique, qu'elle avait réussi à éviter et qui avait heurté la porte vitrée de l'immeuble.

Dans ces circonstances, le Ministère public ne pouvait considérer, sans rendre une ordonnance séparée de classement ou de non-entrée en matière, que les infractions aux art. 122 CP, subsidiairement 123 CP, n'étaient pas réalisées.

Par conséquent, le recours est fondé sur ce point. La cause sera renvoyée au Ministère public pour qu'il rende une décision formelle concernant l'éventuelle atteinte à l'intégrité corporelle de la recourante.

6. La recourante reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur l'infraction d'injure reprochée à D______.

6.1.1. Le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité ; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1 ; ATF 137 IV 219 consid. 7). Le principe "in dubio pro duriore" ne trouve ensuite application que lorsque, sur la base des éléments à disposition, il existe un doute sur le fait de savoir si l'existence d'un soupçon est étayée, au point de justifier une mise en accusation, respectivement de rendre vraisemblable une condamnation (arrêt 6B_196/2020 précité).

6.1.2. L’art. 177 CP (injure) réprime le comportement de quiconque aura, d’une autre manière que celle décrite aux art. 173 et ss CP, notamment par la parole ou l'écriture, attaqué autrui dans son honneur.

Un jugement de valeur – c’est-à-dire une manifestation directe de mésestime, au moyen, entre autres, de mots blessants – peut constituer une injure, et ce quel que soit son destinataire (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.4 ; 137 IV 313 consid. 2.1.2).

Les cas privilégiés de la provocation (art. 177 al. 2 CP) et de la riposte (art. 177 al. 3 CP) ne trouvent application que lorsque l'injure constitue une réaction ou une riposte immédiates. La notion d'immédiateté est une notion de temps impliquant que l'auteur a agi sous le coup de l'émotion provoquée par la conduite de l'injurié, sans avoir eu le temps de réfléchir tranquillement (ATF 83 IV 151 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_938/2017 du 2 juillet 2018 consid. 5.3.2).

6.2. En l'espèce, il ressort de l'enregistrement vidéo produit à l'appui du recours qu'un individu identifié comme D______ qualifie la recourante de "pute" devant les voisins de palier de cette dernière.

Or, un tel qualificatif est susceptible de constituer une manifestation de mépris tombant sous le coup de l'art. 177 al. 1 CP. Le terme étant lancé sur le palier alors que la recourante se trouvait encore dans son appartement fermé, sans possibilité d'interagir avec l'intéressé, les cas privilégiés ne paraissent pas devoir s'appliquer.

Par conséquent, c'est à tort que le Ministère public a retenu que les éléments constitutifs de l'infraction d'injure n'étaient pas réalisés.

7. Fondés, les recours doivent être admis.

L'ordonnance de classement implicite contenue dans l'ordonnance pénale querellée en tant qu'elle concerne les soupçons de tentative de lésions corporelles (art. 122 ou 123 CP cum art. 22 al. 1 CP) en lien avec la plainte de la recourante sera annulée. Partant, la cause sera renvoyée au Ministère public pour poursuite de l'instruction.

L'ordonnance de non-entrée en matière sera annulée en tant qu'elle concerne les faits d'injure reprochés à D______.

8. L'admission des recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

9. L'indemnité du conseil d'office de la recourante sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP par renvoi de l'art. 138 al. 1 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours.

Les admet.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière implicite contenue dans l'ordonnance pénale querellée en tant qu'elle concerne les soupçons de tentative de lésions corporelles reprochés à C______ et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il notifie une décision formelle sur cet aspect.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière querellée en tant qu'elle concerne les soupçons d'injure reprochée à D______ et renvoie la cause au Ministère public pour ouverture d'une instruction.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).