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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4280/2023

ATA/815/2024 du 09.07.2024 ( TAXE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4280/2023-TAXE ATA/815/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 juillet 2024

1re section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre


SERVICE DE LA TAXE D’EXEMPTION DE L’OBLIGATION DE SERVIR

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimés



EN FAIT

A. a. A______ est né le ______1988. Il a été naturalisé suisse le ______2016, à l’âge de 28 ans.

b. Selon son livret de service, il a été exempté de se présenter au recrutement l’année de sa naturalisation en application de l’art. 9 al. 3 de la loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire du 3 février 1995, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2017 (ci-après : aLAAM).

Il n’a jamais par la suite demandé à pouvoir se présenter au recrutement.

c. Il a été exempté du paiement de la taxe d’exemption de l’obligation de servir (ci‑après : TEO) en 2016, année de sa naturalisation. Il a en revanche fait l’objet de décisions de taxation pour les années 2017 et 2018 et s’est acquitté des montants dus à ce titre.

d. Par décision de taxation du 29 janvier 2021, l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC-GE) a arrêté à CHF 2'139.- le montant de la TEO dû par l’intéressé pour l’année d’assujettissement 2019.

e. Le 26 février 2021, A______ a formé une réclamation contre cette décision. Selon lui, il n’était plus astreint au paiement de la TEO depuis l’année 2018, au cours de laquelle il avait atteint l’âge limite de 30 ans prévu par la loi fédérale sur la taxe d’exemption de l’obligation de servir dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018 (ci-après : aLTEO), la teneur de cette même loi à compter du 1er janvier 2019 (ci-après : LTEO) ne lui étant pas applicable.

f. L’AFC-GE a rejeté cette réclamation par décision du 27 novembre 2023 au motif que, contrairement à ce que soutenait l’intéressé, la LTEO lui était applicable. Dans la mesure où les conditions d’assujettissement prévues par cette loi étaient réalisées, la décision de taxation devait être maintenue.

B. a. Le 23 décembre 2023, A______ a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur réclamation du 27 novembre 2023, concluant sur le fond à son annulation et à ce qu’il soit constaté qu’il n’était pas assujetti à la TEO pour l’année 2019.

Dans la mesure où il ne disposait, selon la législation applicable, d’aucune possibilité réelle d’accomplir un service militaire ou un service de remplacement, son assujettissement à la TEO était contraire aux art. 2, 3 et 8 LTEO ainsi qu’aux art. 8 et 14 de la Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, entrée en vigueur pour la Suisse le 28 novembre 1974 (CEDH ‑ RS 0.101), 17 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, entré en vigueur pour la Suisse le 18 septembre 1992 (Pacte ONU II - RS 0.103.2), et 8 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ainsi que cela résultait de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : CourEDH), en particulier des arrêts GLOR c. Suisse du 30 avril 2009, req. n° 13444/04 (ci‑après : ACEDH GLOR) et RYSER c. Suisse du 12 janvier 2021, req. n° 23040/13 (ci‑après : ACEDH RYSER). L’application de la LTEO à sa situation était par ailleurs constitutive d’une violation du principe de non‑rétroactivité des normes.

À titre préalable, le recourant a sollicité la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé par le Tribunal fédéral dans les causes nos 9C_648/2022 et 9C_707/2022, lesquelles concernaient selon lui des problématiques « très similaires » à la sienne.

b. Par lettre du 12 janvier 2024, l’AFC-GE a indiqué ne pas s’opposer à la suspension sollicitée.

c. L’administration fédérale des contributions (ci-après : l’AFC-CH) s’est exprimée sur le fond du litige par observations du 17 janvier 2024, concluant au rejet du recours.

Selon la jurisprudence, étaient pertinents pour établir l’assujettissement à la TEO pour un exercice annuel donné, l’incorporation dans une formation de l’armée, l’astreinte au service militaire ou civil et l’accomplissement dudit service : chaque année d’assujettissement devait donc être considérée individuellement, avec pour conséquence que le recourant ne pouvait se prévaloir de l’ancienne teneur de la LTEO. L’art. 9 al. 3 de la loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire du 3 février 1995 - LAAM - RS 510.10), lu en relation avec les art. 13 al. 1 et 49 al. 3 LAAM, ouvrait la possibilité d’un recrutement « ultérieur », soit après l’âge de 24 ans prévu par l’art. 9 al. 2 LAAM, soumis au consentement de la personne concernée. L’art. 12 al. 2 de l’Ordonnance sur les obligations militaires du 22 novembre 2017 (OMi - RS 512.21) concrétisait cette possibilité en prévoyant que, pour autant que les conditions de l’art. 9 al. 3 LAAM soient réalisées et que le besoin de l’armée soit avéré, les Suisses et Suissesses âgés de plus de 24 ans et n’ayant pas encore été convoqués au recrutement pouvaient former une demande en ce sens. Faute d’une telle demande, le sort qui lui aurait été réservé ne pouvait être connu avec certitude. À cela s’ajoutait que l’art. 59 Cst. prévoyait une obligation de servir et non un droit à accomplir un service militaire.

d. Par décision du 15 janvier 2024, la chambre administrative a prononcé la suspension de la procédure.

e. Par courrier du 9 février 2024, l’AFC-GE a informé la chambre administrative que le Tribunal fédéral avait statué dans les causes nos 9C_648/2022 et 9C_707/2022, requis la reprise de la procédure et conclu au rejet du recours, se référant à la motivation de ces deux arrêts, relatifs à une situation similaire à celle litigieuse.

f. Par décision du 13 février 2024, la chambre administrative a ordonné la reprise de la procédure et a imparti à l’AFC-GE un délai pour produire son dossier, ce qu’elle a fait le 11 mars 2024. Elle a par la même occasion persisté dans les conclusions et l’argumentation figurant dans sa requête de reprise de l’instruction du 9 février 2024.

g. En l’absence de réplique de la part du recourant, la cause a été gardée à juger le 29 avril 2024, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente, de telle sorte qu’il est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision prononçant l’assujettissement du recourant à la TEO pour l’année 2019. Le montant de la taxe n’est pas contesté.

3.             Le recourant fait en premier lieu valoir que la décision contestée violerait le principe de non-rétroactivité des lois. Son obligation de s’acquitter de la TEO aurait en effet pris fin en 2018, conformément à l’art. 3 al. 1 et 2 aLTEO, puisqu’il avait atteint l’âge de 30 ans au cours de cette même année.

3.1 Tout homme de nationalité suisse est astreint au service militaire (art. 59 al. 1 Cst. ; art. 2 al. 1 LAAM). L’obligation générale du service militaire pour les hommes concrétise le principe de l’armée « de milice ». Elle trouve son fondement dans la considération politique selon laquelle le fardeau du service militaire doit être réparti d’égale façon, de manière à ce que l’intérêt général pour la chose militaire soit ancré dans le sentiment populaire. Elle n’est pas absolue et sans restriction, mais relative. Il appartient à la législation et à la jurisprudence de définir plus précisément la notion d’obligation de servir. La loi peut en outre prévoir des exceptions, qui doivent toutefois respecter le principe de l’égalité devant la loi (Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale [ci-après : Message 1996], FF 1997 I 1ss, p. 242-243).

Celui qui n’accomplit pas son service militaire ou son service de remplacement doit s’acquitter d’une taxe (art. 59 al. 3 1re phr. Cst.). Ce principe est rappelé à l’art. 1 LTEO, selon lequel les citoyens suisses qui n’accomplissent pas ou n’accomplissent qu’en partie leurs obligations de servir sous forme de service personnel (service militaire ou service civil) doivent fournir une compensation pécuniaire. La taxe prévue à l’art. 59 al. 3 Cst. est le corollaire du non‑accomplissement de l’obligation de servir personnelle. Elle présuppose une obligation de servir. C’est le service militaire ou civil non accompli qui provoque l’obligation de verser la taxe d’exemption. Les citoyens suisses qui n’accomplissent pas ou qui n’accomplissent que partiellement leur service personnel doivent acquitter une taxe d’exemption, réserve faite des exceptions admises par la loi (Message 1996, FF 1997 I 1ss, p. 242‑243).

La TEO a pour but d’éviter, parmi les personnes soumises aux obligations militaires, les inégalités criantes entre celles qui effectuent un service et celles qui n’en font pas. Elle constitue à ce titre une contribution de remplacement. Le militaire qui est dispensé d’un service en tire normalement un avantage par rapport aux autres astreints de sa classe d’âge. La perception d’une taxe doit compenser cet avantage, sous la forme d’une prestation financière (ATA/1094/2022 du 1er novembre 2022 consid. 3d). Le rapport entre le service militaire et l’obligation de s’acquitter d’une taxe d’exemption de celui-ci est purement formel. Celui qui est astreint au service militaire doit payer une taxe parce que et aussi longtemps que, pour une raison quelconque, il ne peut accomplir ce service. Le paiement de la taxe n’est toutefois nullement comparable au service militaire et ne peut être raisonnablement tenu pour l’accomplissement, sous une autre forme, de celui-ci. La TEO est imposée pour des motifs d’équité et d’égalité devant la loi. Tels sont son sens et son but (ATF 118 IV consid. 3b = JdT 1994 IV 89 ; 115 IV 66 consid. 2b = JdT 1990 IV 70).

3.2 Selon l’art. 2 al. 1 let. a LTEO, sont notamment assujettis à la taxe les hommes astreints au service qui sont domiciliés en Suisse ou à l’étranger et qui, au cours d’une année civile (année d’assujettissement), ne sont, pendant plus de six mois, ni incorporés dans une formation de l’armée ni astreints au service civil.

La durée de l’assujettissement est fixée à l’art. 3 LTEO.

Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018, cette disposition prévoyait que l’assujettissement commençait au début de l’année au cours de laquelle la personne astreinte atteignait l’âge de 20 ans et se terminait, pour les personnes non incorporées dans une formation de l’armée et non astreintes au service civil, à la fin de l’année au cours de laquelle elles atteignaient l’âge de 30 ans (art. 3 al. 1 et 2 let. a aLTEO).

Dans sa teneur actuelle, en vigueur à compter du 1er janvier 2019, l’art. 3 al. 1 et 2 LTEO prévoit que l’assujettissement commence au plus tôt au début de l’année au cours de laquelle l’homme astreint atteint l’âge de 19 et se termine au plus tard à la fin de l’année au cours de laquelle il atteint l’âge de 37 ans. Pour les assujettis visés à l’art. 2 al. 1 let. a LTEO n’effectuant pas de service de protection civile, l’assujettissement dure au maximum onze ans.

Les personnes acquérant la nationalité suisse sont exonérées de la taxe pour l’année de naturalisation (art. 4 al. 1 let. e LTEO).

La modification de la LTEO entrée en vigueur le 1er janvier 2019 visait notamment à harmoniser la période d’assujettissement prévue par la LTEO avec celles du service militaire et du service civil, elles-mêmes modifiées dans le cadre de la révision de la LAAM (Message du Conseil fédéral du 6 septembre 2017 relatif à la modification de la LTEO [ci-après : Message 2017], FF 2017 5837, pp. 5841-5842). Selon l’art. 13 al. 1 let. a LAAM dans sa teneur en vigueur dès le 1er janvier 2018, l’obligation de servir dans l’armée s’éteignait en effet désormais, pour les militaires de la troupe et les sous-officiers, à la fin de la douzième année après l’achèvement de l’école de recrues, laquelle, sous réserve de l’art. 49 al. 3 LAAM, devait être accomplie au plus tard pendant l’année au cours de laquelle la personne astreinte atteignait l’âge de 25 ans (art. 49 al. 1 LAAM).

3.3 Selon un principe général de droit intertemporel, les dispositions légales applicables à une contestation sont celles en vigueur au moment où se sont produits les faits juridiquement déterminants pour trancher celle-ci. Liée aux principes de sécurité du droit et de prévisibilité, l’interdiction de la rétroactivité des lois résulte du droit à l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), de l’interdiction de l’arbitraire et de la protection de la bonne foi (art. 5 et 9 Cst.). L’interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l’application d’une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur, car les personnes concernées ne pouvaient, au moment où ces faits se sont déroulés, connaître les conséquences juridiques découlant de ces faits et se déterminer en connaissance de cause. Une exception à cette règle n’est possible qu’à des conditions strictes, soit en présence d’une base légale suffisamment claire, d’un intérêt public prépondérant, et moyennant le respect de l’égalité de traitement et des droits acquis. La rétroactivité doit en outre être raisonnablement limitée dans le temps (ATF 144 I 81 consid. 4.1).

Il n’y a toutefois pas de rétroactivité proprement dite lorsque le législateur entend règlementer un état de chose qui, bien qu’ayant pris naissance dans le passé, se prolonge au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit. Cette rétroactivité improprement dite est en principe admise, sous réserve du respect des droits acquis (ATF 146 V 364 consid. 7.1 ; 144 I 81 précité consid. 4.1).

En ce qui concerne les normes juridiques qui font dépendre la survenance de la conséquence juridique de plusieurs éléments de fait (état de fait dit composite ; « zusammengesetzte Tatbestände »), le Tribunal fédéral a jugé qu’il est déterminant de savoir sous l’empire de quelle norme l’ensemble des faits s’est produit de manière prépondérante (ATF 126 V 134 consid. 4b ; 123 V 25 consid. 3a).

À l’occasion de la modification de la LTEO du 16 mars 2018, le Parlement n’a adopté aucune disposition transitoire spécifique relative à l’art. 3 LTEO (arrêt du Tribunal fédéral 2C_339/2021 du 4 mai 2022 consid. 4.2). Partant, en l’absence d’une disposition transitoire explicite ou qui pourrait se déduire d’une interprétation du texte légal, il convient de se référer aux principes généraux relatifs du droit intertemporel qui viennent d’être rappelés (ATF 148 V 70 consid. 5.3).

3.4 Dans un arrêt 9C_648/2022 rendu le 9 janvier 2024 et destiné à la publication – dans l’attente duquel la présente procédure a été suspendue sur requête du recourant – le Tribunal fédéral a rappelé qu’en matière de prélèvement de la LTEO, la taxe d’exemption de servir ne présentait pas les caractéristiques d’un état de fait durable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1005/2021 du 26 avril 2022 consid. 5.2). En effet, les éléments de base déterminants servant de fondement à la taxe d’exemption de servir étaient : l’incorporation (ou non) dans une formation de l’armée, la soumission (ou non) à l’obligation de servir dans le civil et l’accomplissement (ou non) du service militaire ou civil pendant l’année d’exemption (art. 2 al. 1 LTEO), puis, selon l’art. 3 al. 1 LTEO, l’âge de la personne astreinte à la taxe pendant l’année d’assujettissement et enfin la date du début de l’assujettissement à la taxe selon les art. 3 al. 2, 3, 4 et 5 LTEO. À l’exception du début de l’obligation de remplacement consistant en le paiement d’une taxe, les autres éléments s’apparentaient à des faits et des situations qui se produisaient ou existaient durant l’année d’assujettissement et qui étaient limités dans le temps par celle-ci. La circonstance que les faits pertinents existaient encore à la fin de l’année d’assujettissement n’était pas déterminante, pas plus que les faits qui ne se produisaient qu’après la fin de celle‑ci.

En application de ces principes, le Tribunal fédéral a considéré dans le cas d’espèce que le fait de soumettre un citoyen naturalisé suisse en 2017 à l’âge de 29 ans à l’obligation de payer la TEO en 2019, en vertu de la nouvelle loi, ne constituait pas une application rétroactive de celle-ci. En effet, cette personne avait été soumise à la TEO pour l’année d’assujettissement 2019 sur la base des éléments de fait survenus cette année-là et en application de la législation entrée en vigueur au 1er janvier 2019 (arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 précité, consid. 7). Le même raisonnement a été appliqué par le Tribunal fédéral dans le second arrêt dans l’attente duquel la présente procédure avait été suspendue, relatif à une personne naturalisée en 2017 à l’âge de 33 ans et ayant fait l’objet d’une décision d’assujettissement à la TEO pour l’année 2019, au cours de laquelle il avait atteint l’âge de 35 ans (arrêt du Tribunal fédéral 9C_707/2022 du 25 janvier 2024 consid. 5.1).

3.5 Le cas d’espèce est, comme le recourant l’a lui-même allégué dans le cadre de sa requête de suspension, très similaire à ceux examinés par le Tribunal fédéral dans les arrêts 9C_648/2022 et 9C_707/2022 précités. Au cours de la période d’assujettissement considérée, soit l’année 2019, le recourant, alors âgé de 31 ans, était de nationalité suisse, n’était ni incorporé dans une formation de l’armée ni soumis à l’obligation de servir dans le civil et n’a pas accompli de service militaire ou civil : les éléments de base déterminants servant de fondement à la TEO existaient donc en 2019, sous l’empire de la nouvelle loi. Le fait que, sous l’empire de la loi ancienne, le recourant n’aurait plus été astreint au paiement de la TEO à compter de l’année 2019 car il aurait alors dépassé l’âge limite de 30 ans n’implique pas que l’application de la nouvelle loi pour l’année 2019 constituerait un cas de rétroactivité : l’élément déterminant pour juger de l’assujettissement est en effet l’âge actuel de la personne pendant l’année considérée. Il ne découle pour le surplus pas des dispositions légales que le législateur aurait conféré des droits acquis s’agissant de l’absence d’assujettissement à la TEO pour des situations telles que celle du recourant.

Le moyen doit donc être écarté.

4.             Dans un second groupe d’arguments, le recourant fait valoir que, comme il avait été naturalisé à l’âge de 28 ans, il ne pouvait plus se présenter au recrutement ni, par voie de conséquence, être incorporé dans une formation de l’armée ou au sein du service civil. La possibilité d’un recrutement tardif, certes prévue par l’art. 9 al. 3 LAAM, était illusoire car dépendante d’un besoin de l’armée, notoirement inexistant.

Son assujettissement à la TEO était donc contraire à son caractère de taxe de remplacement, violant en particulier les art. 2, 3 et 8 LTEO.

En l’absence d’une possibilité concrète d’accomplir un service militaire ou un service de remplacement, cet assujettissement constituait en outre une discrimination contraire aux art. 8 Cst., 8 et 14 CEDH et 17 et 26 Pacte ONU II.

4.1 Selon l’art. 9 LAAM, les conscrits participent au recrutement. Le Conseil fédéral peut prévoir des exceptions pour les cas manifestes d’inaptitude au service (al. 1). Les conscrits passent le recrutement au plus tôt au début de leur 19ème année et au plus tard à la fin de l’année au cours de laquelle ils atteignent l’âge de 24 ans (al. 2). Le Conseil fédéral peut prévoir un recrutement ultérieur si les services d’instruction obligatoires (art. 42) peuvent encore être accomplis dans les limites d’âge visées à l’art 13. Le recrutement ultérieur est soumis au consentement des personnes concernées (al. 3 ; art. 49 al. 3 LAAM).

Selon l’art. 13 al. 1 let. a LAAM, l’obligation de servir dans l’armée s’éteint pour les militaires de la troupe et les sous-officiers à la fin de la douzième année après l’achèvement de l’école de recrues. L’école de recrues commence au plus tôt trois mois et au plus tard douze mois après le recrutement. Le commandement de l’Instruction peut exceptionnellement prolonger ce délai si les besoins de l’armée l’exigent (art. 56 al. 1 OMi).

L’art. 9 al. 3 LAAM est concrétisé par l’art. 12 OMi, selon lequel les conscrits sont convoqués au recrutement au plus tard dans l’année où ils atteignent l’âge de 24 ans (al. 1). À leur demande, le commandement de l’Instruction peut prévoir un recrutement ultérieur pour les Suisses qui n’ont pas été convoqués au recrutement jusqu’à la fin de l’année au cours de laquelle ils ont atteint l’âge de 24 ans ou qui n’ont pas fait l’objet d’une décision définitive quant à leur aptitude dans ce délai, pour autant que les conditions de l’art. 9 al. 3 de la LAAM soient remplies et que le besoin de l’armée soit avéré. La demande ne peut être déposée qu’une seule fois (al. 2).

4.2 L’art. 8 § 1 CEDH garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, c’est-à-dire le droit de toute personne de disposer librement de sa personne et de son mode de vie, le droit d’établir des rapports avec d’autres êtres humains et avec le monde extérieur en général ou le droit d’entretenir librement ses relations familiales et de mener une vie de famille. Le droit au respect de la vie privée protège notamment l’intégrité physique et morale, l’identité, le respect de la sphère intime et secrète (en particulier le domicile), l’honneur et la réputation d’une personne, ainsi que ses relations avec les autres. Le droit au respect de la vie familiale protège la personne contre les atteintes que pourrait lui porter l’État et qui auraient pour but ou pour effet de séparer la famille ou, au contraire, de la contraindre à vivre ensemble, ou encore d’intervenir d’une manière ou d’une autre dans la relation familiale, notamment dans les rapports entre les parents et leurs enfants. En d’autres mots, le droit au respect de la vie privée et familiale garantit à l’individu un espace de liberté dans lequel il peut se développer et se réaliser (ATF 139 I 257 consid. 5.2.1 ; 139 I 155 consid. 4.1 ; 133 I 58 consid. 6.1).

En vertu de l’art. 14 CEDH, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. D’après la jurisprudence constante de la CourEDH, l’art. 14 CEDH complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses (ATF 139 I 257 consid. 5.2.1 ; arrêts du Tribunal fééral 2C_396/2012 du 23 novembre 2012 consid. 2.3 ; 9C_521/2008 du 5 octobre 2009 consid. 4.2).

En relation avec les art. 8 et 14 CEDH, la CourEDH a, dans l’ACEDH GLOR, notamment jugé que, à la lumière du but et des effets de la taxe litigieuse, la différence opérée par les autorités suisses entre les personnes inaptes au service exemptées de ladite taxe et celles qui étaient néanmoins obligées de la verser, était discriminatoire et violait l’art. 14 CEDH avec l’art. 8 CEDH (ACEDH GLOR précité, § 97 s.; aussi arrêt du Tribunal fédéral 2C_170/2016 du 23 décembre 2016 consid. 6.1 et les références). Aux yeux de la CourEDH, le fait que le contribuable avait toujours affirmé être disposé à accomplir son service militaire, mais qu’il avait été déclaré inapte audit service par les autorités militaires compétentes, était en l’occurrence essentiel (ACEDH GLOR précité, § 94 ; voir aussi arrêt du Tribunal fédéral 2C_170/2016 précité consid. 6.1 et les références). Selon la CourEDH, la discrimination résidait en particulier dans le fait que, contrairement à d’autres personnes qui souffraient d’un handicap plus grave, l’intéressé n’avait pas été exempté de la taxe litigieuse – son handicap n’étant pas assez important – et que, alors qu’il avait clairement exprimé sa volonté de servir, aucune possibilité alternative de service ne lui avait été proposée. À ce sujet, la CourEDH a notamment souligné « l’absence, dans la législation suisse, de formes de service adaptées aux personnes se trouvant dans la situation du requérant » (ACEDH GLOR précité, § 96 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_170/2016 précité consid. 6.1 et les références citées).

Dans l’ACEDH RYSER, la CourEDH a considéré que la similarité avec la cause GLOR et l’absence de différences factuelles ne justifiaient pas de s’écarter du résultat concernant l’ACEDH GLOR. Elle prenait note des changements apportés à la législation à la suite de l’ACEDH GLOR, mais observait qu’ils étaient postérieurs aux faits pertinents de l’affaire RYSER et n’étaient, donc, pas applicables à ce dernier (ACEDH Ryser précité §§ 61 et 62).

4.3 Le Tribunal fédéral a jugé à plusieurs reprises qu’il n’était pas possible pour un intéressé de se prévaloir d’une violation des art. 8 et 14 CEDH en lien avec l’ACEDH GLOR précité, dans l’hypothèse où celui-ci ne s’était pas montré actif pour effectuer un service militaire ou un service civil (arrêt du Tribunal fédéral 2C_170/2016 précité consid. 6.3 ; 2C_924/2012 du 29 avril 2013 consid. 5.1 ; 2C_396/2012 du 23 novembre 2012 consid. 4.3.1 ; 2C_285/2011 du 1er décembre 2011 consid. 4.3.2).

Ces jurisprudences ont été confirmées dans les arrêts 9C_648/2022 (consid. 8.2.3) et 9C_707/2022 (consid. 5.2) précités, relatifs à des cas dans lesquels les personnes concernées, naturalisées respectivement aux âges de 28 et 33 ans, n’avaient pas entrepris de démarches concrètes visant à effectuer un « recrutement ultérieur » au sens de l’art. 9 al. 3 LAAM.

4.4 En l’espèce, le premier argument invoqué par le recourant doit être rejeté au regard du texte clair de l’art. 2 al. 1 let. a LTEO, lequel soumet à l’obligation de s’acquitter de la taxe tout homme astreint au service qui, pendant plus de six mois, n’était ni incorporé dans une formation de l’armée ni astreint au service civil, et ce sans distinguer les situations susceptibles de conduire à cet état de fait (arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 précité consid. 8.1). Le motif pour lequel la personne concernée remplit ces conditions – dans le cas du recourant, une impossibilité alléguée d’accomplir le recrutement – n’est donc pas déterminant pour juger de son assujettissement à la TEO pour une année déterminée.

4.5 Le second argument avancé par le recourant est lui aussi mal fondé. À l’instar des situations examinées dans les arrêts 9C_648/2022 et 9C_707/2022 précités, il est en effet établi qu’il n’a pas formulé (pour l’année d’assujettissement 2019) de demande en vue de pouvoir effectuer un recrutement ultérieur au sens des art. 9 al. 3 LAAM et 12 al. 2 OMi, ce qui lui aurait éventuellement permis de pouvoir accomplir un service militaire ou un service civil. Il n’a donc pas accompli, du point de vue individuel, de démarches actives en vue d’effectuer un tel service, ce qui, au sens de la jurisprudence rappelée ci-dessus, ne lui permet pas d’invoquer avec succès une discrimination au sens des art. 8 et 14 CEDH et de la jurisprudence GLOR.

C’est en vain à cet égard que le recourant fait valoir que la possibilité de recrutement ultérieur ouverte par les art. 9 al. 3 LAAM et 12 al. 2 OMi ne serait que théorique, dans la mesure où elle dépend d’un besoin de l’armée avéré, lequel serait à son sens inexistant. Ce n’est en effet pas à lui de juger, de manière anticipée et générale, de l’existence ou non d’un besoin de l’armée, mais au Conseil fédéral ou, pour lui, au commandement de l’instruction (art. 12 al. 2 OMi). Sont seuls pertinents l’existence d’une possibilité d’effectuer un recrutement ultérieur et le fait que le recourant n’en ait pas fait la demande.

La protection de l’art. 14 CEDH en lien avec une autre garantie conventionnelle n’a pas de portée indépendante par rapport à l’art. 8 Cst. (égalité) (ATF 137 V 334 consid. 6.3). Dans la mesure où le recourant ne peut pas se prévaloir d’une discrimination fondée sur les art. 8 CEDH et 14 CEDH, il ne peut donc pas non plus se plaindre d’une discrimination fondée sur l’art. 8 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 précité consid. 8.2.4).

Enfin, le recourant n’explique pas en quoi les art. 17 (protection de la vie privée et familiale) et 26 (protection contre les discriminations) Pacte ONU II, auxquels il se réfère également, lui offriraient une protection plus étendue que les dispositions conventionnelles et constitutionnelle précitées.

La décision de taxation 2019 contestée est en conséquence conforme au droit. Mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe, et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA et 31 al. 2 et 2bis LTEO).

* * * * *

 


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 décembre 2023 par A______ contre la décision sur réclamation du service de la taxe d’exemption de l’obligation de servir du 27 novembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 200.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, au service de la taxe d’exemption de l’obligation de servir ainsi qu’à l’administration fédérale des contributions.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :