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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/954/2023

AARP/272/2024 du 08.08.2024 sur JTDP/198/2024 ( PENAL ) , REJETE

Normes : CP.286
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/954/2023 AARP/272/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 8 août 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, Italie, comparant par Me B______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/198/2024 rendu le 14 février 2024 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/198/2024 du 14 février 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a acquitté d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a de la loi sur les étrangers et l’intégration [LEI]) mais l’a reconnu coupable d'empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 du code pénal [CP]) et l’a condamné à une peine pécuniaire de dix jours-amende à CHF 30.- l’unité, sous déduction de deux jours-amende, correspondant à deux jours de détention avant jugement (art. 34 et 51 CP), lui a alloué une indemnité de procédure de CHF 1'682.30, a statué sur les objets et valeurs saisis et l’a condamné au paiement de la moitié des frais de la procédure.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement et à son indemnisation.

b. Selon l'ordonnance pénale du 13 janvier 2023, il est encore reproché ce qui suit à A______ : le 12 janvier 2023, il a pris la fuite à pieds, en courant, à la vue de la police qui voulait procéder à un contrôle d'usage, malgré les injonctions « HALTE POLICE ».

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. À teneur du rapport d’arrestation du 13 janvier 2023, la veille, lors d’une patrouille motorisée au quai du Rhône, l’attention des gendarmes de la brigade de sécurité publique avait été attirée par deux individus qui erraient à l’angle de la rue de la Coulouvrenière. Alors qu’ils voulaient procéder à leur contrôle, ces deux personnes avaient pris la fuite malgré de nombreuses sommations « HALTE POLICE ». Seul l’un des deux individus avait pu être rattrapé, à 21h38, à hauteur de l’immeuble no. ______ quai du Rhône. Il avait d’abord pris la fuite en courant en direction du pont de Sous-Terre, enjambé une barrière à proximité du Rhône et était revenu sur ses pas pour être finalement bloqué par des travaux. Pris au dépourvu, il avait à nouveau enjambé la balustrade et avait pu être interpellé sans usage de la force. Identifié comme étant A______, il était porteur de son passeport nigérian et d’un titre de séjour italien échu le 6 novembre 2022.

b. Au cours de son audition le jour même, menée en anglais par un policier, A______, après avoir renoncé à l’assistance d’un avocat, a admis avoir pris la fuite, par crainte, lorsqu’un policier s’était approché de lui. Questionné sur le fait d’avoir pris la fuite nonobstant plusieurs sommations de s’arrêter, il a répondu qu’il s’était arrêté lorsqu’il avait entendu crier la police. Il a admis « ne pas avoir laissé la police faire son job ».

c. Lors de son audition ultérieure au Ministère public (MP) et devant le TP, il a déposé les pièces attestant du renouvellement de son autorisation de séjour italienne, produisant devant le TP une copie du nouveau document valable de décembre 2022 à décembre 2027. Il a expliqué qu’alors qu’il attendait le tram à l’arrêt PALLADIUM, deux autres personnes noires se trouvaient également à l’arrêt. Une voiture de police avait fait demi-tour et il avait décidé de marcher ; en fait, il était parti en courant mais sur moins de cinq mètres. Les policiers étaient devant lui et il avait dû sauter une barrière car ils avaient ouvert la portière avec véhémence et lui avaient fait peur. Il se trouvait alors à moins de cinq mètres de l’arrêt de tram (trois mètres au TP). Il était revenu vers eux lorsqu’ils le lui avaient demandé.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.

b. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions. Le fait de partir, même en courant, avant que les policiers ne manifestent leur intention de procéder à un contrôle, n’était pas constitutif d'empêchement d'accomplir un acte officiel.

c. Le MP conclut à la confirmation du jugement entrepris.

D. a. A______ est né le ______ 1996 au Nigéria. Il est célibataire et sans enfant. Il vit en Italie, pays dans lequel il travaille comme cuisinier dans un restaurant neuf mois par année pour un salaire d'environ EUR 600.-, hormis en été, saison durant laquelle il travaille plus et reçoit EUR 1'500.-. Il est venu en Suisse pour la première fois quatre ou cinq ans auparavant et s’y rend une fois par mois pour payer ses amendes en lien avec des problèmes passés avec la police, lesquels font l'objet d'un arrangement de paiement. Ses charges mensuelles se composent de son loyer de EUR 250.-, ainsi que de EUR 50.- qu'il verse à sa mère et de CHF 100.- qu'il paie en exécution de l'arrangement de paiement. Ses impôts sont déduits de son salaire. Hormis l'arrangement de paiement à Genève, il n'a ni dette, ni fortune.

b. Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse, A______ a été condamné à deux reprises par le TP :

-             le 25 février 2019, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 30.-, ainsi qu'à une amende de CHF 10.-, pour opposition aux actes de l'autorité et violation des règles de la circulation au sens de la loi fédérale sur la circulation routière, et

-             le 9 février 2021, à une peine pécuniaire de 80 jours-amende à CHF 10.-, pour délit contre la loi sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c et d LStup), non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée au sens de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration et opposition aux actes de l'autorité.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1. L'art. 286 CP réprime celui qui empêche une autorité, un membre d'une autorité ou un fonctionnaire de faire un acte entrant dans ses fonctions.

Pour qu'il y ait infraction à l'art. 286 CP, il faut que l'auteur, par son comportement, entrave l'autorité ou le fonctionnaire dans l'accomplissement d'un acte officiel. La norme définit une infraction de résultat. Il n'est pas nécessaire que l'auteur parvienne à éviter effectivement l'accomplissement de l'acte officiel. Il suffit qu'il le rende plus difficile, l'entrave ou le diffère (ATF 133 IV 97 consid. 4.2 p. 100, 127 IV 115 consid. 2 p. 118, 124 IV 127 consid. 3a p. 129). Il ne suffit pas non plus qu'il se borne à ne pas obtempérer à un ordre qui lui est donné, par exemple de souffler dans l'éthylomètre, de parler moins fort ou de ne pas conduire (ATF 127 IV 115 consid. 2 p. 117, 120 IV 136 consid. 2a p. 139 et références citées). Le seul fait d'exprimer son désaccord à l'endroit d'un acte entrepris par un fonctionnaire, mais sans l'entraver, ne suffit pas (ATF 105 IV 48 consid. 3 p. 49). L'art. 286 CP n'est pas applicable si ce n'est pas l'acte officiel qui est rendu plus difficile, mais seulement le résultat escompté, par exemple en prévenant les automobilistes d'un contrôle radar
(ATF 104 IV 288 consid. 3b p. 291, 103 IV 186 consid. 4/5 p. 188).

Le comportement incriminé à l'art. 286 CP suppose une résistance qui implique une certaine activité ; celui qui, dans le dessein d'échapper à une poursuite pénale, fait échouer un contrôle de police, sans que son action se situe dans le cours d'un acte de l'autorité suffisamment concret, ne se rend pas coupable de l'infraction prévue à l'art. 286 CP (ATF 133 IV 97 consid. 4.2 p. 100, 127 IV 115 consid. 2 p. 117 et les références citées). Celle-ci est réalisée, par exemple, par le fait de prendre la fuite (ATF 120 IV 136 consid. 2a p. 140 et les références citées). Il peut s'agir d'une obstruction physique : l'auteur, par sa personne ou un objet qu'il dispose à cette fin, empêche ou gêne le passage du fonctionnaire pour lui rendre plus difficile l'accès à une chose. On peut aussi penser à celui qui, en restant fermement à sa place, ne se laisse pas ou difficilement emmener (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 3e éd., 2010, n. 13 ad art. 286 CP).

L'infraction réprimée à l'art. 286 CP requiert l'intention ; le dol éventuel suffit.

2.2. En l’espèce, l’appelant conteste avoir fait obstacle à un acte officiel suffisamment concret, au motif que les policiers n’avaient pas encore manifesté l’injonction de s’arrêter lorsqu’il a fait demi-tour. Il conteste notamment être parti en courant. Force est toutefois de constater qu’il a édulcoré sa version des faits au fil de ses auditions, réduisant à chaque fois l’ampleur de sa fuite. Or, il ressort clairement du rapport d’arrestation – dont il n’a pas contesté la teneur, soutenant même que sa version et celle des policiers « ne sont pas contradictoires » – que l’appelant a pris conscience de l’intention des policiers de procéder à un contrôle, en voyant le véhicule faire demi-tour, puis les policiers ouvrir la portière devant lui, geste qui, selon sa dernière version, a suscité sa fuite : il a donc bien tenté de se soustraire au contrôle. Au surplus, même s’il devait être considéré (ce que la Cour ne retient pas) que les policiers n’avaient alors pas encore clairement manifesté leur intention d’intervenir, il ressort tout aussi clairement du rapport d’arrestation et des premières déclarations de l’appelant, qui a admis avoir empêché les policiers de faire leur travail, qu’il a effectivement couru, d’abord en direction du pont Sous-Terre, puis dans le sens contraire, avant de finalement obtempérer à l’injonction de s’arrêter, non sans avoir enjambé deux barrières. Même si, au final, il n’a pas parcouru une grande distance et a pu être interpellé à proximité du lieu de l’intervention, il n’en demeure pas moins que sa fuite a nécessité, à teneur du rapport de police, plusieurs injonctions à son intention ; par ailleurs, la distance totale parcourue est manifestement supérieure aux trois à cinq mètres qu’il invoque, dans la mesure où il a, à teneur du rapport de police, effectué un aller-retour en raison des obstacles urbains.

Les conditions d’application de l’art. 286 CP sont donc bel et bien réalisées et le verdict de culpabilité sera confirmé.

3. 3.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

Le juge doit d'abord déterminer le genre de la peine devant sanctionner une infraction, puis en fixer la quotité. Pour déterminer le genre de la peine, il doit tenir compte, à côté de la culpabilité de l'auteur, de l'adéquation de la peine, de ses effets sur l'auteur et sur sa situation sociale ainsi que de son efficacité du point de vue de la prévention (ATF 147 IV 241 consid. 3.2 p. 244 ss).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1, 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

3.2. La peine pécuniaire constitue la sanction principale dans le domaine de la petite et moyenne criminalité. Le choix de la sanction doit être opéré en tenant compte au premier chef de l'adéquation de la peine, de ses effets sur l'auteur et sur sa situation sociale ainsi que de son efficacité du point de vue de la prévention. La faute de l'auteur n'est en revanche pas déterminante (ATF 137 II 297 consid. 2.3.4 p. 301, 134 IV 97 consid. 4.2 p. 100 s., 144 IV 313 consid. 1.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_420/2017 du 15 novembre 2017 consid. 2.1), pas plus que sa situation économique ou le fait que son insolvabilité apparaisse prévisible (ATF 134 IV 97 consid. 5.2.3 p. 104).

3.3. En l’espèce, l’appelant a agi essentiellement par crainte et par réflexe, mais a rapidement abandonné la résistance pour se soumettre au contrôle. Sa faute est légère. Sa situation personnelle n’explique ni ne justifie son comportement.

Il ne discute pas, au-delà de l’acquittement plaidé, la peine prononcée par le premier juge, qui apparaît adéquate et proportionnée à l’ensemble des circonstances. Le montant du jour-amende, qui correspond au minimum légal, apparaît également approprié dans la mesure où l’appelant réalise un revenu régulier.

L’appel est donc rejeté et le jugement entrepris intégralement confirmé.

4. 4.1. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de la procédure envers l'État (art. 428 CPP).

4.2. Au vu du rejet de l’appel, l’appelant sera débouté de ses conclusions en indemnisation (art. 429 et 428 CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/198/2024 rendu le 14 février 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/954/2023.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 1'155.-, qui comprennent un émolument de CHF 1'000.-.

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :

"Acquitte A______ d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a LEI).

Déclare A______ coupable d'empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 10 jours-amende, sous déduction de 2 jours-amende, correspondant à 2 jours de détention avant jugement (art. 34 et 51 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 30.-.

Ordonne la restitution à A______ de la somme de CHF 30.60 et du téléphone portable de marque C______ figurant sous chiffres 1 et 2 de l'inventaire n° 1______ du 12 janvier 2023 (art. 267 al. 1 et 3 CPP).

Condamne l'Etat de Genève à verser CHF 1'682.30, à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Rejette pour le surplus les conclusions en indemnisation de A______ (art. 429 CPP).

Condamne A______ au paiement de la moitié des frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 905.-, y compris un émolument de jugement de CHF 400.- (art. 426 al. 1 CPP).

Laisse le solde des frais de la procédure à la charge de l'Etat (art. 423 al. 1 CPP)."


 

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

 

La greffière :

Linda TAGHARIST

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

905.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

80.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'155.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

2'060.00