Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/574/2025 du 29.07.2025 ( AI ) , REJETE
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/3699/2024 ATAS/574/2025 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 29 juillet 2025 Chambre 2 |
En la cause
A______
| recourant |
contre
OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE | intimé |
A. a. En 2002, A______ (ci-après : l'assuré, l’intéressé ou le recourant), né en 1983, marié en 2021 et père de quatre enfants nés à partir de 2015 (B______, C______, D______ et E______), est arrivé en Suisse. Dès 2003, il a exercé plusieurs emplois successifs de commis de cuisine et, entre 2003 et 2006, il a également été employé en tant que jardinier-paysagiste, en parallèle de son activité de commis de cuisine entre 2003 et 2004.
b. Le 2 août 2016, alors qu'il travaillait pour une société exploitant un restaurant, l'intéressé a été victime d'un accident professionnel. Le cas a été pris en charge par l'assureur-accidents, SWICA ASSURANCES SA (ci-après : SWICA).
c. Le 25 août 2017, l'assuré a déposé une demande de prestations de l’assurance‑invalidité (ci-après : AI), mesures professionnelles et/ou rente, auprès de l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI, l’office ou l’intimé).
Dans le cadre de l'instruction, l'OAI a récolté de nombreux documents médicaux.
d. En parallèle, par décision du 21 septembre 2018, SWICA a mis fin à la prise en charge des indemnités journalières et des frais de traitement avec effet au 31 mai 2017, tout en renonçant à demander le remboursement des frais de traitement qui avaient été payés au-delà de cette date.
e. Alors que l'intéressé avait été engagé le 7 septembre 2018 en qualité de plongeur à plein temps par une entreprise exploitant un autre restaurant, dont l’assureur-accidents était ALLIANZ SUISSE SOCIÉTÉ D'ASSURANCES SA (ci-après : ALLIANZ), il a été victime le 22 novembre 2018 d'un accident non professionnel, cet événement étant décrit comme « Eaux escaliers » et ayant causé une atteinte à l'épaule gauche et étant survenu au domicile de l'assuré.
f. D'autres nombreux rapports médicaux ont été récoltés par l’office à la suite de ce nouvel événement, parmi lesquels un rapport établi le 12 janvier 2021 par le service médical régional de l’AI (ci-après : SMR), retenant, comme « atteinte principale », une capsulite rétractile post-traumatique de l’épaule gauche et, comme « autres atteintes », une « tendinopathie du long chef du biceps, arthrose acromio-claviculaire », et concluant à une capacité de travail nulle dans toute activité dès le 6 août 2016 mais entière dans une activité adaptée – pas celle habituelle de « plongeur en restauration » – à partir du 7 août 2020.
g. Par projet de décision du 11 mars 2021, l'OAI a informé l'assuré qu'il envisageait de lui octroyer une rente d'invalidité limitée dans le temps, soit une rente entière du 1er février 2018 au 31 octobre 2020. En effet, le 6 août 2017, à l'échéance du délai d'attente, l'incapacité de gain était entière et ouvrait en principe le droit à une rente entière d'invalidité. Toutefois, en raison d'une demande tardive, la rente ne pouvait être versée qu'à partir du 1er février 2018. Le 7 août 2020, date à laquelle il avait recouvré une capacité de travail entière dans une activité adaptée, son taux d'invalidité était insuffisant pour permettre le maintien d'une rente de sorte que celle-ci était supprimée trois mois après l'amélioration, soit dès le 1er novembre 2020.
h. Le 1er avril 2021, l'assuré, représenté par un avocat, a fait part de son désaccord avec le projet de décision précité.
i. Par décision du 17 juin 2022, l'OAI a reconnu à l'assuré le droit à une rente entière du 1er février 2018 au 31 octobre 2020 en précisant que les éléments médicaux produits à l'appui de la contestation du projet de décision du 11 mars 2021 ne lui permettaient pas de modifier son appréciation, la capacité de travail dans une activité adaptée étant entière dès le 7 août 2020.
La caisse de compensation GASTROSOCIAL (ci-après : la caisse de compensation) a octroyé à l'assuré une rente entière d'invalidité du 1er février 2018 au 31 octobre 2020, complétée, sur une partie de sa durée, par des rentes pour les enfants B______, C______ et D______.
B. a. Par acte du 22 août 2022, l'assuré, représenté par son conseil, a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales ou chambre de céans) d'un recours contre cette décision, concluant, principalement, à son annulation, au versement d'une rente entière d'invalidité non limitée dans le temps et de rentes pour enfant à partir du 1er février 2018 pour B______, du 29 avril 2018 pour C______ et du 5 août 2019 pour D______ et, subsidiairement, à la mise en œuvre d'une expertise et de mesures de réadaptation professionnelle.
b. Dans le cadre de la procédure par-devant la chambre de céans, le recourant a notamment produit un rapport d'expertise administrative du 8 février 2023 du professeur F______, spécialiste FMH en médecine interne, du docteur G______, spécialiste en neurologie, et du professeur H______, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, tous deux de I______, rendu dans le cadre du litige opposant le recourant à ALLIANZ, qui concluait à une absence de séquelles résiduelles de l'accident du 22 novembre 2018 ; le lien de causalité entre cet événement et les troubles dont se plaignait le recourant était certes possible mais n'était pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante : cet accident avait causé une aggravation temporaire de l'état antérieur dont la guérison était intervenue au plus tard à la fin du mois de juin 2019.
c. Par arrêt du 13 février 2024 (ATAS/88/2024, dans la cause A/2648/2022), la chambre de céans a partiellement admis le recours susmentionné au sens des considérants, a, premièrement, réformé la décision du 17 juin 2022 en ce sens que la rente en faveur de B______ était due dès le 1er février 2018, celle en faveur de C______ dès le 1er avril 2018 et celle en faveur de D______ dès le 1er août 2019. Elle a, secondement, annulé ladite décision en tant qu'elle supprimait la rente d'invalidité du recourant (et les rentes pour enfant) à partir du 1er novembre 2020, et a renvoyé la cause à l'intimé pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.
Concernant ce second point, en l’état actuel de l’instruction, les doutes qui entouraient la fiabilité et la pertinence des appréciations effectuées par le SMR faisaient qu’une modification – du taux d’invalidité – au sens de la loi n’était pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante. Par ailleurs, en lien avec cette problématique, les experts de I______ ne se prononçaient pas sur la capacité de travail du recourant, que ce soit dans son activité habituelle ou une activité adaptée. Dans ces conditions, compte tenu du caractère insuffisant de l’instruction, il incomberait à l’intimé de mettre en œuvre une expertise indépendante au sens de la loi, comportant à tout le moins des volets orthopédique et neurologique, pour déterminer si les conditions de la révision étaient réunies, c’est-à-dire si et le cas échéant à partir de quand la rente d’invalidité de l’assuré devait être réduite, voire supprimée.
C. a. Après réception de cet arrêt et en exécution de ce dernier, l’office a, dans une « note d’exécution de jugement » établie le 13 mars 2024, mentionné entre autres « le rétablissement de la rente entière dès le 01.11.2020 », et à la ligne « puis reprendre l’instruction du dossier sous l’angle médical, notamment par la mise en œuvre d’une expertise avec au moins les volets orthopédique et neurologique » et à la ligne « puis, à l’issue de l’instruction, rendre une nouvelle décision précédée d’un projet ».
Par « prononcé » du 25 mars 2024, il a demandé à la caisse de compensation « de calculer la prestation en espèces, mais d’attendre [sa] motivation avant d’effectuer les éventuelles compensations et de notifier la décision », sur la base d’un degré d’invalidité de 100% dès le 6 août 2017, la rente devant être allouée « pour une durée qui [n’était] pas limitée ».
b. Par avis du 8 avril 2024, le SMR a proposé de reprendre le versement de la rente dès le 1er novembre 2020 ainsi que l’instruction médicale du dossier avec les volets neurologique et orthopédique, voire psychiatrique (si l’assuré avait un suivi spécialisé dans cette discipline).
c. Par décision de « prestations AI » du 10 avril 2024 remplaçant celle du 17 juin 2022 (« décision suite à l’arrêt de la CJCAS du 13.02.2024 »), la caisse de compensation, évoquant « une éventuelle compensation du paiement rétroactif avec des prestations déjà versées », et afin d’éviter tout retard, a décidé du versement de la rente AI à partir du 1er mai 2024, plus les rentes pour enfant en faveur des quatre enfants de l’intéressé.
Le 16 avril 2024, elle a demandé à l’OAI de lui transmettre en CD le dossier complet de l’intéressé, ce que l’office a fait le 19 avril suivant.
Par décision de « prestations AI » du 17 mai 2024, la caisse de compensation a informé l’assuré – via son avocat – que, « selon le prononcé AI du 25 mars 2024, [celui-ci avait] droit à une rente de l’AI à partir du 1er février 2018 jusqu’au 30 avril 2024 », puis a calculé les montants dus pour cette période, pour l’intéressé ainsi que pour B______, C______ et D______. À la fin de cette décision figuraient les moyens de droit, à savoir un recours dans les 30 jours auprès de la chambre des assurances sociales.
d. En parallèle, l’office a reçu, le 10 avril 2024, un rapport du 19 juillet 2023 du docteur J______, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, qui avait déjà été versé dans la procédure de recours susmentionnée, puis, le 1er juillet 2024, un questionnaire médical AI rempli le 25 juin 2024 par ce même spécialiste, qui faisait état, en raison d’une tendinopathie fissuraire du sus-épineux gauche, d’une capacité de travail, dans une activité adaptée, de 50% pendant trois mois, puis de 80% ou 100%.
e. À la fin d’un avis du 19 août 2024, le SMR a considéré ce qui suit : « En résumé, dans le cadre de la reprise de l’instruction, sur le plan orthopédique, la situation est stabilisée, mais la date d’exigibilité de la [capacité de travail] résiduelle n’est pas clairement établie et le versant neurologique (douleurs neuropathiques ?) n’a pu être instruit. [À la ligne] En conséquence, afin de répondre à la demande du Tribunal, le SMR propose la réalisation d’une expertise bi-disciplinaire orthopédique et neurologique ».
f. Par « communication (sans moyens de recours) » du 21 août 2024 concernant une « demande du 14.03.2024 », l’office a fait part à l’intéressé qu’« afin de clarifier [son] droit aux prestations, [il estimait] qu’un examen médical approfondi (orthopédique et neurologique) [était] nécessaire ». Il se chargerait de mandater des médecins spécialistes pour effectuer ces examens, le choix du centre d’expertises se faisant de manière aléatoire. En annexe figuraient les questions qui seraient posées aux experts.
Par communication du 28 août 2024, il a informé l’assuré que l’expertise médicale serait réalisée par le centre d’expertises K______, plus précisément, en neurologie, par le docteur L______ et, en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, par le docteur M______.
g. Par lettre de son conseil du 2 septembre 2024, l’assuré s’est opposé à la mise sur pied d’une expertise. En effet, il ignorait ce qu’était sa « demande du 14.03.2024 », et, vu la décision d’octroi de rentes du 10 avril 2024, il peinait à discerner les motifs d’une expertise, laquelle ne saurait porter en tout état de cause sur une hypothétique modification de son état de santé et de l’exigibilité depuis cette dernière décision, ce à quoi s’ajoutait que la mission d’expertise (ch. 4.3) incluait les « constats psychiatriques », pourtant non couverts par le champ prévu de l’expertise. En tant que de besoin, le prononcé d’une décision formelle était demandé.
h. Par décision incidente du 4 octobre 2024, l’OAI a maintenu l’expertise auprès du centre et des experts désignés. En effet, au vu de l’ATAS/88/2024 précité, non contesté par l’intéressé, il était tenu de mettre en place une expertise médicale, les experts étant invités à se prononcer notamment sur la question de savoir si l’état de santé s’était modifié à compter du mois d’août 2020. La date du 14 mars 2024, mentionnée à tort comme la date de la « demande », correspondait au moment de l’exécution dudit arrêt. Par ailleurs, la décision de la caisse de compensation du 10 avril 2024 faisait également suite à cet arrêt, en lien avec la date de versement des rentes pour enfant et le rétablissement de la rente au-delà du 1er novembre 2020 ; dans cette mesure, cette décision ne saurait fonder le point de départ d’une éventuelle révision.
i. Le 9 octobre 2024, l’intéressé s’est plaint de cette décision auprès de l’office et a annoncé le dépôt d’un recours.
D. a. Par acte du 6 novembre 2024, l’assuré a, auprès de la chambre de céans, interjeté recours contre ladite décision du 4 octobre 2024, concluant principalement à son annulation entière, subsidiairement à son annulation en tant qu’elle confirmait la mission d’expertise qui lui avait été communiquée les 21 et 28 août 2024 et à ce qu’il soit dit que l’expertise ne devait porter que sur la question d’une éventuelle modification de son état de santé et de l’exigibilité depuis le 10 avril 2024 et qu’elle devait comprendre un volet psychiatrique.
b. Par réponse du 5 décembre 2024, l’intimé a conclu au rejet du recours, indiquant notamment que, conformément à l’ATAS/88/2024 précité, il avait rétabli la rente d’invalidité du recourant pendant la procédure d’instruction du dossier afin de mettre en place une expertise, laquelle permettrait de déterminer si les conditions d’une révision étaient réunies.
c. Par écrit du 10 décembre 2024, le recourant a persisté dans les termes et conclusions de son recours, sans motivation complémentaire.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'AI, à moins que la loi n'y déroge expressément.
2.
2.1 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l'AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l'assurance-invalidité du 17 janvier 1961 ([RAI - RS 831.201] ; RO 2021 706). Dans le sillage de cette modification, la LPGA a aussi connu plusieurs modifications qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2022, dont notamment l'art. 44 sur l'expertise.
2.2 Sur le plan matériel, le point de savoir quel droit s'applique doit être tranché à la lumière du principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et les références). Sur le plan de la procédure, les nouvelles dispositions sont applicables, sauf dispositions transitoires contraires, à tous les cas en cours, dès l'entrée en vigueur du nouveau droit (ATF 129 V 113 consid. 2.2 ; Milena PIREK, L'application du droit public dans le temps : la question du changement de loi, Thèse, 2018, n. 779). Ceci concerne en particulier les dispositions du chapitre 4 de la LPGA (« Dispositions générales de procédure »), soit les art. 27-62 LPGA (cf. ATF 130 V 1 consid. 3.2).
2.3 La décision litigieuse ayant été rendue le 4 octobre 2024 et portant sur la situation procédurale faisant suite à l’ATAS/88/2024 précité (du 13 février 2024), et l’état de fait visé par la présente problématique procédurale se trouvant ainsi en 2024, les dispositions de procédure en vigueur depuis le 1er janvier 2022 sont applicables.
3. Concernant la recevabilité du recours, il convient de relever ce qui suit.
3.1 Selon l'art. 52 al. 1 LPGA, les décisions peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d'opposition auprès de l'assureur qui les a rendues, à l'exception des décisions d'ordonnancement de la procédure. Ces dernières visent les décisions incidentes que le législateur a soustraites à la procédure d'opposition, afin d'éviter des retards excessifs dans le déroulement de la procédure (ATF 131 V 42 consid. 2.1).
Lorsqu'il y a désaccord quant à l'expertise telle qu'envisagée par l'assureur, celui‑ci doit rendre une décision incidente au sens de l'art. 5 al. 2 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021). Il s'agit d'une décision d'ordonnancement de la procédure contre laquelle la voie de l'opposition n'est pas ouverte (art. 52 al. 1 LPGA ; cf. ATF 131 V 42 consid. 2.1) et qui est directement susceptible de recours devant le tribunal cantonal des assurances (art. 56 al. 1 LPGA ; ATAS/250/2025 du 10 avril 2025 consid. 3.1 ; ATAS/144/2024 du 4 mars 2024 consid. 5.1.1).
L'art. 44 al. 4 LPGA entré en vigueur le 1er janvier 2022 prévoit désormais expressément que si, malgré la demande de récusation, l'assureur maintient son choix du ou des experts pressentis, il en avise les parties par une décision incidente.
Le recours contre les décisions incidentes n’est admis qu’à des conditions restrictives pour éviter qu’une multiplication de recours ne ralentisse excessivement le déroulement d’une procédure. Ces conditions reposent sur des motifs d’économie de procédure ou, en cas de risque de préjudice irréparable, sur la nécessité de garantir des voies de droit effectives conformément à l’art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. ‑ RS 101). Dans tous les cas, le recours contre la décision incidente rendue séparément n’est recevable qu’à la condition que le recours soit ouvert contre la décision finale à rendre ultérieurement (Jean MÉTRAL, in Commentaire romand, LPGA, 2018, n. 28 ad art. 56 LPGA et les références).
En vertu de l’art. 45 al. 1 PA, applicable par renvoi de l’art. 55 al. 1 LPGA, les décisions incidentes qui sont notifiées séparément et qui portent sur une demande de récusation – au sens de l’art. 10 al. 1 PA, respectivement 36 al. 1 LPGA –peuvent faire l’objet d’un recours (ATAS/270/2022 du 22 mars 2022 consid. 4.2.1 ; Jean MÉTRAL, op. cit., n. 31 ad art. 56 LPGA). Ces décisions ne peuvent plus être attaquées ultérieurement (art. 45 al. 2 PA). Selon l’art. 46 al. 1 PA, par renvoi de l’art. 55 al. 1 LPGA, les autres décisions incidentes notifiées séparément peuvent faire l’objet d’un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable (let. a), ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b).
Selon la jurisprudence, l'assuré, qui, faute de consensus, entend contester la mise en œuvre d'une expertise médicale (que ce soit en soulevant des objections matérielles ou des motifs formels de récusation) satisfait en principe aux conditions de l'intérêt digne de protection et du préjudice irréparable (ATF 141 V 330 consid. 2 ; 139 V 339 consid. 4.4 ; 138 V 271 consid. 1 ; 137 V 210 consid. 3.4.2.6 et 3.4.2.7 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_207/2012 du 3 juillet 2013 consid. 1.2.6 et 1.2.7). À l'ATF 138 V 318, le Tribunal fédéral a considéré qu'en cas de désaccord, il fallait également ordonner une expertise dans le domaine de l'assurance-accidents par le biais d'une décision incidente sujette à recours auprès du tribunal cantonal des assurances (respectivement du Tribunal administratif fédéral) et que la personne assurée bénéficiait des droits de participation antérieurs en ce sens qu'elle pouvait s'exprimer sur les questions posées à l'expert. Les modalités à respecter se déterminaient selon l'arrêt ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.9 appliqué par analogie (consid. 6.1).
Dans un arrêt de principe portant notamment sur les droits de participation des assurés lors de la désignation d'un expert, le Tribunal fédéral a admis que selon une interprétation conforme à la Constitution fédérale et à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) de la notion de préjudice irréparable en tant que condition de recevabilité d'un recours, cette condition doit être considérée comme réalisée s'agissant d'une décision incidente portant sur une expertise (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.7). Cet arrêt porte certes sur les expertises pluridisciplinaires confiées à des centres d’observation médicale de l’AI (COMAI). Les exigences qui s'en dégagent sont toutefois également applicables aux expertises mono- ou bidisciplinaires (Ueli KIESER, ATSG‑Kommentar, 3ème éd. 2015, n. 29 ad art. 44 LPGA ; ATF 139 V 349 consid. 3 à 5 ; ATAS/444/2019 du 21 mai 2019 consid. 2).
La condition du préjudice irréparable apparaît ainsi réalisée en l’occurrence.
3.2 Au surplus, interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi (art. 60 et 61 let. b LPGA et art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10), le recours est recevable.
4. L’objet du litige, tel que circonscrit par la décision querellée, porte uniquement sur le bien-fondé ou non de la décision de l'intimé de mettre en œuvre une expertise médicale (ici bidisciplinaire), ce compte tenu des décisions de « prestations AI » rendues les 10 avril et 17 mai 2024 par la caisse de compensation.
5.
5.1 L'art. 43 LPGA dispose que l'assureur examine les demandes, prend d'office les mesures d'instruction nécessaires et recueille les renseignements dont il a besoin. Les renseignements donnés oralement doivent être consignés par écrit (al. 1). L’assureur détermine la nature et l’étendue de l’instruction nécessaire (al. 1bis, en vigueur depuis le 1er janvier 2022). L'assuré doit se soumettre à des examens médicaux ou techniques si ceux‑ci sont nécessaires à l'appréciation du cas et qu'ils peuvent être raisonnablement exigés (al. 2).
L'assuré peut faire valoir contre une décision incidente d'expertise médicale (cf. art. 44 LPGA) non seulement des motifs formels de récusation contre les experts, mais également des motifs matériels, tels que par exemple le grief que l'expertise constituerait une « second opinion » superflue, contre la forme ou l'étendue de l'expertise, par exemple le choix des disciplines médicales dans une expertise pluridisciplinaire, ou contre l'expert désigné, en ce qui concerne notamment sa compétence professionnelle (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.7 ; 138 V 271 consid. 1.1).
5.2 En l’espèce, le recourant fait valoir principalement des griefs matériels – et non formels comme le serait une demande de récusation contre des experts –, contre la mise en œuvre de l’expertise médicale bidisciplinaire, contestée en tant que celle-ci serait en contradiction avec les décisions de « prestations AI » rendues les 10 avril et 17 mai 2024 par la caisse de compensation, lesquelles excluraient selon lui toutes mesures d’instruction pour la période antérieure au 10 avril 2024.
5.3 On peut certes s’interroger sur la motivation précise des décisions de « prestations AI » rendues les 10 avril et 17 mai 2024 par la caisse de compensation, qui fait suite notamment à sa propre note du 13 mars 2024 et à l’avis du SMR du 8 avril 2024.
Quoi qu’il en soit, l’octroi de rentes d’invalidité n’a été ni exclu ni ordonné par l’ATAS/88/2024 précité pour la période au-delà du 31 octobre 2020 (donc avant le 10 avril 2024). La question d’un tel octroi devait faire, à teneur dudit arrêt, l’objet d’une instruction complémentaire, avec une expertise médicale indépendante comportant à tout le moins des volets orthopédique et neurologique.
C’est du reste précisément afin de répondre à cette exigence que l’intimé a confirmé, par la décision incidente en cause, la mise en œuvre d’une telle expertise.
À ce stade, une des explications envisageables quant au prononcé des décisions de « prestations AI » rendues les 10 avril et 17 mai 2024 par la caisse de compensation, qui ne sont au demeurant pas accompagnées d’une motivation rédigée par l’OAI, serait l’éventuel souhait de ladite caisse – et de l’office – de ne pas attendre l’issue de l’instruction complémentaire pour verser des rentes à l’intéressé et à ses enfants, en considérant par exemple que le droit à la rente aurait été supprimé de manière trop légère avec effet au 1er novembre 2020.
Quoi qu’il en soit, n’est pas l’objet du présent litige le bien-fondé de ces décisions de « prestations AI » des 10 avril et 17 mai 2024.
Dans ces circonstances, la mission d’expertise, confirmée par la décision incidente attaquée, est quant à son principe conforme droit, puisque, notamment, correspondant à ce qui est exigé par l’arrêt de renvoi ATAS/88/2024 précité.
5.4 Pour ce qui est de la conclusion subsidiaire du recourant tendant à ce qu’il soit dit que l’expertise ne doit porter que sur la question d’une éventuelle modification de son état de santé et de l’exigibilité depuis le 10 avril 2024, il convient de relever que les questions contenues dans la mission d’expertise en cause ne précisent aucune période sur laquelle devrait porter spécifiquement l’expertise, y compris s’agissant de l’évolution de l’état de santé et de la capacité de travail.
Il est, à cet égard, légitime de la part de l’intimé de demander aux experts comment la capacité de travail de l’assuré, dans l’activité habituelle et une activité adaptée, a « évolué au fil du temps (depuis quelle date, évolution, pronostic pour le futur) » (question au ch. 8), sans que les experts soient d’emblée orientés vers une période donnée.
Cette conclusion subsidiaire est en conséquence écartée.
5.5 Le recourant n’émet clairement un grief – toujours matériel – quant aux questions posées par l’office aux deux experts désignés qu’en tant que le ch. 4.3 de la mission d’expertise a le contenu suivant : « Constations lors de l’examen (NDR : en gras) : [À la ligne] Constats somatiques [À la ligne] Constats psychiatriques [À la ligne] Constatations complémentaires [À la ligne] Examens exigeant un appareillage ou des analyses de laboratoire [À la ligne] Tests psychologiques complémentaires ». Il conclut à ce que l’expertise doit comprendre un volet psychiatrique.
Cela étant, en l’absence d’autres questions portant sur des éléments d’ordre psychique, l’examen d’aspects d’ordre psychiatrique n’apparaît pas central dans la mission d’expertise, mais vise à acquérir une vision qui soit la plus complète possible de l’état de santé et de la symptomatologie de l’assuré, ce qui inclut la composante psychique, à titre accessoire à ce stade. Un tel examen sur ce dernier point peut le cas échéant déterminer l’utilité ou non de procéder à des examens complémentaires approfondis, voire même éventuellement une expertise, au plan psychiatrique, et ne vise pas à être préjudiciable à l’expertisé.
Au demeurant, contrairement à ce que semble penser l’assuré dans son recours, la seule question relative aux « constats psychiatriques » ne saurait en l’état nécessiter forcément une réponse de la part d’un médecin spécialisé en psychiatrie, ce d’autant moins que le recourant n’allègue pas souffrir d’atteintes psychiatriques incapacitantes. Une réponse de la part des experts neurologue et/ou orthopédiste pourrait le cas échéant être suffisante, suivant les circonstances qui seront clarifiées dans le cadre précisément des examens d’expertise.
Ce grief n’est dès lors pas fondé, ce qui implique le rejet de la conclusion subsidiaire susmentionnée.
5.6 En définitive, la décision incidente querellée est conforme au droit.
6. En conséquence, le recours sera rejeté.
7. Il n'y a pas lieu de condamner le recourant au paiement d'un émolument, la procédure ne portant pas sur des prestations de l'AI (art. 69 al. 1bis LAI a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. Le rejette.
3. Dit que la procédure est gratuite.
4. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Christine RAVIER |
| Le président
Blaise PAGAN |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le