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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3466/2020

ATA/124/2021 du 02.02.2021 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3466/2020-EXPLOI ATA/124/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 février 2021

2ème section

 

dans la cause

 

A______ SA

et

Madame B______

et

Monsieur C______

et

Monsieur D______
représentés par Me Catarina Monteiro Santos, avocate

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR

 



EN FAIT

1) Le 6 juin 2017, A______ SA (ci-après : A______) a été inscrite au registre du commerce (ci-après : RC). Madame B______ et Messieurs D______ et C______ disposent d'un pouvoir de signature individuelle au sein de cette entreprise.

2) Par décision du 14 octobre 2019, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a mis M. C______ au bénéfice d'une autorisation d'exploiter un établissement de catégorie café-restaurant à l'enseigne « E______ », propriété de A______, situé rue F______, Genève, d'une surface d'exploitation intérieure de 54 m2.

3) Par courrier du 27 août 2020, le PCTN a fait part à M. C______ de son intention de révoquer son autorisation d'exploiter l'établissement à l'enseigne « E______ », en raison de sa radiation du RC le 16 janvier 2020.

A______ a reçu copie de ce courrier.

4) Par courrier du 4 septembre 2020, M. C______ a expliqué qu'il avait quitté son poste d'administrateur de A______ en janvier 2020. La question de son pouvoir de signature avait été discutée, mais en raison du contexte pandémique ce point était « passé inaperçu ». Il avait continué à travailler au sein de l'établissement « E______ », mais son activité y prendrait fin le 30 septembre 2020.

5) Par décision du 24 septembre 2020, le PCTN a révoqué l'autorisation de M. C______ d'exploiter le « E______ ». Une copie de cette décision a été adressée à A______.

6) Par courrier du 26 octobre 2020, M. C______ a transmis au PCTN un formulaire complété et signé de changement d'exploitant ainsi que les pièces justificatives y relatives.

7) Par acte du 29 octobre 2020, A______, Mme B______ et MM. C______ et D______ ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision susmentionnée, dont ils ont demandé l'annulation. Ils ont conclu, principalement, à l'octroi d'un délai de trente jours pour procéder au changement d'exploitant et, subsidiairement, au renvoi de la cause au PCTN pour instruction et nouvelle décision.

En cas de changement d'exploitant, le PCTN accordait un délai de trente jours pour désigner un nouvel exploitant avant que ne soit constatée la caducité de l'autorisation. Pendant ce délai, l'entreprise pouvait soit être exploitée par l'ancien exploitant soit par le propriétaire. À défaut, l'exploitation de l'établissement devait cesser à la date de fin d'activité de l'ancien exploitant. Or, aucun délai n'avait été accordé à la société.

Dès réception de la décision querellée, M. D______ avait requis les documents utiles auprès des diverses autorités et avait produit au PCTN un formulaire en « changement d'exploitant » ainsi que les pièces nécessaires. Le PCTN devait donc statuer sur cette requête.

En sus, la fermeture du « E______ » privait A______ d'une source de revenus, en violation de sa liberté économique. Par ailleurs, la fermeture du « E______ » était disproportionnée.

8) Par courrier du 9 novembre 2020, le PCTN n'est pas entré en matière sur la requête en autorisation d'exploiter le « E______ ». Celle-ci était lacunaire et des pièces étaient soit incomplètes soit manquantes. Par ailleurs, dans la mesure où l'établissement avait fait l'objet d'une révocation d'autorisation d'exploiter, les intéressés devaient produire un formulaire en « création d'un établissement public ».

9) Le PCTN a conclu au rejet du recours.

En raison de la radiation au RC de M. C______ de A______, celui-ci ne remplissait plus les conditions de délivrance d'une autorisation d'exploiter le « E______ ». L'intéressé avait lui-même reconnu avoir quitté en janvier 2020 son poste d'administrateur au sein de cet établissement.

Par ailleurs, avant de rendre la décision, le PCTN avait donné l'occasion à M. C______ et à A______ de faire valoir leurs droits d'être entendus, étant relevé que Mme B______, administratrice, n'en avait pas fait usage.

Lorsque le PCTN prononçait une révocation d'autorisation, il n'accordait aucun délai ni au propriétaire ni à l'exploitant pour qu'ils puissent entreprendre les démarches nécessaires en vue d'obtenir une nouvelle autorisation d'exploiter. Par ailleurs, la requête en autorisation d'exploiter l'établissement en question étant incomplète, elle avait été renvoyée aux intéressés.

