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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2364/2022

ATA/968/2022 du 27.09.2022 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2364/2022-FPUBL ATA/968/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 septembre 2022

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Robert Assaël, avocat

contre

Monsieur B______

et

VILLE DE GENÈVE



EN FAIT

1) Madame A______ a été engagée le 1er juillet 2014 en qualité de cheffe d’unité au service C______ de la Ville de Genève (ci-après : la ville). Le 18 novembre 2015, elle a été nommée au poste de directrice du département D______(ci-après : E______), avec effet au 1er février 2016.

2) Par décision du 19 janvier 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, le Conseil administratif de la ville (ci-après : le CA) a prononcé la suspension avec effet immédiat de Mme A______ de son activité de directrice du E______ jusqu’au prononcé d’une éventuelle sanction ou d’un licenciement et l’a informée de ce que le CA avait décidé, dans un premier temps, de mandater un expert externe pour effectuer notamment un état des lieux de la situation au sein de la direction du E______.

Le recours formé par Mme A______ le 31 janvier 2022 contre cette décision a été déclaré irrecevable par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) par arrêt du 23 juin 2022 (ATA/652/2022).

3) Le 21 février 2022, Monsieur F______, soit l’expert externe mandaté par la ville pour effectuer un « état des lieux », a rendu son rapport sur la base des auditions de la magistrate en charge du E______ (ci-après : la magistrate), du directeur adjoint du E______, du responsable des ressources humaines (ci-après : RH) du E______, de deux juristes, d’une assistante personnelle de la magistrate et des chefs de service actuellement et anciennement subordonnés au E______, à l’exception de Mme A______, qui avait refusé d’être entendue.

4) Par décision du 2 mars 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, le CA a ouvert une enquête administrative à l’encontre de Mme A______, qu’il a confiée à Monsieur B______.

Le recours formé par Mme A______ le 16 mars 2022 contre cette décision a été déclaré irrecevable par la chambre administrative par arrêt du 23 août 2022 (ATA/836/2022).

5) Par décision du 18 mars 2022, le CA a rejeté la demande de récusation de M. B______ formée par Mme A______.

Le recours formé par celle-ci le 28 mars 2022 contre cette décision devant la chambre administrative a été rejeté par arrêt du 3 mai 2022 (ATA/461/2022). Un recours est actuellement pendant devant le Tribunal fédéral.

6) Mme A______ a, à nouveau, sollicité la récusation de M. B______ le 10 mai 2022. Par décision du 2 juin 2022, le CA a déclaré cette demande irrecevable et, en tout état, infondée.

Cette décision a été confirmée par la chambre administrative par arrêt du 23 août 2022 (ATA/837/2022).

7) Par courrier du 23 juin 2022, M. B______ a pris acte de la requête de Mme A______ s’agissant de l’accès à la liste des personnes entendues par M. F______ et aux procès-verbaux correspondants, ainsi qu’aux projets de rapport de M. F______ et tous les documents qui lui étaient remis par la ville ainsi qu’à l’échange de toutes les correspondances entre la ville et M. F______, soit l’intégralité de son dossier. M. F______ s’était engagé auprès des personnes auditionnées à garantir leur confidentialité, précisant que l’enquête administrative dont lui-même avait la charge était distincte de celle de M. F______. Il entendait conduire cette enquête de manière objective et indépendante, le rapport de M. F______ n’étant qu’une pièce produite par la ville.

L’enquêteur a également informé Mme A______ des dates des prochaines audiences et transmis la liste des témoins convoqués.

Le courrier concernait l’organisation de la suite de la procédure, de sorte qu’il n’était pas sujet à recours.

8) Par acte expédié le 7 juillet 2022 à la chambre administrative, Mme A______ a interjeté recours contre le courrier de l’enquêteur du 23 juin 2022, concluant, sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, à ce que l’enquêteur se voie enjoint d’annuler les audiences fixées les 26 et 29 juillet, 26 août, 1er, 12, 14 et 21 septembre 2022 et de ne pas fixer de nouvelle audience jusqu’à droit connu sur le recours. Au fond, elle a conclu à l’annulation de la « décision querellée » et à ce que l’enquêteur lui transmette la liste des personnes entendues par M. F______, les procès-verbaux correspondants, les notes prises lors des auditions, les projets de rapport, les documents remis à la ville, tous les échanges de correspondance entre celle-ci et M. F______, soit l’intégralité du dossier d’G_____, la société de M. F______.

Le recours était dirigé contre une décision incidente lui causant un préjudice irréparable.

Le refus de lui remettre les documents sollicités violait son droit d’être entendue, le principe d’égalité des armes et la bonne foi de l’administration. Ces violations ne lui permettaient pas d’interroger les témoins en toute connaissance de cause, contrairement à la ville qui était en possession de ces documents.

L’opacité de la ville était choquante et inacceptable. Le prétendu engagement de M. F______ auprès des personnes auditionnées à garantir leur confidentialité dans son rapport n’atténuait en rien la violation des principes de la bonne foi de l’administration et de l’égalité des armes et ne liait pas l’enquêteur.

9) Le 19 juillet 2022, la chambre administrative a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles formée par Mme A______.

10) Le 27 juillet 2022, M. B______ a conclu au rejet de la requête de mesures provisionnelles.

Les pièces sollicitées par Mme A______ n’étaient pas en sa possession. La question de leur existence pouvait rester ouverte. Le rapport de M. F______ était un simple rapport interne qui ne constituait aucunement l’objet de l’enquête administrative. M. F______ s’était par ailleurs engagé auprès des personnes auditionnées à garantir leur confidentialité, de sorte que la ville n’était pas non plus en possession d’une liste nominative des personnes auditionnées.

Le courrier du 23 juin 2022 constituait un simple planning d’audiences, soit une décision incidente, ne créant aucun préjudice irréparable.

Mme A______ avait renoncé à intervenir et à faire valoir son point de vue au stade des démarches conduites par M. F______, son grief de violation du droit d’être entendue était insoutenable.

L’enquête administrative devait désormais suivre son cours afin de clarifier sa situation dans le respect de ses droits. Il était dans son intérêt de prendre une part active à la procédure d’enquête plutôt que de multiplier les démarches visant à empêcher son déroulement.

11) Par décision du 25 août 2022, après un échange d’écritures, la chambre administrative a rejeté la demande de mesures provisionnelles formée par Mme A______.

12) Par réponse du 1er septembre 2022, la ville a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

13) Mme A______ n’a pas répliqué dans le délai imparti à cet effet.

14) Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1) La chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). Elle examine d'office sa compétence, qui est déterminée par la loi et ne peut être créée par accord entre les parties (art. 11 al. 1 et 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Se pose en premier lieu la question de savoir si le courrier de l’enquêteur du 24 juin 2022 constitue une décision sujette à recours.

a. Le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6, al. 1 let. a et e, et 57 LPA.

Selon l’art. 57 LPA, sont susceptibles d'un recours, les décisions finales (let. a) ; les décisions par lesquelles l'autorité admet ou décline sa compétence (let. b) ; les décisions incidentes à certaines conditions (let. c) et les lois constitutionnelles, les lois et les règlements du Conseil d'État.

Sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations ; de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits ; de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations
(art. 4 al. 1 LPA).

b. En l’espèce, d’après l’intimée, le courrier du 24 juin 2022 constituerait un simple acte d’organisation de procédure, non susceptible de recours. Certes, le courrier traite principalement de la fixation des prochaines audiences. Il mentionne toutefois également la requête de production de pièces formulée par la recourante lors d’une précédente audience devant l’enquêteur. Il est vrai que ce dernier n’a pas expressément statué sur cette requête, se limitant à en prendre acte. On comprend néanmoins du courrier du 24 juin 2022 que l’enquêteur entendait ne pas y donner suite, au motif que l’enquête administrative était distincte de l’enquête diligentée par M. F______. En cela, le courrier constitue une décision incidente en matière d’administration des preuves. L’enquêteur l’a du reste admis dans sa détermination devant la chambre de céans.

Le recours est, au surplus, interjeté en temps utile contre une décision incidente et devant la juridiction compétente (art. 132 LOJ ; art. 62 al. 1 let. b LPA).

3) Reste à examiner si les conditions de l’art. 57 let. c sont remplies.

Les décisions incidentes sont susceptibles de recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ;
126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd. 2018 p. 432 n. 1265). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice
(ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n'est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 précité consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1 ; 
129 III 107 consid. 1.2.1).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57
let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c et les arrêts cités ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/ Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).

4) En l’occurrence, la recourante n’explique pas en quoi elle serait exposée à un préjudice irréparable. Elle se limite à faire valoir qu’elle doit pouvoir interroger les témoins « en connaissance de cause ». À cet égard, la recourante soutient, sans toutefois l’étayer, que l’intimée serait en possession des documents sollicités dans son recours, à savoir la liste des personnes entendues par M. F______, les
procès-verbaux correspondants, notes prises lors des auditions, projets de rapport, documents remis par l’intimée et échange de toutes correspondances entre celle-ci et M. F______. Or, dans sa réponse devant la chambre de céans, l’intimée a relevé que la recourante disposait « exactement des mêmes dossiers administratif et d’enquête que ceux possédés par la ville », de sorte que tous deux avaient le « même niveau de connaissance du dossier ». À sa connaissance, M. F______ n’avait pas établi de procès-verbaux lors de son enquête, étant précisé que le rapport du 21 février 2022 constituait la « seule pièce » qui lui avait été transmise en lien avec « l’état des lieux » effectué par ce dernier. La recourante, qui n’a pas répliqué, n’a pas contesté ces allégations. Quoi qu’il en soit, même à admettre l’existence de telles pièces, cela ne suffirait pas encore à retenir que la décision litigieuse lui causerait un préjudice irréparable. Le contenu des auditions de M. F______ figure en effet dans son rapport du 21 février 2022, transmis aux parties et celles-ci peuvent questionner les témoins sur les déclarations faites dans le cadre de l’état des lieux effectué par M. F______.

Quant à la liste des personnes entendues, également requise par la recourante, tant l’intimée que l’enquêteur ont relevé que M. F______ s’était engagé auprès des personnes auditionnées à garantir leur confidentialité. Tout porte donc à croire qu’une telle liste n’existe pas, étant du reste rappelé qu’il est loisible à la recourante de questionner les témoins sur ce point dans le cadre de l’enquête administrative.

Au vu des éléments qui précèdent, la recourante n’a pas démontré que le refus d’ordonner la production des documents requis, pour autant qu’ils existent, lui causerait un préjudice irréparable.

Quant à l’argument tiré de la violation de son droit d’être entendue, du principe de l’égalité des armes et de la bonne foi de l’administration, il ne suffit pas non plus à établir l’existence d’un préjudice irréparable. La recourante ne prétend d’ailleurs pas qu’en cas de décision défavorable, elle ne pourrait se plaindre de l’éventuelle violation de ces droits.

Enfin, et contrairement à ce que soutient la recourante, le fait de devoir procéder, en cas d’admission du recours, à une nouvelle audition de certains témoins ne suffit pas pour retenir un préjudice irréparable, étant précisé que la simple prolongation de la procédure ou l’accroissement éventuel des frais de
celle-ci constituerait un dommage de pur fait qui n’est pas considéré comme irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4).

La première hypothèse de l’art. 57 let. c LPA n’est, partant, pas remplie.

Quant à la seconde hypothèse de l’art. 57 let. c LPA, à savoir la venue à chef immédiate d'une décision finale susceptible d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse, elle n'est pas davantage réalisée. En effet, la chambre de céans ne voit pas, et la recourante ne l’explique pas, en quoi l’admission du recours aboutirait à une décision finale.

Le recours doit ainsi être déclaré irrecevable.

5) Vu l'issue de la procédure, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, étant relevé que l’intimée dispose de son propre service juridique (art. 87
al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 7 juillet 2022 par Madame A______ contre la décision de l’enquêteur du 23 juin 2022 ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert Assaël, avocat de la recourante, à
Monsieur B______ ainsi qu'à la Ville de Genève.


 

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory,
Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :