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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/17022/2022

AARP/407/2024 du 13.11.2024 sur JTDP/726/2024 ( PENAL ) , REJETE

Descripteurs : FIXATION DE LA PEINE
Normes : CP.47
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17022/2022 AARP/407/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 13 novembre 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me Yann ARNOLD, avocat, Benoît & Arnold Avocats, rue Du-Roveray 16, case postale, 1211 Genève 6,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/726/2024 rendu le 10 juin 2024 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/726/2024 du 10 juin 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable d'infraction à l'art. 117 al. 1 et 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI) et l’a condamné à une peine pécuniaire de 90 jours-amende (art. 34 du code pénal [CP]) à CHF 100.- l’unité, assortie du sursis et d’un délai d'épreuve de trois ans (art. 42 et 44 CP).

A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant au prononcé d’une peine n’excédant pas 30 jours-amende.

b. Selon l'ordonnance pénale du 21 février 2023, il était reproché à A______ d’avoir, du 2 mars 2020 au 30 juin 2022, employé à temps plein au sein de la société B______ Sàrl, en sa qualité d'associé gérant avec signature individuelle, C______, ressortissant kosovar, alors qu'il le savait démuni des autorisations nécessaires pour exercer une activité lucrative en Suisse.

B. Les faits décrits dans l’ordonnance pénale sont admis par l’appelant. Il est dès lors renvoyé au jugement de première instance (art. 82 al. 4 du code de procédure pénale [CPP]), seuls les éléments ci-après, pertinents pour la fixation de la peine, étant rappelés.

a. C______ est le beau-frère de A______ : sa sœur est l’épouse de l’appelant.

b. Depuis le 25 juillet 2023, C______ est titulaire d’une autorisation de séjour (permis B) ; à teneur des informations de l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM), ce permis est valable depuis le 27 juillet 2022. Il a été délivré ensuite du mariage de l’intéressé, le ______ 2023, avec une citoyenne suisse ; le couple a un enfant, né en novembre 2022.

c. A______ a constamment expliqué avoir engagé son beau-frère car celui-ci, qui séjournait selon lui en Suisse depuis plusieurs années, s’était retrouvé sans emploi et dans une situation financière difficile alors qu’il vivait avec sa future épouse suissesse.

d. Lors de son audition au Ministère public (MP), A______ a exposé qu’une peine de 180 jours-amende, telle que fixée par le MP dans son ordonnance pénale, retarderait sa procédure de naturalisation de dix ans, alors qu’une peine de 90 jours-amende ne la retarderait que de la durée du délai d’épreuve.


 

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.

b. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.

c. Le MP et le TP se réfèrent à la décision entreprise.

d. Les arguments plaidés seront discutés, dans la mesure de leur pertinence, au fil des considérants qui suivent.

D. a. A______ est né le ______ 1982 à D______ au Kosovo, pays dont il est originaire. Il est titulaire d'un permis C. Il est marié et père de cinq enfants à charge. Il travaille en qualité de carreleur et réalise un revenu mensuel net de CHF 7'400.-. Son loyer est de CHF 1'900.- et il paye les primes d'assurance maladie pour la famille à hauteur de CHF 1'900.- par mois. Il n'a ni dette ni fortune. Son épouse travaille et perçoit un salaire d'environ CHF 4'000.- par mois. Il a des frais de nourrice à hauteur de CHF 1'000.- par mois, ainsi que CHF 265.- de frais de jardin d'enfant. Ses impôts se sont élevés à environ CHF 9'000.- pour l'année 2022. Il indique que sa procédure de naturalisation a été mise en suspens jusqu'à janvier 2027, en lien notamment avec l'inscription de 2017 figurant à son casier judiciaire. Les demandes s'agissant de deux de ses enfants sont également en suspens.

b. Selon l’extrait du casier judiciaire, A______ a été condamné le 11 janvier 2017, par le Ministère public de Genève, à une peine pécuniaire de 120 jours-amende à CHF 50.- le jour, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, pour emploi d'étrangers sans autorisation au sens de l'art. 117 al. 1 LEI.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

Le juge doit d'abord déterminer le genre de la peine devant sanctionner une infraction, puis en fixer la quotité. Pour déterminer le genre de la peine, il doit tenir compte, à côté de la culpabilité de l'auteur, de l'adéquation de la peine, de ses effets sur l'auteur et sur sa situation sociale ainsi que de son efficacité du point de vue de la prévention (ATF 147 IV 241 consid. 3.2 p. 244 ss).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

2.2. Le législateur reprend, à l'art. 47 al. 1 CP, les critères des antécédents et de la situation personnelle. Il y ajoute la nécessité de prendre en considération l'effet de la peine sur l'avenir du condamné. À ce propos, le message du Conseil fédéral expose que le juge n'est pas contraint d'infliger la peine correspondant à la culpabilité de l'auteur s'il y a lieu de prévoir qu'une peine plus clémente suffira à le détourner de commettre d'autres infractions (Message du Conseil fédéral du 21 septembre 1998 concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs, FF 1999 p. 1866). La loi codifie la jurisprudence selon laquelle le juge doit éviter les sanctions qui pourraient détourner l'intéressé de l'évolution souhaitable (ATF 128 IV 73 consid. 4 p. 79 ; 127 IV 97 consid. 3 p. 101). Cet aspect de prévention spéciale ne permet toutefois que des corrections marginales, la peine devant toujours rester proportionnée à la faute (arrêts du Tribunal fédéral 6B_633/2007 du 30 novembre 2007 consid. 4.1 ; 6B_673/2007 du 15 février 2008 consid. 3.1).

2.3. Compte tenu des nombreux paramètres qui interviennent dans la fixation de la peine, une comparaison avec des affaires concernant d'autres accusés et des faits différents est d'emblée délicate. Il ne suffit pas que le recourant puisse citer un ou deux cas où une peine particulièrement clémente a été fixée pour prétendre à un droit à l'égalité de traitement (ATF 123 IV 49 consid. 2e ; 120 IV 136 consid. 3a et les références). Les disparités en cette matière s'expliquent normalement par le principe de l'individualisation des peines, voulu par le législateur ; elles ne suffisent pas en elles-mêmes pour conclure à un abus du pouvoir d'appréciation. Ce n'est que si le résultat auquel le juge de répression est parvenu apparaît vraiment choquant, compte tenu notamment des arguments invoqués et des cas déjà examinés par la jurisprudence, que l'on peut parler d'un abus du pouvoir d'appréciation (ATF
141 IV 61 consid. 6.3.2 ; 135 IV 191 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_353/2016 du 30 mars 2017 consid. 3.2).

2.4. Selon l’art. 117 al. 1 LEI, quiconque, intentionnellement, emploie un étranger qui n'est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse ou a recours, en Suisse, à une prestation de services transfrontaliers d'une personne qui n'a pas l'autorisation requise est puni d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire. L’al. 2 de cette disposition précise que quiconque, ayant fait l’objet d’une condamnation exécutoire en vertu de l’al. 1, contrevient de nouveau, dans les cinq années suivantes, à l’al. 1, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

2.5. En l’espèce, sans se prévaloir expressément d’une circonstance atténuante, l’appelant fait pour l’essentiel valoir son bon comportement en lien avec les faits reprochés, rappelant les liens familiaux qu’il entretient avec la personne qu’il a employée alors qu’elle était dépourvue d’autorisation de séjour. Il souligne également s’être acquitté des charges sociales et lui avoir versé un salaire supérieur aux minimums de la branche, ce dont il sera tenu compte.

Il n’en demeure pas moins que sa faute est relativement grave. Au mépris de la législation régulant le séjour des étrangers, il a employé un compatriote en situation irrégulière pendant plus de deux ans, étant relevé que les rapports de travail auraient pu se poursuivre, sur une durée indéterminée, s’ils n’avaient été interrompus par l'interpellation des deux concernés. Rien ne démontre que l'appelant n'aurait pas été en mesure de trouver du personnel autorisé à travailler en Suisse. Au vu de sa précédente condamnation en 2017 pour des faits identiques il n'ignorait pas agir illégalement. Le fait que cet employé soit aujourd’hui marié, père de famille et au bénéfice d’une autorisation de séjour ne change rien à la situation prévalant lors de son engagement.

La collaboration de l'appelant doit être qualifiée de bonne. Il a immédiatement reconnu les faits, a présenté des excuses et expose avoir été motivé essentiellement par la volonté d’aider un membre de sa famille. Dans la mesure où il a récidivé relativement peu de temps après une première condamnation pour des faits semblables, sa prise de conscience de la faute laisse néanmoins à désirer.

Sa situation personnelle n’explique ni n’excuse ses actes. Le fait qu’une procédure de naturalisation puisse être retardée ou entravée par la condamnation pénale découle de la nature même d’une telle procédure et des exigences légales ; on ne voit par ailleurs pas qu’un citoyen suisse ou étranger doive être traité différemment pour une telle infraction du seul fait de sa nationalité. Au surplus, l’appelant n’affirme à raison pas que son droit de séjour en Suisse serait menacé par la condamnation pénale.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la quotité de la peine contestée, qui se situe dans la fourchette basse de la peine menace et tient déjà largement compte de la procédure de naturalisation en cours et des explications fournies à ce sujet par l’appelant, apparaît conforme au droit, voire clémente (cf. AARP/381/2020).

Au surplus, l’appelant ne remet pas en question le montant du jour-amende arrêté par le premier juge. Le bénéfice du sursis lui est acquis.

L’appel doit ainsi être rejeté et le jugement entrepris confirmé.

3. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de la procédure envers l'État (art. 428 CPP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/726/2024 rendu le 10 juin 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/17022/2022.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 1'155.-, qui comprennent un émolument de CHF 1'000.-.

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :

"Déclare A______ coupable d'infraction à l'art. 117 al. 1 et 2 LEI.

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 90 jours-amende (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 100.-.

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Condamne A______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 996.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 1 CPP).

(…)

Fixe l'émolument complémentaire de jugement à CHF 600.-.

Condamne A______ à payer à l'Etat de Genève cet émolument complémentaire."

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police, au Secrétariat d'Etat aux migrations et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

La greffière :

Aurélie MELIN ABDOU

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.

 

 

 

 

 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1'596.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

80.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'155.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

2'751.00