Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1085/2024 du 11.09.2024 ( MARPU ) , ACCORDE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE A/2287/2024-MARPU ATA/1085/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Décision du 11 septembre 2024 sur effet suspensif et mesures provisionnelles
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dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Robert HENSLER, avocat
contre
HOSPICE GÉNÉRAL intimé
représenté par Me Bertrand REICH, avocat
Attendu, en fait, que :
1. L’Hospice général, institution genevoise d’action sociale (ci-après : l’hospice ou l’autorité adjudicatrice) est un établissement public autonome de droit public (art. 214 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 [Cst‑GE ‑ A 2 00]) chargé de l’aide sociale, notamment l’aide financière, l’accompagnement et la réinsertion (art. 214 al. 2 Cst-GE). Il est également chargé des tâches d’assistance qui incombent au canton de Genève en vertu de la législation fédérale sur l’asile (art. 3 al. 3 de la loi sur l’Hospice général du 17 mars 2006 [LHG - J 4 07]). À ce titre, il assure la prise en charge des requérants d’asile et des personnes admises provisoirement en Suisse.
2. A______ (ci-après : A______) est une société de droit suisse ayant son siège dans le canton de Berne, active dans la prestation de services de surveillance, d’ordre et de contrôle. Elle dispose d’une succursale à Genève.
3. Le 26 janvier 2024, l’hospice a publié sur la plateforme SIMAP un appel d’offres en procédure ouverte, soumis aux accords internationaux, portant sur la conclusion d’un contrat-cadre pour la surveillance et la sécurité des centres d’hébergement et autres sites (centres d’action sociale, centre pour aînés et administratif). Ledit contrat devait être conclu pour une durée de quatre ans, du 1er novembre 2024 au 31 octobre 2028, une reconduction d’une année étant ensuite possible. Le marché n’était pas divisé en lots et les variantes ou offres partielles n’étaient pas admises.
Il était attendu de l’adjudicataire qu’il mette à disposition, sur différents sites utilisés par l’hospice, le personnel non armé nécessaire pour assurer la gestion de la surveillance et de la sécurité, de manière à renforcer de façon pérenne la sécurité des bénéficiaires et des collaborateurs (§ 3 du cahier des charges). Les prestations à fournir comprenaient ainsi la prévention et la lutte contre l’incendie, l’assistance et le secours aux personnes, la prévention et la lutte contre la malveillance et le désordre et la gestion des alarmes techniques (§2.1 du cahier des charges).
4. Le cahier des charges de l’appel d’offres indiquait à son § 2.2 (estimation de la taille du marché) qu’en raison de la crise migratoire consécutive à la guerre en Ukraine le volume d’heures prestées pour ces missions de surveillance et de sécurité avait augmenté en 2023, atteignant environ 460'000 heures (représentant un montant de l’ordre de CHF 23'000'000.-) par rapport à 150'000 heures en temps normal. Il était précisé que cette estimation n’avait qu’une valeur purement indicative et dépendrait de l’acceptation des budgets et des besoins du service de la sécurité humaine et prévention incendie de l’hospice (ci-après : le SHPI), qui se donnait le droit de la revoir à tout moment.
Il résulte pour le surplus de l’onglet « importance du marché » du cahier de réponse à l’appel d’offres que l’hospice a estimé à 604'516 le nombre d’heures de travail annuelles nécessaires à la couverture du marché. Sur cette base, il a estimé à CHF 30'357'108.- le coût des prestations, montant ne figurant pas dans les documents de l’appel d’offres et n’ayant pas été communiqué d’une autre manière aux entreprises potentiellement intéressées.
Le § 21 du cahier des charges indiquait que le contrat cadre qui serait conclu avec l’adjudicataire pourrait être résilié en tout temps par chacune des parties moyennant l’observation d’un préavis de trois mois pour la fin d’un mois.
5. Les critères et sous-critères d’adjudication, ainsi que leur pondération, sont énumérés sous chiffre 4.6 du dossier d’appel d’offres. Il s’agit, par ordre d’importance, de la qualité du soumissionnaire à hauteur de 50% (comprenant le système de reporting [30%], la formation des agents [50%], les références clients [10%] et le développement durable [10%]), du prix proposé à hauteur de 30% (comprenant le tarif horaire par agent de jour et de nuit [60%], le tarif horaire patrouille [10%], le tarif horaire encadrement [20%] et le tarif horaire chargé de sécurité [10%]) et de l’expérience générale et de la qualification des ressources à hauteur de 20% (comprenant l’expérience du soumissionnaire [50%] et la qualité des personnes clés [50%]).
6. Dans le délai au 26 avril 2024 à 16h00 fixé à cet effet, quatre offres recevables ont été déposées, parmi lesquelles celle de A______. Les montants de base des offres s’élevaient, en ordre croissant, à respectivement CHF 32'983'582.54, CHF 33'207'569.32 (A______), CHF 33'273'612.38 et CHF 35'535'938.84.
7. Par décision publiée le 25 juin 2024 sur la plate-forme SIMAP, l’hospice a interrompu l’appel d’offres, indiquant sous la rubrique 3 « raisons » que « d) les offres présentées ne permettent pas une acquisition économique ou dépassent nettement le budget » et, sous la rubrique 4 « remarques », que « conformément à l’alinéa d) toutes les offres dépassent le montant du budget prévu ou octroyé pour le marché ». Il a en outre indiqué qu’un nouvel appel d’offres serait lancé en 2025 pour le marché.
8. Le 5 juillet 2024, A______ a formé auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) un recours contre la décision du 25 juin 2024, concluant, sur le fond, à son annulation et au renvoi de la cause à l’hospice pour nouvelle décision. À titre préalable, elle a requis que l’effet suspensif soit octroyé au recours, à ce qu’il soit fait interdiction à l’hospice de publier ou de faire publier un nouvel appel d’offres ayant pour objet ou comprenant les prestations de surveillance et de sécurité des centres d’hébergement pour migrants et autres sites (centre d’action sociale, centre pour aînés et administratif), à ce qu’il lui soit fait interdiction d’entreprendre toutes démarches tendant à la préparation d’un nouvel appel d’offres concernant lesdites prestations, et à ce qu’il lui soit ordonné d’interrompre toutes démarches entreprises par ses propres agents ou par un ou plusieurs de ses mandataires tendant à la préparation d’un tel appel d’offres, le tout sous la menace des peines prévues par l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).
La motivation de la décision contestée, en ce qu’elle se bornait à se référer à un budget jamais mentionné jusqu’alors et dont on ne savait s’il avait été prévu ou octroyé, était insuffisante. Son droit d’être entendue avait en conséquence été violé.
L’interruption de la procédure d’appels d’offres ne reposait sur aucun juste motif au sens des art. 13 let. i de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05) et 47 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01). Le juste motif prévu par l’art. 47 al. 1 let. d RMP n’était en particulier pas réalisé dès lors que le contrat cadre devant être conclu avec l’adjudicataire ne comportait aucun nombre d’heures minimal et était résiliable à court terme. À cela s’ajoutait que les tarifs horaires étaient similaires à ceux payés par l’hospice les années précédentes.
La décision d’interruption de la procédure de marché public violait également les principes de la bonne foi et de la proportionnalité.
L’octroi de l’effet suspensif au recours et le prononcé des mesures provisionnelles sollicitées, auquel aucun intérêt public ne faisait obstacle, étaient nécessaires afin d’éviter que l’autorité intimée ne lance, sans attendre l’issue de la présente procédure, un nouvel appel d’offres comprenant les mêmes prestations, permettant ainsi à d’autres soumissionnaires de présenter de nouvelles offres et la privant ainsi d’une adjudication en sa faveur.
9. Dans sa réponse sur requête d’effet suspensif et de mesures provisionnelles, l’hospice a conclu à son rejet.
L’interruption de la procédure, intervenue alors que l’analyse des offres déposées n’était pas finalisée, reposait sur un double motif. D’une part, le montant de toutes les offres déposées excédait de CHF 3 à 3.5 millions le montant raisonnablement estimé par l’autorité adjudicatrice. D’autre part, une procédure pénale engagée contre un ancien coordinateur incendie de l’hospice, dans le cadre de laquelle celui-ci avait été reconnu coupable d’homicide et de lésions corporelles par négligence en relation avec un incendie survenu en 2014 dans un foyer pour migrants aux Tattes, avait trouvé son épilogue cantonal avec le prononcé par la Chambre pénale d’appel et de recours d’un arrêt du 23 mai 2024, pouvant encore être contesté devant le Tribunal fédéral ; or l’hospice souhaitait pouvoir analyser les conséquences de ladite procédure pénale sur le plan de la sécurité incendie, et donc des prestations attendues des entreprises prestataires en la matière.
Bien qu’il n’entende pas publier un nouvel appel d’offres portant sur le même marché jusqu’à droit connu sur le recours, l’hospice s’opposait à ce qu’une interdiction inconditionnelle, généralisée et non limitée dans le temps lui en soit faite. Les autres mesures provisionnelles sollicitées n’avaient pour leur part pas lieu d’être, l’hospice devant au contraire pouvoir préparer un éventuel nouvel appel d’offres et le recourant n’en subissant aucun désavantage.
L’absence de perspectives de succès du recours faisait obstacle à l’octroi de l’effet suspensif : il existait en effet de justes motifs d’interruption et, en choisissant d’interrompre la procédure, il n’avait pas abusé de son large pouvoir d’appréciation. L’intérêt public à une bonne gestion des deniers de l’état et son propre intérêt privé à pouvoir arrêter les travaux d’analyse des offres déposées l’emportait en outre sur un éventuel intérêt privé de la recourante à une continuation de la procédure d’adjudication, étant précisé qu’en l’état son offre n’était pas celle présentant le meilleur rapport qualité/prix. L’octroi de l’effet suspensif la contraindrait à poursuivre la procédure jusqu’à l’adjudication du marché.
10. Par réplique sur effet suspensif et mesures provisionnelles, la recourante a persisté dans ses conclusions portant sur l’octroi de celui-ci ainsi que dans celles tendant à ce qu’il soit interdit à l’hospice de publier ou faire publier un nouvel appel d’offres comprenant les mêmes prestations. Elle s’en est en revanche rapportée à justice sur les autres mesures provisionnelles initialement sollicitées.
Faute d’avoir été communiquée dans le cadre de l’appel d’offres, l’estimation par l’hospice du montant des prestations à fournir ne pouvait être invoqué pour justifier l’interruption de la procédure. L’argument tiré de la nécessité d’analyser les conséquences de la procédure pénale consécutive à l’incendie du foyer des Tattes n’avait pour sa part pas été invoqué dans la décision d’interruption contestée. La procédure d’appel d’offres avait au demeurant été ouverte plus de dix ans après cet incendie.
Dans la mesure où l’autorité adjudicatrice elle-même indiquait ne pas avoir l’intention de procéder à un nouvel appel d’offres comprenant les mêmes prestations jusqu’à droit connu sur le recours, rien ne s’opposait au prononcé d’une mesure provisionnelle lui en faisant interdiction. Une telle mesure provisionnelle était par ailleurs nécessaire pour que la procédure de recours conserve son objet.
Aucun intérêt public ou privé ne s’opposait à l’octroi de l’effet suspensif, lequel conduirait plutôt, par le biais de la poursuite de la procédure jusqu’à l’adjudication, à la bonne gestion des deniers de l’état. La recourante, qui avait déposé la meilleure offre, disposait elle-même d’un intérêt à la poursuite de la procédure d’adjudication.
11. Le 20 août 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur requête d’octroi d’effet suspensif et de mesures provisionnelles.
Considérant, en droit, que :
1. Le recours, interjeté en temps utile devant l’autorité compétente, est prima facie recevable, en application des art. 15 al. 1bis let. d et al. 2 AIMP, 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0) et 55 let. e et 56 RMP.
2. Les mesures provisionnelles sont prises par le président ou la vice-présidente de la chambre administrative ou, en cas d’empêchement de ceux-ci, par un ou une autre juge (art. 21 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).
3. Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.
L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; ATA/1170/2020 du 19 novembre 2020 consid. 3 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, 2010, 311-341, p. 317 n. 15).
L’octroi de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics (arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 5.2), et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/1/2024 du 2 janvier 2024).
4. Lorsqu’une autorité judiciaire se prononce sur des mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l’examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l’obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3).
5. a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l’accord GATT/OMC ainsi que de l’accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre
ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 let. a et b AIMP).
b. Selon l’art. 47 al. 1 RMP, la procédure peut être interrompue pour de justes motifs ou raisons importantes, notamment lorsque l’autorité adjudicatrice a reçu un nombre insuffisant d’offres pour adjuger le marché dans une situation de concurrence efficace (let. a) ; les offres ont été concertées (let. b) ; un abandon ou une modification importante du projet est nécessaire (let. c) ; toutes les offres dépassent le montant du budget prévu ou octroyé pour le marché (let. d).
c. L’interruption, la répétition ou le renouvellement de la procédure n’est possible qu’à titre exceptionnel et suppose un motif important ; cette règle existe aussi pour les marchés publics soumis au droit fédéral (ATF 141 II 353 consid. 6.1 ; 134 II 192 consid. 2.3 = SJ 2009 I 197). L’interruption du marché – ce qui suppose l’annulation de tous les actes déjà accomplis – apparaît donc comme une ultima ratio (ATF 141 II 353 consid. 6.1; Peter GALLI/André MOSER/Élisabeth LANG/Marc STEINER, Praxis des öffentlichen Beschaffungsrechts, 2013, n. 799).
Cette approche restrictive s’explique par le fait que, lorsqu’il met en place une procédure de marché public, le pouvoir adjudicateur doit assurer à chaque soumissionnaire une chance réelle et juste d’être choisi en fonction des exigences posées. Or cette chance est retirée lorsque le pouvoir adjudicateur interrompt la procédure sans avoir attribué le marché. Certes, les soumissionnaires pourront à nouveau déposer une offre si la procédure est répétée, mais cela engendrera des coûts supplémentaires et, selon les circonstances, une diminution des chances d’obtenir le marché dans cette seconde procédure au cas, par exemple, où le nombre de soumissionnaires serait plus important ou si de nouvelles exigences les désavantageaient. À cela s’ajoute que la mise en œuvre d’une seconde procédure peut produire des effets contraires aux règles sur les marchés publics et à l’objectif de libre concurrence poursuivi, notamment parce que les précédents soumissionnaires auront pu (à tout le moins partiellement) prendre connaissance des premières offres formulées par leurs concurrents. Il faut donc éviter que l’interruption de la procédure soit utilisée de manière abusive (ATF 141 II 353 consid. 6.1 ; Martin BEYELER, überlegungen zum Abbruch von Vergabeverfahren, PJA 2005/7 p. 784 ss., 789).
d. La formulation potestative des textes de loi implique que, même s’il existe un juste motif ou un motif important, il appartient en premier lieu au pouvoir adjudicateur de décider s’il convient d’interrompre ou non la procédure, soit définitivement soit en la répétant ou en la renouvelant. Il dispose donc en ce domaine d’un large pouvoir d’appréciation (ATF 141 II 353 consid. 6.3).
Ainsi, l’existence d’un motif important ou d’un juste motif n’oblige en principe pas le pouvoir adjudicateur à annuler toute la procédure. Par exemple, lorsque les offres dépassent le montant prévu – hypothèse visée par l’art. 47 al. 1 let. d RMP – le pouvoir adjudicateur doit conserver la possibilité de rechercher une solution, par exemple une rallonge de crédit, plutôt que d’annuler un projet qu’il juge indispensable aux besoins de la collectivité (ATF 141 II 353 consid. 6.3).
La liberté d’appréciation de l’adjudicateur dans le choix des conséquences à tirer de l’existence d’un juste motif ou motif important est toutefois limitée par le respect de la bonne foi et des principes généraux applicables au droit des marchés publics, notamment l’interdiction de discrimination entre les soumissionnaires, la proportionnalité, la transparence et l’interdiction de la modification du marché sur des éléments essentiels (ATF 141 II 353 consid. 6.4 ; ATA/501/2016 du 14 juin 2016 consid. 6d).
6. a. En l’espèce, les perspectives de succès du recours sont difficiles à estimer, l’autorité adjudicatrice n’ayant pas encore répondu sur le fond. À ce stade précoce de l’instruction, elles doivent cela étant être qualifiées de non négligeables.
Le recourant fait principalement valoir l’absence de juste motif ou de motif important, au sens de l’art. 47 al. 1 RMP, pouvant justifier l’interruption de la procédure.
L’intimé a invoqué à cet égard, en premier lieu, un dépassement du budget prévu ou octroyé pour le marché. Or, s’il a mentionné dans ses écritures sur effet suspensif avoir procédé à une estimation du coût à sa charge, il n’a donné aucune explication dans ses écritures sur effet suspensif, sur la forme qu’avait prise cette évaluation ni son éventuelle budgétisation, et n’a produit aucune pièce y relative. La recourante relève en outre à juste titre que les termes de l’appel d’offres et du contrat cadre devant être conclu avec l’adjudicataire paraissent réserver à l’intimé une très large marge de manœuvre quant au recours effectif aux prestations convenues, et donc à leur coût. La question de l’admissibilité de ce motif d’interruption de la procédure nécessite donc, pour pouvoir être tranchée, des explications supplémentaires de la part de l’intimé.
Il en va de même du second motif d’interruption invoqué, soit la nécessité alléguée de procéder à une analyse des conséquences de la procédure pénale consécutive à un incendie survenu dans un foyer de migrants en 2014, étant rappelé que ce besoin de réflexion, susceptible selon l’intimé d’entraîner une modification des conditions du marché, n’est mentionné ni dans le dossier d’appel d’offres ni dans la décision d’interruption contestée.
b. La requête d’effet suspensif formulée à titre préalable dans le cadre du recours et celle visant à ce qu’il soit provisionnellement interdit à l’autorité adjudicatrice d’ouvrir une nouvelle procédure d’appel d’offres doivent se lire en parallèle, la recourante souhaitant ainsi pouvoir assurer l’exécution d’une éventuelle décision faisant droit à ses conclusions au fond en annulation de la décision d’interruption, et donc en poursuite de la procédure de marché public jusqu’à l’adjudication.
Cet objectif répond à un intérêt public consistant à assurer un déroulement conforme au droit et rapide, jusqu’à leur terme, de la procédure d’appel d’offres, ce qui implique d’éviter dans la mesure du possible d’annuler les démarches d’ores et déjà effectuées pour réorganiser ab ovo une nouvelle procédure (ATF 141 II 353 consid. 6.1). Il correspond également à un intérêt privé de la recourante à ce qu’elle ne doive pas le cas échéant, avant qu’il ne soit statué sur son recours, participer à une nouvelle procédure de marché public portant sur des prestations identiques ou semblables, avec les frais et les incertitudes qui en découleraient (cf. consid. 5c ci-dessus).
À l’inverse, aucun intérêt public ou privé prépondérant ne paraît s’opposer à ces mesures. L’intimé a en particulier d’ores et déjà indiqué qu’il n’entendait pas publier de nouvel appel d’offres portant sur le même marché avant qu’il n’ait été statué sur le recours, de telle sorte que l’on ne voit pas en quoi le prononcé de ces mesures aggraverait sa situation. C’est à tort à cet égard que l’intimé – que la recourante s’est empressée de suivre sur ce point dans ses écritures en réplique sur effet suspensif et mesures provisionnelles – paraît considérer que l’octroi de l’effet suspensif le contraindrait à poursuivre la procédure en cours jusqu’à l’adjudication. Il n’en est rien, dans la mesure où la poursuite et l’achèvement de la procédure de marché public litigieuse aurait pour effet, tout comme l’ouverture d’une nouvelle procédure et l’adjudication à laquelle elle conduirait, de vider la cause de son objet.
L’effet suspensif sera donc octroyé, avec pour effet que les décisions et démarches effectuées jusqu’au 25 juin 2024 dans le cadre de l’appel d’offres litigieux demeureront en l’état en vigueur, étant expressément relevé que l’autorité adjudicatrice n’a pas, jusqu’à droit jugé, à poursuivre cette procédure.
Il sera pour le surplus donné acte à l’intimé de son engagement de ne pas publier (ou faire publier) de nouvel appel d’offres portant sur le même marché jusqu’à ce que la chambre de céans ait statué sur le recours. S’agissant d’un établissement de droit public, il n’existe aucun motif de penser qu’il ne respectera pas cet engagement, de telle sorte qu’une interdiction, qui plus est sous la menace des peines prévues par l’art. 292 CP, ne paraît pas nécessaire.
Une interdiction à l’intimé de préparer un nouvel appel d’offres ne répond en revanche à aucun intérêt public ou privé reconnaissable. Il importe au contraire que, si le recours devait être rejeté, l’autorité intimée puisse ouvrir le plus rapidement possible une nouvelle procédure, ce qui suppose qu’elle l’ait auparavant préparée.
7. Les frais de la procédure seront réservés jusqu’à droit jugé au fond.
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
octroie l’effet suspensif au recours en ce sens que la décision d’interruption de la procédure de marché public rendue le 25 juin 2024 ne déploie provisoirement aucun effet, l’Hospice général n’ayant toutefois pas à poursuivre ladite procédure ;
donne acte à l’Hospice général de son engagement à ne pas publier de nouvel appel d’offres portant sur les prestations de surveillance et de sécurité des centres d’hébergement et autres sites (centres d’action sociale, centre pour aînés et administratif) jusqu’au terme de la présente procédure ;
rejette les mesures provisionnelles pour le surplus ;
réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;
- par la voie du recours en matière de droit public :
si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;
si elle soulève une question juridique de principe ;
- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;
le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;
communique la présente décision à Me Robert HENSLER, avocat de la recourante, ainsi qu’à Me Bertrand REICH, avocat de l’intimé.
| la vice-présidente :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
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Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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