Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/992/2024 du 07.10.2024 ( ICCIFD ) , REJETE
ATTAQUE
En droit
Par ces motifs
république et | canton de genève | |||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 7 octobre 2024
|
dans la cause
A______ SÀRL, représentée par Me Michael RUDERMANN, avocat, avec élection de domicile
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS
1. Le litige concerne l’impôt à la source 2018 de la société genevoise A______ Sàrl (ci-après : la société) qui a pour associés Messieurs B______ et C______, ce dernier étant gérant.
2. Par lettre du 31 août 2021, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a ouvert à l’encontre de la société une procédure en rappel d’impôt, ainsi qu’une procédure pour soustraction d’impôt concernant l’impôt à la source 2014 à 2020.
Sur la base d’informations publiques, elle avait appris que certains de ses employés avaient bénéficié d’un plan de participations de collaborateurs mis en place par le groupe D______ dès 2014. Elle lui a adressé une demande de renseignements. Ce courrier a été co-signé par Madame E______, experte-contrôleuse fiscale.
3. Le 26 septembre 2022, l’AFC-GE a fait part à la société de la clôture des procédures ouvertes le 31 août 2021. Elle lui a remis un bordereau de rappel d’impôt pour l’IS 2018 ainsi qu’un bordereau d’amende. Cette lettre a été adressée au conseil de la contribuable, l’Étude F______ SA.
4. La société a élevé réclamation par lettre du 27 octobre 2022 sous la plume de son conseil, l’Étude F______ SA
5. Par pli du 3 novembre 2022 co-signé par Mme E______, l’AFC-GE a annulé les bordereaux du 26 septembre précédent et a ouvert à l’encontre de la société une nouvelle procédure en rappel d’impôt, ainsi qu’en soustraction d’impôt pour l’IS 2018.
6. Par lettre du 14 février 2023 co-signée par Mme E______, l’AFC-GE a notifié à la société un bordereau de rappel d’impôt, ainsi qu’un bordereau d’amende. Elle lui a également remis une « liste récapitulative année 2018 », dont il résultait que trois de ses salariés avaient perçu des prestations soumises à l’IS, à savoir MM. C______, B______ et G______. L’IS dû s’élevait à CHF 12'080'513.-. Ces pièces ont été adressées à l’Étude F______ SA.
La société n’avait pas prélevé l’IS sur des rémunérations en lien avec des options issues du plan d’intéressement ______, dont trois de ses précédents collaborateurs avaient bénéficié. De tels manquements, qui avaient eu pour conséquence de générer une importante perte de substrat fiscale ne pouvaient avoir été commis qu’intentionnellement par les organes de la société. Les conditions d’une soustraction d’impôt étaient remplies. Comme circonstance atténuante, la bonne collaboration de la société était retenue et une amende dont la quotité se montait à une fois l’impôt soustrait lui était infligée.
7. Le 8 mars 2023, l’Étude F______ SA a informé l’AFC-GE qu’elle cessait d’occuper, dès lors que la société avait révoqué le mandat.
8. La société, sous la plume de sa fiduciaire, H______ SA, a formé réclamation par lettre du 20 mars 2023 en concluant, préalablement, à la récusation de Mme E______ et, principalement, à l’annulation des bordereaux du 14 février précédent. La procuration en faveur de H______ SA était datée du 7 mars 2023.
À la suite de la notification des bordereaux incriminés, elle avait sollicité auprès de l’Étude F______ SA une copie de son dossier. À la lecture des pièces, il était apparu qu’un ensemble de circonstances aurait dû conduire Mme E______ à se récuser. En effet, avant de travailler pour l’AFC-GE, elle avait occupé un poste de conseillère fiscale / juriste fiscaliste auprès de l’Étude F______ SA durant sept ans, dont l’année 2018. À ce dernier poste, elle avait très vraisemblablement eu connaissance d’informations en lien avec la société et son associé-gérant, M. C______. Or, au sein de l’AFC-GE, elle avait pris des décisions relatives au rappel et à la soustraction d’impôt. En outre, l’emploi du tutoiement et de certaines formules de politesse utilisés dans les courriers adressés par l’Étude F______ SA à l’AFC-GE mettaient en évidence le lien étroit entre les correspondants. Dès lors, les opérations auxquelles Mme E______ avait participé devaient être annulées.
Quant au fond, les options de collaborateurs dont la société était objet ne lui étaient pas attribuables.
Enfin, la société a sollicité l’accès à son dossier.
9. Par décision du 29 mars 2023, signée par MM. I______ et J______, l’AFC-GE, soit pour elle la direction du contrôle, a informé la société qu’elle lui remettait une copie intégrale de son dossier.
Elle a rejeté la requête de récusation. En effet, la contribuable n’avait apporté aucun élément concret permettant de démontrer que Mme E______, sous prétexte qu’elle avait travaillé pour l’Étude F______ SA, aurait alors déployé une quelconque activité en lien, de près ou de loin, avec son dossier et les décisions litigieuses. Cette argumentation pourrait laisser croire qu’il ne servait qu’à des manœuvres strictement dilatoires. De surcroît, même avéré, il était surprenant que le motif de récusation n’eût pas été invoqué par l’Étude F______ SA.
En annexe était produit un résumé des pièces nos 2 à 6 et 8 à 15 de son dossier.
10. Par acte du 11 avril 2023, la société, sous la plume de son avocat, Me K______, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre de cette décision, sollicitant, sur mesures provisionnelles, la suspension de la procédure de réclamation jusqu’à droit jugé dans le présent recours. Préalablement, elle a conclu à ce que l’AFC-GE produise les pièces nos 2 à 6 et 8 à 15 de son bordereau du 29 mars 2023. Sur le fond, elle a conclu à la récusation de Mme E______ et à l’octroi d’un délai pour compléter sa réclamation du 20 mars 2023, le tout sous suite de frais et dépens.
Elle avait mandaté l’Étude F______ SA depuis 2008 à tout le moins et ce, jusqu’en mars 2023, pour la représenter et lui fournir des conseils fiscaux, y compris dans l’établissement de ses déclarations fiscales. En outre, M. C______ avait également eu recours aux services de ce cabinet d’avocats depuis 2008, dans le domaine de la fiscalité. Or, Mme E______, en sa qualité d’experte-contrôleuse fiscale et de responsable du dossier de la recourante, avait participé de manière déterminante à la prise des décisions concernant la société. Elle aurait dû se récuser, dès lors qu’elle avait travaillé dans l’Étude F______ SA durant près de sept ans, y compris en 2018. Il en résultait que les opérations auxquelles elle avait participé devaient être annulées, en particulier les bordereaux de rappel d’impôt et d’amende du 14 février 2023.
Enfin, prima facie, il semblait que les options de collaborateurs ne seraient pas attribuables à la recourante. Aucun élément du dossier à ce jour n’indiquait une approche contraire.
11. Dans sa réponse du 25 avril 2023, l’AFC-GE a conclu à l’irrecevabilité du recours en tant qu’il se rapportait à la requête de consultation des pièces du dossier, qui concernait principalement MM. C______, B______ ou la société D______. La société devait obtenir des informations par le biais de ses administrateurs ou associés. Par ailleurs, étant donné que l’Étude F______ SA avait « représenté les différentes parties », elle disposait de toutes les pièces utiles. Dès lors, sur ce point, le recours était dénué d’intérêt juridique. Enfin, la recourante n’alléguait aucun préjudice et ne faisait valoir aucune urgence.
La décision sur récusation du 29 mars 2023 aurait dû être contestée devant la direction de l’AFC-GE et non le tribunal et ce dans les dix jours. Cette requête était en tout état périmée car tardive et donc, irrecevable. En effet, la société et son administrateur avaient été informés au plus tard le 31 août 2021 que le dossier était traité par Mme E______. Tous deux auraient dû agir dès que possible. Enfin, la société ne rendait pas vraisemblable qu’elle s’exposait à un préjudice irréparable et n’invoquait pas de situation d’urgence. Cette demande était également dénuée de chances de succès quant au fond, car elle ne reposait sur aucun motif ni sur aucune pièce probante, mais simplement sur des suppositions. Cette demande avait été déposée à des fins dilatoires.
L’autorité intimée a produit un chargé de pièces, dont les pièces nos 2 à 6, 8 à 15, ainsi que 28 à 32 dans leur version intégrale, sous le couvert du secret fiscal.
12. Par pli du 5 juin 2023, la contribuable, sous la plume de son avocat, a fait part à l’AFC-GE qu’elle n’avait toujours pas reçu l’intégralité de son dossier, en particulier les correspondances intervenues entre l’AFC-GE et l’Étude F______ SA. Elle souhaitait que l’autorité intimée les lui transmette. Elle désirait obtenir une copie non caviardée des pièces nos 2 à 6, 8 à 15, 28 à 29 et 32 du bordereau du 29 mars 2023, dans la mesure où elles constituaient près de la moitié des pièces à sa charge.
Enfin, compte tenu des griefs soulevés à l’endroit de Mme E______ devant le tribunal, elle sollicitait l’intégralité des communications entre cette dernière et les membres de l’AFC-GE ayant traité la procédure de contrôle qui la concernait. En cas de refus, l’AFC-GE était invitée à rendre une décision susceptible de recours.
13. Dans sa réplique datée du 5 juin 2023 et reçue par le tribunal le 13 suivant, la contribuable a repris les conclusions de son recours. Elle a de surcroît demandé que l’AFC-GE soit enjointe de produire toute communication intervenue entre l’Étude F______ SA et Mme E______, ainsi qu’entre cette dernière et MM. I______, J______ et Madame L______. L’autorité intimée devait également transmettre tout document et information avec la société passée sous silence, ainsi que l’accord sollicité de Mme E______, mentionné dans le courriel adressé à l’Étude F______ SA du 22 août 2022.
La société a repris l’argumentation exposée dans son acte de recours.
Sa demande de récusation n’avait pas été déposée tardivement. Si Mme E______ avait été impliquée dans sa procédure de taxation en 2021 déjà, rien ne permettait de supposer qu’elle serait désignée comme personne chargée du dossier de la procédure de rappel et de soustraction d’impôt. Elle ne pouvait statuer sur sa propre demande de récusation. Les bordereaux de rappel d’impôt et d’amende étaient frappés de nullité.
La clôture de la procédure de rappel et de soustraction, suivie d’une réouverture d’une même procédure, le 28 septembre 2022, aboutissait à une reprise de CHF 25 millions. Les participations de ses collaborateurs avaient été émises par D______ au profit des collaborateurs de la recourante. Par définition, elles ne pouvaient avoir été émises qu’au bénéfice de personnes physiques, à l’exclusion d’elle-même, qui était une personne morale.
Enfin, s’agissant de son droit d’accès au dossier, l’AFC-GE avait admis que l’Étude F______ SA avait représenté les différentes parties et disposait de toutes les pièces utiles. Dès lors, il apparaissait difficilement soutenable de prétendre qu’il existait un intérêt public ou privé s’opposant à une transmission des pièces non caviardées, qu’elle sollicitait. En refusant la communication de ces documents, l’autorité intimée violait son droit d’être entendu.
14. Dans son second mémoire de réponse du 13 juin 2023, l’AFC-GE a conclu, principalement, à l’irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet. Elle a repris, en les développant, les arguments exposés dans son écriture du 25 avril précédent. Le 29 mars 2023, elle avait communiqué à la société la teneur des pièces couvertes par le secret fiscal.
15. Par décision du 20 juin 2023 (DITAI/266/2023), le tribunal a rejeté la requête de suspension.
Il n’était pas compétent pour ordonner à l’autorité intimée de suspendre la procédure de réclamation sur la base de l’art. 14 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), étant donné qu’il n’était pas saisi d’un recours relatif auxdits bordereaux, la contestation étant encore pendante devant l’AFC-GE au stade de la réclamation. La société était renvoyée à mieux agir.
16. Le 10 août 2023, la société a demandé à l’AFC-GE la délivrance des pièces produites sous le couvert du secret fiscal, en se fondant sur la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08).
17. L’AFC-GE a rejeté cette requête, le 31 août 2023.
18. Par arrêt du 3 octobre 2023 (ATA/1090/2023), la chambre administrative de la Cour de justice a déclaré irrecevable le recours interjeté par la société à l’encontre de la DITAI/266/2023.
19. Le 15 décembre 2023, l’AFC-GE a fait part au tribunal qu’elle n’avait aucune observation à apporter consécutivement à l’ATA/1090/2023 et qu’elle persistait dans ses précédentes écritures et conclusions.
20. Par pli du 19 janvier 2024, la société, sous la plume de son nouvel avocat, a persisté dans les termes de son recours.
21. Par pli du 3 mai 2024, le tribunal a invité la société à lui transmettre tous documents aptes à démontrer qu’elle avait mandaté l’Étude F______ SA au cours des années 2008 à 2018. Elle devait également indiquer sur quoi portait le mandat et quel avocat était chargé de son dossier.
22. Dans sa réponse du 14 juin 2024, la société a répondu qu’elle-même et M. C______, à titre privé, avaient mandaté l’Étude F______ SA. Ces mandats avaient porté sur l’établissement de leur déclaration fiscale, ainsi que sur leur représentation vis-à-vis de l’AFC-GE. Cette Étude s’était également occupée d’entités du groupe D______, ainsi que de leurs managers. Elle avait acquis une connaissance patrimoniale de la recourante et de M. C______. Les mandats avaient été gérés par Me N______. Cependant, le conflit d’intérêt d’un associé ou d’un collaborateur rejaillissait sur tous les membres de son Étude. Dès lors, si Mme E______, après avoir quitté l’Étude F______ SA, avait rejoint une autre Étude partie adverse de la recourante ou de M. C______, cette Étude aurait dû résilier l’ensemble des mandats pour cette partie adverse. Ni l’AFC-GE, ni l’Étude F______ SA ne lui avait transmis les documents sollicités.
La recourante a produit un chargé de pièces complémentaire.
23. Le 3 juillet 2024, l’AFC-GE a exposé qu’il ressortait des pièces fournies le 14 juin précédent par la recourante que Mme E______ n’avait jamais été mise en copie des documents concernant la recourante, M. C______ ou le groupe D______. Cela démontrait qu’elle n’avait jamais traité leurs dossiers lorsqu’elle travaillait pour l’Étude F______ SA et qu’il n’existait aucun motif de récusation. Même si tel avait été le cas, la contribuable aurait dû l’invoquer dans un délai de nonante jours, ce que l’Étude F______ SA n’avait pas fait.
Par ailleurs, le 17 mai 2024, elle avait rejeté sa demande de consultation de pièces sous l’angle de la LIPAD. Un recours était pendant devant la chambre administrative (cause A/2124/2024).
24. Le 18 juillet 2024, la recourante a fait valoir que, selon de nouvelles pièces annexées, l’Étude F______ SA ne lui avait jamais fait signer de quelconque procuration, ce qui ne l’avait jamais empêchée d’agir pour son compte. L’autorité intimée n’avait pas non plus exigé la production d’une procuration.
25. Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).
2. Le contribuable peut s'opposer à la décision sur réclamation du département en s'adressant, dans les trente jours au tribunal à compter de la notification de la décision attaquée (art. 49 al. 1 LPFisc ; art. 140 al. 1 LIFD).
La loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) prévoit que le délai de recours est de trente jours s'il s'agit d'une décision finale ou d'une décision en matière de compétence (art. 62 al. 1 let. a LPA), et de dix jours s'il s'agit d'une autre décision (art. 62 al. 1 let. b LPA). Le délai court dès le lendemain de la notification de la décision (art. 62 al. 3 LPA).
À teneur de l’art. 57 LPA, sont susceptible de recours notamment : let. a : les décisions finales et : let. c les décisions incidentes, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.
3. La décision sur demande de récusation est une décision incidente, qui ne met pas fin à la procédure (art. 15 LPA ; art. 45 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021 ; art. 92 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). En droit genevois, une telle décision est susceptible d'un recours immédiat car elle cause un préjudice irréparable, le recourant ayant un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 126 V 244 consid. 2a ; ATA/1281/2022 du 20 décembre 2022 consid. 1 ; ATA/666/2018 du 26 juin 2018 consid. 2a et les références citées).
La décision par laquelle l’AFC-GE refuse à un contribuable de consulter certaines pièces de son dossier est une décision incidente. La recevabilité d’un recours interjeté à l’encontre de cette décision n’est toutefois pas conditionnée à l’existence d’un préjudice irréparable (ATA/261/2020 du 3 mars 2020 consid. 2e et les réf. citées).
4. En l’occurrence, la décision du 29 mars 2023 porte sur une question de récusation et de consultation des pièces du dossier. Il s’agit d’une décision incidente. Elle est susceptible de recours, sans que la contribuable n’ait à démontrer l’existence d’un préjudice irréparable, contrairement à ce que soutient l’AFC-GE dans ses écritures. En outre, l’intéressée a saisi le tribunal dans les dix jours à compter de sa notification. Partant, le recours doit être déclaré recevable.
5. La société soutient que Mme E______ aurait dû se récuser dans la procédure de rappel et de soustraction d’impôt ouverte à son encontre.
6. À teneur des art. 10 al. 1 LPFisc et 109 al. 1 LIFD, toute personne appelée à prendre une décision ou à participer de manière déterminante à l’élaboration d’une décision ou d’un prononcé, en application de la présente loi, est tenue de se récuser :
a. si elle a un intérêt personnel dans l’affaire ;
b. si elle est le conjoint ou le partenaire enregistré d’une partie ou mène de fait une vie de couple avec elle ;
c. si elle est parente ou alliée d’une partie en ligne directe ou en ligne collatérale jusqu’au troisième degré ;
d. si elle représente une partie ou a agi pour une partie dans la même affaire ;
e. si, pour d’autres raisons, elle pourrait avoir une opinion préconçue dans l’affaire.
La direction de l’administration fiscale cantonale est désignée pour trancher les litiges en matière de récusation concernant un fonctionnaire cantonal (art. 10 du règlement d’application de diverses dispositions fiscales fédérales du 30 décembre 1958 - RDDFF - D 3 80.04).
7. Le droit fédéral prévoit que la personne visée par la requête de récusation se prononce sur la demande (art. 36 al. 2 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110 ; art. 58 al. 2 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 - CPP - RS 312.0 et art. 49 al. 2 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 - CPC - RS 272).
8. Selon la jurisprudence (ATF 140 I 326 consid. 5.1 et 5.2 = JdT 2015 I 322), l’art. 30 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 6 ch. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) confèrent à toute personne le droit de porter sa cause devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial, sans influence de circonstances étrangères à l’affaire. Ce droit est violé lorsqu’il y a objectivement autour d’un membre d’un tribunal des circonstances susceptibles de créer une apparence de prévention et un danger d’opinion préconçue. Pour les autorités non judiciaires, l’art. 30 al. 1 Cst. et l’art. 6 ch. 1 CEDH ne s’appliquent pas. En revanche, l’art. 29 al. 1 Cst. garantit un traitement équitable ; l’exigence d’impartialité constitue un des éléments de ce droit fondamental.
9. Concrétisant l'art. 29 al. 1 Cst., l'art. 109 LIFD règle les motifs de récusation dans la procédure de l’IFD. Les procédures internes à l'administration ne sont toutefois pas soumises aux mêmes critères stricts que ceux qui s'appliquent aux autorités judiciaires indépendantes (arrêt du Tribunal fédéral 2C_649/2021 du 21 octobre 2021 consid. 4.2 et 4.3).
10. Une impression de prévention est suscitée lorsque le membre d’une autorité fiscale a déjà été actif à plusieurs reprises pour une partie (ATF 116 Ia 485).
L’activité antérieure exercée pour une partie n’est un motif de récusation au sens de l’art. 109 al. 1 let. c LIFD que si elle a eu lieu dans la même cause. Tel est par exemple le cas lorsque le fonctionnaire fiscal a auparavant conseillé ou représenté le contribuable en qualité de fiduciaire ou lorsque le membre d’une commission de recours a représenté ou conseillé le recourant devant l’autorité de taxation pour la taxation litigieuse. L’activité antérieure exercée pour une partie dans une autre affaire peut cependant, entre autres, entraîner une prévention au sens de l’art. 109 al. 1 let. d LIFD (Martin ZWEIFEL, Silvia HUNZIKER in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, 4ème édition, 2022, art. 109, n. 20, p. 1946).
11. La partie qui a connaissance d'un motif de récusation doit l'invoquer aussitôt, sous peine d'être déchue du droit de s'en prévaloir ultérieurement. Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen tiré de la composition irrégulière du tribunal pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable de la procédure (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3).
Il faut toutefois accorder à l’intéressé au moins un bref délai pour se rendre compte de l’existence d’une procédure de récusation et formuler une requête en ce sens. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les motifs de récusation doivent en règle générale être invoqués dans environ la semaine, alors que l’attente pendant plusieurs semaines n’est pas autorisée (arrêts 1B_217/2020 du 3 juillet 2020 consid. 3.51).
12. En l’espèce, l’autorité intimée soutient que la demande de récusation est périmée, parce que l’intéressée savait depuis le 31 août 2021 que Mme E______ traitait son dossier.
De son côté, la recourante motive sa requête par le fait qu’elle avait mandaté F______ SA depuis 2008 et ce jusqu’au 8 mars 2023, date à laquelle cette Étude avait cessé d’occuper. Elle fait valoir que Mme E______ a eu accès à des informations en lien avec la contribuable elle-même au cours des années durant lesquelles elle a travaillé dans ce cabinet, à savoir de 2012 à 2018.
13. La question pourrait se poser de savoir si, lorsqu’elle a été amenée à traiter la procédure fiscale de la recourante à l’AFC-GE, Mme E______ n’aurait pas dû se récuser et ce, même si elle n’avait pas été chargée de son dossier lorsqu’elle travaillait auprès de l’Étude F______ SA.
Le tribunal laissera toutefois cette question ouverte au vu de ce qui suit.
Par pli du 31 août 2021, l’AFC-GE a ouvert à l’encontre de la recourante une procédure en rappel d’impôt, ainsi qu’une procédure pour soustraction d’impôt concernant l’impôt à la source 2014 à 2020. Étant donné que ce courrier a été signé par Mme E______, la société devait nécessairement présumer que la précitée avait connaissance de son dossier. Elle devait ainsi faire valoir un éventuel motif de récusation à bref délai. Or, elle n’a sollicité la récusation de la prénommée que le 20 mars 2023, soit un an et sept mois plus tard. Une attente si longue se révèle contraire au principe de la bonne foi, de sorte que ladite requête doit être rejetée pour cause de péremption.
Certes, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme E______ a eu l’occasion de se déterminer sur la requête de récusation dirigée contre elle, alors que tel aurait dû être le cas. Toutefois, au vu du sort du grief soulevé par la recourante, il n’y a pas lieu de renvoyer la cause à l’AFC-GE.
14. La société demande que l’AFC-GE lui transmette une copie intégrale des pièces nos 2 à 6 et 8 à 15.
15. Les personnes chargées de l'application de la législation fiscale ou qui y collaborent doivent garder le secret sur les faits dont elles ont connaissance dans l'exercice de leur fonction ainsi que sur les délibérations des autorités et refuser aux tiers la consultation des dossiers fiscaux (art. 110 al. 1 LIFD ; 11 al. 1 LPFisc).
16. Le secret fiscal est un « secret de fonction qualifié », car sa protection est plus étendue que celle du secret de fonction, en raison de la nature particulière des relations entre le contribuable et l’administration. Les contribuables sont tenus par la loi de révéler leur situation personnelle et financière aux autorités fiscales ; cette obligation constitue une atteinte légale à leur sphère intime et privée. En contrepartie, le secret fiscal les protège en sauvegardant cette sphère vis-à-vis des tiers. La violation du secret de fonction n’entraîne pas forcément celle du secret fiscal, car le premier a pour but la protection des intérêts publics et le second celle de la sphère privée du contribuable ; par exemple, un fonctionnaire qui divulgue le contenu d’une directive interne ne porte pas atteinte à la sphère privée d’un contribuable, mais viole le secret de fonction (Andrea PEDROLI in Yves NOËL, Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct, 2ème édition, 2017, art. 110, § 2, p. 1533).
17. Le secret fiscal couvre les faits qui sont portés à la connaissance des autorités fiscales et des autorités judiciaires dans le cadre de leurs activités officielles. Cela comporte tous les faits que le contribuable et les tiers (privés et autres autorités) communiquent aux autorités dans le cadre d'informations, de renseignements, d'attestations, de rapports et de notifications au cours d'une procédure de taxation, de perception, de garantie, d'inventaire, de mise sous scellés, de recours ou d’une procédure pénale fiscale (comme le prévoit expressément l'art. 111 al. 1 2ème phr. LIFD pour les faits établis par les autorités ou portés à leur connaissance dans le cadre de l'assistance administrative entre autorités fiscales), (Martin ZWEIFEL, Silvia HUNZIKER in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, op. cit., art. 110, n. 10, p. 1993).
18. Les art. 114 al. 2 LIFD et 17 al. 2 LPFisc prévoient que le contribuable peut consulter les pièces du dossier qu'il a produites ou signées. Il peut prendre connaissance des autres pièces une fois les faits établis et à condition que des intérêts publics ou privés ne s'y opposent pas.
Lorsque le département refuse au contribuable le droit de consulter une pièce du dossier, il ne peut se baser sur ce document pour trancher au détriment du contribuable que s'il lui a donné connaissance, oralement ou par écrit, du contenu essentiel de la pièce ou qu'il lui a au surplus permis de s'exprimer et d'apporter ses propres moyens de preuve ; il confirme son refus, à la demande de celui-ci, par une décision susceptible de recours (art. 17 al. 4 et 5 LPFisc ; art. 114 al. 3 et 4 LIFD).
19. L’art. 114 al. 3 LIFD est apparenté à l’art. 28 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021), (arrêt du Tribunal fédéral 2C_980/2013 du 21 juillet 2014 consid. 4.1).
20. Selon la jurisprudence (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-1954/2017 du 8 avril 2019 consid. 4.2), les restrictions au droit de consulter le dossier doivent respecter le principe de la proportionnalité. Il requiert qu'en limitant le droit de consulter une pièce du dossier, l'autorité opte pour la mesure qui soit la moins invasive possible, en préférant, par exemple, l'anonymisation (« caviardage ») de certains passages d'un texte au refus de divulguer le texte intégral en n'en résumant que les éléments essentiels. Elle est dès lors tenue de procéder à un examen des intérêts en cause pour chaque pièce ; en cas de limitation du droit d’être entendu, elle motive dûment un éventuel refus ; le cas échéant elle a l’obligation − sous réserve d’intérêts prépondérants contraires − de communiquer le contenu essentiel de chaque pièce, en veillant à respecter les intérêts en cause de manière idoine.
La partie doit se voir communiquer le contenu essentiel d'un document (ou de sa part tenue secrète). Cela signifie qu'elle doit être informée, sur quels points la décision se fonde sur les documents litigieux. Les intérêts à protéger, ainsi que ceux de la partie déterminent dans quelle mesure la description doit être précise et détaillée. La description doit être suffisamment concrète, afin que l'intéressé puisse prendre position de manière substantielle, respectivement puisse contester correctement une décision (Stefan C. BRUNNER in Christoph AUER, Markus MÜLLER, Benjamin SCHINDLER, Bundesgesetz über das Verwaltungsverfahren, 2ème éd., 2018, art. 28, n. 5, p. 446).
21. En l’espèce, l’AFC-GE soutient que la requête de consultation de pièces litigieuse doit être déclarée irrecevable, étant donné qu’elle concerne principalement MM. C______, B______ ou D______ et non la recourante. Celle-ci doit obtenir des informations par le biais de ses administrateurs ou associés. Par ailleurs, dès lors que l’Étude F______ SA a représenté les différentes parties, elle disposait de toutes les pièces utiles. Enfin, le 29 mars 2023, elle a communiqué à la société le contenu essentiel des pièces nos 2 à 6 et 8 à 15.
22. L’AFC-GE prétend que trois des salariés de la recourante ont perçu des prestations soumis à l’IS, à savoir MM. C______, B______ et G______ et que la contribuable n’a pas prélevé l’IS sur des rémunérations en liens avec des options issues du plan d’intéressement ______. Le total des reprises fixé par l’AFC-GE dans son bordereau du 14 février 2023 s’élève à CHF 12'080'513.-. Ainsi qu’il ressort de la « liste récapitulative 2018 » annexée, ce montant se décompose comme suit : CHF 194'707.- pour M. G______, CHF 2'692'867.- pour M. C______ et CHF 9'192'939.- pour M. B______.
Le tribunal a pris connaissance des pièces nos 2 à 6, 8 à 15, ainsi que 28 à 32 produites sous le couvert du secret fiscal par l’AFC-GE, en annexe à sa réponse du 25 avril 2023. Puisqu’elles contiennent des données concernant d’autres contribuables que la recourante, elles sont soumises au secret fiscal et ne peuvent lui être transmises telles quelles. Cela étant, il ne découle pas de la lecture de ces documents, ni d’autres pièces du dossier, que ceux-ci contiendraient des informations déterminantes pour chiffrer les reprises et ce, notamment parce qu’ils ne concernent pas l’année 2018, laquelle fait l’objet du litige quant au fond. D’ailleurs, l’AFC-GE ne le soutient pas. En d’autres termes, rien ne permet de conclure, à ce stade de la procédure, que l’autorité intimée s’est basée sur lesdites pièces pour trancher au détriment de la recourante. Enfin, l’AFC-GE a remis à la société une copie caviardée des pièces en question.
En conséquence, il n’y a pas lieu de communiquer à la société une copie complète des pièces nos 2 à 6, 8 à 15, ainsi que 28 à 32.
23. Le 5 juin 2023, la recourante a conclu à ce que l’AFC-GE produise diverses correspondances.
Étant donné que cette conclusion a été formulée pour la première fois au stade de la réplique, elle doit être déclarée irrecevable (ATA/24/2024 du 9 janvier 2024 consid. 12.3 et les réf.).
24. Ne reposant sur aucun motif valable, le recours doit être rejeté.
25. En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1'500.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 700.- versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 11 avril 2023 par A______ Sàrl contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 29 mars 2023 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge de A______ Sàrl un émolument de CHF 1'500.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais de CHF 700.- ;
4. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. b et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant: Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Pascal DE LUCIA et Philippe FONTAINE, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Sophie CORNIOLEY BERGER
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
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La greffière |