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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4085/2020

ATAS/1164/2021 du 16.11.2021 ( APG ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4085/2020 ATAS/1164/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 16 novembre 2021

2ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à VERSOIX, représenté par CAP Protection Juridique

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, sise rue des Gares 12, GENÈVE

 

 

intimée

 


EN FAIT

A. a. Le 23 avril 2020, Monsieur A______ (ci-après : l’assuré, l’intéressé ou le recourant), né en 1964, qui exploite à titre d’indépendant « B______ » (ci-après : l’entreprise individuelle) ayant pour but un commerce de montres et bijoux, a formé une demande d'allocations pour perte de gain (ci-après : APG ou l’allocation) due au Coronavirus auprès de la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse ou l’intimée) à compter du 17 mars 2020, faisant valoir que son établissement avait été fermé en raison des mesures fédérales. Le 5 mai 2020, il a demandé le prononcé d’une décision formelle à ce sujet.

b. Par décision du 2 juillet 2020, la caisse a retenu un revenu déterminant 2019 de CHF 40'000.- et un revenu journalier moyen de CHF 89.60 et a fixé, sur cette base, son APG pour la période du 17 mars au 15 avril 2020 à CHF 2'688.-.

c. Le 26 juillet 2020, l’intéressé a formé opposition contre la décision précitée, faisant valoir l’absence de taxation fiscale définitive pour 2019.

Le 12 octobre 2020, il a transmis à la caisse les avis de taxation établis le même jour par l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) pour 2019.

d. Par décision sur opposition rendue le 3 novembre 2020, la caisse a rejeté l’opposition et a confirmé sa décision du 2 juillet 2020.

B. a. Le 3 décembre 2020, l'assuré, représenté par une mandataire, a expédié un acte de recours contre la décision sur opposition précitée, auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales ou la chambre de céans), concluant à l’annulation de cette décision sur opposition et, cela fait, principalement à ce que l’intimée soit tenue de lui verser l’APG « en se référant [aux] revenus de la dernière décision définitive de cotisations (ou taxation fiscale) de 2018 » – s’il ne pouvait pas être tenu compte de la taxation fiscale pour 2019, selon les arguments –, « à savoir un revenu journalier de CHF 129.60 », subsidiairement au renvoi de la cause à la caisse pour nouvelle décision au sens des considérants.

b. Par réponse du 14 décembre 2020, l’intimée a sollicité la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé par le Tribunal fédéral sur le recours de droit public formé par l’Office fédéral des assurances sociales (ci-après : OFAS) contre l’arrêt EE.2020.00006 du 29 octobre 2020 du Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich qui admettait la prise en compte d’une taxation définitive 2019 postérieure au 16 septembre 2020.

c. L'intéressé s’en est rapporté à justice concernant cette demande de suspension.

d. Par lettre du 18 juin 2021, la chambre des assurances sociales a informé les parties que l'arrêt du Tribunal fédéral que l'intimée voulait attendre selon sa demande de suspension du 14 décembre 2020 avait été rendu, par une non-entrée en matière sur le recours de l’OFAS (arrêt du Tribunal fédéral 9C_752/2020 du 9 mars 2021, relatif à l'arrêt zurichois EE.2020.00006 précité).

e. Le 28 juin 2021, la caisse a conclu au rejet du recours, produisant en outre de nouvelles pièces.

f. Le 5 juillet 2021, le recourant a fait valoir que, dès réception de la taxation définitive 2019, l’intimée devrait être tenue de lui verser l’APG sur la base du revenu de 2019 effectivement réalisé, et non sur la base des acomptes fondés sur un montant fictif de CHF 40'000.-, pour les mois suivants jusqu’à la fin de son droit.

EN DROIT

1.             Les dispositions de la loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA - RS 830.1) s'appliquent aux APG en lien avec le Coronavirus, sous réserve de dérogations expresses (art. 1 de l’ordonnance sur les mesures en cas de pertes de gain en lien avec le coronavirus (COVID-19) du 20 mars 2020 (ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 - RS 830.31). Les décisions sur opposition et celles contre lesquelles la voie de l'opposition n'est pas ouverte sont sujettes à recours auprès du tribunal des assurances compétent (art. 56 LPGA).

La chambre de céans est ainsi compétente pour connaître du recours (ATAS/1208/2020 du 10 décembre 2020).

2.             Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, l'acte de recours est recevable (art. 56 ss LPGA et 62 ss de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA-GE - E 5 10]).

3.             Le litige porte sur la conformité au droit du montant d’APG reconnu par l’intimée, à compter du 17 mars 2020, au recourant, qui exerce une activité lucrative indépendante.

4.             Pour lutter contre l’épidémie de COVID-19 qui a atteint la Suisse début 2020, le Conseil fédéral a pris une série de mesures urgentes, en se fondant sur les
art. 184 al. 3 et 185 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) ainsi que sur plusieurs dispositions de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme du 28 septembre 2012 (Loi sur les épidémies, LEp - RS 818.101) et sur l’ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 28 février 2020 (ordonnance
COVID-19 – RS 818.101.24), laquelle a été abrogée et remplacée par l’ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 13 mars 2020 (ordonnance 2 COVID-19), puis par l’ordonnance 3 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 19 juin 2020 (ordonnance 3
COVID-19), elle-même ensuite plusieurs fois modifiée.

En particulier, ayant, le 16 mars 2020, qualifié la situation en Suisse de " situation extraordinaire " au sens de l'art. 7 LEp, le Conseil fédéral a procédé à des modifications de l'ordonnance 2 COVID-19, notamment en ordonnant la fermeture des magasins et des marchés (art. 6 al. 2 let. a). Cette modification est entrée en vigueur le 17 mars 2020 (RO 2020 783). Les magasins et marchés ont pu rouvrir dès le 11 mai 2020 (RO 2020 1401).

5.             5.1 Parallèlement aux restrictions imposées par l'ordonnance 2 COVID-19, le Conseil fédéral a adopté, le 20 mars 2020, l'ordonnance sur les pertes de gain COVID-19, laquelle est entrée en vigueur rétroactivement au 17 mars 2020.

L’autorité de recours appliquant le droit en vigueur au jour où l'autorité administrative a statué pour la première fois, soit, en l'occurrence, le 2 juillet 2020 (cf. ATF 144 II 326 consid. 2.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_53/2021 du 30 juin 2021 consid. 2.1 et 5.1, destiné à la publication), c’est la version de ladite ordonnance à cette même date, c’est-à-dire celle en vigueur dès le 23 avril 2020 – et jusqu’au 5 juillet 2020 –, qui est applicable.

Selon l'art. 2 al. 3 de l'ordonnance sur les pertes de gain COVID-19, ont droit à l’APG, pour autant qu'elles remplissent la condition prévue à l'al. 1bis let. c – à savoir qu'elles soient assurées obligatoirement au sens de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10) –, les personnes considérées comme indépendantes au sens de l’art. 12 LPGA qui subissent une perte de gain en raison d’une mesure prévue à l’art. 6 al. 1 et 2 de l’ordonnance 2 COVID-19. Aux termes de l’art. 2 al. 3bis de cette ordonnance, les personnes considérées comme indépendantes au sens de l’art. 12 LPGA qui ne sont pas concernées par l’al. 3 – précité – ont droit à l’allocation pour autant qu’elles subissent une perte de gain en raison des mesures prises par le Conseil fédéral afin de lutter contre le coronavirus et que leur revenu déterminant pour le calcul des cotisations AVS de l’année 2019 se situe entre CHF 10'000.- et CHF 90'000.-, la condition prévue à l’al. 1bis let. c s’appliquant aussi à ces personnes.

En vertu de l'art. 5 de l'ordonnance sur les pertes de gain COVID-19, l'indemnité journalière est égale à 80 % du revenu moyen de l'activité lucrative obtenu avant le début du droit à l'allocation (al. 1). Pour déterminer le montant du revenu, l'art. 11 al. 1 de la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité du 25 septembre 1952 (LAPG - RS 834.1) s'applique par analogie (al. 2). Le montant maximal de l’allocation s’élève à CHF 196.- par jour (al. 3).

5.2 L'OFAS a émis des lignes directrices relatives à l'application de l'ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 dans la circulaire sur l'APG en cas de mesures destinées à lutter contre le coronavirus (ci-après : CCPG), valable à partir du 17 mars 2020, dans son état du 19 juin au 2 juillet 2020, version 5 en vigueur à la date de la décision du 2 juillet 2020 (à l’instar de ce qui a été retenu pour l'ordonnance sur les pertes de gain COVID-19).

D'après le ch. 1065 CCPG, la base de calcul de l'indemnité pour les indépendants correspond, en principe, au revenu réalisé en 2019. Pour ce faire, c'est le revenu retenu pour le décompte des cotisations 2019 (acomptes de cotisations) qui est déterminant. Par contre, si, au moment où l'indemnité est déterminée, la taxation fiscale définitive pour 2019 est déjà disponible, celle-ci doit être prise comme base de calcul.

À teneur du ch. 1065.1 CCPG, si l'indemnité a été fixée sur la base des revenus utilisés pour les acomptes de cotisations 2019 et que ceux-ci n'ont pas été adaptés depuis la dernière décision définitive de cotisations, les revenus de la dernière décision définitive de cotisations doivent être pris en compte sur demande du bénéficiaire. Si, au moment de la demande, la taxation fiscale définitive pour 2019 est déjà disponible, c’est celle-ci qui doit être prise en compte. La demande de nouveau calcul, respectivement de révision ou de reconsidération doit être adressée à la caisse de compensation au plus tard le 16 septembre 2020.

Selon le ch. 1068 CCPG, une adaptation ultérieure du revenu de l’activité lucrative, fondée sur une taxation fiscale définitive 2019, reçue après le 16 septembre 2020, n’a pas d’influence sur le montant de l’allocation. Il en va de même pour les changements du montant des acomptes de cotisations pour 2019 intervenus après le 17 mars 2020 (sous réserve du ch. 1065.1).

6.             Selon une jurisprudence constante, le juge ne doit établir d'office que les faits pertinents pour statuer sur l'objet du litige. D'un point de vue temporel, cela signifie que les faits à établir sont en principe ceux qui se sont produits jusqu'au moment de la décision (sur opposition) contestée (cf. Jean METRAL, Commentaire romand de la LPGA, 2018, n. 14 ad art. 56 LPGA et n. 57 ad
art. 61 LPGA). Les faits survenus postérieurement et ayant modifié cette situation doivent faire l'objet d'une nouvelle décision administrative (ATF 131 V 242 consid. 2.1 ; ATF 121 V 362 consid. 1b).

7.             7.1 En l’espèce, le recourant a, du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2018, été affilié à la Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des entreprises romandes (ci-après : FER-CIAM), qui a, le 26 octobre 2020, fixé ses cotisations pour 2018 sur la base d’un revenu déterminant arrondi de CHF 53'500.- (CHF 49'235.- de « revenu 2018 » + CHF 4'305.- de « cotisations personnelles AVS 2018 »). En décembre 2018, il a sollicité son affiliation auprès de l’intimée, laquelle, en janvier 2019, l’a affilié à elle, avec effet au 1er janvier 2019, en qualité de personne exerçant une activité lucrative indépendante, à savoir la vente de montres et bijoux, et a fixé les cotisations de 2019 sur la base d’un revenu déterminant (équivalent au « revenu net de l’activité ») de CHF 40'000.-, comme annoncé en tant que « revenu net estimé pour l’année en cours (chiffre d’affaire moins les frais généraux) » par l’intéressé dans le questionnaire d’affiliation rempli le 10 décembre 2018. Les acomptes de cotisations de 2019 de même que ceux de 2020 ont été, les 27 janvier 2019, respectivement 6 janvier 2020, calculés à partir de ce revenu déterminant, étant précisé que des formulaires « à retourner uniquement en cas de modification de [son] revenu » étaient annexés aux courriers de la caisse.

Il ressort des allégations de la caisse, non contestées, qu’à la suite de sa demande d’APG COVID-19 du 23 avril 2020, l’assuré a, le 26 avril suivant, reçu un décompte faisant état d’une allocation journalière de CHF 89.60 fondée sur un revenu annuel de CHF 40'000.-, et que, le 5 mai 2020, il a formulé une demande de décision formelle en vue de contester ce montant retenu.

Dans sa décision – initiale – du 2 juillet 2020, la caisse a maintenu les montants de revenu déterminant et d’allocation fixés dans son décompte du 26 avril 2020, citant et expliquant notamment les ch. 1065 et 1065.1 CCPG.

Dans son opposition du 26 juillet 2020, l’assuré a fait valoir l’absence de taxation fiscale définitive pour 2019 et a joint le bilan avec actifs et passifs et le compte d’exploitation de l’entreprise individuelle pour 2019, de même que l’avis de taxation pour 2018 établi le 3 février 2020 par l’AFC. Le 12 octobre 2020, il a transmis à la caisse l’avis de taxation établi le même jour par l’AFC pour 2019.

Par décision sur opposition rendue le 3 novembre 2020, la caisse a rejeté l’opposition et a confirmé sa décision initiale.

7.2 La position de l’intimée, exprimée tant devant la chambre de céans que dans sa décision initiale et sa décision sur opposition précitée, est la suivante. Elle se fonde sur la version de l'ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 en vigueur du 6 juillet au 16 septembre 2020, dont l’art. 5 al. 2 prévoit que, pour déterminer le montant du revenu, l’art. 11 al. 1 LAPG s’applique par analogie et qu’après la fixation du montant de l’allocation, cette dernière ne peut faire l’objet d’un nouveau calcul que si une taxation fiscale plus récente est envoyée à l’ayant droit d’ici au 16 septembre 2020 et que celui-ci dépose une demande de nouveau calcul d’ici à cette date. Elle prend en outre pour base la version 6, en vigueur du 3 juillet au 17 septembre 2020, de la CCCP, la version 17 (recte : 7) s’appliquant pour le droit à partir du 17 (recte : 18) septembre 2020. Toujours selon la caisse, le bilan 2019 n’a pas été communiqué avant le 17 mars 2020, mais seulement le 8 août 2020 – par l’opposition du 26 juillet 2020 –, et l’avis de taxation fiscale n’a été établi qu’après le 16 septembre 2020, soit le 12 octobre 2020, de sorte que ces documents ne peuvent pas être pris en considération par elle dans le cadre de la fixation de l’allocation, telle que prescrite par les directives fédérales ; par ailleurs, le montant de CHF 40'000.- provient de la déclaration du recourant lors de sa demande d’affiliation en décembre 2018, et non d’une absence d’adaptation depuis la dernière décision définitive de cotisations ; « au contraire, ce montant correspond bien à une adaptation » ; de surcroît, l’intéressé n’a pas contesté cette base de calcul 2019 pour la fixation de ces cotisations lorsque les factures d’acomptes lui ont été adressées ; ainsi, le revenu déterminant retenu le 3
(recte : 27) janvier 2019 pour la fixation des acomptes de cotisations 2019 est conforme à la législation citée et seul déterminant pour le calcul de l’APG perçue par l’assuré.

De l’avis du recourant, il appartient à l’intimée de calculer l’APG sur la base de la dernière taxation fiscale, pour 2019, sinon à tout le moins pour 2018, et non sur celle des acomptes de cotisations 2019. De surcroît, le bénéfice net dans l’avis de taxation 2019 (de CHF 61'037.-) est un peu plus élevé que celui de 2018 (CHF 58'203.-).

7.3 La légalité de l’art. 5 al. 2 phr. 2 de l'ordonnance sur les pertes de gain
COVID-19, dans sa version en vigueur dès le 6 juillet 2020, ainsi que du ch. 1065.1 CCPG, état au 3 juillet 2020, a été niée par l’arrêt du Tribunal des assurances sociales zurichois EE.2020.00006 du 29 octobre 2020, en particulier car contraire au principe d’égalité de traitement du fait de l’absence d’influence de la part de l’assuré sur la date de l’établissement de la taxation fiscale. Le recours de l’OFAS contre cet arrêt a été déclaré irrecevable par le Tribunal fédéral, faute notamment de préjudice irréparable du fait du renvoi par le Tribunal des assurances sociales zurichois de la cause à l’administration ou caisse (arrêt 9C_752/2020 du 9 mars 2021), ce qui a fait dire à une auteure de doctrine que cet arrêt du Tribunal fédéral « est intéressant, car il laisse entrevoir la possibilité – ou à tout le moins il ne ferme [pas la] porte – à une décision de principe portant sur la légalité du N 1065 CCPG, qui prévoit qu’il faut se fonder sur le revenu retenu pour le décompte des cotisations 2019, ou la taxation fiscale définitive si elle est déjà disponible, sans correction possible a posteriori si la taxation fiscale est établie après le 16 septembre 2020, chose plutôt singulière dans le régime des APG » (Anne-Sylvie DUPONT, Université de Neuchâtel, CORONA-perte de gain, https://publications-droit.ch/files/arrets/rcassurances/10-21-mai-9c-752-2020.pdf).

La Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois est allée dans le même sens que le Tribunal des assurances sociales zurichois. Selon elle, en édictant l’ordonnance sur les pertes de gain COVID-19, le Conseil fédéral a posé le principe que la base de calcul de l’allocation pour les indépendants devait correspondre en principe au revenu réalisé en 2019. En limitant dans le temps la possibilité de se prévaloir de la décision définitive de taxation pour 2019 pour fixer le montant du revenu moyen de l’activité lucrative déterminant pour le calcul de l’allocation, l’art. 5 al. 2 de l’ordonnance sur les pertes de gain
COVID-19 – dans sa teneur en vigueur du 6 juillet au 16 septembre 2020 – ainsi que le ch. 1065.1 CCPG – état au 3 juillet 2020 – sont manifestement contraires au principe de l’égalité de traitement, tel qu’il est consacré à l’art. 8 al. 1 Cst. En effet, la faculté pour la personne exerçant une activité indépendante qui requiert le versement de l’allocation pour perte de gain en lien avec le coronavirus de se prévaloir de la décision définitive de taxation pour 2019 dépend d’un facteur purement aléatoire, à savoir la célérité mise par les autorités fiscales pour établir ladite taxation. La personne concernée n’a toutefois aucune prise sur la procédure de taxation car elle ne dispose d’aucun moyen pour contraindre les autorités fiscales à rendre une décision de taxation dans un délai précis. De fait, l’introduction d’une limite temporelle au 16 septembre 2020 pour la production de la décision définitive de taxation pour 2019 – laquelle constitue d’ailleurs une dérogation au régime général des APG (cf. art. 7 al. 1 du règlement sur les allocations pour perte de gain du 24 novembre 2004 [RAPG - RS 834.11]) – revient à privilégier, arbitrairement et sans motif légitime, les personnes dont le dossier a été traité par les autorités fiscales avant cette date par rapport à celles dont la taxation n’a été entreprise que postérieurement. La crainte d’une éventuelle surcharge de l’autorité administrative liée aux demandes de réexamen des décisions d’allocation afin de tenir compte des décisions définitives de taxation pour 2019 ne saurait justifier une violation de ce principe fondamental de l’État de droit qu’est l’égalité de traitement. Aussi faut-il retenir que la limitation dans le temps de la possibilité de se prévaloir de la décision définitive de taxation pour 2019 ne repose sur aucun motif sérieux et objectif et est, partant, contraire au principe de l'égalité de traitement (arrêts CASSO APG 42/20 - 12/2021 et APG 36/20 - 11/2021 du 17 mai 2021 consid. 6).

7.4 Quoi qu’il en soit, la question de la légalité du ch. 1065.1 CCPG ne nécessite en l’occurrence pas d’être tranchée, pour les motifs qui suivent.

La version l’art. 5 al. 2 de l'ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 présentement applicable, soit celle en vigueur entre le 23 avril et le 5 juillet 2020, ne prévoit pas de limite dans le temps – par exemple au 16 septembre 2020 – pour l’envoi de la taxation fiscale, contrairement aux versions en vigueur du 17 mars au 22 avril 2020 et du 6 juillet au 16 septembre 2020.

Or les versions 3 et 4 de la CCPG, valables du 13 au 19 mai 2020, respectivement du 20 mai au 18 juin 2020, ne contiennent pas la troisième phrase (« La demande de nouveau calcul, respectivement de révision ou de reconsidération doit être adressée à la caisse de compensation au plus tard le 16 septembre 2020 ») ni ne prévoient une telle date limite, étant précisé que le ch. 1065.1 n’a été édicté qu’en mai 2020 (« 05/20 ») avec la version 3. Lesdites dernière phrase et date limite ne figurent au ch. 1065.1 CCPG que dès juin 2020 (« 06/20 »), dans la version 5 en vigueur du 19 juin au 2 juillet 2020 et présentement applicable.

Certes, la chambre des assurances sociales a considéré que les ch. 1065 et 1065.1 – dans une version contenant ladite troisième phrase – CCPG sont conformes à l'art. 11 al. 1 LAPG, ainsi qu'à l'art. 7 al. 1 RAPG, de même qu’à la jurisprudence en matière d'APG en cas de service et de maternité, laquelle admet qu'une caisse de compensation peut, lorsque les cotisations dues pour l'année déterminante n'ont pas encore fait l'objet d'une décision passée en force, calculer provisoirement le montant de l'allocation de maternité sur la base du revenu pris en considération par la caisse de compensation pour fixer les acomptes de cotisations pour l'année en cause (ATAS/1208/2020 du 10 décembre 2020 consid. 4, qui se réfère notamment à l’arrêt CASSO [de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud] APG 26/20 - 16/2020 du 28 septembre 2020). Cependant, dans cet arrêt, la chambre de céans ne s’est pas prononcée en lien avec la limite dans le temps du 16 septembre 2020 et a, du reste, rappelé que les directives administratives de l’OFAS ne créent pas de nouvelles règles de droit et ne lient pas le juge des assurances, celui-ci ne devant en tenir compte que si une interprétation correcte et adaptée au cas particulier des dispositions légales applicables le permet et s'en écarter si elles sont incompatibles avec les dispositions légales (ATF 132 V 321; AFT 131 V 45 consid. 2.3; ATF 130 V 172 consid. 4.3.1 ; ATAS/1208/2020 précité consid. 4).

Dans le cas particulier, par la troisième phrase mentionnant la limite dans le temps – au 16 septembre 2020 –, la version 5 présentement applicable de la CCPG ne peut pas être prise en considération, car elle s’écarte de la teneur de l’art. 5 al. 2 de l'ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 ici aussi applicable, en vigueur entre le 23 avril et le 5 juillet 2020, qui ne prévoit aucune date limite (contrairement à ce qui était le cas dans les ATAS/296/2021 du 25 mars 2021 consid. 6 et 9 et ATAS/487/2021 du 20 mai 2021 consid. 4 et 7 dans lesquels la date limite au 16 septembre 2020 est admise sur la base des versions alors applicables de l’ordonnance précitée). Il y a lieu en particulier de se référer, par analogie, au principe de la hiérarchie des normes qui empêche que des dispositions réglementaires puissent déroger aux règles de rang supérieur (ATF 111 V 310 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_592/2019 du 8 septembre 2020 consid. 6.5), de même qu’à la règle selon laquelle une ordonnance d’exécution (par rapport à une loi fédérale) ne doit pas imposer au citoyen de nouvelles obligations qui ne sont pas prévues par la loi, et ceci même si ces compléments sont conformes au but de la loi (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, volume I, 3ème éd., 2013, n. 1605). Or, en l’occurrence, la date limite au 16 septembre 2020 a pour effet de réduire de manière importante le montant d’APG auquel a droit l’assuré et de restreindre ainsi ses droits. En outre, du fait que la version présentement applicable de l’art. 5 al. 2 de l'ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 ne prévoit pas cette date limite, alors que les versions précédente et suivante le font, il convient de déduire que le Conseil fédéral a sciemment renoncé, dans la version ici applicable, à la fixation d’une date limite pour l’établissement et l’envoi à la caisse de la taxation fiscale 2019.

7.5 Par ailleurs, le juge appréciant – selon la jurisprudence constante – en règle générale la légalité des décisions entreprises d'après l'état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été rendue (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1), aucun motif pertinent ne permettait à la caisse de ne pas tenir compte, dans sa décision sur opposition rendue le 3 novembre 2020, du revenu de l’assuré tel que ressortant de la taxation fiscale définitive, établie auparavant (le 12 octobre 2020) et donc disponible, le « moment où l’indemnité est déterminée » au sens du ch. 1065 3ème phr. CCPG étant celui du prononcé de la décision sur opposition présentement querellée (dans ce sens ATAS/1102/2021 du 26 octobre 2021 consid. 7 ; ATAS/1208/2020 précité).

7.6 Or, conformément à la circulaire précitée, la taxation fiscale définitive doit, dans ce cas, être privilégiée au revenu retenu dans le décompte des cotisations 2019. Il s'ensuit que la taxation fiscale définitive pour 2019, laquelle fait état d'un bénéfice net de CHF 61’037.-, doit être prise comme base de calcul (dans ce sens ATAS/1102/2021 précité consid. 7).

8.             Bien-fondé, le recours sera partiellement admis – et non entièrement admis faute de fixation de l’APG par le présent arrêt –, la décision sur opposition querellée sera annulée et la cause sera renvoyée à l'intimée pour qu'elle fixe à nouveau le montant de l’APG due au recourant dès le 17 mars 2020, sur la base du revenu 2019 tel qu'il résulte de la taxation fiscale définitive pour 2019.

9.             Le recourant, représenté par une mandataire, obtient gain de cause pour l’essentiel, de sorte qu'il a droit à une indemnité à titre de participation à ses frais et dépens, que la chambre de céans fixera à CHF 2'000.- (art. 61 let. g LPGA ; art. 89H al. 3 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - RS E 5 10.03).

La procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA, applicable ratione temporis vu l’art. 83 LPGA).

 

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PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.      L’admet partiellement.

3.      Annule la décision sur opposition rendue le 3 novembre 2020 par l’intimée.

4.      Renvoie la cause à l’intimée pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.

5.      Alloue au recourant une indemnité de dépens de CHF 2'000.-, à la charge de l’intimée.

6.      Dit que la procédure est gratuite.

7.      Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

Le président

 

 

 

 

Blaise PAGAN

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le