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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2328/2024

ATA/929/2025 du 26.08.2025 sur JTAPI/238/2025 ( LCI ) , ADMIS

Descripteurs : CONSTRUCTION ET INSTALLATION;AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;PERMIS DE DÉMOLIR;INVENTAIRE FÉDÉRAL;OBJET(PROTECTION DE LA NATURE);PROTECTION DE LA NATURE ET DU PAYSAGE;PESÉE DES INTÉRÊTS;PRINCIPE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE;PAYSAGE;ENVIRONNEMENT;COMMISSION POUR LA PROTECTION DE LA NATURE
Normes : Cst.78; LPN.1; LPN.2; LPN.3; LPN.5; LPN.6; OISOS.1; OISOS.5; OISOS.6; OISOS.11; LCI.1; LCI.3.al3; LPMNS.46; LPMNS.47.al1; RPMNS.5; RCOf.5.letm
Résumé : Recours d'une commune contre le jugement du TAPI confirmant l'autorisation de démolir une habitation, une petite maison pour le personnel et une buanderie (dépendances) ainsi qu'un garage. La parcelle en cause est située dans un site inscrit à l'ISOS, avec un objectif de sauvegarde A. Or, le SMS ne s'est pas prononcé sur la demande et il ressort de l'autorisation délivrée qu'aucune pesée des intérêts tenant compte de l'ISOS n'a été effectuée. En outre, la CMNS n'a pas été consultée alors qu'elle aurait dû l'être (art. 5 al. 3 RPMNS). Dossier renvoyé au DT pour qu'il sollicite le préavis de la CMNS et rende ensuite une nouvelle décision tenant compte des objectifs de protection résultant de l'ISOS. Recours admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2328/2024-LCI ATA/929/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 août 2025

3ème section

 

dans la cause

 

VILLE DE A______ recourante

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

et

B______ SA

représentée par Me François BELLANGER, avocat intimés

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 mars 2025 (JTAPI/238/2025)


EN FAIT

A. a. B______ SA (ci-après : B______ SA), dont le siège se trouve à A______, a notamment pour buts l'achat et la vente d'immeubles ainsi que toutes opérations de gestion et de promotion immobilières en relation, notamment, avec les immeubles sis à A______, rue B______ 45.

b. Elle est propriétaire de la parcelle n° 2'585 de la commune de A______, section C______, sise rue B______ 45, sur laquelle sont érigés une habitation, une petite maison pour le personnel et la buanderie (dépendance) ainsi qu'un garage.

c. La parcelle n° 2'585 est située en zone de développement 3 (depuis le 26 juin 1957, avec une réadaptation le 18 septembre 1987). Sa zone d'affectation primaire est la zone 5.

d. Elle est bordée à l’est par l’avenue de D______ et au sud‑ouest par le E______. Elle fait partie du site « E______ » n° 60, inscrit à l'inventaire des sites construits d'importance nationale à protéger (ci-après : ISOS), avec un objectif de sauvegarde A (spécification « sauvegarde de la substance ») depuis le 1er avril 2023. Dans la version précédente de l’ISOS, la parcelle était intégrée dans l’« échappée sur l’environnement XXXVI ». Celle-ci était décrite comme « terrains urbanisés ou en cours d’urbanisation occupant la périphérie de la ville », avec une signification évidente et un objectif de sauvegarde b, à savoir « sauvegarde des relations existantes avec les composantes du site construit ».

e. Dans le cadre du recensement architectural du canton de A______ (ci-après : RAC) effectué en 1991, le bâtiment principal érigé sur la parcelle n° 2'585 s’est vu attribuer la valeur « à documenter en cas de démolition ». En 2022, lors de la mise à jour du RAC, il s’est vu attribuer la valeur « intéressant ».

f. Par arrêté du 12 février 2014, le Conseil d'État a approuvé le plan de site d'B______/E______, n° 1______-262, situé sur le territoire de la commune de A______, section C______. Ledit plan couvre la majorité des parcelles situées dans le quartier E______, mais pas celles qui bordent l'avenue de D______, y compris la parcelle n° 2'585.

g. Le secteur voisin de la F______ a fait l’objet d’un projet de plan localisé de quartier (ci-après : PLQ ; no 2______), situé entre la route de G______, la promenade H______ et le chemin de la F______. Le projet a été abandonné en raison du fait qu’il empiétait sur les parties de site nos 61 « Lotissement de La F______ » et 62 « La F______ ».

B. a. Le 26 janvier 2024 B______ SA a sollicité du département du territoire (ci‑après : DT) la délivrance d'une autorisation de démolir les bâtiments sis sur la parcelle n° 2'585. La demande a été enregistrée sous la référence M 3______/1 RE.

b. Dans le cadre de l’instruction de la demande, divers préavis ont été recueillis.

c. La direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) et l’office de l’urbanisme (ci-après : OU) ont chacun rendu un préavis favorable sans observation.

d. Dans son préavis, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) a indiqué qu'il n'était pas concerné.

e. La ville de A______ (ci-après : la ville) a émis un préavis défavorable.

Le site figurait à l’ISOS entré en vigueur le 1er avril 2023 et le projet de démolition était contraire aux objectifs de sauvegarde « ISOS A » du périmètre. Le bâtiment avait en outre reçu la valeur « intéressant » au RAC de 2022.

f. Le 5 juin 2024, le DT a délivré l’autorisation de démolir sollicitée.

g. Dans un courrier qu'il a adressé à la ville, le DT a expliqué que le SMS était compétent pour se prononcer sur la compatibilité d’un projet de construction ou de démolition avec une éventuelle mesure de protection patrimoniale dont bénéficiait un bâtiment. En l’occurrence, ce service n’avait émis aucune remarque concernant l’autorisation sollicitée. Il apparaissait en outre que les bâtiments concernés n’avaient pas été inclus dans le périmètre du plan de site B______/E______ adopté en 2014 et concrétisant au niveau cantonal les objectifs fixés dans l’ISOS. Bien que le récent RAC leur attribuât la valeur « intéressant », le SMS n’avait pas estimé nécessaire de revoir son appréciation.

C. a. Parallèlement, le 26 janvier 2024, B______ SA a déposé une demande d’autorisation de construire, enregistrée sous le numéro DD 4______/1, visant la « construction de trois immeubles de logements avec surfaces commerciales, parking souterrain, raccordement CAD - abattage et/ou élagage d’arbres hors forêt (RCVA) » sur la parcelle n° 2'585.

b. La demande est en cours d’instruction. Au jour du prononcé du présent arrêt, elle fait notamment l’objet des préavis suivants :

-          Le 1er mars 2024, l’OU a demandé la poursuite de l'instruction. Il a relevé les enjeux en présence, notamment patrimoniaux (site figurant à l’ISOS avec objectifs de sauvegarde A), et rappelait qu’un éventuel développement devrait prendre en compte ces aspects. Il a également indiqué que, le site étant sensible, les morphologies des deux bâtiments projetés lui semblaient imposantes. Une adaptation ou une justification de ces choix semblaient nécessaires.

-          Le 13 mars 2024 ; le SMS a apposé la mention « pas concerné » sur son préavis.

-          Le 27 août 2024, le SMS a délivré un préavis favorable sous conditions, selon lequel « s’agissant d’un bâtiment se trouvant hors d’un périmètre protégé, [il] n’étudie pas ce dossier » ; il demandait pour le surplus que des mesures soient prises en collaboration avec le service cantonal d’archéologie afin de préserver les éventuels vestiges d’un aqueduc romain situé entre l’avenue de D______ et la promenade H______.

-          Le 27 mai 2025, l'OU a rendu un préavis favorable sous conditions.

D. a. La ville a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) contre l'autorisation de démolir M 3______/1 RE.

b. Dans le cadre des échanges d'écritures, le DT a fait valoir que ses premières observations se fondaient sur les informations que l’office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS) lui avait communiquées. Celui-ci lui avait expliqué que dans la mesure où le travail de mise sous protection avait été clairement anticipé lors de l’adoption du plan de site no 5______-262, il n’avait pas jugé utile de le réviser après la mise à jour de l’ISOS. C’était pour cette raison que le SMS avait indiqué ne pas être concerné par la demande d’autorisation de démolir.

c. Par jugement du 4 mars 2025, le TAPI a rejeté le recours.

E. a. Par acte remis à la poste le 7 avril 2025, la ville a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation.

Elle s'est notamment plainte de l'absence de pesée des intérêts prenant en compte l'objectif de sauvegarde A dans le cadre de la procédure d'autorisation de démolir, de la violation de la primauté du droit fédéral, d'une inégalité de traitement avec le projet de PLQ de la F______, de l'absence de planification et de la violation du principe de coordination. Elle a également relevé la nécessité de procéder à un contrôle préjudiciel des plans d'affectation.

b. Le DT et B______ SA ont conclu au rejet du recours.

c. Après que la ville a répliqué, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

d. Les arguments et le contenu des pièces produites seront repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit du présent arrêt.

 

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 145 al. 2 et 149 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 - LCI - L 5 05).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de l'autorisation de démolir délivrée par le DT et confirmée par le TAPI. Se pose en particulier la question de savoir si l'ISOS a été suffisamment pris en compte dans la pesée des intérêts exigée en matière de préservation des sites, ce que la recourante conteste.

2.1 Dans les limites de la compétence que l'art. 78 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) confère à la Confédération, la loi fédérale du 1er juillet 1966 sur la protection de la nature et du paysage (LPN ; RS 451) vise à ménager et à protéger l'aspect caractéristique du paysage et des localités, les sites évocateurs du passé, les curiosités naturelles et les monuments du pays, et à promouvoir leur conservation et leur entretien (art. 1 LPN). Le Conseil fédéral établit, après avoir pris l’avis des cantons, des inventaires d’objets d’importance nationale (art. 5 al. 1 1e phr. LPN). L'ISOS fait notamment partie de ces inventaires, conformément à l'ordonnance correspondante du 9 septembre 1981 (OISOS ; RS 451.12). Les objets protégés sont énumérés dans son annexe. Leur description et leur degré de protection au sens de l'art. 5 al. 1 LPN ressort de dossiers explicatifs séparés (ATF 135 II 209 consid. 2.1 = JdT 2010 I p. 698, 712 s.).

Le Conseil fédéral édicte les dispositions d’exécution nécessaires à la LPN (art. 26 phr. 2 LPN).

2.2 L’ISOS comprend les objets énumérés dans l’annexe 1 (art. 1 al. 1 OISOS). Selon l’art. 5 OISOS, les objets de l’ISOS sont les sites construits (al. 1). Les sites construits sont des agglomérations considérées dans leur globalité. Ils comprennent, d’une part, des surfaces bâties comportant des espaces tampons tels que des rues et des places et, d’autre part, des surfaces non bâties telles que des jardins, des espaces verts aménagés ou des terres agricoles qui entretiennent un rapport de spatialité avec le bâti (al. 2). L’ISOS distingue entre les catégories d’agglomérations suivantes : a) ville ; b) petite ville / bourg ; c) village urbanisé ; d) village ; e) hameau ; f) cas particulier (art. 6 al. 1 OISOS).

« A______ » figure comme « ville » avec la référence n° 1840 dans l’annexe 1 OISOS. Elle comprend 199 parties de site (https://www.gisos.bak.admin.ch/ sites/1840, page consultée le 21 août 2025 ; ATA/1351/2024 du 19 novembre 2024 consid. 2.1.3).

Selon l’art. 11 OISOS, les cantons tiennent compte de l’ISOS lors de l’établissement de leurs planifications, en particulier des plans directeurs, conformément aux art. 6 à 12 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700 ; al. 1). Ils veillent à ce que l’ISOS soit pris en compte sur la base des plans directeurs cantonaux, en particulier lors de l’établissement des plans d’affectation au sens des art. 14 à 20 LAT (al. 2).

2.3 Les autorités, services, instituts et établissements fédéraux ainsi que les cantons doivent, dans l’accomplissement des tâches de la Confédération, prendre soin de ménager l’aspect caractéristique du paysage et des localités, les sites évocateurs du passé, les curiosités naturelles et les monuments historiques et, lorsque l’intérêt général prévaut, d’en préserver l’intégrité (art. 3 al. 1 LPN).

Selon l'art. 6 al. 1 LPN, l’inscription d’un objet d’importance nationale dans un inventaire fédéral indique que l’objet mérite spécialement d’être conservé intact ou en tout cas d’être ménagé le plus possible, y compris au moyen de mesures de reconstitution ou de remplacement adéquates. Conformément à l'al. 2, lorsqu’il s’agit de l’accomplissement d’une tâche de la Confédération, la règle suivant laquelle un objet doit être conservé intact dans les conditions fixées par l’inventaire ne souffre d’exception que si des intérêts équivalents ou supérieurs, d’importance nationale également, s’opposent à cette conservation. Cette disposition accorde un poids prioritaire à la conservation des objets d'importance nationale inventoriés ; cela ne signifie cependant pas qu'aucune pesée des intérêts ne soit nécessaire, mais seuls des intérêts d'importance nationale peuvent entrer en considération pour justifier une dérogation à l'art. 6 al. 1 LPN (arrêts du Tribunal fédéral 1C_131/2021 du 4 janvier 2023 consid. 3.1 ; 1C_116/2020 du 21 avril 2021 consid. 4.4.1). L'art. 6 al. 1 LPN n'impose pas une interdiction absolue de modifier tout objet inscrit à l'ISOS ; une atteinte à un bien protégé est possible dans la mesure toutefois où elle n'altère pas son identité ni ne contrevient au but assigné à sa protection. Pour déterminer ce que signifie, dans un cas d'espèce, l'obligation de « conserver intact » un bien protégé, il faut se référer à la description, dans l'inventaire et les fiches qui l'accompagnent, du contenu de la protection (ATF 127 II 273 consid. 4c ; 123 II 256 consid. 6a ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_674/2023 du 17 avril 2025 consid. 3.1 ; 1C_362/2023 du 8 octobre 2024 consid. 4.1).

L'art. 6 al. 2 LPN n'a de portée que dans l'accomplissement des tâches fédérales telles que mentionnées aux art. 2 et 3 LPN et en cas d'atteinte grave (arrêt du Tribunal fédéral 1C_131/2021 du 4 janvier 2023 consid. 3.3). Lorsqu'il s'agit de tâches cantonales (ou communales) comme la planification d'affectation, c'est le droit cantonal (et communal) qui assure la protection des localités. Cela résulte de l'art. 78 al. 1 Cst., d'après lequel la protection de la nature et du patrimoine est du ressort des cantons (ATF 135 II 209 consid. 2.1 = JdT 2010 I p. 698, 713 ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.142/2004 du 10 décembre 2004 consid. 4.2).

Lorsque se pose, dans le cadre de l'exécution d'une tâche cantonale ou communale, une question en lien avec l'inventaire ISOS, ce dernier ne déploie pas d'effet directement contraignant. Il n'intervient qu'en tant qu'expression d'un intérêt fédéral de protection du patrimoine mais doit néanmoins être pris en compte dans la pesée des intérêts exigée en matière de préservation des sites (arrêts du Tribunal fédéral 1C_285/2024 du 2 mai 2025 consid. 3.1 ; 1C_391/2023 du 8 août 2024 consid. 6.1 ; 1C_572/2022 du 2 novembre 2023 consid. 3.2 ; 1C_350/2021 du 17 juin 2022 consid. 3.1). En effet, les inventaires fédéraux tels que l'ISOS doivent, même lorsqu'ils n'ont pas encore trouvé de concrétisation dans la réglementation cantonale et communale, être pris en compte dans les plans d'affectation, dans l'interprétation de notions indéterminées du droit de la construction ainsi que dans toute pesée d'intérêts qui doit être effectuée dans les cas particuliers (ATF 135 II 209 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_400/2023 et 1C_408/2023 du 24 mai 2024 consid. 5.1 et 5.5 ; 1C_607/2021 du 19 juin 2023 consid. 3.1 ; 1C_643/2020 du 7 janvier 2022 consid. 3.2). L'ISOS dispose dès lors d'un effet d'alerte, soit un effet qui n'est pas directement contraignant, mais doit être concrétisé par les dispositions adéquates (arrêts du Tribunal fédéral 1C_400/2023 et 1C_408/2023 du 24 mai 2024 consid. 5.1 ; 1C_312/2022 du 14 mars 2024 consid. 3.4 ; 1C_607/2021 du 19 juin 2023 consid. 3.1).

2.4 Dans un arrêt du 29 avril 2016, qui portait sur la modification d'un plan d'affectation des zones touchant un périmètre compris dans une aire recensée dans l'ISOS, le Tribunal fédéral a estimé que le seul fait de mentionner les caractéristiques d'un site telles qu'elles ressortent de l'ISOS ne suffit pas à considérer qu'un réel examen de la compatibilité de la mesure avec les objectifs de protection aurait été effectué (arrêt du Tribunal fédéral 1C_276/2015 du 29 avril 2016 consid. 3.3).

2.5 L'art. 2 al. 1 LPN dispose que par accomplissement d’une tâche de la Confédération au sens de l’art. 24sexies al. 2 Cst., il faut entendre notamment l’élaboration de projets, la construction et la modification d’ouvrages et d’installations par la Confédération, ses instituts et ses établissements, par exemple les bâtiments et les installations de l’administration fédérale, les routes nationales, les bâtiments et installations des Chemins de fer fédéraux (let. a) ; l’octroi de concessions et d’autorisations, par exemple pour la construction et l’exploitation d’installations de transport et de communications (y compris l’approbation des plans), d’ouvrages et d’installations servant au transport d’énergie, de liquides ou de gaz, ou à la transmission de messages, ainsi que l’octroi d’autorisation de défrichements (let. b).

2.6 Aux termes de l'art. 23 al. 1 let. a de la directive concernant l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse ISOS du 1er janvier 2020 (ci-après : DISOS), l'objectif de sauvegarde A établit une distinction entre deux spécifications, la sauvegarde de la substance d'une part et la sauvegarde de l'état existant en tant qu'espace agricole ou libre d'autre part. Une partie de site peut se voir appliquer l'une ou l'autre spécification ou les deux à la fois. La sauvegarde de la substance signifie sauvegarder intégralement toutes les constructions et installations et tous les espaces libres ainsi que supprimer les interventions parasites (art. 9 al. 4 let. a OISOS).

L'art. 24 DISOS prévoit que lorsque des transformations ou des aménagements sont prévus sur une partie de site à sauvegarder, il est indiqué de requérir le conseil du service des monuments historiques, d'autres instances officielles spécialisées ou d'experts. Pour son application concrète, l'ISOS formule des recommandations générales concernant la conservation, l'entretien et la valorisation des sites construits (al. 1). Lorsqu'il s'agit de « sauvegarder la substance », les dispositions générales sont l'interdiction de démolir, l'interdiction de constructions nouvelles et l'obligation d'arrêter des prescriptions détaillées en cas d'intervention (al. 2).

2.7 L'objectif de protection A attribué par l'ISOS à un secteur n'emporte pas nécessairement une interdiction absolue de démolir (arrêts du Tribunal fédéral 1C_349/2023 du 13 février 2025 consid. 2.2.2 ; 1C_55/2019 du 16 mars 2020 consid. 6.1), en particulier lorsque les bâtiments concernés ne font l'objet d'aucune mention particulière à l'inventaire fédéral, pas plus, d'ailleurs, que la ruelle qui les contient (arrêt du Tribunal fédéral 1C_279/2017 du 27 mars 2018 consid. 4.4.2).

2.8 Le Conseil d’État nomme, au début de chaque législature, une commission cantonale des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS ; art. 46 al. 1 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 - LPMNS - L 4 05). La CMNS est consultative. Elle donne son préavis sur tous les objets qui, en raison de la matière, sont de son ressort (art. 47 al. 1 LPMNS). La CMNS est une commission officielle au sens de la loi sur les commissions officielles du 18 septembre 2009 (LCOf - A 2 20). Elle dépend du DT (art. 5 let. m du règlement sur les commissions officielles du 10 mars 2010 - RCOf - A 2 20.01). Le SMS fait partie de l'OPS, lui-même rattaché au DT (art. 6 al. 1 let. f ch. 3 du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale du 1er juin 2023 - ROAC - B 4 05.10).

