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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4122/2021

ATA/487/2022 du 10.05.2022 ( AMENAG ) , REJETE

Recours TF déposé le 13.06.2022, rendu le 12.01.2024, ADMIS, 2C_483/2022
Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;DROIT FONCIER RURAL;AGRICULTURE;IMMEUBLE AGRICOLE;FRACTIONNEMENT;EXPLOITATION AGRICOLE;SERVITUDE;JUSTE MOTIF;CIRCONSTANCES;EXCEPTION(DÉROGATION)
Normes : Cst.29.al2; LAgr.102.al1; LAgr.102.al2; LAgr.103.al3; OAS.35.al3; OAS.36
Résumé : Recours contre le refus de la CFA d’autoriser la constitution d’une servitude en faveur de deux habitations sur une partie d’une parcelle sise en zone agricole, qui avait fait l’objet d’un remaniement parcellaire. Ce refus faisait suite à une demande similaire qui visait à désassujettir cette même fraction de parcelle, afin de la rattacher aux habitations pour leur servir de jardin d’agrément. Cas d’espèce particulier, car le remaniement parcellaire interdit de procéder subséquemment à de nouvelles divisions. Or, autoriser la création d’une telle servitude aurait eu pour effet de rattacher l’usage d’un terrain agricole, pour une durée indéterminée et sans frais, à des habitations sans aucun lien avec l’agriculture. Cette opération avait donc pour résultat et effet de contourner les décisions négatives précédentes de la CFA et de l’OCAN, sans autre motif que la convenance personnelle des habitants. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4122/2021-AMENAG ATA/487/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 mai 2022

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______
représentés par Me Mattia Deberti, avocat

contre

COMMISSION FONCIÈRE AGRICOLE



EN FAIT

1) Madame C______ était propriétaire de la parcelle no 13'490, sise sur la commune de D______ (ci-après : la commune), d’une surface de 5'024 m2, située pour partie (90 m2) en zone 4B protégée et pour le reste (4'934 m2), en zone agricole.

Aucune construction n’est érigée sur cette parcelle.

2) Madame A______ est propriétaire des parcelles nos 915 et 3'174 de la même commune, qui se trouvent en zone 4B protégée.

Elles se situent à l’ouest de la parcelle no 13'490, séparées de celle-ci par un chemin (parcelles nos 4'210 et 911). Un bâtiment d’habitation est érigé sur chacune d’entre elles.

3) Le 18 octobre 2019, Mme C______, propriétaire de la parcelle no 13'490, a adressé à la commission foncière agricole (ci-après : CFA), une requête visant le désassujettissement d’une partie de la parcelle no 13'490.

4) Par ordonnance préparatoire no 3 du 21 avril 2020, après avoir rappelé l’historique du dossier, la CFA a préavisé favorablement la demande de désassujettissement d’une partie de la parcelle no 13'490.

Les surfaces faisant l’objet de cette demande étaient sises en zone 4B protégée et en zone agricole et formaient depuis 1964 un jardin d’agrément. La CFA avait procédé à un transport sur place le 19 décembre 2019. Cette parcelle était assujettie à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991
(LDFR - RS 211.412.11). Elle se situait en zone remaniée. Son morcellement devait dès lors « être autorisé par l’office cantonal de l'agriculture et de la nature
[ci-après : OCAN], conformément à l’art. 89 de la loi sur les améliorations foncières du 5 juin 1987 [LAmF - M 1 05] ». La décision de ce dernier s’appuyait sur sa décision préalable. La parcelle no 13'490 n’était pas bâtie, de telle sorte que l’art. 4a de l’ordonnance sur le droit foncier rural du 4 octobre 1993
(ODFR - RS 211.412.110) ne s’appliquait pas.

Elle a donc invité la requérante à transmettre sa demande, avec un plan de division, à l’OCAN, qui était compétent.

5) Par décision du 14 janvier 2020 (recte : 2021, selon la correction manuscrite figurant sur le document), l’OCAN a refusé la division de la parcelle no 13'490.

Comme cette parcelle était issue du remaniement parcellaire de la commune, son morcellement était en principe interdit. Aucune des hypothèses de l’art. 36 de l’ordonnance sur les améliorations structurelles dans l’agriculture du 7 décembre 1998 (OAS - RS 913.1) n’était réalisée.

La division sollicitée consistait à détacher une sous-parcelle de 845 m2 formant un jardin d’agrément. L’affectation non agricole ne pouvait être retenue comme motif important, selon la jurisprudence. La sous-parcelle était d’ailleurs apte à être utilisée à des fins agricoles, comme pâturage ou prairie de fauche, et sa seule utilisation comme jardin, même pendant une période prolongée, ne pouvait constituer un juste motif permettant de déroger à l’interdiction de morceler. L’intérêt privé ne pouvait pas prévaloir sur l’intérêt public au respect du principe de l’interdiction de morcellement.

Aucun recours n’ayant été interjeté à l’encontre de cette décision, elle est entrée en force.

6) Par décision du 9 mars 2021, la CFA a rejeté la requête en désassujettissement de la parcelle no 13'490.

La parcelle était en zone agricole et l’OCAN avait rejeté sa division par décision du 14 janvier 2021.

Aucun recours n’a été interjeté, à teneur du dossier, à l’encontre de cette décision.

7) Monsieur B______, exploitant agricole, est devenu propriétaire de la parcelle no 13'490, à une date non précisée au dossier, mais située entre le 9 mars et le 3 septembre 2021,

8) Le 3 septembre 2021, Mme A______ et M. B______, sous la plume de leur notaire, ont sollicité de la CFA l’autorisation de constituer sur une partie de la parcelle no 13'490 (devenue no 4'813) une servitude d’usage de jardin en faveur des parcelles nos 915 et 3’174.

Au vu du rejet de la demande de désassujettissement, M. B______ avait décidé de procéder à la division de la parcelle selon les limites des zones d’affectation, ce qui lui permettait déjà de vendre la partie sise en zone 4B protégée, de 90 m2, à Mme A______, propriétaire des parcelles voisines nos 914, 915 et 3'174. Ces dernières parcelles bénéficiaient depuis plusieurs décennies de l’usage du jardin sur une petite partie de la parcelle no 13'490, devenue no 4’813.

La surface en zone agricole correspondant au jardin n’était pas affectée à l’agriculture ou la viticulture et n’était pas exploitée comme telle. Elle ne dépendait pas d’une entreprise agricole, mais constituait depuis de très nombreuses années un jardin d’agrément pour le propriétaire des parcelles en zone 4B protégée, soit Mme A______.

9) Il ressort de l’acte notarié du 29 septembre 2021, intitulé « Division et vente immobilière par Monsieur B______ à Madame A______ » et du plan de mutation de parcelle no 3/2020, établi le 28 avril 2020 et certifié conforme le 16 juillet 2021, annexé à l’acte notarié, que la parcelle no 13'490 serait divisée selon les limites des zones d’affectation en deux nouvelles parcelles.

La partie sise en zone 4B protégée (la plus proche de la zone à bâtir), de 90 m2, no 13’490A, deviendrait la parcelle no 4'812, tandis que la surface restante, en zone agricole, de 4'934 m2, no 13’490B, prendrait le no 4'813.

Selon l’acte notarié, cette opération n’avait pas besoin d’être autorisée, dès lors que la division était réalisée en limites de zone et que la nouvelle parcelle n4'812, sise exclusivement en zone 4B protégée, ne dépendait « d’aucune entreprise agricole, ainsi que les parties [l’attestaient] ».

Selon l’acte, M. B______ conservait pour son usage propre la parcelle agricole, cadastrée à la suite de la division foncière sous le no 4'813, et vendait à Mme A______ la partie en zone à bâtir, cadastrée sous le no 4'812, pour la somme de CHF 18'000.-.

10) Par décision du 12 octobre 2021, la CFA a rejeté la requête de constitution d’une servitude de jardin sur la parcelle no 13'490, car celle-ci était matériellement équivalente à une division parcellaire.

11) Par acte du 3 décembre 2021, Mme A______ et M. B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) à l’encontre de la décision précitée, concluant principalement à son annulation et à ce qu’ils soient autorisés à constituer une servitude d’usage de jardin sur la parcelle no 4'813, au profit des parcelles nos 915 et 3'174, ainsi qu’à l’octroi d’une indemnité pour les frais causés par la procédure.

Préalablement, ils ont conclu à pouvoir compléter leur recours et à ce qu’un transport sur place soit ordonné, afin que la chambre de céans évalue l’âge des plantations, le type d’aménagement présent sur la parcelle et d’autres éléments démontrant l’ancienneté de l’affectation non agricole de cette surface.

La servitude prévue ne visait qu’à concrétiser et pérenniser un usage non agricole remontant à plus de cinquante ans. Quelle que soit la forme juridique consacrant cet usage (prêt, bail ou servitude), il n’en découlait aucune modification cadastrale. Le fondement juridique invoqué par la CFA pour refuser l’autorisation était dès lors erroné.

S’il fallait admettre que la CFA avait commis une erreur, et que le fondement de sa décision reposait sur le fait que la servitude était équivalente économiquement à un transfert de propriété, et par conséquent assujettie à autorisation, la situation n’était pas différente.

En effet, la servitude, sans limites dans le temps, avait une assiette réduite de 750 m2 et les parties avaient convenu de la constituer gratuitement. Ces éléments contredisaient l’assimilation de l’opération, au plan économique, à une vente. Enfin, la constitution de la servitude ne péjorait pas la situation de l’entreprise agricole à laquelle la parcelle considérée appartenait. Ainsi, même à analyser la justification de la décision querellée sous l’angle de l’art. 61 al. 3 LDFR, celle-ci était erronée. Partant, il convenait de l’annuler.

12) Le 14 décembre 2021, dans un mémoire complémentaire, les recourants ont apporté des précisions quant à la chronologie des éléments ressortant de leur acte de recours.

L’usage non agricole depuis des décennies du jardin d’agrément ressortait des vues aériennes issues du système d’information du territoire genevois
(ci-après : SITG) déjà produites et par les déclarations de plusieurs voisins, qu’ils joignaient au dossier, ainsi que quelques photographies du jardin. Cet usage, ancien, était antérieur à la procédure d’amélioration foncière. Dès lors, contrairement à ce que retenait la décision de l’OCAN, ils n’avaient pas créé une situation de fait dans le but de solliciter ensuite une autorisation de morceler. En effet, au moment du changement d’affectation, la procédure de remaniement foncier n’avait pas encore débuté. Ni les propriétaires des parcelles ni les utilisateurs du jardin n’imaginaient à ce moment qu’il leur faudrait constituer une servitude d’usage sur ce dernier, faute d’être en mesure, dans le futur, de diviser la parcelle selon sa véritable affectation.

13) Dans ses déterminations, la CFA a persisté dans sa décision et conclu au rejet du recours.

La parcelle concernée était issue du remaniement parcellaire effectué sur la commune entre 1987 et 2016. Son morcellement subséquent était par conséquent en principe interdit.

La servitude d’usage de jardin souhaitée par les recourants correspondait matériellement à un morcellement de terrain agricole. En effet, l’usage d’une partie de l’immeuble serait de facto rattaché à une habitation sans lien avec l’agriculture. L’OCAN s’était initialement opposé au morcellement. Par le biais de la servitude, ils ne pouvaient donc contourner cette décision, qui n’avait pas été contestée.

14) Dans leur réplique, réitérant leur requête de mesures d’instruction, les recourants ont souligné que la CFA, dans son ordonnance préparatoire no 3 du 21 avril 2020, était favorable au morcellement de la parcelle, de manière à désassujettir la surface correspondant au jardin d’agrément.

De ce fait, la CFA reconnaissait l’affectation non agricole de cet espace. De bonne foi, elle ne pouvait prétendre que la constitution de la servitude dans le jardin d’agrément portait atteinte aux objectifs de rationalisation et d’amélioration des exploitations agricoles qui prévalaient lors de l’opération de remaniement parcellaire. Cet argument tombait à faux, dès lors que cela faisait des décennies que le jardin d’agrément ne dépendait plus d’une exploitation agricole.

15) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du
26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Les recourants sollicitent un transport sur place.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (arrêts du Tribunal fédéral 2C_545/2014 du 9 janvier 2015 consid. 3.1 ; 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3).

Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3).

b. En l’espèce, les recourants motivent leur requête par leur souhait que la chambre de céans puisse apprécier elle-même l’état des lieux, l’âge des plantations et divers éléments permettant, selon eux, de démontrer que l’affectation non agricole de la surface constituant le jardin d’agrément daterait de plusieurs décennies.

Toutefois, la chambre administrative dispose d’un dossier complet, comprenant notamment plusieurs photos lui permettant de se prononcer sur les griefs soulevés en toute connaissance de cause.

Il ne sera dès lors pas donné suite à la requête des recourants.

3) Le litige porte sur la décision de la CFA du 12 octobre 2021, rejetant la requête en autorisation de constituer une servitude de jardin sur une partie de la parcelle no 13'490, devenue le no 4'813, sise exclusivement en zone agricole, formée par Mme A______ et M. B______.

a. Les immeubles, les ouvrages, les installations et les bâtiments ruraux ayant fait l’objet de contributions de la Confédération ne doivent pas être utilisés à des fins autres qu’agricoles pendant les vingt ans qui suivent le versement du solde des contributions fédérales ; en outre, les terrains ayant été compris dans le périmètre d’un remaniement parcellaire ne doivent pas être morcelés (art. 102 al. 1 de la loi fédérale sur l’agriculture - LAgr - RS 910.1).

Celui qui contrevient à l’interdiction de désaffecter et de morceler doit rembourser les contributions reçues de la Confédération et réparer les dommages causés par la désaffectation ou le morcellement (art. 102 al. 2 LAgr).

Le canton peut autoriser des dérogations à l’interdiction de désaffecter et de morceler lorsque des motifs importants le justifient. Il décide si les contributions doivent être restituées intégralement ou en partie ou s’il renonce au remboursement (art. 102 al. 3 LAgr).

b. Aux termes de l’art. 35 al. 3 OAS, il est interdit de morceler des terres ayant fait l’objet d’un remaniement parcellaire.

L’art. 36 OAS précise que sont notamment considérés comme motifs importants justifiant l’autorisation de désaffecter et de morceler : l’assignation exécutoire à une zone à bâtir, une zone de protection ou une autre zone d’affectation non agricole (let. a) ; une autorisation de construire exécutoire délivrée en vertu de l’art. 24 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979
(LAT - RS 700) (let. b) ; l’inutilité, du point de vue de l’agriculture, de la reconstruction de bâtiments et d’installations détruits par un incendie ou une catastrophe naturelle (let. c) ; l’utilisation pour une construction de la Confédération, pour les chemins de fer fédéraux ou pour les routes nationales (let. d) ; les reconversions de production souhaitées par la politique agricole, pour autant que le versement du solde de la contribution remonte à au moins dix ans (let. e).

Lorsque le canton autorise la désaffectation ou le morcellement, il décide simultanément de la restitution des contributions (art. 37 al. 1 OAS). Des exceptions suivent.

c. Selon les « commentaires et instructions du 1er janvier 2019 relatifs à l’OAS » (état le 31 octobre 2018 ; ci-après : instructions) de l’office fédéral de l’agriculture (ci-après : OFAG), l’énumération de l’art. 36 OAS n’est pas exhaustive. La réglementation des dérogations à l’interdiction de morceler telle qu’elle est prévue dans l’OAS est plus restrictive que les dispositions correspondantes de l’art. 58 ss LDFR, car elle s’applique à des immeubles ayant été regroupés avec l’aide financière des pouvoirs publics (instructions, p. 50). Les dispositions de la LAgr prévalent donc sur celles de la LDFR si elles sont plus strictes que celles-ci, conformément au principe lex specialis derogat generali (ATA/987/2020 du 6 octobre 2020 consid. 5e).

d. Selon la jurisprudence, l’interdiction de morceler a pour but de prolonger aussi longtemps que possible l'effet recherché lors de l'octroi des subsides pour des entreprises d'améliorations foncières, c'est-à-dire de conserver les avantages résultant de ces opérations afin de maintenir les biens-fonds concernés à la disposition de leurs exploitants. Les motifs importants justifiant une dérogation à l'interdiction de morceler au sens de l’art. 102 al. 3 LAgr ne sont définis ni dans la loi, ni dans les travaux préparatoires de l'actuelle ou de l'ancienne loi sur l'agriculture. L'existence de justes motifs est donc une question d'appréciation qui doit être résolue en conformité avec le sens et le but de la loi, dans le respect du principe de l'égalité de traitement. L'autorité doit procéder à une pesée des intérêts en présence, soit entre l'intérêt public à voir la répartition des biens-fonds maintenue telle qu'elle a été fixée lors de la réunion parcellaire et l'intérêt privé du propriétaire à effectuer une nouvelle division. C'est seulement lorsque le second intérêt prévaut que l'existence d'un juste motif doit être admise et que l'autorisation doit être octroyée. Tel est le cas lorsque l'application stricte des règles légales entraîne des conséquences rigoureuses que le législateur n'a pas voulues. L'octroi cumulé d'autorisations exceptionnelles ne doit pas avoir pour effet de vider de sa substance la réglementation en vigueur (arrêt du Tribunal fédéral 1A.36/2001 du 29 janvier 2001 consid. 3.1 et les références citées).

En requérant un motif important, le législateur a entendu limiter l’octroi d’une autorisation exceptionnelle de morceler à des cas de rigueur (arrêt du Tribunal fédéral 1A.36/2001 précité consid. 3.2). L'interdiction de morcellement n’est pas limitée dans le temps (arrêt du Tribunal fédéral 2C_931/2014 du 23 mai 2016 consid. 3.4.2).

Par ailleurs, la jurisprudence a rappelé l’intérêt public à maintenir dans des proportions raisonnables l’utilisation de terres agricoles attenantes à une zone à bâtir, comme jardin d’agrément ou comme surface de dégagement agricole (arrêt du Tribunal fédéral 2C_14/2020 du 18 juin 2020 consid. 5.3).

e. Selon l’art. 89 LAmF, sous réserve d’une autorisation du département, le morcellement de terrains agricoles remaniés est interdit sans limite dans le temps et quelle que soit la surface des parcelles à créer.

Les projets de morcellement d’un terrain agricole sont soumis à l’OCAN (art. 1 al. 3 et art. 5 du règlement d’application de la loi sur les améliorations foncières du 31 mai 1989 - RAmF - M 1 05.01).

f. Selon l’art. 730 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), une servitude foncière est une charge imposée sur un immeuble en faveur d’un autre immeuble, qui oblige le propriétaire du fonds servant à souffrir, de la part du propriétaire du fonds dominant, certains actes d’usage ou à s’abstenir lui-même de certains droits inhérents à la propriété. La servitude foncière est donc un droit réel limité, constitué en faveur du propriétaire d’un immeuble qui impose des restrictions au propriétaire d’un autre immeuble (Cyril GALLAND, Le contenu des servitudes foncières, thèse, 2013, n. 24 ; Paul-Henri STEINAUER, Les droits réels, tome I, 6ème éd., 2019, n. 34). Alors que la propriété procure à son titulaire une maîtrise totale sur la chose (droits d’usage, de jouissance et de disposition), le droit réel limité ne procure que certaines facultés de maîtrise, soit l’usage ou la jouissance de l’objet du droit (Cyril GALLAND, op. cit., n. 28 p. 8 ;
Paul-Henri STEINAUER, op.cit., n. 36).

g. Il y a fraude à la loi – forme particulière d’abus de droit – lorsqu’un justiciable évite l’application d’une norme imposant ou interdisant un certain résultat par le biais d’une autre norme permettant d’aboutir à ce résultat de manière apparemment conforme au droit. La norme éludée doit alors être appliquée nonobstant la construction juridique destinée à la contourner. Pour être sanctionné, un abus de droit doit apparaître manifeste. L’autorité qui entend faire appliquer la norme éludée doit établir l’existence d’une fraude à la loi, ou du moins démontrer l’existence de soupçons sérieux dans ce sens (ATF 144 II 49 consid. 2.2 et les références citées).

4) a. En l’espèce, la parcelle n° 13'490, devenue no 4'813, est incluse dans le périmètre de la zone remaniée de la commune. Son morcellement est en conséquence, par principe, interdit, en application de l’art. 102 al. 1 LAgr, ce que les parties ne contestent pas. La demande initiale de désassujettissement a d’ailleurs été rejetée pour ce motif, l’OCAN soulignant qu’il convenait d’éviter que l’usage d’une partie de l’immeuble soit rattaché à une habitation sans lien avec l’agriculture. La sous-parcelle était encore parfaitement apte à être utilisée à des fins agricoles en tant que pâturages ou comme prairie de fauche. Son utilisation comme jardin, même durant une période prolongée, ne pouvait constituer un juste motif pour une dérogation à l’interdiction de morceler. L’intérêt privé ne prévalait pas sur l’intérêt public au respect du principe de l’interdiction de morcellement. Ces décisions n’ont pas été contestées.

b. À la suite du rejet de cette demande, les recourants ont sollicité de la CFA l’autorisation de constituer une servitude d’usage de jardin, à titre gratuit, en faveur des parcelles nos 915 et 3'174, qui constituent des habitations, afin que ces parcelles puissent bénéficier la partie de la parcelle no 4'813 qui leur sert de jardin d’agrément depuis les années 1960.

Selon les recourants, la constitution de la servitude n’irait pas à l’encontre des objectifs du remaniement parcellaire, puisqu’aucune modification cadastrale n’en résulterait.

c. Si l’argumentation des recourants peut paraître pertinente, il est très clair que ceux-ci souhaitent en réalité, par le biais de l’octroi de cette servitude, obtenir le même résultat que lors de leur demande de désassujettissement et morcellement d’une partie de la parcelle en zone agricole, qui leur a été refusée par la CFA et l’OCAN. Au plan juridique, comme les recourants le relèvent, une servitude n’est certes pas équivalente à une division de parcelle. Cependant, en l’état, au vu des circonstances du cas d’espèce, octroyer cette servitude reviendrait à rattacher l’usage d’un terrain agricole, pour une durée indéterminée et sans frais, à une habitation sans lien avec l’agriculture, soit exactement le même résultat que celui qui aurait été obtenu si le morcellement et désassujettissement avaient porté leurs fruits, contournant de ce fait les décisions négatives de la CFA et de l’OCAN, non contestées et entrées en force. Il peut donc être considéré que cette opération équivaut dans son résultat et dans ses effets à une nouvelle division parcellaire, alors qu’aucune des exceptions prévues à l’interdiction du morcellement n’est réalisée. La situation n’est pas constitutive non plus d’un autre motif important au sens de l’art. 36 OAS, justifiant une nouvelle décision. Or, en requérant un tel motif pour toute nouvelle division, le législateur a entendu limiter l’octroi d’une autorisation exceptionnelle de morceler à de tels cas. Les recourants souhaitent constituer la servitude querellée par convenance personnelle, afin de jouir de la partie de la parcelle en zone agricole comme jardin d’agrément.

Le fait que la CFA, dans son ordonnance préparatoire no 3 du 21 avril 2020, dans le cadre de la procédure de désassujettissement à la LDFR de la parcelle, se soit déclarée disposée à autoriser le désassujettissement et reconnaisse l’affectation non agricole du jardin, n’est par ailleurs pas déterminant, dès lors que l’ordonnance préparatoire n’était qu’un préavis, la compétence d’autoriser ou non le désassujettissement appartenant à l’OCAN (art. 5 RAmF).

Partant, dans les conditions du cas d’espèce, autoriser les parties à constituer une servitude d’usage de jardin équivaudrait dans son résultat à une nouvelle division parcellaire. L’argumentation des recourants à cet égard doit donc être écartée.

5) a. Les recourants examinent finalement l’hypothèse selon laquelle la CFA aurait commis un lapsus dans sa décision. Selon leur raisonnement, l’autorité intimée aurait fondé sa décision, à tort, sur le fait que la servitude représentait un acte équivalent économiquement à un transfert de propriété et, par conséquent, assujetti à autorisation.

b. L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours, les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. L’objet du litige correspond à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 144 II 359 consid. 4.3). Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/685/2021 du 29 juin 2021 consid. 13).

c. Or, il ressort de la décision, certes brièvement motivée, que la CFA a refusé d’autoriser la servitude car celle-ci équivalait, selon ses termes, à « une division parcellaire », objet de la décision litigieuse, et non car elle était assimilable sur le plan économique à une vente. Dans ces conditions, l’argumentation des recourants à cet égard tombe à faux et doit être écartée.

Partant, mal fondé, le recours doit être rejeté.

6) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis solidairement à la charge de Mme A______ et de M. B______, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 décembre 2021 par Madame A______ et Monsieur B______ contre la décision de la commission foncière agricole du 12 octobre 2021 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge solidaire de Madame A______ et de Monsieur B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 166 al. 2 LAgr, 31 ss de la loi sur Tribunal administratif fédéral du 17 juin 2005 (LTAF - RS 173.32) et 44 ss de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal administratif fédéral ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal administratif fédéral, case postale, 9023 Saint-Gall, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 21a PA. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Mattia Deberti, avocat des recourants, à la commission foncière agricole, à l'office fédéral de la justice, à l’office fédéral du développement territorial (ARE), ainsi qu'à l'office fédéral de l'agriculture (OFAG).

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Payot
Zen-Ruffinen et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :