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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/21806/2023

AARP/291/2024 du 16.08.2024 sur JTDP/307/2024 ( PENAL ) , ADMIS

Descripteurs : MENDICITÉ;CONTRAVENTION;ORDURE MÉNAGÈRE
Normes : LPG11C.11C
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21806/2023 AARP/291/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 16 août 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, Roumanie, comparant par Me Dina BAZARBACHI, avocate, BAZARBACHI, LAHLOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4,
1205 Genève,

appelante,

 

contre le jugement JTDP/307/2024 rendu le 11 mars 2024 par le Tribunal de police,

et

LE SERVICE DES CONTRAVENTIONS, chemin de la Gravière 5, case postale 104, 1211 Genève 8,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 11 mars 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnue coupable de souillure (art. 11C al. 1 let. c de la loi pénale genevoise [LPG]) et de mendicité (art. 11A al. 1 let. c LPG) et l’a condamnée à une amende de CHF 70.- (art. 106 du code pénal [CP]).

A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à son acquittement de l’infraction de mendicité et au prononcé d’une amende clémente pour l’infraction de souillure.

b. Selon l'ordonnance pénale 1______ du Service des contraventions (SDC) du 13 juillet 2023, il est reproché ce qui suit à A______ :

Le samedi 15 octobre 2022 à 15h43, à la rue 2______ no. ______ à Genève, elle a mendié dans un lieu proscrit, aux abords immédiats d’un magasin.

L’appelante ne conteste pas les faits décrits dans l’ordonnance pénale 3______ du même jour du SDC, qui lui reprochait d’avoir, le vendredi 19 août 2022 à 13h20, à la rue 4______ no. ______ à Genève, souillé le domaine public ou un endroit attenant par un crachat, un mégot de cigarette, une gomme à mâcher ou un autre corps analogue.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Selon le rapport de contravention du 24 août 2022, A______ a été interpellée par des agents, le 19 août 2022 à 13h20, alors qu'elle avait jeté son mégot de cigarette au sol. Elle a été déclarée en contravention sur le champ.

b. Selon le rapport de contravention du 1er novembre 2022, A______ a été interpellée par des agents, le 15 octobre 2022 à 15h45, alors qu'elle mendiait devant l'entrée d’un magasin à hauteur du no. ______, rue 2______. Elle a été informée que cette pratique était interdite et déclarée en contravention sur le champ.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite.

b. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.

c. Le MP acquiesce à l’appel s’agissant de l’infraction de mendicité et conclut pour le surplus à la confirmation du jugement entrepris. Le SDC conclut au rejet de l’appel.

D. A______, de nationalité roumaine, née le ______ 1986, est domiciliée en Roumanie et est sans emploi.

EN DROIT :

1. 1.1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

1.2. En matière contraventionnelle, l'appel ne peut être formé que pour le grief selon lequel le jugement est juridiquement erroné ou l'état de fait établi de manière manifestement inexacte ou en violation du droit. Aucune nouvelle allégation ou preuve ne peut être produite (art. 398 al. 4 CPP).

Le pouvoir d'examen de l'autorité d'appel est ainsi limité dans l'appréciation des faits à ce qui a été établi de manière arbitraire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_362/2012 du 29 octobre 2012 consid. 5.2). Il s'agit là d'une exception au principe du plein pouvoir de cognition de l'autorité de deuxième instance qui conduit à qualifier d'appel « restreint » cette voie de droit (arrêt du Tribunal fédéral 1B_768/2012 du 15 janvier 2013 consid. 2.1).

Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable ; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation mais aussi dans son résultat (ATF 145 IV 154 consid. 1 ; 143 IV 241 consid. 2.3.1 ; sur la notion d'arbitraire en matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il est renvoyé à l'ATF 143 IV 500 consid. 1.1).

1.3. Conformément à l'art. 129 al. 4 de la Loi sur l'organisation judiciaire (LOJ), lorsque des contraventions font seules l'objet du prononcé attaqué et que l'appel ne vise pas une déclaration de culpabilité pour un crime ou un délit, la magistrate exerçant la direction de la procédure de la juridiction d'appel est compétente pour statuer.

2. 2.1. Selon l'art. 11C al. 1 LPG, sera puni de l’amende, celui qui aura jeté ou abandonné des immondices, des liquides sales ou nauséabonds ou tout autre corps de même nature sur la voie publique, dans une promenade publique, contre un édifice jouxtant la voie publique, sur ou contre une installation appartenant ou contiguë à la voie publique (let. a) ou aura, de toute autre manière, souillé le domaine public (let.c).

L'art. 4 du Règlement sur la salubrité et la tranquillité publiques (RSTP) stipule qu'il est interdit de jeter ou d’abandonner sur le domaine public des mégots de cigarette, de la gomme à mâcher ou tout autre corps analogue.

2.2. À la suite de la condamnation de la Suisse par la CourEDH en lien avec l'interdiction générale de la mendicité prévue par l'art. 11A aLPG (arrêt n° 14065/15 du 19 avril 2021 Lacatus c. Suisse), cette disposition a été modifiée en date du 12 février 2022 et dresse désormais une liste de situations dans lesquelles la mendicité est punissable.

L'art. 11A al. 1 let. c ch. 2 LPG prévoit ainsi qu'est puni de l'amende quiconque aura mendié aux abords immédiats des entrées et sorties de tout établissement à vocation commerciale, notamment les magasins, hôtels, cafés, restaurants, bars et discothèques.

2.3. Selon la jurisprudence de la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR), à laquelle il est ici renvoyé, l'interdiction partielle de mendier aux abords immédiats de magasins poursuit des intérêts publics reconnus, et cette interdiction est compatible avec les droits fondamentaux (cf. AARP/46/2024 du 30 janvier 2024 et AARP/88/2024 du 6 mars 2024).

2.4. La CPAR a néanmoins relevé qu'il serait bienvenu d'intégrer à la loi genevoise, en faveur des primo-délinquants, un mécanisme graduel de sanction avant le prononcé de l'amende quasiment systématiquement convertie, par exemple sous forme de remise d'un avertissement formel dans la langue maternelle du contrevenant, indiquant le caractère pénal de son comportement et la sanction encourue en cas de récidive, voire un guide des bonnes pratiques à adopter dans le canton (AARP/46/2024 du 30 janvier 2024 consid. 2.4.4.6).

2.5. Dans le cas présent, l'appelante n'a pas d'antécédent et le dossier ne contient aucun élément indiquant que l'appelante aurait, préalablement au 1er novembre 2022, été avertie ou sensibilisée au fait qu'il lui était interdit de mendier à proximité de l'entrée d'un commerce, sous peine d'amende, elle-même susceptible de conversion en peine privative de liberté en cas de non-paiement.

Sanctionner ces faits d'une amende n'est dès lors compatible ni avec la CEDH, ni avec la jurisprudence du Tribunal fédéral.

Le MP ne s’opposant pas à l’appel, le verdict de culpabilité sera purement et simplement annulé.

3. 3.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur. À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

3.2. Selon l'art. 106 al. 2 CP, le juge prononce, pour le cas où, de manière fautive, le condamné ne paie pas l'amende, une peine privative de liberté de substitution d'un jour au moins et de trois mois au plus. Le juge fixe l'amende et la peine privative de liberté de substitution en tenant compte de la situation de l'auteur afin que la peine corresponde à la faute commise. Ainsi, au moment de fixer la peine privative de liberté de substitution à une amende, le juge ne doit tenir compte que de la culpabilité de l'auteur, à l'exclusion des circonstances financières propres au condamné (ATF 134 IV 97 consid. 6.3.7.1 ; 134 IV 60 consid. 7.3.3).

3.3. Dans le cas présent, la faute de l'appelante doit être qualifiée de faible.

Sa situation personnelle, indéniablement précaire, ne justifie en rien ses agissements, dans la mesure où il existe suffisamment d’endroits appropriés et accessibles sur le domaine public pour y déposer des mégots.

Sa collaboration n'appelle pas de remarque particulière, puisqu'elle ne s'est pas exprimée durant la procédure.

Elle n'a pas d'antécédent.

Au vu de ces éléments, une peine sous forme d'une amende de CHF 30.- apparaît adéquate.

Une peine privative de liberté de substitution d'un jour sera prononcée, la loi ne permettant pas d'aller en-deça (art. 106 al. 2 CP).

4. 4.1. L'appel ayant été admis, il ne sera pas perçu de frais (art. 428 CPP a contrario).

Vu l’admission de l’appel, les frais de la procédure préliminaire et de première instance seront mis à la charge de l’appelante à concurrence de la moitié. Le solde et l’émolument complémentaire de jugement seront laissés à la charge de l'État.

5. L’appelante n’a pas pris de conclusions en indemnisation, quand bien même elle est représentée par avocat et avait été enjointe de chiffrer et justifier de telles conclusions. Elle est donc réputée y avoir renoncé (art. 429 al. 2 CPP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/307/2024 rendu le 11 mars 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/21806/2023.

L'admet.

Annule ce jugement.

Acquitte A______ de mendicité (art. 11A al. 1 let. c LPG).

Déclare A______ coupable de souillure (art. 11C al. 1 let. c LPG).

Condamne A______ à une amende de CHF 30.- (art. 106 CP).

Prononce une peine privative de liberté de substitution d'un jour.

Dit que la peine privative de liberté de substitution sera mise à exécution si, de manière fautive, l'amende n'est pas payée.

Condamne A______ au paiement de CHF 100.- correspondant à la moitié des frais de la procédure préliminaire et de première instance (art. 426 al. 1 CPP).

Laisse le solde de ces frais ainsi que l’émolument de jugement de première instance et les frais de la procédure d’appel à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, à l'Office cantonal de la population et des migrations.

La greffière :

Sonia LARDI DEBIEUX

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.