Aux termes de l'art. 5 du règlement d’application de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 mars 2023 (RPMNS - L 4 05.01), la CMNS a pour mission de conseiller l’autorité compétente (al. 1). L'al. 2 de cette disposition prévoit qu'elle donne son préavis sur tout projet de travaux concernant un immeuble situé dans le périmètre d'un plan de site (let. g) et sur tout projet de plan localisé de quartier dans le périmètre duquel se trouve un bâtiment recensé en valeur « Exceptionnel » ou « Intéressant » au recensement architectural du canton de A______ (let. h). La CMNS est consultée en amont sur les projets susceptibles d’avoir une incidence majeure sur le patrimoine paysager, bâti et naturel, en particulier sur ceux dont le périmètre s’étend sur tout ou partie d’un site recensé dans ISOS (al. 3).

2.9 Sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé démolir, supprimer ou rebâtir une construction ou une installation (art. 1 al. 1 let. c LCI).

Dans le système de la LCI, les demandes d’autorisation sont soumises, à titre consultatif, au préavis des communes, des départements et des organismes intéressés. L’autorité de décision n’est pas liée par ces préavis (art. 3 al. 3 LCI). Ainsi, les avis ou préavis ne lient pas les autorités et n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l’autorité reste libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur. Toutefois, lorsqu'un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser. Selon une jurisprudence constante, chaque fois que l'autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, l'autorité de recours observe une certaine retenue, en fonction de son aptitude à trancher le litige, l'autorité technique consultative étant composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/788/2025 du 22 juillet 2025 consid. 8.5 ; ATA/621/2025 du 3 juin 2025 consid. 7.8 ; ATA/507/2025 du 6 mai 2025 consid. 3.3 ; ATA/739/2024 du 18 juin 2024 consid. 6.5 et l'arrêt cité).

De jurisprudence constante, si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l’appréciation qu’est amenée à effectuer l’autorité de recours. La CMNS se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d’associations d’importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine (art. 46 al. 2 LPMNS). À ce titre, son préavis est important (ATA/206/2024 du 13 février 2024 consid. 5.2 et les arrêts cités).

2.10 L'autorité chargée d'appliquer la loi dispose d'un pouvoir d'appréciation lorsque la loi lui laisse une certaine marge de manœuvre. Cette dernière peut notamment découler de la liberté de choix entre plusieurs solutions, ou encore de la latitude dont l'autorité dispose au moment d'interpréter des notions juridiques indéterminées contenues dans la loi (ATF 140 I 201 consid. 6.1).

3.             En l'espèce, le DT a délivré l'autorisation de démolir sollicitée le 5 juin 2024. Dans le courrier qu'il a ensuite adressé à la recourante, il a expliqué que le SMS était compétent pour se prononcer sur la compatibilité d’un projet de construction ou de démolition avec une éventuelle mesure de protection patrimoniale dont bénéficiait un bâtiment. En l’occurrence, ce service n’avait émis aucune remarque concernant l’autorisation sollicitée. Il apparaissait en outre que les bâtiments concernés n’avaient pas été inclus dans le périmètre du plan de site B______/E______ adopté en 2014 et concrétisant au niveau cantonal les objectifs fixés dans l’ISOS.

Le TAPI a confirmé l'approche du DT. Il a d'abord considéré que les bâtiments concernés par la demande d’autorisation de démolir ne bénéficiaient, sur le plan cantonal, d’aucune mesure de protection en vertu de laquelle la demande d’autorisation de démolir querellée aurait dû être préavisée par la CMNS ou par l’OPS. Il a ensuite relevé que la position du DT, selon laquelle l’adoption du plan de site B______/E______ avait permis de mettre en œuvre de manière anticipée les objectifs de préservation fixés par la nouvelle version de l’ISOS pour le secteur de Belmont, méritait d’être suivie. Dans la mesure où la pesée d’intérêts effectuée dans ce cadre avait abouti à exclure la parcelle no 2'585 et les bâtiments s’y trouvant du périmètre de protection et que le SMS a considéré qu’il n’était pas nécessaire de réitérer cette pesée à l’occasion de l’examen de la demande d’autorisation de démolir litigieuse en indiquant ne pas être concerné dans son préavis du 13 mars 2024, le DT était fondé à délivrer ladite autorisation.

Ni le DT ni le TAPI ne peuvent toutefois être suivis.

En effet, s'il n'est pas contesté que le bâtiment ne se trouve dans aucun périmètre protégé par le droit cantonal, ledit bâtiment fait partie du site « E______ » n° 60, qui est inscrit à l’ISOS, avec un objectif de sauvegarde A. Dès lors, conformément à la jurisprudence fédérale et bien qu'aucune tâche fédérale ne soit concernée, l'ISOS doit être pris en compte dans la pesée des intérêts exigée en matière de préservation des sites et l'incidence de la démolition de l'immeuble doit être évaluée. Or, il apparaît qu'aucune pesée des intérêts tenant compte de l'ISOS n'a été effectuée. Le SMS a estimé qu'il n'était pas compétent parce que le bâtiment se trouvait hors d’un périmètre protégé. Il ne s'est donc pas prononcé sur le dossier ni n'a mentionné l'ISOS. Il en va de même de la CMNS, qui n'a pas été consultée bien qu'elle eût dû l'être (cf. infra). Le DT n'a mentionné l'ISOS que dans le courrier qu'il a adressé à la ville, mais il n'y est pas fait mention d'une pesée des intérêts. Quant au raisonnement du TAPI, il y a lieu de relever que l’adoption du plan de site B______/E______ ne peut avoir eu pour effet de mettre en œuvre de manière anticipée les objectifs de préservation fixés par la nouvelle version de l’ISOS pour le secteur de Belmont, puisque les travaux de réactualisation de l'ISOS ont débuté en 2018, soit quatre ans après l'adoption dudit plan. Le raisonnement du TAPI ne tient pas non plus compte du fait que la parcelle litigieuse a été incluse en 2023 dans la partie du site « Clos Belmont » n° 60, bénéficiant d'un objectif de sauvegarde A, alors qu'auparavant – et notamment au moment de l'adoption du plan de site –, ladite parcelle ne bénéficiait pas d'une telle protection. Partant, une nouvelle pesée des intérêts s'imposait, ce d'autant que le bâtiment dont la démolition est projetée a reçu entretemps, soit en 2022, la mention « intéressant » au RAC.

Dans ces conditions, on ne saurait retenir que les objectifs de protection résultant de l'ISOS ont été suffisamment pris en considération ni qu'un réel examen de la compatibilité de la mesure avec les objectifs de protection aurait été effectué. En tant que l'intimée allègue que la mise à jour de l'ISOS ne change rien à l'appréciation anticipée de l'OPS à l'époque et que la densification vers l'intérieur constitue également un intérêt public important, elle anticipe l'appréciation des instances spécialisées (SMS et CMNS) qui auraient dû se prononcer sur le projet, ce qui revient pour elle à substituer son appréciation à celle desdites instances. Or, de jurisprudence constante, cela n'est pas admissible, ce d'autant moins qu'en l'occurrence l'OU, dont le préavis est important, a, dans le cadre de la procédure en autorisation de construire liée à l'autorisation de démolir litigieuse, relevé les enjeux en présence, notamment patrimoniaux liés à l'ISOS et indiqué qu’un éventuel développement devrait prendre en compte ces aspects. Il a également précisé que le site était sensible.

Par ailleurs, en l'état du dossier, la chambre de céans ne saurait se prononcer sur la pesée des intérêts qui s'impose, en tenant compte des objectifs de l'ISOS. En effet, le DT bénéficie d'un pouvoir d'appréciation lorsqu'il pondère les intérêts concernés et se prononce sur l'octroi de l'autorisation de démolir. L'appréciation de la chambre administrative ne saurait donc se substituer à celle de ladite autorité. Seul l'abus ou l'excès du pouvoir d'appréciation doit être sanctionné. Or, aucune pesée des intérêts, tenant compte de la situation actuelle, qui est seule déterminante, n'a été effectuée.

Il apparaît également que la CMNS, dont le préavis est important pour la pesée des intérêts, aurait dû être consultée. Il n'est certes pas contesté que le bâtiment ne se trouve pas dans un périmètre protégé par le droit cantonal (art. 83 ss LCI ; art. 28 LaLAT). Néanmoins, il fait partie du site « E______ » n° 60, qui est inscrit à l'ISOS, avec un objectif de sauvegarde A, spécification « sauvegarde de la substance », qui recommande une interdiction de démolir. Dès lors, il n'est pas exclu que sa destruction puisse être susceptible d’avoir une incidence majeure sur le patrimoine paysager, bâti et nature. Par conséquent, la consultation de la CMNS s'imposait, conformément à l'art. 5 al. 3 RPMNS, ce d'autant qu'aucune instance spécialisée, pas même l'OPS, ne s'est expressément prononcée sur la question de savoir si le projet est susceptible d’avoir une incidence majeure sur le patrimoine paysager, bâti et nature. À cela s'ajoute que, l'art. 24 DISOS prévoit qu'il est indiqué de requérir le conseil du service des monuments historiques, d'autres instances officielles spécialisées ou d'experts lorsque des transformations ou des aménagements sont, comme en l'espèce, prévus sur une partie de site à sauvegarder. Même si cette disposition n'a pas valeur légale, elle doit être prise en compte.

Il convient en outre de préciser que l'art. 5 al. 3 RPMNS contient des notions juridiques indéterminées que la CMNS est le plus à même d'apprécier et que renoncer à la saisir reviendrait à nier d'emblée que le projet pourrait avoir une incidence majeure sur le patrimoine paysager, ce qui ne doit, en principe, pas être admis, compte tenu de l'exigence consistant à prendre en compte l'ISOS dans la pesée des intérêts. Une telle manière de faire ne serait envisageable que si l'OPS, soit pour lui en principe le SMS, expose d'emblée les raisons pour lesquelles le projet n'a pas une incidence majeure sur le patrimoine paysager, bâti et naturel, ce qu'il est habilité à faire même si le projet ne prend pas place dans un périmètre protégé par le droit cantonal. Or, en l'occurrence, une telle prise de position fait défaut, le SMS ayant indiqué qu'il n'était pas concerné par la demande et n'ayant pas étudié le dossier. Dès lors, lorsque le projet prend place, comme en l'espèce, dans un périmètre recensé à l'ISOS avec un objectif de sauvegarde A, la CMNS doit en principe être consultée conformément à l'art. 5 al. 3 RPMNS, ce qui ne signifie pas nécessairement que son préavis sera défavorable. Dans le cas d'espèce, sa consultation permettra à tout le moins de recueillir l'avis d'une autorité spécialisée en matière de protection de l'environnement, notamment sur la question de savoir si la réactualisation de l'ISOS a engendré un changement de la situation, et de pouvoir procéder à une pesée de tous les intérêts en présence.

Au demeurant, même à considérer que, de manière évidente, la destruction n'est pas susceptible d’avoir une incidence majeure sur le patrimoine paysager, bâti et nature, il appartenait au SMS, qui a été consulté en sa qualité d'autorité spécialisée en matière de protection du patrimoine et des sites, de l'indiquer et de motiver sa position. Au vu de l'objectif de sauvegarde A attaché à la partie du site dans lequel se trouve la parcelle en cause, il ne pouvait se contenter de se déclarer « non concerné », bien que ladite parcelle ne fasse l'objet d'aucune protection cantonale.

En définitive, dans la mesure où l'autorisation de démolir ne se prononce pas sur la prise en compte des objectifs de protection poursuivis par l'ISOS, ladite autorisation doit être annulée et le dossier renvoyé au DT pour qu'il sollicite le préavis de la CMNS et rende ensuite une nouvelle décision (art. 69 al. 3 LPA).

Le recours sera donc admis. Il n'y a ainsi pas lieu d'examiner les autres griefs de la recourante, en lien avec la nécessité de procéder à un contrôle préjudiciel des plans d'affectation en cas de modification postérieure de l'ISOS, la violation de la primauté du droit fédéral, une inégalité de traitement entre la présente affaire et le projet de PLQ de la F______, l'absence de planification et la violation du principe de coordination.

4.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de B______ SA, tandis qu’aucun émolument ne sera mis à la charge du DT, qui en est dispensé de par la loi (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité ne sera allouée, la ville disposant de son propre service juridique par lequel elle a du reste procédé (ATA/1454/2024 du 10 décembre 2024 consid. 5 et les arrêts cités).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 avril 2025 par la Ville de A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 mars 2025 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 mars 2025 ;

annule l’autorisation de démolir M 3______/1 RE délivrée le 5 juin 2024 ;

renvoie la cause au département du territoire pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge d'B______ SA ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à la Ville de A______, au département du territoire - OAC, à Me François BELLANGER, avocat d'B______ SA, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l'office fédéral de l'environnement (OFEV).

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :