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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3751/2020

ATA/749/2021 du 13.07.2021 ( EXPLOI ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3751/2020-EXPLOI ATA/749/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 juillet 2021

2ème section

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Youri Widmer, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR



EN FAIT

1) M. A______ exploitait le « B______ » au
B______, rue ______, à C______.

2) Selon un rapport de police établi le 14 novembre 2020 par les agents du poste de police municipale de la ville de C______, un contrôle effectué le même jour à 12h45 sur les lieux, suite à l’appel d’une citoyenne, en lien avec le respect des mesures de prévention de la pandémie de Covid-19, avait révélé qu’une trentaine de personnes étaient rassemblées sur la terrasse de l’établissement, certaines d’entre elles consommant effectivement des boissons alcooliques, debout, autour des tables disposées. M. A______ s’était aménagé un comptoir à l’extérieur de l’établissement et y servait les clients. Interrogé, il avait affirmé qu’il s’agissait de vente à l’emporter, selon lui parfaitement légale. Les trois agents l’avaient alors informé du fait qu’il n’en était rien, lui avaient demandé de leur présenter un document officiel et de ranger son installation, ce qu’il avait fait. M. A______ s’était légitimé et s’était montré coopératif. Les agents avaient soumis le cas au commissaire, qui avait déclaré M. A______ en contravention. Ils avaient ensuite veillé à ce que la clientèle parte et à ce que la terrasse soit rangée avant de quitter les lieux. Les agissements étaient constitutifs de l’infraction, pour l’exploitant d’un lieu, de locaux, d’une installation ou d’un établissement, consistant à ne pas respecter l’obligation de fermeture ordonnée, selon les art. 11 à 19 de l’arrêté du Conseil d’État du 1er novembre 2020.

3) Se fondant sur ce rapport, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a rendu, le 17 novembre 2020, une décision déclarée exécutoire nonobstant recours ordonnant la fermeture immédiate de l’établissement, avec apposition de scellés, pour une durée de quarante et un jours, soit du 17 novembre 2020 au 27 décembre 2020 inclus, et réservant le prononcé d’une autre mesure et/ou d’une amende administrative.

Il ressortait du contrôle du 14 novembre 2020 un très grave trouble de la santé publique, dès lors que les faits reprochés favorisaient très activement la circulation de la Covid-19. M. A______ ne pouvait l’ignorer dès lors que ces comportements étaient prohibés par l’arrêté du Conseil d’État du 1er novembre 2020 et ses versions précédentes.

4) Par acte remis à la poste 18 novembre 2020, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à pouvoir rouvrir normalement son établissement.

Il avait effectivement installé un petit buffet pour la vente à l’emporter, mais le café était « techniquement » resté fermé et personne à part lui n’y était entré. Il n’avait à aucun moment déployé la terrasse, mais celle-ci était accessible car débarrassée de toutes tables et chaises. Les clients lui avaient demandé à être servis dans de la porcelaine et à pouvoir poser leurs tasses sur les tables cadenassées, ce qui lui avait paru de bon sens. À l’occasion d’un pic d’affluence, une file d’attente s’était formée vers 13h00, qui l’avait occupé et détourné de ce qui se passait sur la terrasse. Il avait également accepté de bon cœur d’installer une petite table pour une dame à mobilité réduite, suivie de deux autres petites tables sans chaise attenante. Il n’avait à aucun moment favorisé la vente à consommer sur place, il n’y avait pas eu autant de clients que mentionné dans le rapport de police. Le contrôle de police avait par ailleurs attiré des badauds.

Il voulait bien reconnaître qu’une dizaine de clients qui avaient commandé à l’emporter avaient choisi de rester sur place alors même qu’il leur avait bien dit qu’il ne pratiquait que la vente à l’emporter. Il n’avait pas pensé à s’enrichir ou à contourner les règles. Il tenait l’intégralité de ses comptes à disposition pour apprécier la proportionnalité de la sanction avec l’infraction reprochée. Il avait oublié sur le moment de prendre des photos, mais la police en avait fait et il souhaitait les voir. Il n’avait pas même eu droit à une audition, qui lui aurait permis de démontrer, avant sanction, ses arguments factuels et de critiquer la disproportion de la sanction, qui équivalait tout simplement à un arrêt de mort pour son exploitation, laquelle constituait sa seule source de revenus.

5) Le 26 novembre 2020, M. A______ a complété son recours. La réouverture des établissements avait été ordonnée la veille par le Conseil d’État. Son droit d’être entendu ainsi que le principe de proportionnalité avaient été violés. Il produisait une liste de témoins qui pourraient attester sa version des faits. Il demandait à être entendu. Il n’avait réalisé ce jour-là qu’un chiffre d’affaires de CHF 111.- au total. Il demandait la restitution de l’effet suspensif au recours et sur le fond l’annulation pure et simple de la décision attaquée.

6) Le 3 décembre 2020, le PCTN a conclu à l’irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours.

Mme D______ avait été autorisée le 28 septembre 2018 à exploiter le « B______ ». La caducité de son autorisation avait été prononcée le 6 mai 2020. M. A______ avait déposé une requête le 30 juin 2020, mais faute d’un préavis favorable du service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA), celle-ci n’avait toujours pas pu lui être délivrée. Sa qualité pour recourir était contestée, faute d’intérêt personnel.

Il ressortait du rapport de police que le recourant avait vendu du vin ouvert. Les tickets de caisse montraient qu’il y avait eu « 1 vente table », « 1 table encaissée », « 2 couverts ouverts » et « 2 couverts encaissés ». Le recourant n’était pas au bénéfice d’une autorisation de vente à l’emporter de boissons alcooliques et même muni d’une telle autorisation, il n’aurait pu vendre à l’emporter du vin ouvert, la loi exigeant que la vente se fasse dans des récipients fermés et cachetés. L’intérêt public au prononcé de la sanction était très important s’agissant de protéger la santé publique dans le cadre d’une crise sanitaire. La fermeture était conforme au principe de proportionnalité.

7) Le 8 décembre 2020, M. A______ a requis la restitution immédiate de l’effet suspensif au titre des mesures superprovisionnelles et provisionnelles.

L’autorité n’avait pas ordonné de mesure d’instruction digne de ce nom et avait établi les faits de manière erronée. La décision était absolument disproportionnée, eu égard au fait qu’il respecterait bien entendu les règles sanitaires dès qu’il pourrait rouvrir son établissement.

8) Le 9 décembre 2020, la chambre administrative a rejeté la demande de restitution de l’effet suspensif à titre superprovisionnel, le péril en la demeure invoqué, soit les pertes subies par le recourant, ne paraissant pas prima facie réalisé, le compte d’exploitation produit par celui-ci paraissant porter sur tout l’exercice 2020 et ne permettant pas de comprendre le calcul de la perte alléguée. Le PCTN avait par ailleurs indiqué que le recourant ne détenait pas d’autorisation d’exploiter.

9) Le 9 décembre 2020, le PCTN a conclu à l’irrecevabilité du recours de M. A______. Celui-ci entendait simplement substituer sa version à celle des agents assermentés. Il fallait à tout le moins que les témoins qu’il citait soient entendus sous serment pour renverser la présomption de valeur probante accrue du constat de police, auditions auxquelles il ne pouvait procéder. La prétendue violation du droit d’être entendu pourrait se réparer devant la chambre administrative. Le recourant n’avait toujours pas d’autorisation d’exploiter.

10) Le 11 décembre 2020, le PCTN a conclu au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif.

Le 9 décembre 2020, le recourant s’était vu délivrer une autorisation d’exploiter le « B______ ». Sa qualité pour recourir n’était plus contestée.

La restitution de l’effet suspensif au recours amoindrirait fortement la portée de la décision querellée. La mesure prononcée était nécessaire au vu de la situation sanitaire actuelle et de l’intérêt public à la protection de la santé de la population.

11) Le 15 décembre 2020, le recourant a persisté dans ses conclusions en restitution de l’effet suspensif à son recours et en annulation de la décision de fermeture.

Il n’avait jamais ouvert son établissement, s’était strictement limité à servir des boissons ainsi que des mets à l’emporter et n’avait jamais laissé des clients consommer debout sur la terrasse de son établissement. Le rassemblement de personnes signalé par la police n’avait pas eu lieu sur sa terrasse, trop petite, mais sur le domaine public, dont il ne répondait pas. Sa caisse enregistreuse n’était pas adaptée pour la vente à l’emporter et il avait demandé que ses touches soient reprogrammées. Il n’avait pas commis les infractions qui lui étaient reprochées. Les témoins qu’il avait cités pourraient prouver ses dires.

12) Par décision du 16 décembre 2020, la présidence de la chambre administrative a restitué l’effet suspensif au recours.

La mesure contestée, à savoir la fermeture immédiate, n’avait pas été rendue par le commissaire de police et le recourant n’avait pas pu se déterminer au préalable.

13) Le 25 juin 2021, le PCTN a persisté dans ses conclusions.

14) Le 28 juin 2021, le recourant à persisté dans ses conclusions.

Par la faute du PCTN et de sa décision illégale, il avait dû supporter la fermeture totale de son café pendant une durée d’un mois, ce qui lui avait fait subir un dommage non négligeable, qui avait conduit finalement à la vente de son commerce avec une perte importante. Il avait exposé des frais de défense par CHF 2'141.95, qu’il documentait.

15) Le 1er juillet 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). La qualité pour recourir du recourant n’est plus contestée par l’intimé.

2) a. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend, notamment, le droit pour l'intéressé de prendre connaissance du dossier, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat (ATF 143 III 65 consid. 3.2 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; 137 IV 33 consid. 9.2).

b. La réparation du droit d'être entendu en instance de recours n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure. Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception. Elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_556/2017 du 5 juin 2018 consid. 2.1 ; ATA/714/2018 du
10 juillet 2018). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/944/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4c; ATA/711/2020 du 4 août 2020 consid. 4b).

c. Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle-ci dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 61 LPA). Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d'être entendu, même si l'autorité de recours n'a pas la compétence d'apprécier l'opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 137 I 195 consid. 2.3.2), sous réserve que ledit vice ne revête pas un caractère de gravité (arrêts du Tribunal fédéral 8C_541/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.5 ; ATA/791/2020 du 25 août 2020 consid. 6c et les références citées).

d. Selon l’art. 62 al. 1 de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22), si les circonstances le justifient, un commissaire de police procède à la fermeture immédiate, avec apposition de scellés, pour une durée maximale de dix jours, de toute entreprise dans laquelle survient une perturbation grave et flagrante de l’ordre public, notamment en matière de tranquillité, santé, sécurité et moralité publiques. La police fait rapport sans délai au département ainsi qu'à l'autorité compétente, si l'un des domaines visés à l'art. 1 al. 4 LRDBHD est concerné. Le département examine s'il y a lieu de prolonger la mesure, en application de l’al. 2.

Aux termes de l’art. 62 al. 2 LRDBHD, le département peut procéder à la fermeture, avec apposition de scellés, pour une durée maximale de quatre mois, de toute entreprise dont l'exploitation perturbe ou menace gravement l'ordre public, notamment en matière de tranquillité, santé, sécurité et moralité publiques.

3) En l’espèce, il n’est pas contesté que le recourant n’a pas pu exercer son droit d’être entendu auprès du PCTN avant que la décision querellée ne soit rendue. Les indications ressortant du rapport de police, selon lesquelles le recourant, interrogé, avait indiqué qu’il pratiquait la vente à l’emporter, ne suffisent pas pour tenir lieu d’exercice du droit d’être entendu. Son droit d’être entendu a donc été violé.

L’art. 61 al. 1 LRDBHD permet au commissaire de police, en cas de perturbation grave et flagrante de l’ordre public, notamment en matière de santé, d’ordonner la fermeture immédiate pour une durée maximale de dix jours d’un établissement, fermeture que le PCTN peut prolonger si les conditions sont réunies. Ce mécanisme aménage la possibilité d’une mesure immédiate lorsque la perturbation de l’ordre public grave et flagrante le justifie, mesure dont le maintien n’est ordonné que dans un second temps, ce qui permet à l’intéressé de s’exprimer. Or, en l’occurrence, la mesure contestée n’a pas été rendue par le commissaire de police immédiatement à la suite d’une constatation de faits le justifiant. La manière de procéder de l’autorité intimée s’apparente toutefois à un tel procédé, réservé au seul commissaire de police, puisque la mesure a été prononcée sans que la recourante ne puisse se déterminer au préalable. Cette manière de faire, qui viole le droit d’être entendue de la recourante, se heurte également au texte de l’art. 61 LRDBHD.

Par ailleurs, les restaurants et bars ont été fermés par arrêté du Conseil d’État du 1er novembre 2020 jusqu’au 29 novembre 2020. Lorsque l’autorité intimée a rendu sa décision, le 17 novembre 2020, il n’y avait donc pas d’urgence particulière, notamment pas d’urgence sanitaire, justifiant qu’aucun délai, même bref, ne soit imparti au recourant pour se déterminer avant que la décision le concernant ne soit prononcée.

Du fait de la violation de son droit d’être entendu, le recourant n’a pas été à même d’exposer ses arguments et sa version des faits, ni d’apporter les éléments de preuve à l’appui de celle-ci.

Au vu de l’ensemble de ce qui précède, en particulier de l’absence d’urgence à statuer sans entendre le recourant, la violation de son droit d'être entendu ne peut pas être réparée devant la chambre de céans.

Le recours sera, partant, partiellement admis et la décision querellée annulée. Le dossier sera renvoyé à l'autorité intimée afin qu'elle rende, si elle l’estime opportun vu la vente de l’établissement survenue depuis la restitution de l’effet suspensif, une nouvelle décision en respectant le droit d'être entendu du recourant.

4) Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Vu le volume des écritures échangées, une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée au recourant à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 novembre 2020 par M. A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 17 novembre 2020 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision précitée et renvoie le dossier au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir pour éventuelle nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à M. A______ une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Youri Widmer, avocat du recourant, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :