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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/7884/2023

ACJC/516/2025 du 08.04.2025 sur JTBL/782/2024 ( OBL ) , CONFIRME

Normes : CO.266.al1.letg; CO.257.al3.letf
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7884/2023 ACJC/516/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MARDI 8 AVRIL 2025

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ (France)|, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 24 juillet 2024, représentée par l’ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6.

 

Et

COOPERATIVE B______|, ayant son siège ______ [GE], intimée, représentée par Me Philippe JUVET, avocat, rue de la Fontaine 2, 1204 Genève.

 

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/782/2024 du 24 juillet 2024, reçu par les parties le 14 août 2024, le Tribunal des baux et loyers a déclaré efficace et valable le congé notifié le 1er mars 2023 par COOPERATIVE B______ à A______ concernant l’atelier d’une surface de 149 m² situé dans la halle sud du bâtiment « B______ » sis chemin 1______ no. ______ à C______ [GE] (ch. 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

B. a. Par acte déposé le 16 septembre 2024 à la Cour de justice, A______ (ci-après : la locataire ou l’appelante) a formé appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut, cela fait, à ce que la Cour déclare inefficace la résiliation de bail du 1er mars 2023 notifiée pour le 30 novembre 2023.

b. Dans sa réponse du 15 octobre 2024, COOPERATIVE B______ (ci-après : la bailleresse ou l’intimée) conclut à ce que A______ soit déboutée de toutes ses conclusions.

c. A______ a répliqué le 20 novembre 2024, persistant dans ses conclusions.

d. Les parties ont été avisées le 13 janvier 2025 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. COOPERATIVE B______ est une société dont le but est notamment la gestion et l’administration des unités locatives du site B______, ainsi que la maintenance et la revalorisation de ses bâtiments et la mise à disposition à des coopérateurs exerçant des activités industrielles et/ou artisanales compatibles avec le but poursuivi par la Fondation D______.

b. COOPERATIVE B______ est au bénéfice d’un droit de superficie distinct et permanent sur les parcelles no 2______ et 3______ de la commune de E______ [GE], propriété de la Fondation D______, lesquelles sont situées en zone industrielle et artisanale.

Le contrat de superficie conclu en 2003 prévoit notamment que les locataires de l’immeuble doivent exercer une activité compatible avec le but de la Fondation D______, à savoir des activités industrielles ou artisanales. Toutefois, lors de la signature du contrat, la Fondation D______ a demandé que les activités déjà présentes dans les locaux soient maintenues, quand bien même elles ne respectaient pas le type d’activités dans la zone.

c. Le 24 mars 2021, COOPERATIVE B______, en qualité de bailleresse, et F______ et A______, en qualité de locataires, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d’un atelier d’une surface de 149 m² situé dans la halle sud du bâtiment « B______ » sis chemin 1______ no. ______ à C______.

Le loyer annuel a été initialement fixé à 29’799 fr., hors charges, soit 2’483 fr. 30 par mois. Il devait ensuite être échelonné régulièrement jusqu’à atteindre un loyer annuel de 37’249 fr. 80 dès le 1er avril 2026.

d. F______ est une entreprise individuelle inscrite au Registre du commerce de Genève, avec siège à G______ [GE], dont A______ est titulaire. Elle a pour but la mise en place d’ateliers de tricotage, de couture artisanale africaine et d’atelier audio-visuel en vue de favoriser les échanges de compétences autour des ateliers.

e. Les locaux ont été loués à destination de l’exercice de ces activités.

f. Le 1er septembre 2021, une demande a été déposée au nom de F______ auprès de l’Office des autorisations de construire, en vue de l’aménagement d’ateliers de couture.

g. Le ______ octobre 2021, le département a octroyé une autorisation de construire en ce sens.

h. Par courrier du 22 décembre 2022, la bailleresse a rappelé à la locataire que cette autorisation de construire était valable deux ans. Il lui incombait d’obtenir l’avis d’ouverture et de fermeture du chantier, tout en respectant les plans et conditions de l’autorisation de construire. Elle la rendait attentive quant au strict respect de ces démarches, afin que son local soit considéré comme conforme à la réglementation en vigueur et aux normes dictées par le Département du territoire.

i. Le chantier n’a toutefois jamais été ouvert.

j. Mi-février 2023, la bailleresse a découvert, à la suite de la plainte d’un autre locataire de l’immeuble, que la locataire utilisait son local, dans lequel étaient installées environ 80 chaises, pour l’organisation de réunions, notamment de cultes religieux.

k. Par avis officiel du 1er mars 2023, COOPERATIVE B______ a résilié le bail pour le 30 novembre 2023, pour justes motifs.

Dans le courrier accompagnant cet avis, elle a rappelé que les locaux avaient été loués en vue de l’exploitation d’un atelier de tricotage, voire de couture, une autorisation expresse ayant été obtenue dans ce sens. Or, elle avait constaté que les locaux avaient été transformés en salle de réunions, ce qui n’était pas conforme au but envisagé par le bail et comportait des risques, notamment au vu du nombre de personnes fréquentant les locaux, qui ne devait pas dépasser seize personnes.

l. Le 5 avril 2023, la locataire a saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers.

m. Vu l'échec de la tentative de conciliation, une autorisation de procéder lui a été délivrée le 19 juin 2023.

n. Par courrier du 3 juillet 2023 adressé à la bailleresse, la Fondation D______ a pris note du fait que la locataire utilisait les locaux loués pour y organiser diverses réunions et activités de cultes religieux. Elle a confirmé que les locaux loués étaient situés en zone industrielle et artisanale et que les activités qui s’y déployaient devaient être conformes à cette affectation, sous réserve de dérogations expresses et exceptionnelles. Le contrat de bail visait à permettre à la locataire d’utiliser les locaux pour ses activités de « mise en place des ateliers de tricotage, de couture artisanale africaine, atelier audio-visuel, dans le but de favoriser les échanges des compétences des personnes autour des ateliers », activités jugées conformes à la zone par la Fondation D______ au sens de l’article 3 al. 1 let. c RZIAM. En revanche, l’utilisation actuelle des locaux n’était pas permise car, d’une part, une demande d’autorisation de construire aurait dû être déposée pour modifier la destination des locaux et, d’autre part, la tenue de réunions associatives et celle de cultes religieux n’entrait pas dans le champ des activités industrielles et artisanales et n’était pas conforme à la zone. La Fondation D______ n’entendait pas octroyer de dérogation à cet égard. Dès lors, ces activités devaient cesser immédiatement, étant précisé qu’une occupation des locaux par plus de seize personnes comportait des risques.

o. Par courrier du 4 juillet 2023, la bailleresse a transmis le courrier précité à la locataire et lui a demandé de cesser immédiatement ses activités.

p. Le 21 août 2023, la locataire a saisi le Tribunal d’une requête en contestation de résiliation, subsidiairement en prolongation de bail. Elle a conclu, principalement, à l’inefficacité du congé, subsidiairement, à son annulation et, plus subsidiairement encore, à une prolongation de bail de six ans et à ce qu’elle soit autorisée à restituer les locaux en tout temps, moyennant un préavis écrit de 15 jours pour le 15 ou la fin d’un mois.

q. Dans sa réponse du 16 octobre 2023, la bailleresse a conclu au déboutement de la locataire de toutes ses conclusions.

r. Dans une écriture du 20 novembre 2023, la locataire s’est déterminée sur les allégués de la bailleresse, indiquant notamment que les événements organisés n’accueillaient jamais plus de 40 personnes malgré les 90 chaises disponibles et que dans l’immeuble se trouvaient également une discothèque et une école de danse dont les activités ne respectaient pas non plus les activités autorisées dans la zone.

s. Lors des audiences du 4 décembre 2023 et du 4 mars 2024 devant le Tribunal, la bailleresse a contesté le fait que les événements organisés par la locataire ne soient fréquentés que par 40 personnes au maximum. Elle a également précisé que la discothèque avait obtenu une dérogation de la Fondation D______ et que l’école de danse était présente dans les locaux depuis plus de dix ans.

La locataire a contesté le motif de la résiliation et relevé qu’aucune mise en demeure ne lui avait été adressée. Elle n’aurait pas donné suite à une demande d’exploiter un atelier de couture dans les locaux car cette activité n’était plus envisageable en raison du COVID-19. Les personnes qui devaient financer les travaux s’étaient désistées de sorte qu’elle n’avait pas pu les mettre en œuvre. Comme elle avait déjà loué la salle, elle avait cherché à l’exploiter différemment. Les événements étaient organisés les mercredis, vendredis et dimanches et des cours de musique étaient parfois donnés le samedi. Les mercredis et vendredis, moins de dix personnes étaient présentes dans les locaux. Le dimanche, la fréquentation était supérieure (mais jamais plus de 40 personnes). Elle avait eu une remarque d’un voisin à l’occasion d’un événement lors duquel des jeunes avaient installé des tables à l’extérieur des locaux, mais aucune plainte.