10) Par réplique du 18 janvier 2021, les recourants ont relevé que M. C______ était l'exploitant et non le propriétaire de l'établissement. A______ n'avait pas pu exercer son droit d'être entendue, étant précisé que les courriers du PCTN étaient adressés à M. C______ et non à la société. En sus, aucun délai n'avait été imparti à cette dernière pour qu'elle rectifie sa situation.

Un formulaire en « création d'un établissement public » avait été envoyé au PCTN.

11) Le 19 janvier 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Dans un premier grief, la société se plaint d'une violation de son droit d'être entendue.

a. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend, notamment, le droit pour l'intéressé de prendre connaissance du dossier, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat (ATF 143 III 65 consid. 3.2 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; 137 IV 33 consid. 9.2).

b. La réparation du droit d'être entendu en instance de recours n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure. Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_556/2017 du 5 juin 2018 consid. 2.1 ; ATA/57/2021 du 19 janvier 2021 consid. 3b). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/944/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4c ; ATA/711/2020 du 4 août 2020 consid. 4b).

c. En l'espèce, une personne morale, à l'instar de A______, exerce son droit à être entendue par son administrateur, soit dans le cas présent par l'intermédiaire de la recourante, laquelle est inscrite au RC en qualité d'administratrice avec un pouvoir de signature individuelle. L'autorité intimée a adressé copie à la société de son courrier à M. C______ du 27 août 2020, faisant état du fait que celui-ci ne figurait plus comme exploitant de A______ au RC et lui impartissant un délai pour faire valoir ses observations. Ainsi, si elle l'avait souhaité, la société aurait pu se déterminer dans le délai imparti par le PCTN.

Par ailleurs, l'autorisation d'exploiter étant accordée à M. C______ personnellement, le PCTN n'avait pas à interpeller spécifiquement la propriétaire. Enfin, quand bien même la société aurait dû être formellement interpellée, une éventuelle violation de son droit d'être entendue aurait été réparée dans la présente procédure. En effet, elle a eu l'occasion de s'exprimer dans son acte de recours ainsi que dans sa réplique, étant relevé que la décision querellée intervient dans un domaine où l'autorité intimée ne statue pas en opportunité, de sorte que le pouvoir d'examen de celle-ci et de la chambre de céans est le même.

Ainsi, ce grief sera écarté.

3) Dans un deuxième grief, les recourants se plaignent de ne pas avoir bénéficié d'un délai de trente jours pour désigner un nouvel exploitant avant que la décision en révocation de l'autorisation d'exploiter soit rendue.

a. La loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) a pour but de régler les conditions d'exploitation des entreprises vouées à la restauration et/ou au débit de boissons à consommer sur place, à l'hébergement, ou encore au divertissement public.

L'exploitation de toute entreprise vouée à la restauration, au débit de boissons et à l'hébergement est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation d'exploiter délivrée par le département (art. 8 al. 1 LRDBHD). Cette autorisation doit être requise lors de chaque création, changement de catégorie ou de lieu, agrandissement et transformation, changement d'exploitant ou de propriétaire de l'entreprise, ou modification des conditions de l'autorisation antérieure (art. 8 al. 2 LRDBHD).

b. Selon l'art. 9 LRDBHD, qui fixe les conditions relatives à l'exploitant, soit la ou les personnes physiques responsables de l'entreprise, qui exercent effectivement et à titre personnel toutes les tâches relevant de la gestion de celle-ci (art. 3 let. n LRDBHD), l'autorisation d'exploiter une entreprise est délivrée notamment à condition que l'exploitant produise un extrait du RC attestant qu'il est doté d'un pouvoir de signature (art. 9 let. h LRDBHD).

c. L'art. 13 LRDBHD se rapporte à la caducité d'une autorisation d'exploiter. En cas de changement d'exploitant, le département accorde un délai de trente jours pour désigner un nouvel exploitant avant de constater la caducité de l'autorisation. Durant ce délai de trente jours, l'entreprise peut être exploitée soit par l'ancien exploitant, soit par le propriétaire. À défaut, l'exploitation doit cesser à la date de fin d'activité de l'ancien exploitant (art. 13 al. 3 LRDBHD). En cas de changement de propriétaire, le département accorde un délai de trente jours pour désigner l'exploitant avant de constater la caducité de l'autorisation (art. 13 al. 4 LRDBHD).

L'autorisation d'exploiter est révoquée par le département lorsque les conditions de sa délivrance ne sont plus remplies, ainsi qu'en cas de non-paiement de la taxe annuelle prévue par la LRDBHD (art. 14 LRDBHD).

d. Le principe de la proportionnalité exige que les mesures mises en oeuvre soient propres à atteindre le but visé (règle de l'aptitude) et que celui-ci ne puisse être atteint par une mesure moins contraignante (règle de la nécessité ou de la subsidiarité) ; il doit en outre y avoir un rapport raisonnable entre ce but et les intérêts compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 140 I 168 consid. 4.2.1 ; 135 I 233 consid. 3.1).

e. En l'espèce, les recourants ne contestent pas que, depuis le 16 janvier 2020, l'ancien exploitant a été radié du RC et que, dès lors, il n'a plus disposé d'un pouvoir de signature de A______. Partant, ce seul point suffit à révoquer l'autorisation d'exploiter puisque l'une des conditions nécessaires à l'octroi d'une autorisation d'exploiter n'était plus remplie (art. 9 let. h LRDBHD).

C'est en conséquence à bon droit que le PCTN a fait application de l'art. 14 LRDBHD, et non de l'art. 13 LRDBHD, et a révoqué l'autorisation d'exploiter l'établissement « E______ » de M. C______, étant précisé qu'en l'absence d'une condition légale nécessaire et cumulative, il n'y a pas lieu d'examiner la proportionnalité de la décision de révocation.

Ainsi, ce grief sera écarté.

4) Les recourants font encore valoir la violation de leur liberté économique, en arguant que la fermeture de l'établissement les prive d'une source de revenus.

a. L'art. 27 Cst. garantit la liberté économique, qui comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique privée et son libre exercice et protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF 140 I 218 consid. 6.3 ; 143 II 598 consid. 5.1 ; 135 I 130 consid. 4.2).

b. Une restriction à cette liberté est admissible, aux conditions de l'art. 36 Cst., de sorte que toute restriction doit ainsi se fonder sur une base légale (al. 1), qui doit être formelle en cas de restrictions graves, être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2) et proportionnée au but visé (al. 3). Par ailleurs, pour être conforme au principe de la proportionnalité, une restriction à un droit fondamental doit être apte à atteindre le but visé, lequel ne peut pas être obtenu par une mesure moins incisive ; il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 140 I 218 consid. 6.7).

c. En l'espèce, il a été exposé ci-avant que la révocation de l'autorisation d'exploiter est fondée sur une base légale. Les conditions prévues par cette dernière pour la révocation de ladite autorisation étaient remplies. Par ailleurs, la loi soumet la possibilité d'exploiter un établissement à l'octroi d'une autorisation (art. 8 al. 1 LRDBHD) et sa fermeture en cas de défaut d'autorisation (art. 61 al. 1 LRDBHD). Les buts poursuivis par la réglementation, à savoir de régler les conditions d'exploitation des entreprises vouées à la restauration et/ou au débit de boissons à consommer sur place, à assurer la cohabitation de ces activités avec les riverains, dans le respect de l'ordre public, en particulier la tranquillité, la santé, la sécurité et la moralité publiques, d'offrir aux propriétaires et exploitants d'établissements des conditions commerciales loyales, le respect des dispositions en matière sécurité, de protection de l'environnement, de tranquillité publique, de protection contre les niveaux sonores élevés, la fumée et l'alcool, etc. (art. 1 LRDBHD), relèvent d'un intérêt public manifeste. Si, certes, la fermeture du « E______ » constitue une ingérence dans la liberté économique des intéressés, celle-ci apparaît fondée sur une base légale formelle répondant à un intérêt public manifeste.

Par ailleurs, l'atteinte à la liberté économique n'est pas disproportionnée, les recourants étant uniquement empêchés d'exploiter leur établissement aussi longtemps qu'ils ne disposent pas d'une autorisation d'exploiter, obtenue au nom d'une personne habilitée à représenter la propriétaire. Ils ont d'ailleurs déposé une requête « en création d'un établissement public » auprès du PCTN, qui, si elle remplit toutes les conditions, devrait leur permettre d'obtenir l'autorisation d'exploiter à nouveau l'établissement.

Ainsi, à l'aune des éléments précités, le recours, infondé, sera rejeté.

5) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis solidairement à la charge des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne leurs sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 octobre 2020 par A______ SA, Madame B______ et Messieurs C______ et D______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 24 septembre 2020 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge solidaire de A______ SA, Madame B______ et Messieurs C______ et D______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Catarina Monteiro Santos, avocate des recourants, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :