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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3838/2024

ATA/684/2025 du 20.06.2025 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3838/2024-EXPLOI ATA/684/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 juin 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Jamil SOUSSI, avocat

contre

 

 

 

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES

RELATIONS DU TRAVAIL intimé

 



EN FAIT

A. a. A______ et B______ sont mariés et parents de deux enfants, C______ et D______.

b. À la suite de la naissance des enfants, E______ a été engagée en décembre 2022, en tant que nourrice et aide de maison.

B. a. Le 25 août 2023, l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci‑après : OCIRT) a reçu une plainte concernant les conditions de travail de E______, de laquelle il ressort que cette dernière a travaillé pour leur ménage du 14 décembre 2022 au 14 août 2023. Elle travaillait selon deux formules : soit en continu (24 heures sur 24) pendant plusieurs jours d'affilée, soit de jour ou de nuit entre 11 et 12 heures par jour. Sa rémunération était de CHF 3'995.- bruts. À cette rémunération brute s'ajoutait un montant de CHF 1'000.- versé en espèces.

Selon les déclarations de E______, celle-ci a été engagée en tant que nounou et aide de maison pour travailler exclusivement pour le ménage des époux. Bien que son contrat de travail ait été établi entre elle et F______, la mère de B______, elle n'avait en réalité jamais travaillé pour celle-ci, domiciliée au G______ Genève. Elle travaillait au domicile des époux, situé au H______ Genève. Il lui arrivait de travailler pour la mère de A______, I______, à son domicile parisien.

À l'appui de ses déclarations, elle a transmis des documents, notamment de nombreux échanges WhatsApp qui couvrent l'ensemble de la période de travail au sein du ménage des époux.

b. Le 15 septembre 2023, l'OCIRT a initié un contrôle des conditions de travail des employés domestiques des époux, afin de vérifier le respect des salaires minimaux obligatoires prévus à l'art. 10 du contrat-type de travail avec salaires minimaux impératifs de l'économie domestique du 13 décembre 2011 (CTT‑EDom ‑ J 1 50.03).

L'OCIRT a ainsi adressé aux époux un premier courrier par lequel il leur demandait de transmettre d'ici au 30 septembre 2023 les documents suivants :

-          la liste de l'ensemble de leur personnel ayant travaillé au sein de leur ménage depuis le 1er janvier 2015 ;

-          les copies des contrats de travail ;

-          les copies des fiches de salaire ;

-          les preuves du versement des salaires ;

-          la liste des salaires déclarés à l'AVS pour les années 2015 à 2021.

Il attirait leur attention sur leur obligation de collaborer au contrôle.

c. Par courrier du 5 octobre 2023, l'OCIRT a été informé de l'élection de domicile des époux en l'étude d'un avocat, lequel lui demandait un délai accordé au 27 octobre, puis au 15 novembre 2023, pour répondre.

d. Le 21 novembre 2023, les époux ont répondu à la demande de renseignements de l'OCIRT, en déclarant qu'ils avaient deux employées de maison.

E______ avait travaillé pour leur ménage en qualité de femme de ménage et nounou du 14 décembre 2022 au 14 août 2023, à raison de 38 heures par semaine pour une rémunération mensuelle brute de CHF 3'995.-. Elle bénéficiait de plus de quatre ans d'expérience dans les ménages privés.

J______ était active dans leur ménage en qualité de nounou depuis le 5 septembre 2022, à raison de 45 heures par semaine, pour une rémunération mensuelle brute de CHF 5'579.46. Elle bénéficiait de plus de 35 ans d'expérience dans les ménages privés et était logée.

Les époux ont par ailleurs déclaré que les autres collaborateurs travaillant au sein de leur ménage privé étaient employés par l'intermédiaire de la société K______.

Ils y ont joint les justificatifs suivants relatifs à l'emploi de E______ :

-          le relevé des salaires et des charges pour 2022 de Chèque Service ;

-          le relevé des salaires et des charges de janvier à août 2023 de Chèque Service ;

-          les fiches de salaires de décembre 2022 à août 2023 ;

-          les « calculs des charges 2023 – estimation » de Chèque Service ;

-          le certificat de salaire annuel pour 2023.

e. Par courrier du 11 janvier 2024, l'OCIRT a fait part aux époux de ses constats. Au regard des éléments figurant au dossier, il a constaté qu'ils ne respectaient pas les salaires minimaux impératifs prévus par le CTT-EDom à l'égard de E______.

Une partie de la rémunération de E______ était versée en espèces, en sus de la rémunération versée par virement bancaire. Ainsi, les époux n'avaient pas entièrement déclaré les salaires versés aux assurances sociales, en infraction aux lois y relatives.

L'OCIRT a calculé les rattrapages salariaux dus à E______. Un tableau récapitulatif était annexé au courrier. Le montant de la sous-enchère totale établi par l'OCIRT s'élevait ainsi à CHF 22'324.85 (8'746.30 + 13'578.57). En effet, les époux n'avaient jamais apporté la preuve du versement à E______ du montant correspondant aux CHF 13'578.57 déclarés à titre d'heures supplémentaires à travers Chèque Service.

L'OCIRT les invitait à régulariser leur situation et à faire valoir leur droit d'être entendu avant le prononcé d'une sanction administrative en application de l'art. 9 de la loi fédérale sur les mesures d'accompagnement applicables aux travailleurs détachés et aux contrôles des salaires minimaux prévus par les contrats-types de travail du 8 octobre 1999 (LDét - RS 823.20). Le courrier précisait que l'OCIRT tenait compte, dans le prononcé de la sanction, des éventuels rattrapages salariaux effectués en cours de procédure administrative. Un délai au 1er février 2024 leur était imparti à cette fin.

f. Par courrier du 15 janvier 2024, les époux ont fait valoir leur droit d'être entendu. Ils ont consulté le dossier en possession de l'OCIRT le 2 février 2024.

g. Par courrier du 15 mars 2024, les époux ont répondu au courrier de l'OCIRT du 11 janvier 2024. Ils ont reconnu la sous-enchère calculée par l'OCIRT. Toutefois, ils remettaient en question les montants nets à verser à E______, selon un tableau accompagnant leur courrier.

h. Par courriel du 25 mars 2024, dans un souci allégué d'efficacité et de gain de temps, l'OCIRT a fait part aux époux du fait que leur tableau comportait des erreurs. En effet, les montants versés en espèces en sus de la rémunération brute déclarée avaient été comptabilisés deux fois. Ainsi, l'OCIRT maintenait les calculs qu'il avait établis dans son tableau accompagnant le courrier du 11 janvier 2024 et les invitait à régulariser la situation. Un nouveau délai au 15 avril 2024 leur était imparti à cette fin.

i. Par courrier du 11 avril 2024, les époux ont déclaré qu'ils avaient réexaminé attentivement le tableau transmis par l'OCIRT dans son courrier du 11 janvier 2024 et qu'ils remettaient en question certaines des périodes de travail de E______ retenues par l'OCIRT. Ils lui demandaient par ailleurs de procéder à une révision de ses calculs.

j. Par courrier du 22 juillet 2024, l'OCIRT a répondu aux époux et adapté ses calculs en fonction de l'emploi du temps de E______, reconstitué en détail grâce aux documents en sa possession.

De cette reconstitution, il est ressorti que lorsque E______ ne travaillait pas à Genève, elle travaillait pour la famille des époux à leur domicile de Paris. Ainsi, l'OCIRT a appliqué un prorata précis en fonction du nombre d'heures travaillées à Paris et à Genève.

L'OCIRT a informé les époux de ses calculs corrigés et transmis un tableau détaillé s'agissant des infractions constatées. Ainsi, pour les heures travaillées à Genève :

-          Entre les 13 et 28 août 2022, E______ avait perçu EUR 600.- nets au lieu de CHF 1'043.65 bruts. Aucun revenu n'avait été déclaré au bénéfice de E______ pour cette période ;

-          Entre les 9 et 11 septembre 2022, E______ avait perçu EUR 900.- nets au lieu de CHF 1'633.55 bruts. Aucun revenu n'avait été déclaré au bénéfice de E______ pour cette période ;

-          Entre les 1er et 31 décembre 2022, E______ avait perçu CHF 1'878.45 bruts au lieu de CHF 5'725.25 bruts. Elle avait reçu une rémunération additionnelle de CHF 1'000.- nets en espèces ;

-          Entre les 1er et 31 janvier 2023, E______ avait perçu CHF 2'134.35 bruts au lieu de CHF 3'908.90 bruts. Elle avait reçu une rémunération additionnelle de CHF 1'000.- nets en espèces ;

-          Entre les 1er et 28 février 2023, E______ avait perçu CHF 1'672.95 bruts au lieu de CHF 2'810.65 bruts. Elle avait reçu une rémunération additionnelle de CHF 1'000.- nets en espèces ;

-          Entre les 1er et 31 mai 2023, E______ avait perçu CHF 1'724.15 bruts au lieu de CHF 3'531.50 bruts. Elle avait reçu une rémunération additionnelle de CHF 1'000.- nets en espèces ;

-          Entre les 1er et 30 juin 2023, E______ a perçu CHF 3'995.- bruts au lieu de CHF 13'610.15 bruts. Elle avait reçu une rémunération additionnelle de CHF 1'000.- nets en espèces ;

-          Entre les 1er et 31 juillet 2023, E______ avait perçu CHF 2'505.45 bruts au lieu de CHF 4'013.30 bruts. Elle avait reçu une rémunération additionnelle de CHF 1'000.- nets en espèces ;

-          Entre les 1er et 14 août 2023, E______ avait perçu CHF 3'591.80 nets au lieu de CHF 9'212.60 bruts.

Le montant de la sous-enchère totale retenue par l'OCIRT s'élevait ainsi à CHF 29'696.- (16'117.42 + 13'578.57). Un nouveau délai au 15 août 2024 était accordé aux époux pour procéder notamment au rattrapage salarial, avant le prononcé de la sanction.

k. Par courrier du 29 juillet 2024, le mandataire des époux a informé l'OCIRT que l'élection de domicile en son étude était révoquée.

l. Par courrier du 13 août 2024, l'OCIRT a retransmis le courrier du 22 juillet au G______ Genève, domicile où avait été adressé son premier courrier. En effet, selon les informations dont disposait l'OCIRT, le H______ Genève n'était pas l'adresse officielle des époux, leurs noms n'y apparaissant pas, de sorte que le courrier ne leur serait pas parvenu. Un nouveau délai au 31 août 2024 leur était accordé pour procéder notamment au rattrapage salarial, avant le prononcé de la sanction.

m. N'ayant aucune nouvelle le 2 septembre 2024, l'OCIRT a transmis le courrier du 22 juillet au domicile parisien des époux, L______. Un nouveau délai au 15 septembre 2024 leur était accordé pour procéder notamment au rattrapage salarial, avant le prononcé de la sanction.

n. Les époux n'ont pas donné suite à ce courrier et n'ont pas utilisé ce délai pour procéder à un rattrapage salarial.

o. Le 3 septembre 2024, l'OCIRT a reçu un courrier, transmis par courriel, de la nièce d'F______, M______, écrivant en sa qualité de mandataire d'F______, d'Allemagne où cette dernière vivait depuis peu. Elle lui annonçait qu'F______ n'avait pris connaissance de la procédure en cours qu'à la fin du mois d'août 2024, lorsqu'elle avait libéré son appartement genevois, indiquant par ailleurs qu'elle n'avait jamais été l'employeuse de E______. Depuis plusieurs années, elle signait en toute confiance les documents que son fils lui demandait de signer, étant donné qu'il était en charge de toutes ses affaires administratives, vu son grand âge. Selon toute vraisemblance, son fils l'avait trompée et avait usurpé sa signature à des fins frauduleuses, ce qu'elle entendait rapidement élucider.

p. Le 12 septembre 2024, l'OCIRT a reçu un nouveau courriel de M______, auquel était notamment jointe une déclaration écrite et signée d'F______ confirmant les informations transmises par sa nièce et mandataire.

q. Le 16 septembre 2024, l'OCIRT a reçu un extrait de la requête en conciliation déposée par E______ auprès du Tribunal des prud'hommes de Genève, dans lequel E______ affirme « n'avoir jamais travaillé, dans les faits, pour […] F______, mais pour son fils B______ et son épouse A______. Elle était ponctuellement envoyée au service de la mère de celle-ci, I______, à N______ ».

r. Par décision du 17 octobre 2024, l'OCIRT a prononcé, à l'encontre de A______ et de B______, une amende de CHF 5'000.- en application de l'art. 9 al. 2 let. f LDét.

Les intéressés revêtaient la qualité d’employeurs. A______ donnait les instructions, établissait les plannings, faisait des remontrances lorsqu'elle estimait que les tâches n'étaient pas effectuées selon ses attentes et gérait le travail de E______ tandis que B______ lui versait les salaires.

Les salaires versés à E______ étaient en-dessous du minimum impératif. Le total de la sous-enchère constatée s'élevait à CHF 29'696.‑.

Il se justifiait d'infliger aux époux une amende de CHF 5'000.-, étant relevé que ce montant correspondait à la sévérité voulue par le législateur lors du durcissement du dispositif de sanctions entré en vigueur au 1er avril 2017.

Enfin, dans la mesure où la rémunération de E______ n'avait été que partiellement déclarée aux assurances sociales obligatoires, l'office communiquait la décision aux autorités compétentes concernées.

C. a. Par acte du 18 novembre 2024, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation ainsi qu'à celle du bordereau d'amende correspondant.

Elle se plaignait d'une « appréciation incomplète et erronée des faits » et se prévalait de l'absence de relation contractuelle entre elle-même et E______. Elle ne contestait pas la potentielle sous-enchère, à défaut d'avoir connaissance des documents relatifs à cette relation contractuelle, et même du montant de la rémunération effective de l'employée. C'était son époux qui avait, « comme à son habitude », assumé seul les démarches administratives et financières liées à cet emploi. Elle ne pouvait être considérée comme l'employeuse de E______, un critère financier étant essentiel à cette qualification.

Pour le surplus, la décision querellée entraînait des conséquences économiques « funestes » pour elle. Elle n'avait, en effet, aucun revenu et dépendait entièrement financièrement de l'activité de son époux. Or, la récente mise en détention de ce dernier la plaçait dans une situation de grande précarité. Le bail de l'appartement du couple avait même fait l'objet d'une résiliation par le bailleur pour non-paiement du loyer, l'obligeant à retrouver un nouveau logement pour elle et ses enfants. La décision querellée avait ainsi pour effet de la priver du peu de ressources dont elle bénéficiait encore.

Elle produisait notamment des documents en lien avec l'emploi de E______ sur lesquels apparaissait le nom – ou la signature – d'F______, et non le sien.

b. Par réponse du 16 janvier 2025, l'OCIRT a réitéré que la recourante revêtait bien la qualité d'employeuse, concluant au rejet du recours. Il renvoyait au contenu de la décision contestée, dont les faits étaient suffisamment clairs et également suffisamment prouvés.

c. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 21 février 2025 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 20 février 2025, A______ a persisté dans ses conclusions.

Elle était tout au plus intervenue en tant que gestionnaire de l'emploi du temps et des tâches de nourrice de E______. Malgré leurs communications quotidiennes au sujet des besoins et activités de ses enfants, elle notait qu'à chaque fois qu'une question financière avait été abordée, elle avait systématiquement renvoyé à son époux – lequel était exclusivement responsable de la gestion des finances du couple, et donc du versement du salaire de E______.

Elle avait accordé une confiance absolue à son époux dans la gestion des finances du foyer pendant des années et trouvait inacceptable, dans ces circonstances, de devoir assumer les conséquences d'une gestion dont elle n'avait eu ni le contrôle ni la responsabilité. Il appartenait à l'OCIRT de se tourner vers son époux ou la mère de celui-ci.

e. L'OCIRT ne s'est quant à lui pas manifesté.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de l’amende administrative infligée aux époux pour sous-enchère salariale.

La recourante « ne conteste pas la potentielle sous-enchère », mais uniquement revêtir le statut d'employeuse à l'égard de l'employée domestique du couple concernée par la procédure.

2.1 Selon l'art. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), le contrat est parfait lorsque les parties ont, réciproquement et d'une manière concordante, manifesté leur volonté (al. 1). Cette manifestation peut être expresse ou tacite (al. 2).

En droit suisse des contrats, la question de savoir si les parties ont conclu un accord est soumise au principe de la priorité de la volonté subjective sur la volonté objective (ATF 144 II 93 consid. 5.2.1). Lorsque les parties se sont exprimées de manière concordante (échange de manifestations de volonté concordantes), qu’elles se sont effectivement comprises et, partant, ont voulu se lier, il y a accord de fait ; si au contraire, alors qu’elles se sont comprises, elles ne sont pas parvenues à s’entendre, ce dont elles étaient d’emblée conscientes, il y a un désaccord patent et le contrat n’est pas conclu. Subsidiairement, si les parties se sont exprimées de manière concordante, mais que l’une d’elles, ou toutes deux n’ont pas compris la volonté interne de l’autre, ce dont elles n’étaient pas conscientes dès le début, il y a désaccord latent. Le contrat est alors conclu dans le sens objectif que l’on peut donner à leurs déclarations de volonté selon le principe de la confiance ; en pareil cas, l’accord est de droit (ou normatif ; ATF 144 III 93 consid. 5.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_739/2022 du 5 janvier 2024 consid. 7.2 et les arrêts cités).

Ainsi, en présence d'un litige sur l'interprétation d'un contrat, le juge doit tout d'abord s'efforcer de déterminer la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO), le cas échéant empiriquement, sur la base d’indices (ATF 132 III 268 consid. 2.3.2 ; 129 III 664 consid. 3.1). Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté – écrites ou orales –, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu’il s’agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l’époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2 et 5.2.3 ; 132 III 268 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_739/2022 du 5 janvier 2024 consid. 7.2 et les arrêts cités).

L’appréciation de ces indices concrets par le juge, selon l'expérience générale de la vie, relève du fait. S’il ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties, parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes, ou s’il constate qu’une partie n’a pas compris la volonté exprimée par l’autre au moment de la conclusion du contrat – ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu’elle l’affirme en procédure, mais doit résulter de l’administration des preuves –, le juge doit recourir à l’interprétation normative (ou subjective), c’est-à-dire rechercher leur volonté objective en déterminant le sens que, d’après les règles de la bonne foi, chacune d’elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l’autre (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3).

2.2 La LDét règle le contrôle des employeurs qui engagent des travailleurs en Suisse et les sanctions qui leur sont applicables en cas de non‑respect des dispositions relatives aux salaires minimaux prévus par les contrats‑types de travail au sens de l’art. 360a CO (art. 1 al. 2 LDét). Selon l'art. 1 al. 3 LDét, la notion de travailleur est régie par le droit suisse (art. 319 à 362 CO).

2.3 À teneur de l'art. 319 al. 1 CO, par le contrat individuel de travail, le travailleur s'engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l'employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d'après le temps ou le travail fourni. Les éléments caractéristiques de ce contrat sont donc une prestation de travail, un rapport de subordination, un élément de durée et une rémunération (arrêts du Tribunal fédéral 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3 ; 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.1).

Le rapport de subordination revêt une importance primordiale dans la qualification du contrat de travail. Il présuppose que le travailleur est soumis à l'autorité de l'employeur pour l'exécution du contrat et cela au triple point de vue personnel, fonctionnel (organisation et contrôle), temporel (horaire de travail) et, dans une certaine mesure, économique (ATF 125 III 78 consid. 4, SJ 1999 I p. 385 ; 121 I 259 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_553/2008 du 9 février 2009 consid. 4.1).

Le travailleur est assujetti à la surveillance, aux ordres et instructions de l'employeur ; il est intégré dans l'organisation de travail d'autrui et y reçoit une place déterminée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_53/2021 précité consid. 5.1.3.1 ; 4A_64/2020 précité consid. 6.3.1).

