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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/7411/2022

ACPR/221/2023 du 27.03.2023 sur ONMMP/4736/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : FOR DE LA POURSUITE;ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;AUTEUR(DROIT PÉNAL);INCONNU
Normes : CPP.310; CP.3; CP.8; CP.6; CP.183; CP.184

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7411/2022 ACPR/221/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 27 mars 2023

 

Entre

A______, domicilié c/o Hôtel B______, ______ comparant par Me Romain JORDAN, avocat, Merkt & Associés, rue Général-Dufour 15, case postale, 1211 Genève 4,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière et l'ordonnance de refus d'octroi de l'assistance judiciaire rendues le 23 décembre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 13 janvier 2023, A______ recourt contre les ordonnances du 23 décembre 2022, communiquées par plis simples, par lesquelles le Ministère public n'est pas entré en matière sur sa plainte du 31 mars 2022 et a refusé de lui accorder l'assistance judiciaire.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation des ordonnances querellées, au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction et à ce que l'assistance judiciaire lui soit accordée dans le cadre de la présente procédure.

b. Selon le rapport du Greffe de l'assistance juridique du 22 février 2023, A______ n'est pas en mesure de financer sa défense par ses propres deniers, son revenu mensuel disponible étant inférieur au minimum vital à Genève majoré de 25%.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 17 mars 2022, C______ a contacté les services de police car un de ses amis vivant en Ukraine, soit A______, avait été enlevé et une demande de rançon lui avait été formulée (rapport de renseignements du 28 mars 2022).

b. Le jour-même, C______ a déposé plainte contre inconnus.

En substance, il expliquait que depuis le début de la guerre, il avait eu des contacts réguliers avec A______ jusqu'au 14 mars 2022 à 10h15. Puis, le 17 mars 2022 à 14h29, il avait reçu un appel de sa part via Whatsapp. A______ lui avait dit avoir été enfermé par des hommes armés et devoir verser la somme de 10'500.- pour être libéré. Il avait aussi conversé avec "D______" ou "E______", qu'il avait rencontré durant l'été 2021 alors qu'il avait rendu visite à A______ en Ukraine. À l'issue de l'entretien téléphonique, il avait envoyé un message en russe à son ami pour demander aux ravisseurs de ne pas lui faire de mal en attendant que lui-même trouve une solution. Il n'avait eu aucune réponse et n'avait pas reçu de nouvel appel.

c. Selon le rapport de renseignements du 28 mars 2022, la police a procédé notamment aux auditions suivantes.

c.a. F______, épouse de A______, a déclaré que le prénommé l'avait contactée pour la dernière fois le 9 mars 2022; il ne lui avait pas demandé d'argent.

Appelé durant l'audition, le fils de cette dernière, qui s'était rendu en Ukraine avec A______, a précisé que l'intéressé fréquentait un certain "D______".

c.b. G______, mère de A______, a déclaré que son fils lui avait téléphoné le 17 mars 2022 vers 15 heures pour lui annoncer qu'il était pris en otage et lui demander la somme de CHF 10'500.-, évoquant des instructions "incompréhensibles" pour procéder au paiement. Elle lui avait dit qu'elle allait aussi demander à ses sœurs de lui avancer ladite somme. Lors du second appel à 18h00, elle avait expliqué à son fils ne pas être parvenue à réunir l'argent.

d. Il ressort en outre dudit rapport de renseignements que:

d.a. Selon les recherches effectuées par la Brigade de criminalité informatique
(ci-après: BCI), la dernière connexion liée au numéro de téléphone portable de A______ avait eu lieu le 17 mars 2022 à 16:55:54 UTC. L'adresse IP était localisée en Ukraine, "probablement" dans la ville de H______. En outre, une application avait été téléchargée le 14 mars 2022 à 00:21:46 PST/PDT. L'adresse IP était également localisée en Ukraine et enregistrée auprès d'une société domiciliée dans la même rue que le logement de A______. Aucune autre donnée de localisation n'était disponible. Ces informations avaient été transmises aux forces de l'ordre ukrainiennes via Europol.

d.b. Comme l'entraide judiciaire internationale avec l'Ukraine était provisoirement impossible, la police a contacté des membres du National Anti-Corruption Bureau of Ukraine (ci-après: NABU), lesquels se sont rendus à l'appartement de A______. Selon l'enquête de voisinage, des voisins s'étaient rendus chez lui dans la semaine du 14 mars 2022 entre 18h00 et 22h00, en raison de problèmes de bruit. Puis, la défense territoriale ukrainienne (armée de milice) était intervenue en armes et uniformes et avait arrêté deux hommes à la suite de la découverte de drogue. Depuis, les voisins n'avaient plus revu A______.

Le 19 mars 2022 à 11h25, le NABU a informé la police genevoise de la libération de A______, confirmant qu'il s'agissait d'une "prise d'otages" par la police locale de I______ et que "d'autres informations suivraient, une fois que les faits seraient éclaircis". À 18h52, le NABU a confirmé que D______ avait aussi fait partie des otages, lesquels avaient été localisés dans une installation policière du quartier de I______ durant la journée du 19 mars 2022 et détenu par une dizaine de policiers armés. Les otages étaient enfermés dans des cellules insalubres situées au sous-sol du bâtiment, dans un état de malnutrition et de déshydratation, après avoir subi de mauvais traitements physiques et psychiques, sans avoir été entendus sur les faits qui leur étaient reprochés et sans avoir eu accès à des avocats ou des autorités consulaires suisses. Aucune procédure n'avait été ouverte par la police locale malgré la prétendue découverte de drogue, de sorte que leur détention paraissait illicite. Le NABU avait donc imposé la libération immédiate des deux otages. À 19h10, la police genevoise s'était entretenue avec A______.

Le 20 mars 2022 à 15h00, le NABU avait informé la police genevoise que A______ avait été auditionné sur les circonstances de son interpellation et de sa détention. Les moyens de preuve avaient été préservés afin qu'une procédure pénale soit ouverte contre les preneurs d'otage aussitôt que la situation le permettrait.

e. Entendu par la police à son retour en Suisse le 31 mars 2022, A______ a déposé plainte contre inconnus. Il a décrit les circonstances de son départ pour H______ en juin 2020 et expliqué que "D______" s'était installé chez lui à la fin du mois de février 2022. Il a ensuite relaté le conflit qui avait eu lieu avec son voisin, son épouse et d'autres personnes les accompagnant le 14 mars 2022 en fin d'après-midi, lors duquel il avait reçu des coups et avait été menacé avec un couteau, ainsi que les conditions dans lesquelles les militaires ou les policiers étaient intervenus peu après ledit conflit à son domicile, avant de l'emmener dans un poste de police.

A______ est ensuite revenu sur la manière dont il avait été interrogé par des personnes qu'il avait notamment surnommées le "Commandant" ou encore l'"Arménien", ainsi que les instructions et les menaces reçues pour demander à ses proches le paiement de la rançon en échange de sa liberté. Il a aussi expliqué les conditions dans lesquelles il avait été détenu du 14 au 19 mars 2022 à H______ et les mauvais traitements qu'il avait subis durant son enfermement. Il a enfin relaté les circonstances de sa libération et le retour dans son appartement, lequel se trouvait dans un état chaotique.

Durant son audition, A______ a encore donné des descriptions tant du lieu dans lequel il avait séjourné que des "inconnus" qui l'avaient arrêté, détenu et violenté.

Il a produit des photographies de son visage et de son appartement à H______. Ensuite des coups reçus, il avait eu le visage tuméfié, un hématome au niveau du dos, un cliquetis et un sifflement au niveau des oreilles et des douleurs persistantes aux côtes. Il était très traumatisé par ce qu'il avait vécu.

f. Par pli du 31 mars 2022, A______ a sollicité la désignation de
Me Romain JORDAN en tant que conseil juridique gratuit.

g. Par courriel du même jour, A______ a transmis à la police une photographie de D______.

h. Un constat de lésions traumatiques de A______, établi par le Centre universitaire romand de médecine légale (ci-après: CURML) à son retour en Suisse, a été joint à la procédure.

i. Le téléphone portable de A______ a fait l'objet d'une extraction de contenu par la BCI.

C. a. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que les faits dénoncés sont constitutifs d'enlèvement et de séquestration aggravés (art. 183 ch. 1 et 184 CP). Le fait de chercher à obtenir une rançon auprès d'un tiers était une circonstance aggravante déployant des effets "uniquement sur la sanction". Ainsi, comme il ne s'agissait pas d'un élément constitutif de l'infraction et que les faits s'étaient déroulés en Ukraine, les autorités suisses n'étaient pas compétentes (art. 310 al. 1 let. b CPP).

S'agissant des actes subis par A______ durant son incarcération dès le 14 mars 2022 et durant plusieurs jours à H______, le Ministère public n'était pas non plus compétent pour poursuivre ces faits sur la base de l'art. 3 CEDH dès lors que les auteurs, qui n'avaient pas pu être identifiés, ne se trouvaient pas sur le territoire helvétique (art. 6 CP).

Enfin, les autres faits dénoncés (vols commis dans son appartement à H______, objets endommagés dans ce logement, coups reçus de son voisin et des agents de police ayant participé à sa séquestration), étaient constitutifs de vol (art. 139 ch. 1 CP), dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP), lésions corporelles simples (art. 123
ch. 1 CP) et voies de fait (art. 126 al. 1 CP). Ils avaient eu lieu en Ukraine de sorte que les autorités suisses n'étaient pas compétentes (art. 3 al. 1 CP).

Pour les mêmes motifs, le Ministère public a également refusé d'entrer en matière sur la plainte déposée par C______ (art. 310 al. 1 let. a et b CPP).

b. Par ordonnance séparée, le Ministère public a refusé l'octroi de l'assistance judiciaire à A______. L'action civile paraissait vouée à l'échec dès lors que sa plainte s'était soldée par une ordonnance de non-entrée en matière en raison du défaut de compétence des autorités suisses.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir dénié sa compétence s'agissant de l'infraction d'enlèvement et séquestration aggravés, dans la mesure où tant les personnes forcées à participer à la remise de la rançon que le patrimoine sur lequel ladite rançon devait être prélevée se trouvaient en Suisse. Ainsi, le Ministère public était compétent à raison du lieu (art. 8 CP).

En outre, les procédés employés par les ravisseurs avaient pour objectif d'entraver C______ dans sa liberté d'action en le forçant à verser une rançon. Dans la mesure où C______ se trouvait en Suisse au moment des faits et que l'infraction de contrainte (art. 181 CP) était poursuivie d'office, l'ouverture d'une instruction s'imposait également sous cet angle.

Les actes dénoncés étaient constitutifs d'une violation de l'art. 1 de la Convention internationale contre la prise d'otage du 17 décembre 1979 (RS.0.351.4) et de l'art. 1 de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants (RS.0.105), ce qui justifiait l'annulation de l'ordonnance entreprise et le renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

Enfin, le refus d'entrer en matière violait l'art. 6 CEDH sous l'angle de l'art. 3 de la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP; RS.291) et de l'art. 5 de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants précités. À teneur de l'arrêt Naït-Liman c. Suisse du 15 mars 2018, [requête n° 51357/07], un for de nécessité existait. Au vu du conflit armé et de la corruption prévalant en Ukraine, il ne pouvait être raisonnablement exigé de lui qu'il introduise une procédure auprès des autorités ukrainiennes. Dès lors que la cause présentait un lien suffisant avec la Suisse – la victime était un ressortissant suisse et les actes d'extorsion commis par les auteurs visant des tiers localisés en Suisse –, le refus du Ministère public portait atteinte à son droit d'accès à un for approprié.

S'agissant du refus d'octroi de l'assistance judiciaire, il n'avait pas encore eu l'occasion de formuler ses prétentions civiles et demeurait dans une indigence complète à la suite des faits dénoncés. Les chances de succès ne pouvaient être qualifiées d'inexistantes. Au vu de la gravité des infractions dénoncées, un contrôle de la non-entrée en matière apparaissait raisonnable. C'était donc à tort que le Ministère public avait rejeté ladite demande.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2.             2.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

2.2. Seule une partie à la procédure qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée peut toutefois se voir reconnaître la qualité pour agir (art. 382 al. 1 CPP).

Tel est, en particulier, le cas du lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 143 IV 77 consid. 2.2; 141 IV 454 consid. 2.3.1).

2.3. En l'espèce, le recourant dispose de la qualité pour recourir s'agissant des faits de séquestration et enlèvement aggravés ainsi que du traitement subi durant sa détention, étant directement touché par les faits dénoncés.

En revanche, en tant que le recourant reproche aux mis en cause d'avoir tenté de restreindre C______ dans sa liberté de décision et d'action en le forçant à verser une rançon en échange de sa liberté à lui (art. 181 CP), il n'a pas la qualité pour recourir, n'étant pas titulaire du bien juridique protégé.

Son recours est donc irrecevable sur ce point.

3.             3.1. Selon l'art. 310 al. 1 CPP, le Ministère public rend toutefois immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a) ou s'il existe des empêchements de procéder (let. b).

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation.

Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le Procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310). Parmi les motifs de fait, on trouve l'impossibilité d'identifier l'auteur (op.cit. n.9a ad 310; cf. aussi ACPR/918/2019 du 20 novembre 2019 consid. 4.1 et ACPR/744/2022 du 1er novembre 2022 consid. 3.1.).

3.2.1. L'incompétence des autorités pénales suisses à raison du lieu est constitutive d'un empêchement définitif de procéder au sens de l'art. 310 al. 1 let. b CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1355/2018 du 29 février 2019 consid. 4.5.1; 6B_127/2013 du 3 septembre 2013 consid. 4; ACPR/488/2014 du 31 octobre 2014 consid. 2.1; cf. toutefois l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_1045/2014 du 19 mai 2015 consid. 4.3, non publié in ATF 141 IV 205, qui y voit une condition à l'ouverture de l'action pénale).

3.2.2. Aux termes de l'art. 3 al. 1 CP, le Code pénal suisse est applicable à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse.

Un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir qu'au lieu où le résultat s'est produit (art. 8 al. 1 CP).

3.2.3. La compétence en raison du lieu de la Suisse pour des infractions commises à l'étranger est régie par les art. 4 à 7 CP.

Plus particulièrement, l'art. 4 CP traite de la compétence du juge suisse pour tout crime ou délit commis par un Suisse ou un étranger contre l'État suisse; l'art. 5 CP pour toute infraction commise par un Suisse ou un étranger sur des mineurs; l'art. 6 CP pour tout crime ou délit, commis par un Suisse ou un étranger, que la Suisse s'est engagée à poursuivre en vertu d'un accord international; et l'art. 7 CP pour tout crime ou délit, commis par un Suisse ou un étranger, qui ne répond pas aux conditions des art. 4 à 6 CP.

3.2.4. Pour que les art. 5 à 7 CP trouvent application, il faut que l'auteur se trouve en Suisse. Il suffit qu'il soit présent, sur le territoire helvétique, au moment de l'ouverture de la poursuite et ne soit pas extradé. Sa présence peut aussi intervenir à n'importe quel autre stade de la procédure (arrêt du Tribunal pénal fédéral BB.2011.140 du 25 juillet 2012 consid. 3.1.).

La poursuite complètement in absentia n'est pas prévue par les articles précités, qui ne permettent pas que des procédures soient menées à terme en l'absence complète d'un auteur en Suisse (ATF 108 IV 145 consid. 3).

Si des plaignants rendent vraisemblable que l’auteur d’un crime ou d’un délit de la compétence des autorités suisses se trouve sur le territoire suisse, ou est susceptible de se rendre en Suisse dans un futur plus ou moins proche, les autorités doivent procéder aux investigations d’usage en vue d’une éventuelle arrestation et elles ne peuvent se prévaloir de l’absence de l’auteur présumé en Suisse pour décliner toute compétence, et donc toute investigation, ce qui constituerait un véritable déni de justice.

À l’inverse, lorsque l’auteur n’a que peu de chance de venir prochainement en Suisse, les autorités peuvent se contenter d’enregistrer la plainte et suspendre la poursuite pénale ou y renoncer, sous réserve de la conservation des preuves, les poursuites pouvant être réactivées si l’auteur vient ultérieurement en Suisse (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 29b et 30 ad art. 6).

3.3. L'art. 183 al. 1 CP punit d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire celui qui, sans droit, aura arrêté une personne, l'aura retenue prisonnière, ou l'aura, de toute autre manière, privée de sa liberté, respectivement celui qui, en usant de violence, de ruse ou de menace, aura enlevé une personne.

La séquestration et l'enlèvement sont punis d'une peine privative de liberté d'un an au moins, si l'auteur a cherché à obtenir rançon, s'il a traité la victime avec cruauté, si la privation de liberté a duré plus de dix jours ou si la santé de la victime a été sérieusement mise en danger (art. 184 CP).

Les circonstances aggravantes prévues par cette disposition ne constituent pas des circonstances personnelles, au sens de l'art. 27 CP, et doivent par conséquent être retenues à l’encontre de tous les participants qui en avaient connaissance, même s’ils n’ont pas commis les actes qui fondent cette aggravation (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ [éds], Commentaire romand, Code pénal II, Partie spéciale : Art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 1 ad art. 184 CP et les références citées).

Le bien juridique protégé par ces dispositions est la liberté. Le plus souvent, cependant, cette atteinte n'est pas pour l'auteur, un but en soi.; elle n'est pour lui qu'un moyen d'obtenir quelque chose de la victime elle-même ou d'un tiers; si c'est la remise d'une chose, notamment d'une somme d'argent qui est recherchée, l'auteur s'en prend alors non seulement à la liberté de la victime et du tiers – privant la première de sa liberté et contraignant le second à faire quelque chose – mais aussi au patrimoine d'autrui; dans ce cas, l'atteinte à la liberté n'est voulue que pour porter atteinte au patrimoine d'autrui. Celui qui enlève ou séquestre une personne en vue d'obtenir une rançon ne s'en prend donc pas uniquement à la liberté mais au patrimoine d'autrui (ATF 127 IV 79 c. 2).

Chercher à obtenir une rançon signifie que l'auteur formule son exigence pendant la privation de liberté, exigence qui doit être comprise par la personne enlevée. Il n'est toutefois pas nécessaire que la rançon soit effectivement versée pour que l'infraction soit réalisée (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ [éds], op. cit., Bâle 2017, n. 1 ad art. 184 CP et les références citées).

3.4. À la lumière de ce qui précède, les actes reprochés aux mis en cause en lien avec les violences subies par le recourant durant sa détention (art. 123 et 126 CP) ou les dégâts et vols commis à son appartement à H______ (art. 139 et 144 CP) n'ont pas produit de résultat en Suisse et ne peuvent donc y donner lieu à l'ouverture d'une poursuite pénale fondée sur l'art. 8 CP.

Sous l'angle desdites infractions, en particulier des actes de torture invoqués, il convient encore d’examiner si le Code pénal suisse est applicable et, a fortiori, la compétence des autorités pénales suisses donnée, sur la base de l’art. 6 al. 1 CP.

Il ressort des éléments au dossier que les mis en cause sont des ressortissants ukrainiens ou, éventuellement, "Arméniens" résidant en Ukraine. Rien ne laisse ainsi supposer qu'ils se trouveraient en Suisse ou qu'ils s'y rendraient dans un futur proche, ni même qu'ils seraient remis à la Suisse en raison des actes dénoncés ce qui, au demeurant, n'est nullement allégué.

Dans ces circonstances, la compétence ratione loci des autorités judiciaires pénales suisses fait manifestement défaut.

L'arrêt cité par le recourant (arrêt CourEDH Naït-Liman c. Suisse du 15 mars 2018, [requête n° 51357/07]) ne lui est d'aucun secours. En effet, en plus de concerner le refus des juridictions civiles suisses d'examiner une action civile en réparation du préjudice moral causé par des actes de torture allégués, le for de nécessité prévu à l'art. 3 LDIP concerne les cas dans lesquels aucun for n'est prévu par la loi. Or, en l'occurrence, il existe précisément un for prévu par le législateur à l'art. 6 CP. Pour le surplus, rien n'indique que l'Ukraine, membre de la CEDH, n'effectuera pas une enquête conforme aux exigences de l'art. 6 CEDH, une fois que la situation sera apaisée, ce d'autant compte tenu des informations communiquées par le NABU à la police genevoise le 20 mars 2022 (cf. B.d.b. dernier §).

3.5. S'agissant des faits de séquestration et enlèvement, il n'est pas contesté que les mis en cause ont cherché à obtenir une rançon auprès de tiers domiciliés en Suisse, dont à Genève, remplissant ainsi les conditions de la première circonstance aggravante prévue par l'art. 184 CP. À teneur des considérations qui précèdent, le fait de chercher à obtenir une rançon, représente aussi un élément constitutif de l'infraction dénoncée, en particulier dans la mesure où il s'agit d'un bien juridiquement protégé différent et que ladite circonstance aggravante est indépendante de la personne de l'auteur. Ainsi, dans la mesure où les tiers étaient domiciliés en Suisse, dont à Genève, et qu'ils auraient agi depuis ce lieu pour effectuer le paiement de la rançon, paiement qui leur aurait causé un préjudice patrimonial, la compétence territoriale des autorités pénales suisses paraît donnée.

Cela étant, la seule description physique des agresseurs ou des lieux de sa séquestration, donnée par le recourant, n'apparaît pas suffisamment précise pour permettre l'identification ou la recherche des auteurs. Ainsi, les éléments au dossier ne permettent pas d'identifier le ou les agresseur(s) et on ne voit pas, en l'état, quel acte d'instruction serait susceptible d'apporter un quelconque élément pertinent à ce propos, a fortiori compte tenu de la situation prévalant en Ukraine. Le recourant, au demeurant, n'en propose aucun.

Ainsi, ce sont les soupçons insuffisants d'une infraction qui doivent être constatés, au sens de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, mais non l'existence d'un empêchement de procéder (ACPR/469/2019 du 20 juin 2019 consid. 3.1.; ACPR/665/2018 du 13 novembre 2018 consid. 3.2.), comme l'a retenu le Ministère public, étant précisé que des soupçons peuvent renaître en cas de faits nouveaux, au sens de l'art. 323 CPP, applicable à la non-entrée en matière, selon l'art. 310 al. 2 CPP (ACPR/160/2018 du 16 mars 2018 consid. 3.1. et la référence citée).

La décision attaquée est, quoi qu'il en soit, bien fondée dans son résultat sur ce point.

4.             Le recourant fait grief au Ministère public de ne pas lui avoir octroyé l'assistance judiciaire.

4.1. Conformément à l'art. 136 al. 1 CPP, l'assistance judiciaire est accordée à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles si elle est indigente (let. a) et si l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).

La cause du plaignant ne doit pas être dénuée de toute chance de succès. La demande d'assistance judiciaire gratuite doit être rejetée lorsqu'il apparaît d'emblée que la démarche est manifestement irrecevable, que la position du requérant est juridiquement infondée ou si la procédure pénale est vouée à l'échec, notamment lorsqu'une ordonnance de non-entrée en matière ou de classement doit être rendue (arrêt du Tribunal fédéral 1B_254/2013 du 27 septembre 2013 consid. 2.1.1).

4.2. En l'espèce, quand bien même le recourant est indigent, il a été jugé supra que ses griefs étaient juridiquement infondés. Il en découle que les conditions pour lui octroyer l'assistance judiciaire ne sont manifestement pas réalisées. Partant, c'est à bon droit que le Ministère public a rejeté sa demande de nomination de conseil juridique gratuit.

Au vu de l'issue du recours, la demande sera également rejetée pour cette instance.

5.             Justifiées, les ordonnances querellées seront donc confirmées.

6.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 600.-, ceci au regard de sa situation financière (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), étant précisé que la décision sur le refus d'assistance juridique gratuite est, elle, rendue sans frais (art. 20 RAJ).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Rejette la demande d'assistance judiciaire.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/7411/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

515.00

-

CHF

Total

CHF

600.00