H______, représentant de la bailleresse, a déclaré que celle-ci n’avait jamais accepté que les locaux soient utilisés à d’autres fins que celles prévues par le contrat. La locataire ne l’avait jamais interpellée à cet égard. La bailleresse avait découvert par hasard la véritable activité déployée par la locataire et avait invité I______, détenteur d’une procuration individuelle pour l’entreprise individuelle dont la locataire est titulaire, au Comité de direction. Ce dernier avait reconnu qu’aucun atelier de tricot n’était installé dans les locaux. Il lui avait alors été fait comprendre que par ce changement d’affectation, il avait menti à la Fondation D______, au département et à la bailleresse. Le contrat de superficie conclu en 2003 avec la Fondation D______ exigeait de la bailleresse qu’elle fasse en sorte que les locaux soient exploités pour des activités industrielles et artisanales tout en l’autorisant à conserver les locataires en place. Depuis une dizaine d’années toutefois, la Fondation D______ était plus stricte vis-à-vis de la bailleresse et, pour les nouveaux locataires, elle exigeait qu’une activité industrielle ou artisanale soit exercée, le Département souhaitant également accélérer la mise en conformité. La bailleresse risquait d’être tenue pour responsable en cas d’accident et de voir son contrat de superficie remis en question si elle ne respectait pas les activités de la zone. Les locaux loués par la locataire se situaient dans une partie du bâtiment à proximité des citernes de mazout; de ce fait, aucune dérogation ne pouvait être octroyée pour des raisons de sécurité. Dans cette partie du bâtiment, le risque d’explosion était considéré comme important, raison pour laquelle le nombre de personnes dans les locaux était limité. En ce qui concernait l’école de danse et la discothèque, leurs locaux étaient plus éloignés de la zone dangereuse.

J______, représentante de la Fondation D______, a déclaré que pour obtenir une dérogation, la locataire devait déposer une demande d’autorisation de construire, procédure dans laquelle la Fondation D______ serait amenée à donner un préavis. Dans le cas d’espèce, la Fondation D______ n’entendait pas émettre un préavis favorable car l’activité exercée dans les locaux ne pouvait pas faire l’objet d’une dérogation, même au sens des articles 16 et 17 RZIAM incluant les activités culturelles ou festives. En outre, plusieurs locataires de l’immeuble étaient déjà bénéficiaires de dérogations et la Fondation D______ ne souhaitait plus en accorder afin de ne pas dénaturer la zone. La Fondation D______ n’accorderait pas non plus une dérogation de courte durée jusqu’à l’échéance du bail. La zone était destinée à des artisans et industriels afin qu’ils puissent exercer des activités qui ne pourraient pas l’être ailleurs en raison des nuisances qu’elles comportent et afin qu’ils puissent bénéficier de loyers abordables.

t. A l’issue de l’audience du 13 mai 2024, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives. La cause a ensuite été gardée à juger.

u. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que les justes motifs sur lesquels la bailleresse avait fondé la résiliation résidaient dans le fait que l’activité déployée dans les locaux ne respectait pas celle prévue par le contrat et par la réglementation applicable à la zone dans laquelle se trouvent les locaux. En outre, au vu de la proximité des locaux avec les citernes avoisinantes, les locaux étaient suroccupés par rapport à la réglementation, ce qui était dangereux. Il s’agissait donc d’examiner le congé sous l’angle de l’art. 257f CO, dont les conditions étaient réunies. La bailleresse pouvait se dispenser d’envoyer un avertissement préalable car il aurait été inutile puisque la locataire avait déclaré en audience que, même si elle avait reçu un avertissement, elle n’aurait pas modifié l’affectation des locaux. Le Tribunal a par conséquent validé le congé en application de cette dernière disposition.

S’agissant d’un congé extraordinaire, aucune prolongation n’a été accordée à la locataire.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

En l'espèce, le loyer annuel initial des locaux litigieux, hors charges, s'élève à 29’799 fr. 60. La valeur litigieuse est donc supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l’appel est ouverte.

1.2 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.4 Selon l'art. 243 al. 2 let. c CPC, la procédure simplifiée s'applique notamment aux litiges portant sur des baux à loyer d'habitations et de locaux commerciaux en ce qui concerne la protection contre les congés ou la prolongation du bail. La maxime inquisitoire sociale régit alors la procédure (art. 247 al. 2 let. a CPC).

Le juge doit donc établir les faits d'office et n'est pas lié par les allégations des parties et leurs offres de preuve (ATF 139 III 457 consid. 4.4.3.2). Toutefois, les parties ne sont pas pour autant dispensées de collaborer activement à l'établissement des faits (ATF 142 III 402 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_360/2015 du 12 novembre 2015 consid. 4.2).

2. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir violé la loi en considérant qu’un avertissement préalable n’était pas nécessaire et en déclarant la résiliation de bail valable. Le Tribunal avait validé le congé sur la base de l’art. 257f CO, considérant qu’un avertissement préalable n’était pas nécessaire. Or, une telle dispense ne pouvait être qu’exceptionnelle et devait être examinée de manière stricte. En l’espèce, rien ne permettait de déduire de son attitude qu’une mise en demeure serait restée sans effet.

2.1.
2.1.1
L'art. 266g al. 1 CO prévoit que si pour de justes motifs l'exécution du contrat devient intolérable pour une partie, celle-ci peut résilier le bail à n'importe quel moment, en observant le délai de congé légal. Cette disposition consacre un droit de résiliation extraordinaire correspondant au principe général selon lequel les contrats de durée peuvent être résiliés de manière anticipée pour de justes motifs. Seules des circonstances d'une gravité exceptionnelle qui n'étaient pas connues, ni prévisibles lors de la conclusion du contrat et qui ne sont pas la conséquence d'une faute de la partie qui s'en prévaut, peuvent constituer de justes motifs au sens de l'art. 266g al. 1 CO. Ces circonstances doivent être si graves qu'elles rendent la continuation du bail jusqu'à son terme objectivement intolérable. La perception subjective d'une situation intolérable par la partie qui résilie n'est pas déterminante (ATF 122 III 262 et arrêt 4A_586/2012 du 23 septembre 2013 consid. 3.1). Le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l'équité, en conformité de l'art. 4 CC, si le congé extraordinaire répond à de justes motifs. Il prend en considération tous les éléments du cas particulier et notamment l'intérêt de l'autre partie au maintien du contrat (arrêt du Tribunal fédéral 4A_586/2012 précité, consid. 3.1).

Les justes motifs peuvent résider dans une situation générale (catastrophe naturelle, guerre, grave crise économique), dans la personne du bailleur (grave maladie, revers de fortune, comportement critiquable) ou dans la personne du locataire (maladie sévère, changement dans la situation familiale, aggravation de la situation financière) (LACHAT, Le bail à loyer, 2019, p. 913).

L’art. 266g CO est une concrétisation de la théorie de l’imprévision en droit du bail et n’a pas pour but de sanctionner des violations du contrat par le locataire (LACHAT, op. cit., p. 912).

2.1.2 Le congé pour de justes motifs, prévu par l'art. 266g al. 1 CO, est subsidiaire par rapport aux autres motifs de congé extraordinaire prévus par la loi, notamment celui de l'art. 257f al. 3 CO. Lorsque l'état de fait présenté par le bailleur à l'appui d'un congé correspond d'un point de vue juridique à un autre motif de résiliation extraordinaire que celui qu'il a invoqué, cette erreur de qualification ne doit pas lui nuire et le juge peut procéder à la rectification nécessaire (ATF 135 III 441 consid. 3.1; 123 III 124 consid. 3d). Si un congé ne satisfait pas aux exigences légales auxquelles est subordonné son exercice, il est inefficace; un tel congé est dénué d'effet (ATF 135 III 441 consid. 3.1; 121 III 156 consid. 1c/aa).

2.1.3 Aux termes de l’art. 257f al. 3 CO, lorsque le maintien du bail est devenu insupportable pour le bailleur ou les personnes habitant la maison parce que le locataire, nonobstant une protestation écrite du bailleur, persiste à enfreindre son devoir de diligence ou à manquer d’égards envers les voisins, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d’habitation et de locaux commerciaux peuvent être résiliés moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d’un mois.

La résiliation prévue par l’art. 257f al. 3 CO suppose la réalisation des cinq conditions cumulatives suivantes : une violation du devoir de diligence incombant au locataire, un avertissement écrit préalable du bailleur, la persistance du locataire à ne pas respecter son devoir en relation avec le manquement évoqué par le bailleur dans sa protestation, le caractère insupportable du maintien du contrat pour le bailleur et, enfin, le respect d’un préavis de trente jours pour la fin d’un mois (arrêts du Tribunal fédéral 4A_468/2020 du 9 février 2021 consid. 4.1; 4A_457/2013 du 4 février 2014 consid. 2 et les arrêts cités).

Le comportement du locataire doit constituer une violation de son devoir de diligence ou un usage de la chose violant les stipulations du contrat
(ATF 132 III 109 consid. 5; 123 III 124 consid. 2a). Le manquement reproché au locataire doit atteindre une certaine gravité (ATF 134 III 300 consid. 3.1.

L’application de l’art. 257f al. 3 CO requiert un avertissement écrit du bailleur. L’avertissement doit indiquer précisément quelle violation est reprochée au locataire, afin que celui-ci puisse rectifier son comportement. L’avertissement n’a toutefois nul besoin de contenir une menace de résiliation (arrêt du Tribunal fédéral 4A_500/2023 du 11 avril 2024 consid. 5.1 et références citées). Le bailleur est en droit de se dispenser de signifier une protestation, s’il apparaît à l’évidence qu’elle sera inutile (art. 108 ch. 1 CO par analogie; BOHNET/MONTINI, Droit du bail à loyer, 2017, n° 35 ad art. 257f CO; LACHAT, op. cit., p. 888). Ce n'est toutefois qu'à titre tout à fait exceptionnel que le bailleur peut se dispenser de l'envoi d'une mise en demeure, au risque sinon de vider de sens l'exigence posée par l'art. 257f al. 3 CO de l'existence d'une mise en demeure préalable, non suivie d'effet (ACJC/54/2017 du 16 janvier 2017 consid. 4.1).

L’application de l’art. 257f al. 3 CO suppose encore que le locataire persiste à violer le contrat.

Enfin, le maintien du contrat doit être insupportable pour le bailleur. Cette question doit être résolue à la lumière de toutes les circonstances du cas d’espèce, antérieures à la résiliation du bail. Elle relève du pouvoir d’appréciation du juge (art. 4 CC) (ATF 136 III 65 consid. 2.5). Lorsque la violation du contrat est grave, le maintien du bail est d’emblée insupportable pour le bailleur (ATF 134 III 300 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_468/2020 précité consid. 4.1.2).

Ainsi, une résiliation anticipée sur la base de l’article 257f al. 3 CO peut notamment intervenir lorsque le locataire affecte la chose à une utilisation incompatible avec la convention des parties, même si la violation du contrat n’entraîne pas une situation insupportable selon cette disposition
(ATF 132 III 109; arrêt du Tribunal fédéral 4A_429/2010 du 6 octobre 2010).

2.2 En l’espèce, il n’est pas contesté que les locaux ont été loués à destination d’un atelier de couture et il est établi que ceux-ci sont situés dans une zone destinée à des activités industrielles et artisanales. Les locaux n’ont toutefois jamais été exploités à ces fins. L’appelante les a en effet utilisés pour y organiser des réunions et des cultes religieux. Lorsque l’intimée l’a appris, elle a immédiatement résilié le contrat de bail en se fondant sur l’art. 266g CO, sans adresser de mise en demeure préalable. Lors de son audition, l’appelante a déclaré qu’elle n’aurait pas donné suite à une demande de l’intimée d’exploiter les locaux en ateliers de couture car cette activité n’était plus envisageable en raison du COVID-19. Les personnes qui devaient financer les travaux s’étaient par ailleurs désistées de sorte qu’elle n’avait pas pu les réaliser.

Comme rappelé supra, l’application de l’art. 266g CO est subsidiaire aux autres motifs de congé extraordinaire prévus par la loi. Or, le changement d’affectation reproché à l’appelante représente une violation de son contrat de bail qui ne permet pas une résiliation sur la base de l’art. 266g CO ; il peut en revanche justifier une résiliation anticipée sur la base de l’art. 257f al. 3 CO si les conditions de cette dernière disposition sont remplies.

Il est vrai que l’art. 257f al. 3 CO exige en principe l’envoi d’une mise en demeure. Le Tribunal a considéré que l’intimée pouvait en être dispensée dans la mesure où une protestation n’aurait pas été suivie d’effet, au vu des déclarations de l’appelante ce qui n’est pas critiquable même si une telle dispense doit être admise à titre exceptionnel.

En effet, l’appelante n’a jamais exploité les locaux conformément à ce qui est autorisé dans la zone où sont situés les locaux et à ce qu’elle avait convenu avec l’intimée. La situation relative au COVID-19 était par ailleurs connue au moment de la signature du contrat de bail, le 24 mars 2021. L’appelante n’a en outre donné aucune suite à la demande de l’intimée du 22 décembre 2022 d’obtenir l’avis d’ouverture et de fermeture du chantier.

L’appelante ne conteste pas pour le surplus que les autres conditions d’application de l’art. 257f al. 3 CO sont remplies.

Au vu de ces éléments, le Tribunal n’a pas violé la loi en admettant la validité du congé sur la base de l’art. 257f al. 3 CO et, de ce fait, en n’accordant aucune prolongation à l’appelante.

Il s’ensuit que le jugement sera confirmé.

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 16 septembre 2024 par A______ contre le jugement JTBL/782/2024 rendu le 24 juillet 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/7884/2023.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Nevena PULJIC et Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.