2.4 Selon l'art. 321d CO, l'employeur peut établir des directives générales sur l'exécution du travail et la conduite des travailleurs dans son exploitation ou son ménage et leur donner des instructions particulières (al. 1) ; le travailleur observe selon les règles de la bonne foi les directives générales de l'employeur et les instructions particulières qui lui ont été données (al. 2). Il s'agit du corollaire du rapport de subordination. L'employé doit suivre les directives même lorsqu'elles sont inappropriées ou inefficaces parce qu'il n'a ni l'obligation, ni le droit d'en contrôler l'opportunité (Rémy WYLER/Boris HEINZER, Droit du travail, 4e éd., 2019, p. 155). Ce pouvoir de direction est exercé par l’employeur lui-même, mais il peut être délégué en partie ou entièrement à un tiers (arrêt du Tribunal fédéral 4A_344/2015 du 10 décembre 2015 consid. 3.4).

2.5 Lorsqu'un représentant agit au nom d'autrui, les droits et obligations dérivant de l'acte accompli passent directement au représenté si le représentant disposait des pouvoirs suffisants à cet effet en vertu du droit public, de la loi ou de la volonté du représenté (art. 33 al. 2 CO) ou, à défaut de pouvoirs, si le représenté ratifie l'acte accompli en son nom (art. 38 CO), ou encore si le tiers de bonne foi pouvait se fier aux pouvoirs qui lui avaient été communiqués, même tacitement (art. 33 al. 3, 34 al. 3 et 37 CO ; ATF 131 III 511 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_487/2018 du 30 janvier 2019 consid. 5.2.2).

Dès lors qu'il agit avec pouvoirs, le représentant n'engage pas seulement le représenté par ses actes, mais également par ce qu'il sait ou doit savoir. Étant donné que la volonté du représentant est le « moteur de la représentation », la connaissance ou l'ignorance par manque d'attention de certains faits par le représentant sont directement attribuées au représenté. C'est ainsi que la question du consentement, comme condition d'existence d'un contrat, est jugée en fonction du représentant et non du représenté (Christine CHAPPUIS, in Luc THÉVENOZ/Franz WERRO [éd.], Commentaire romand - Code des obligations, 3e éd., 2021, n. 21 ad art. 32 CO).

La manifestation de la volonté d'agir au nom d'autrui peut intervenir de manière expresse ou par actes concluants. La manifestation intervient par actes concluants lorsque le tiers doit déduire l'existence d'un rapport de représentation des circonstances. Aussi celui qui laisse créer l'apparence d'un pouvoir de représentation se trouve-t-il lié par les actes accomplis en son nom (ATF 131 III 511 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_58/2010 du 22 avril 2010 consid. 4.2).

2.6 La société simple est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent d'unir leurs efforts ou leurs ressources en vue d'atteindre un but commun (art. 530 al. 1 CO). Le but de la société simple peut être de conclure en commun un contrat ; les moyens nécessaires pour atteindre le but social peuvent consister dans des prestations pécuniaires ou personnelles, qui ne seront pas nécessairement égales ni toujours prédéterminées. La conclusion d'un contrat de société simple peut résulter tacitement du comportement des parties, même si ces dernières ne sont pas conscientes de conclure un tel contrat (ATF 124 III 363 consid. II/2a ; 116 II 707 consid. 2a).

Lorsque deux personnes emploient un salarié à plein temps dont elles déterminent l'occupation, en se répartissant, sur la base d'accords internes, leurs droits et obligations envers lui, il convient d'admettre qu'elles sont liées par un contrat de société simple, dont le but est l'utilisation des services du travailleur (arrêts du Tribunal fédéral 8C_130/2020 du 30 juin 2020 consid. 7.3 ; 4C.41/1999 du 12 juillet 2000 consid. 5b). Chacune d'elles a le droit d'administrer la société (art. 535 al. 1 CO) et de la représenter envers tout tiers, tel le salarié (art. 543 al. 3 CO), les associés étant solidairement responsables des engagements qu'ils ont assumés envers ledit tiers, singulièrement en agissant conjointement (art. 544 al. 3 CO ; arrêt du Tribunal fédéral 4C.41/1999 précité consid. 5b ; ATA/634/2025 du 5 juin 2025 consid. 4.6).

Dans le domaine du travail domestique, la jurisprudence tant en matière administrative que civile a retenu la qualité d'employeuse d'une recourante qui donnait régulièrement à l'employée de maison de sa mère des instructions sur la manière d'effectuer son travail (ATA/634/2025 précité consid. 4.6 ; ATA/1138/2024 du 27 septembre 2024 consid. 3.6 et les arrêts cités).

La chambre administrative a considéré qu'une recourante, qui avait recruté deux employés de maison pour s’occuper de feu son père revêtait la qualité d’employeuse. Il ressortait notamment des échanges de la messagerie WhatsApp et des déclarations concordantes des employées que la recourante planifiait, organisait et assurait un contrôle strict de la bonne exécution des tâches quotidiennes. Elle avait même réprimandé un employé qui s'était adressé à feu son père et non à elle pour entamer une négociation à la hausse de son salaire. Quand bien même il convenait de retenir un lien de subordination des employés à l'égard du défunt, il apparaissait que ledit lien était tout aussi voire plus important avec la recourante qu’avec feu son père. Peu importait, conformément à la jurisprudence précitée, que les salaires des employés aient été essentiellement payés avec les deniers du père de la recourante (ATA/949/2024 du 14 août 2024 consid. 6.3 ; ATA/555/2024 du 3 mars 2024 consid. 2.7).

2.7 En l'espèce, même si son contrat de travail, d'un point de vue strictement formel, a été signé avec la mère de l'époux, il n'est pas contesté que l'employée a travaillé au domicile genevois et pour le ménage des époux. Il lui arrivait par ailleurs de travailler « au service » de la mère de la recourante à Paris.

L'intimé a considéré la recourante comme une employeuse à la lumière de ses propres constatations. Cette qualification est rendue vraisemblable à l'examen des éléments du dossier. Il ressort en effet des échanges de messages WhatsApp entre l'agence de placement O______ (ci‑après : l'agence) et l'employée que cette dernière a été reçue en entretien et recrutée par la recourante. C'est également à celle-ci que l'agence a envoyé le projet de contrat de travail. La recourante, après avoir « vérifi[é] auprès de son avocat plusieurs points », a répondu à l'employée le 5 décembre 2022 : « nous vous embaucherons et vous commencerez le 15 décembre. Si vous êtes très motivée à travailler pour nous alors vous travaillerez pour nous ». Elle lui a envoyé son contrat le lendemain, en la priant de le lui remettre signé.

La recourante ne peut être suivie lorsqu'elle allègue qu'elle n'avait pas connaissance des modalités de rémunération de l'employée et que son époux gérait seul « l'ensemble des aspects administratifs et financiers ». On peut citer, par exemple, un message WhatsApp du 28 août 2022 par lequel la recourante a établi un « [d]écompte » de EUR 1'200.- en faveur de l'employée, pour plusieurs journées de travail ainsi que des frais liés au train et aux péages. Le 6 septembre 2022, elle lui a proposé un forfait de EUR 300.- par jour pour un travail « live-in ». En outre, lorsque l'employée lui a posé des questions le 3 décembre 2022 sur le salaire prévu dans son contrat de travail, elle lui a répondu qu'elle lui verserait sur son compte EUR 2'539.70 et lui donnerait en espèces EUR 1'460.30. Le 24 décembre 2022, l'employée lui a transmis ses coordonnées bancaires. Après que la recourante eut payé une séance de gymnastique le 18 avril 2023, alors que sa fille n'y était pas allée, elle a organisé un « [d]ébrief » pour reparler de l'incident et prévenu l'employée qu'elle « déduirai[t] la séance non honorée de [son] salaire » la prochaine fois. Un message WhatsApp du 12 juin 2023 confirme que la recourante a discuté avec l'employée de calculs en lien avec le prélèvement de l'impôt à la source sur son salaire mensuel. Dans un courriel à l'employée du 25 août 2023, elle a indiqué être « en contact avec Chèque Service pour le calcul de [son] solde de tout compte ». Enfin, l'employée a informé Chèque Service le 13 novembre 2023 qu'elle avait reçu un certificat de salaire qui lui avait été transmis par la recourante.

De surcroît, les nombreux échanges WhatsApp entre la recourante et l'employée versés au dossier démontrent que le travail de la seconde était organisé en fonction des instructions de la première. Celle-ci échangeait quotidiennement avec l'employée afin d'organiser les journées de ses enfants et de contrôler la bonne exécution des tâches. Il existait des groupes WhatsApp intitulés « Nannies's C______ » ou « D______'s Diary », créés par la recourante pour « faciliter les échanges » avec les employées de maison – dans lesquels elle n'avait d'ailleurs pas ajouté son époux. L'employée devait la prévenir de tout problème concernant les enfants et ajuster ses horaires de travail en fonction de la prise en charge de ceux‑ci, conformément à sa demande. La recourante définissait ses tâches, comme l'illustre un message WhatsApp du 1er décembre 2022 : « Il vous incombe dans votre fonction d'être toujours alert[e] et de vérifier régulièrement la bonne taille : - des vêtements - des souliers (très important) Etc. […] Ce n'est pas à moi de le faire ». C'est également elle qui accordait à l'employée ses vacances et congés.

Quoi qu'en dise la recourante, il apparaît que l'employée elle-même la considérait comme son employeuse. Ainsi, elle racontait à l'agence le 14 août 2023 : « je termine à 8h mon contrat avec [M]adame A______ ». L'agence lui rappelait par ailleurs que les questions liées aux salaires et aux déclarations relevaient directement de sa relation avec son employeuse, « qui [était] Madame A______ ».

Dans ce contexte, le seul fait que le salaire soit versé sur le compte bancaire de l'employée depuis le compte bancaire de l'époux ne saurait suffire à considérer que ce dernier était son employeur exclusif. À l'exception de cet aspect, l'ensemble de la relation de travail était dirigé par la recourante. Par un message WhatsApp du 29 mars 2023, celle-ci l'a même mise en garde contre l'éventuelle résiliation de son contrat de travail dans les termes suivants, après qu'elle eut découvert que l'employée avait emprunté de l'argent en espèces pour des besoins personnels : « Sachez que je préfère que vous me demandiez et vous seriez très agréablement surprise de mon retour. Par contre, si je découvre [quoi que] ce soit de préjudiciable même infime. Je prendrai une décision radicale […] point de non[-]retour ».

Enfin, la recourante soutient avoir agi tout au plus en qualité d'intermédiaire ou de « porte-parole » de son époux. Or, il ne ressort pas du dossier qu'elle n'aurait fait que transmettre les instructions de celui-ci. Force est de constater, au contraire, qu'elle avait un pouvoir de décision au moins aussi important que lui.

Au vu de ce qui précède, vu le lien de subordination liant la recourante et l'employée, la première agissait bel et bien en qualité d'employeuse de la seconde. C'est dès lors à juste titre que l'intimé lui a également adressé la décision querellée. Partant, ce grief sera écarté.

Pour le surplus, le fait que la recourante se trouvait déjà, selon elle, dans une situation de précarité, sans aucun revenu, et devait s'occuper de ses deux enfants en bas âge en raison de la mise en détention provisoire de son époux ne change rien aux constats qui précèdent, et donc à sa qualité d'employeuse, étant relevé que la recourante ne conteste pas le montant de l'amende qui lui a été infligée. Elle qualifie les conséquences économiques de la décision querellée de « funestes » pour elle, mais ne les démontre pas. La résiliation du bail du grand appartement de huit pièces dans lequel la famille logeait, en particulier, ne prouve pas encore son allégation selon laquelle cette amende de CHF 5'000.- prononcée à l'encontre des époux « mett[rait] en danger [son] minimum vital ».

Mal fondé, le recours sera rejeté.

3.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 novembre 2024 par A______ contre la décision de l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail du 17 octobre 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jamil SOUSSI, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :