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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3813/2022

ATA/538/2025 du 13.05.2025 sur JTAPI/887/2023 ( ICCIFD ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3813/2022-ICCIFD ATA/538/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 mai 2025

4ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Lionel DELGADO, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 août 2023 (JTAPI/887/2023)


EN FAIT

A. a. Le 14 mars 2018, A______ a vendu à la commune d’Anières son immeuble d’une surface totale de 1'105 m2, comprenant deux logements, sis sur la parcelle n° 5'380 de cette commune.

À teneur de l’acte de vente, elle a été mise au bénéfice du droit d'habitation dans l’immeuble jusqu'à son décès ou son admission définitive dans un établissement médico-social. Le prix de vente convenu (CHF 2'279'000.-) tenant compte de ce droit, la contribuable ne devait verser aucune rente pour l’exercer. Les parties s’étaient « renseignées, chacune de leur côté, sur les conséquences fiscales du présent acte ». La commune s'était engagée formellement à prendre en charge tous les impôts liés à l'immeuble dès le jour de la signature de l’acte, y compris l’impôt immobilier complémentaire de l’année fiscale en cours.

B. a. Le 7 septembre 2022, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) a notifié les bordereaux et avis de taxation de l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) et des impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) pour 2021.

Elle a pris en compte la valeur dudit immeuble, à hauteur de son prix de vente, pour fixer l’impôt immobilier complémentaire, l’impôt sur la fortune et celui sur le revenu (valeur locative).

b. Par décisions du 11 octobre 2022, l’AFC a rejeté les réclamations de la contribuable et maintenu les taxations IFD et ICC de 2021.

Les éléments de fortune et de revenus liés à son immeuble ne devaient pas être supprimés. Comme elle était au bénéfice d’un droit d’habitation au sens de l’art. 776 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), les règles de l’usufruit étaient applicables au droit d’habitation. Elle était responsable des impôts afférents audit droit d’habitation, en application des art. 24 al. 1 let. a et 48 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08). Les conditions mentionnées dans l’acte de vente n’étaient pas opposables à l’AFC.

c. Par jugement du 21 août 2023, le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) a rejeté le recours de la contribuable contre ces décisions.

Compte tenu de la jurisprudence cantonale et des normes fiscales applicables, la contribuable, titulaire de l’entier du droit d’habitation de l’immeuble, devait acquitter la totalité de l’impôt sur la valeur locative et sur la fortune y relatives, le bénéficiaire d’un droit d’habitation étant imposable au même titre que l’usufruitier. L’accord contraire des parties cocontractantes audit acte de vente ne pouvait pas prévaloir sur les dispositions impératives du droit fiscal. Cet engagement ne la libérait pas des impôts en cause, la jurisprudence cantonale ayant confirmé le principe selon lequel le bénéficiaire du droit d’habitation était imposé sur la totalité du bien grevé de son droit, nonobstant l’absence de clause expresse de prise en charge des impôts par la bénéficiaire du droit d’habitation.

C. a. Par acte expédié le 22 septembre 2023, la contribuable a formé recours contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à son annulation et, préalablement, à la suspension de la cause jusqu’à droit jugé dans une autre cause pendante devant le Tribunal fédéral (cause 9C_305/2023). Elle a conclu principalement à l’annulation de la taxation ICC sur le revenu et la fortune et à celle de la taxation IFD sur le revenu, en lien avec le droit d’habitation dont elle était titulaire, et subsidiairement au renvoi de la cause à l’AFC pour nouvelle décision.

Elle critiquait la confirmation par le TAPI de la pratique de l’AFC sur le traitement fiscal du droit d’habitation, son raisonnement conduisant en outre à une violation du principe d’égalité de traitement, notamment sous l’angle de l’imposition selon la capacité contributive. L’affaire pendante devant le Tribunal fédéral portait sur la même question de fond, soit celle de savoir si c’était au bénéficiaire du droit d’habitation ou au propriétaire du bien immobilier grevé dudit droit de devoir s’acquitter de l’impôt sur le revenu s’agissant de la valeur locative et de l’impôt sur la fortune s’agissant de la valeur fiscale de l’immeuble grevé du droit d’habitation.

b. L’AFC a accepté la suspension de la procédure sollicitée par la recourante et s’est réservée le droit de répondre sur le fond du recours après le prononcé de l’arrêt fédéral attendu.

c. La procédure devant la chambre administrative a été suspendue par décision du 30 octobre 2023 (ATA/1163/2023) jusqu’au 4 novembre 2024.

d. Le 10 octobre 2024, le Tribunal fédéral a rendu son arrêt dans la cause 9C_305/2023.

Il a admis le recours, annulé l’arrêt cantonal et renvoyé la cause à l’AFC pour qu’elle notifie un nouveau bordereau de taxation n’incluant pas dans la fortune l’immeuble pour lequel était constitué un droit d’habitation et ne prévoyant pas d’impôt immobilier complémentaire à charge de la contribuable concernée dans cette affaire en lien avec l’immeuble (consid. 9).

e. L’AFC a persisté partiellement dans ses décisions sur réclamation et conclu à l’admission partielle du recours s’agissant de l’impôt sur la fortune (ICC) uniquement et à son rejet pour le surplus.

Elle a accepté, à la suite de cet arrêt fédéral, de modifier la décision sur réclamation concernant l’ICC de 2021 en ce sens que l’immeuble ne devait plus être imposé dans la fortune de la recourante, étant donné qu’elle était bénéficiaire d’un droit d’habitation sur l’immeuble. En effet, le Tribunal fédéral avait jugé que le droit d’habitation ne devait pas être traité de manière analogue à un usufruit en matière d’impôt sur la fortune s’agissant de l’art. 13 al. 2 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) ; l’immeuble ne devait pas être attribué fiscalement au détenteur du droit d’habitation concernant l’imposition de la fortune. L’AFC a ainsi uniquement admis d’enlever la valeur du bien immobilier de la fortune imposable de la contribuable en ICC pour l’année litigieuse.

Une solution différente s’imposait en matière d’imposition sur le revenu s’agissant de la valeur locative, conduisant sur ce point au rejet du recours. L’arrêt susmentionné du Tribunal fédéral rappelait qu’en matière d’impôt sur le revenu, lorsqu’un immeuble était aliéné avec constitution simultanée d’un droit de jouissance en faveur de l’aliénateur, le droit de jouissance était réputé avoir été octroyé à titre gratuit, ce qui avait pour conséquence que c’était le titulaire de ce droit de jouissance qui était imposé sur la valeur locative de l’immeuble en vertu de l’art. 21 al. 1 let. b de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), qui a la même teneur que l’art. 24 al. 1 let. b LIPP. Le Tribunal fédéral précisait que l’art. 21 al. 1 let. b LIFD visait de manière générale tout « droit de jouissance obtenu à titre gratuit » et n’était pas limitée, comme l’art. 13 al. 2 LHID, au seul usufruit. Les enjeux de ces deux normes fédérales n’étaient pas les mêmes, puisqu’il s’agissait, dans le premier cas, de savoir à qui attribuer la valeur locative d’un immeuble, ce qui était une problématique d’impôt sur le revenu et, dans le second cas, de savoir à qui attribuer la valeur représentée par l’immeuble dans le cadre de l’impôt sur la fortune (consid. 7.4).

f. La recourante s’est ensuite déterminée et a conclu à l’annulation du jugement querellé, au renvoi de la cause à l’AFC pour nouvelle décision, à ce qu’il soit dit qu’elle ne devait pas être imposée s’agissant de l’ICC sur la fortune et de l’impôt immobilier complémentaire en lien avec le droit d’habitation et à ce qu’une partie des frais et des dépens, dont une indemnité équitable à titre de participation aux honoraires d’avocat, soit supportée par l’AFC.

L’immeuble devait être attribué à son propriétaire s’agissant de l’impôt sur la fortune, et non au titulaire du droit d’habitation, compte tenu de l’arrêt précité du Tribunal fédéral. En revanche, en ce qui concernait l’impôt sur le revenu et dans la mesure où elle avait obtenu le droit d’habitation simultanément à la vente de l’immeuble, la valeur locative restait imposée dans son chef s’agissant de l’impôt sur le revenu ICC et IFD. Par ailleurs, l’impôt immobilier complémentaire devait être mis à la charge du propriétaire, et non du titulaire du droit d’habitation. Les taxations ICC et IFD devaient donc être corrigées, la valeur de l’immeuble ne devant être prise en compte ni pour l’impôt sur la fortune ni pour l’impôt immobilier complémentaire.

g. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Vu les circonstances susmentionnées, il convient d’identifier l’objet du litige.

2.1 L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/1301/2020 du 15 décembre 2020 consid. 2b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/1301/2020 précité consid. 2b).

2.2 Compte tenu des écritures des parties postérieures à l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_305/2023 précité, la chambre administrative constate ce qui suit.

D’une part, les parties s’accordent sur le fait de modifier la taxation ICC de 2021 de la recourante sous l’angle de l’impôt sur la fortune et de l’impôt immobilier complémentaire, en ce sens que la valeur de l’immeuble grevé du droit d’habitation n’est pas prise en compte dans la taxation de la recourante, titulaire du droit d’habitation, mais qu’elle est exclusivement imposable auprès du nouveau propriétaire dudit immeuble. Cette approche est conforme à l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_305/2023 précité auquel il est expressément renvoyé.

D’autre part et sous l’angle de l’impôt ICC et IFD sur le revenu, la recourante réduit ses conclusions dans sa dernière écriture consécutive audit arrêt fédéral et à la détermination de l’AFC, en ce sens qu’elle ne remet plus en cause le fait d’être imposée sur la valeur locative liée à l’immeuble qu’elle occupe en vertu du droit d’habitation. Cela a pour conséquence de réduire l’objet du litige qui ne porte plus que sur l’ICC de 2021, sous l’angle de l’impôt sur la fortune et de l’impôt immobilier complémentaire.

Dans ces circonstances et compte tenu de l’effet dévolutif du recours (art. 67 al. 1 LPA), la chambre administrative, liée par les conclusions des parties (art. 69 al. 1 phr. 1 LPA), annule partiellement le jugement querellé en tant qu’il porte sur l’impôt ICC sur la fortune et l’impôt immobilier complémentaire, ainsi que les décisions de taxation y relatives, et renvoie la présente cause à l’AFC pour nouvelle décision dans le sens du présent considérant.

Le recours doit donc être admis.

3.             Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante qui, représentée par un conseil, obtient gain de cause sur ses dernières conclusions, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 septembre 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 août 2023 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 août 2023 en tant qu’il concerne les impôts cantonaux et communaux de 2021 et qu’il porte sur l’impôt sur la fortune et l’impôt immobilier complémentaire, et le confirme pour le surplus ;

annule les décisions de taxation de l’administration fiscale cantonale relatives aux impôts cantonaux et communaux de 2021 en tant qu’elles portent sur l’impôt sur la fortune et l’impôt immobilier complémentaire ;

renvoie la cause à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à A______, à la charge de l’État de Genève (administration fiscale cantonale) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la demanderesse, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Lionel DELGADO, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :