Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1279/2024 du 31.10.2024 ( MARPU ) , REFUSE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3252/2024-MARPU ATA/1279/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Décision du 31 octobre 2024 sur effet suspensif |
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dans la cause
A______ SA recourante
représentée par Me Stéphane Grodecki, avocat
contre
DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES DE L'ÉTAT intimée
Attendu, en fait, que :
A. a. A______ SA, avec siège à B______, est une société active dans les domaines de la sûreté, de la surveillance et de la prévention.
b. Le 27 août 2024, l’État de Genève, soit pour lui la centrale commune d’achats (ci-après : la CCA) a publié sur la plateforme www.simap.ch un appel d'offres public pour des prestations de sécurité, d’accueil et de surveillance 2024.
Le marché était divisé en trois lots de prestations, à savoir la direction du service de protection de l’adulte (ci-après : SPAd) du département de la cohésion sociale ; le service de probation et d’insertion de l’office cantonal de la détention du département des institutions et du numérique (ci-après : DIN) et le centre cantonal de biométrie de l’office cantonal de la population et des migrations du DIN.
L’appel d’offre précisait sous « conditions de participation » que, sous peine d’élimination de l’offre, les attestations justifiant que la couverture du personnel en matière d’assurances sociales, soit les attestations AVS/AI/AC/APG, attestations LAA et attestations LPP, devaient se trouver dans l’offre au moment de son dépôt.
c. Trois soumissionnaires, dont A______ SA, ont déposé des offres.
d. Par décision du 2 octobre 2024, la direction générale des finances de l’État de Genève (ci-après : direction générale) a éliminé l’offre de A______ SA, au motif que les attestations LAA et LPP n’avaient pas été produites dans l’offre au moment de son dépôt.
B. a. Par acte du 3 octobre 2024, A______ SA a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à sa réintégration dans le processus de sélection.
L’absence des deux attestations dans le dossier de soumission résultait d’un oubli, dû à une maladresse lors de la préparation du dossier. Ces attestations étaient bien en leur possession. Les prestations d’accueil et de sécurité pour l’État de Genève représentait une grande importance. Elle avait dédié beaucoup de temps à « peaufiner » l’élaboration de l’offre, qui reflétait à la fois ses compétences et moyens, et sa volonté de devenir partenaire de confiance en matière de sécurité.
Elle a produit les deux attestations manquantes, soit l’attestation LAA datée du 15 février 2024 et l’attestation LPP datée du 23 août 2024.
b. Le 11 octobre 2024, A______ SA, représentée par un mandataire nouvellement constitué, a invité la chambre administrative, sur mesures superprovisionnelles, à interdire au département, à la direction générale et à la CCA de poursuivre la procédure d’appel d’offres et à accorder l’effet suspensif au recours. Au fond, elle a conclu à l’annulation de la décision entreprise et à ce qu’elle soit autorisée à produire les attestations LPP et LAA existantes au moment du dépôt de l’offre.
Les chances de succès du recours étaient prima facie importantes eu égard à l’interdiction du formalisme excessif et à la jurisprudence et la doctrine en matière d’erreur évidente et d’offre incomplète. Aucun intérêt public ne justifiait que la procédure d’appel d’offres se poursuive dans l’immédiat, avant droit connu sur le fond. Son intérêt privé apparaissait prépondérant. Le refus d’accorder l’effet suspensif aurait pour conséquence de vider le recours de sa substance dès lors que le processus d’adjudication continuerait sans elle.
Selon la doctrine et la jurisprudence, une exclusion était disproportionnée s’il ne manquait que des attestations. L’absence dans un dossier de soumission des attestations relatives aux cotisations sociales n’était pas rédhibitoire. Il ne s’agissait pas de règles essentielles de procédure, une évaluation sérieuse de l’offre apparaissant possible malgré le vice. Une exclusion ne s’imposait nullement, ce d’autant moins qu’elle n’avait pas été invitée à réparer le vice. L’absence des deux attestations dans le dossier de soumission résultait d’une « erreur évidente de manipulation ». Elle était en possession d’une attestation d’affiliation LAA datée du 15 février 2024 et d’une attestation d’affiliation pour le 2e pilier datée du 23 août 2024.
c. Par observations sur effet suspensif du 24 octobre 2024, la direction générale a conclu au rejet de la requête en restitution de l’effet suspensif au recours.
La recourante reconnaissait avoir omis de produire les deux attestations. Or, l’art. 32 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01) imposait à l’autorité adjudicatrice de ne prendre en considération que les offres accompagnées de tous les documents obligatoires. Son attestation avait expressément été attirée sur l’obligation de produire ces attestations et sur les conséquences de leur absence. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en particulier l’arrêt 2C_197/2010, l’interdiction du formalisme excessif n’obligeait pas l’autorité adjudicatrice à interpeller un soumissionnaire en présence d’une offre défaillante. Elle était donc non seulement fondée à prendre cette décision d’exclusion, mais elle ne pouvait pas prendre une autre décision, sous peine de contrevenir au droit et au principe de l’égalité de traitement entre soumissionnaires. Le recours n’avait ainsi aucune chance de succès.
Il n’était pas admissible de retarder le début des prestations. Le contrat conclu pour le SPAd venait à échéance le 31 octobre 2024. L’intérêt public à l’acquisition de ces prestations pour des motifs de sécurité publique primait sur l’intérêt privé de la recourante de voir son élimination invalidée.
d. Par réplique sur effet suspensif, la recourante a persisté dans sa demande d’octroi de l’effet suspensif.
Selon la doctrine et la jurisprudence postérieure à l’arrêt cité par l’intimée, l’autorité adjudicatrice devait proposer de remédier aux lacunes. Il convenait ainsi d’apprécier, prima facie, positivement les chances de succès du recours au regard des griefs d’interdiction du formalisme excessif et de la violation du principe de la proportionnalité.
e. Sur quoi, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.
Considérant, en droit, que :
1. Le recours, interjeté en temps utile devant l'autorité compétente, est prima facie recevable de ces points de vue, en application des art. 15 al. 2 de l'Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05),
3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0) et 56 al. 1 RMP.
2.
2.1 Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n'a pas d'effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l'autorité de recours peut, d'office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose.
L'examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l'effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d'emblée à justifier l'octroi d'une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/1170/2020 du 19 novembre 2020 consid. 3 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, Zurich 2010, pp. 311-341, p. 317 n. 15).
L'octroi de l'effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics (arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 5.2), et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu'avec restriction (ATA/1170/2020 précité consid. 3).
2.2 L'AIMP a pour objectif l'ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l'accord GATT/OMC ainsi que de l'accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l'égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l'impartialité de l'adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l'utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 let. a et b AIMP).
2.3 Aux termes de l'art. 32 RMP, intitulé « Conditions de participation », ne sont prises en considération que les offres accompagnées, pour le soumissionnaire et ses sous-traitants, des attestations justifiant que la couverture du personnel en matière d'assurances sociales est assurée conformément à la législation en vigueur au siège du soumissionnaire et que ce dernier est à jour avec le paiement de ses cotisations (al. 1 let. a). Pour être valables, les attestations visées à l'al. 1 ne doivent pas être antérieures de plus de trois mois à la date fixée pour leur production, sauf dans les cas où elles ont, par leur contenu, une durée de validité supérieure (al. 3).
En vertu de l'art. 42 RMP, l’offre est écartée d'office lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive, incomplète ou non-conforme aux exigences ou au cahier des charges (al. 1 let. a). Les offres écartées ne sont pas évaluées. L'autorité adjudicatrice rend une décision d'exclusion motivée, notifiée par courrier à l'intéressé, avec mention des voies de recours (al. 3).
2.4 Le droit des marchés publics est formaliste, ce que la chambre administrative a rappelé à plusieurs reprises (ATA/1200/2024 du 15 octobre 2024 consid. 3.3 ; ATA/349/2023 du 4 avril 2023 consid. 3.2.1 ; ATA/1208/2020 du 1er décembre 2020 consid. 5 ; ATA/243/2020 du 3 mars 2020 consid. 4d ; ATA/970/2019 du 4 juin 2019 et les références citées). L'autorité adjudicatrice doit procéder à l'examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme, qui permet de protéger notamment le principe d'intangibilité des offres remises et le respect du principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires, dans la phase d'examen de la recevabilité des offres et de leur évaluation (ATA/102/2010 du 16 février 2010, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2010 du 30 avril 2010 consid. 6.4).
Le principe d’intangibilité des offres, qui interdit la modification de celles-ci après l’échéance du délai fixé pour leur dépôt, découle de l’art. 11 let. c AIMP qui proscrit les négociations entre l’entité adjudicatrice et les soumissionnaires. Il est également lié à la nécessité d’assurer l’égalité de traitement entre soumissionnaires (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2010 précité consid. 6.1). Toutefois, l'autorité adjudicatrice est en droit de rectifier d'office les erreurs évidentes de calcul et d'écriture (art. 39 al. 2 RMP). En outre, elle peut demander aux soumissionnaires des explications relatives à leur aptitude et à leur offre (art. 40 al. 1 RMP). Néanmoins, elle ne saurait par ce biais porter atteinte aux principes d'intangibilité des offres et d'égalité de traitement entre soumissionnaires qui limitent le droit de procéder à des corrections ou requêtes de précisions après le dépôt des offres (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2010 précité ; ATA/871/2023 du 22 août 2023 consid. 3.4 et les références citées).
3. En l’espèce, la recourante ne conteste pas que son offre ne contenait pas les deux attestations requises par l’appel d’offres. Invoquant la doctrine et la jurisprudence récente, selon lesquelles l’absence dans un dossier de soumission d’attestations relatives aux cotisations sociales ne concerne pas des règles essentielles de procédure, elle fait valoir que son exclusion serait disproportionnée. L’adjudicateur aurait dû lui proposer de remédier à cette lacune « de pure forme ». Ainsi, au regard des griefs d’interdiction de formalisme excessif et de violation du principe de proportionnalité, son recours présenterait prima facie de bonnes chances de succès.
Ce raisonnement ne saurait être suivi. Certes, dans sa jurisprudence récente, le Tribunal fédéral a retenu à plusieurs reprises que lorsque les manquements du soumissionnaire aux exigences d'aptitude ne sont que légers, il serait disproportionné de l'exclure de la procédure d'adjudication (ATF 145 II 249 consid. 3.3 ; ATF 143 I 177 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_6/2020 du 20 novembre 2020 ; 2C_58/2018 du 29 juin 2018 consid. 5.3). Il a également relevé que les cantons avaient tendance à fixer aux soumissionnaires un délai supplémentaire pour produire ou corriger les attestations défaillantes (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2010 du 30 avril 2010 consid. 6.3; 2D_50/2009 du 25 février 2010 consid. 2.4 et les arrêts et la doctrine cités). Il a toutefois exclu de cette tendance le canton de Genève, qui avait sur ce point développé une jurisprudence sévère en excluant les offres incomplètes ou contenant des attestations périmées. Aussi, dans un arrêt 2C_418/2014 du 20 août 2014 concernant le canton de Genève, le Tribunal fédéral a-t-il confirmé l’exclusion de l’offre d’une soumissionnaire, au motif qu’elle n’était pas accompagnée de l’attestation fiscale pourtant requise par l’art. 32 al. 1 let. c RMP. Il a notamment considéré que le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas se prononcer sur une condition de participation essentielle en se fondant uniquement sur le dossier remis par la recourante conformément au principe d'intangibilité de l'offre (consid. 4.2). Dans sa jurisprudence récente, la chambre administrative a maintenu sa pratique consistant à confirmer l’exclusion de l’offres de soumissionnaires en raison d’attestations manquantes (soit, en l’occurrence, les attestations LAA ou LPP) ou obsolètes (ATA/1090/2024 du 17 septembre 2024 consid. 3 ; ATA/1273/2023 du 28 novembre 2023 consid. 7 ; ATA/354/2021 du 23 mars 2021 consid. 7 ; ATA/1208/2020 du 1er décembre 2020). Or, et sans préjudice de l’examen au fond, la présente espèce présente la même configuration que les affaires précitées. Dans ces conditions, on ne saurait considérer que les chances de succès apparaissent prima facie évidentes.
Certes, l’intérêt privé de la recourante à sa réintégration immédiate dans le processus d’adjudication est important. Or, octroyer l’effet suspensif au recours reviendrait de fait à lui accorder un délai supplémentaire pour compléter son dossier, au mépris du principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires. Il existe en ce sens un intérêt public important, qui prime celui de la recourante, à ce que la décision soit immédiatement exécutoire.
Il appert ainsi qu’en l'état, les griefs formulés par la recourante n'apparaissent pas suffisamment fondés pour déroger au principe de l’absence d’effet suspensif, applicable aux recours en matière de marchés publics.
4. La demande d’octroi de l’effet suspensif sera dès lors refusée.
5. Le sort des frais est réservé jusqu’à droit jugé au fond.
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
refuse d’octroyer l’effet suspensif au recours ;
dit qu’il sera statué sur les frais de la présente décision avec l’arrêt au fond ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;
- par la voie du recours en matière de droit public :
si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;
si elle soulève une question juridique de principe ;
- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;
le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Stéphane GRODECKI, avocat de la recourante ainsi qu'à la direction générale des finances de l'État.
Le président :
C. MASCOTTO
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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