Décisions | Chambre civile
ACJC/807/2025 du 17.06.2025 sur DTPI/10883/2024 ( OO ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/15919/2023 ACJC/807/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 17 JUIN 2025 |
Pour
Madame A______, domiciliée ______, recourante contre une décision rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 14 octobre 2024.
A. a. Par requête déposée en vue de conciliation le 26 juillet 2023 et demande introduite au fond le 27 février 2024, A______ a agi en paiement contre la Dresse B______ au Tribunal de première instance. Elle reprochait, en substance, à cette dernière d'avoir posé un diagnostic erroné et de ne pas avoir collaboré avec les caisses de prévoyance compétentes de sorte que celles-ci lui avaient refusé des prestations de prévoyance professionnelle en raison de son invalidité, auxquelles elle estimait avoir droit. Elle a conclu au paiement d'un montant équivalant à la rente d'invalidité de la prévoyance professionnelle qu'elle aurait dû percevoir, selon elle, à compter du 1er août 2014, soit un montant annuel de 30'160 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er août 2014, ainsi qu'au versement d'une indemnité pour tort moral de 55'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2013 et au remboursement de tous les frais de l'instance à hauteur de 20'000 fr. (C/15919/2023).
b. Le 24 janvier 2024, la recourante a sollicité l'assistance judiciaire, ainsi que la nomination d'un avocat d'office à la défense de ses intérêts.
c. Le 7 mars 2024, le Tribunal a imparti à A______ un délai au 30 avril 2024 pour fournir une avance de frais de 20'000 fr., prenant en compte une valeur litigieuse de 355'160 fr.
d. Informé de la demande d'assistance judiciaire formée par A______, le Tribunal a suspendu la demande d'avance de frais.
e. Par décision du 6 mai 2024, confirmée par arrêt de la Cour de justice du 27 août 2024, la vice-présidence du Tribunal civil a rejeté la requête d'assistance judiciaire, considérant que les prétentions de la recourante apparaissaient dénuées de chances de succès.
f. Le 5 octobre 2024, A______ a formé un recours au Tribunal fédéral à l'encontre de l'arrêt de la Cour, concluant à être mise au bénéfice de l'assistance judiciaire dans le cadre de la présente procédure.
g. Le 14 octobre 2024, le Tribunal a annulé la décision d'avance de frais du 7 mars 2024 et a imparti à A______ un délai au 4 novembre 2024 pour fournir une avance de frais de 20'000 fr.
h. Par acte expédié à la Cour de justice le 21 octobre 2024, A______ a formé recours contre cette décision. Elle a conclu à ce que la demande d'avance de frais soit annulée, ou à tout le moins suspendue en attendant l'issue de son recours au Tribunal fédéral contre la décision de la vice-présidente de la Cour de justice lui refusant le bénéfice de l'assistance judiciaire.
Etant au bénéfice d'une rente d'invalidité AI et de prestations complémentaires, elle ne disposait pas des ressources suffisantes pour fournir l'avance de frais réclamée. Compte tenu de sa situation financière, elle était éligible à l'assistance judiciaire et elle ne devait pas être contrainte de payer la somme réclamée à titre d'avance de frais alors que son recours au Tribunal fédéral était encore pendant. Elle fait valoir qu'un refus d'annulation ou de suspension de l'avance de frais fixée par le Tribunal aurait un impact disproportionné sur sa capacité à poursuivre la procédure, la privant de son droit constitutionnel d'accéder à la justice, en raison de circonstances financières qui ne dépendaient pas de sa volonté. La loi stipulant que le tribunal pouvait, mais n'était pas obligé, de demander une avance de frais, elle a réclamé que la décision soit revue à la lumière de ce principe.
i. Par décision du 22 octobre 2024, la Cour a fait droit à la requête de suspension du caractère exécutoire de la décision entreprise.
j. Par arrêt 4A_540/2024 du 26 novembre 2024, le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par A______ à l'encontre de l'arrêt de la Cour du 27 août 2024 lui refusant le bénéfice de l'assistance judiciaire.
k. Dans ses observations du 10 décembre 2024, le Tribunal a conclu au rejet du recours, faisant valoir que le montant fixé pour l'avance de frais était conforme à l'art. 17 RTFMC ainsi qu'au tarif interne des demandes d'avances de frais pour le Tribunal de première instance.
l. Dans ses observations du 14 janvier 2025, A______ a réitéré qu'elle n'était pas en mesure de faire face à l'avance de frais demandée compte tenu de ses difficultés financières et que le montant réclamé avait pour conséquence de violer son droit d'accès à la justice. Elle a fait valoir que les tribunaux devaient prendre en compte les conditions financières des parties dans la détermination du montant des avances de frais et que les frais judiciaires pouvaient être réduits ou échelonnés en fonction des difficultés financières de la personne concernée.
Elle a ainsi sollicité une réduction ou un échelonnement du paiement de l'avance de frais.
m. A______ a été avisée par pli du greffe du 7 février 2025 que la cause était gardée à juger.
1. 1.1 La décision entreprise ayant été communiquée à la recourante avant le 1er janvier 2025, le présent recours demeure régi par l'ancien droit de procédure (art. 404 al. 1 et 405 al. 1 CPC), sous réserve des dispositions d'application immédiate énumérées à l'art. 407f CPC.
La procédure de première instance, qui a débuté en 2023, est également régie par l'ancien droit de procédure (art. 404 al. 1 CPC).
1.2 Selon l'art. 103 CPC, les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours.
La décision entreprise est une ordonnance d'instruction, soumise au délai de recours de dix jours de l'art. 321 al. 2 CPC (art. 319 let. b ch. 1 CPC;
Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 4 et 11 ad art. 103 CPC).
Le recours ayant été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130 et 131 CPC), il est recevable.
1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en droit et avec un pouvoir d'examen restreint à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC), dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (arrêts du Tribunal fédéral 4D_9/2021 du 19 août 2021 consid. 3.3.1; 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A_89/2014 du 15 avril 2014 consid. 5.3.2; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n. 2307).
2. La recourante conteste la quotité de l'avance de frais fixée par le Tribunal, qu'elle considère trop élevée.
2.1.1 Le tribunal peut exiger du demandeur une avance à concurrence de la totalité des frais judiciaires présumés (art. 98 aCPC et 2 al. 1 RTFMC).
L'art. 98 aCPC est une "Kann-Vorschrift", le Tribunal jouissant en la matière d'un important pouvoir d'appréciation, puisque s'il doit en principe réclamer une avance de frais correspondant à l'entier des frais judiciaires présumables, il peut également réclamer un montant inférieur, voire renoncer à toute avance de frais, étant cependant relevé que le prélèvement d'une avance de frais pleine et entière est la règle et que celle d'une avance moindre, ou la renonciation à percevoir une avance, sont l'exception (ATF 140 III 159 consid. 4.2).
L'art. 98 aCPC n'autorise pas la partie demanderesse à exiger une réduction de l'avance alors que les conditions dont dépend l'assistance judiciaire, relatives aux ressources insuffisantes de cette partie (art. 118 let. a CPC) et aux chances de succès de la demande (art. 118 let. b CPC) ne sont pas satisfaites. En particulier, l'équité ne justifie pas qu'un plaideur - même peu fortuné - obtienne une réduction de l'avance alors que sa demande en justice n'offre peut-être aucune chance de succès. Or, il n'incombe pas au juge de l'avance de frais d'évaluer les chances de succès de la demande. Même au regard des principes de la célérité et de l'économie de la procédure, il est raisonnablement exigible de la partie demanderesse qu'elle introduise une requête d'assistance judiciaire, avec les justificatifs à produire selon l'art. 119 al. 2 CPC, lorsqu'elle revendique une dispense ou une réduction de l'avance de frais (arrêt du Tribunal fédéral 4A_186/2012 du 19 juin 2012 consid. 5-7; cf. également arrêt du Tribunal fédéral 4A_660/2015 du 9 juin 2016 consid. 4.1).
Lorsqu'il n'y a pas de droit à l'assistance judiciaire, il relève du pouvoir d'appréciation du Tribunal, dans la fixation du montant de l'avance de frais, de prendre en considération la capacité financière d'une partie. A défaut, celle-ci se verrait, de fait, refuser l'accès aux tribunaux. Dans un tel cas, il est conforme à la volonté du législateur de faire un usage généreux de la possibilité de dispense (partielle) du versement de l'avance de frais (arrêts du Tribunal fédéral 5A_603/2021 du 24 février 2022 consid. 2.1; 4A_356/2014 du 5 janvier 2015 consid. 1.2.2). En conséquence, le tribunal peut aussi, de manière discrétionnaire, accorder des paiements échelonnés à la partie tenue de faire l'avance si elle rencontre des difficultés financières sans que les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire gratuite soient remplies (arrêt du Tribunal fédéral 5A_603/2021 du 24 février 2022 consid. 2.1).
2.1.2 Pour déterminer le montant des frais, il y a lieu de se référer au tarif des frais prévu par le droit cantonal (art. 96 CPC).
Selon l'art. 19 al. 3 LaCC, les émoluments forfaitaires sont calculés en fonction de la valeur litigieuse, s'il y a lieu, de l'ampleur et de la difficulté de la procédure et sont fixés dans un tarif établi par le Conseil d'Etat (art. 19 al. 6 LaCC), soit le RTFMC (RS GE E 1 05. 10).
La fixation de l'avance de frais doit correspondre en principe à l'entier des frais judiciaires présumables (art. 2 RTFMC), compte tenu notamment des intérêts en jeu, de la complexité de la cause, de l'ampleur de la procédure et de l'importance du travail qu'elle impliquera, par anticipation sur la décision fixant l'émolument forfaitaire arrêté en fin de procédure (art. 5 RTFMC).
L'art. 17 RTFMC prévoit un émolument forfaitaire de décision de 5'000 fr. à 30'000 fr. pour une cause pécuniaire dont la valeur litigieuse se situe entre 100'001 fr. à 1'000'000 fr.
Les émoluments de justice obéissent au principe de l'équivalence (ATF 133 V 402 consid. 3.1). Ainsi, leur montant doit être en rapport avec la valeur objective de la prestation fournie et rester dans des limites raisonnables. Pour que le principe de l'équivalence soit respecté, il faut que l'émolument soit raisonnablement proportionné à la prestation de l'administration, ce qui n'exclut cependant pas un certain schématisme. Les émoluments doivent être établis selon des critères objectifs et s'abstenir de créer des différences qui ne seraient pas justifiées par des motifs pertinents (ATF 139 III 334 consid. 3.2.4). Le taux de l'émolument ne doit pas, en particulier, empêcher ou rendre difficile à l'excès l'accès à la justice (arrêt du Tribunal fédéral 2C_513/2012 du 11 décembre 2012 consid. 3.1).
2.1.3 La Cour examine la cause avec une certaine réserve. Ainsi, seul un abus du pouvoir d'appréciation du juge constitue une violation de la loi (ACJC/373/2025 du 11 mars 2025 consid. 3.1.4; ACJC/1547/2018 du 8 novembre 2018; ACJC/278/2014 du 25 février 2014; ACJC/208/2014 du 13 février 2014).
2.2.1 En l'espèce, l'art. 17 RTFMC prévoit un émolument forfaitaire de décision de 5'000 fr. à 30'000 fr. pour les causes pécuniaires dont la valeur litigieuse se situe entre 100'001 fr. et 1'000'000 fr., le tarif interne des demandes d'avance de frais pour le Tribunal de première instance prévoit une avance de 20'000 fr. pour une valeur litigieuse entre 250'001 fr. et 500'000 fr.
Dès lors que le Tribunal a considéré que la valeur litigieuse était de 355'160 fr., l'avance de frais fixée à 20'000 fr. correspond aux tarifs en vigueur.
2.2.2 Par ailleurs, aucun motif ne commande de retenir un montant inférieur ou de renoncer à la perception d'une avance de frais. En particulier, rien ne permet de considérer que la demande d'une avance de frais ou son montant rendraient l'accès à la justice plus difficile pour la recourante. L'indigence de celle-ci n'a pas été examinée puis constatée dans les décisions rendues dans le cadre de la demande d'assistance judiciaire, sa demande ayant été rejetée compte tenu du peu de chances de succès de la demande. La recourante s'est limitée à alléguer son indigence, sans toutefois fournir des moyens pour l'établir que ce soit dans le cadre de démarches auprès du Tribunal en vue de réduire les frais, ou dans le cadre du présent recours. Par ailleurs, ni le contenu de la demande en paiement, ni les pièces produites à l'appui de celle-ci, ne permettent de retenir que la recourante se trouverait dans une gêne financière telle qu'elle ne pourrait assumer l'avance de frais litigieuse, alors que l'assistance judiciaire lui avait été refusée. Partant, il ne se justifiait pas de déroger au principe selon lequel une avance de frais pleine et entière doit en général être prélevée.
Par conséquent, le recours sera rejeté.
Le Tribunal sera invité à impartir à la recourante un nouveau délai pour le paiement de l'avance de frais. Il sera relevé à cet égard que, compte tenu de la procédure en matière d'assistance judiciaire et de la présente procédure de recours, la recourante s'est vu octroyer de facto un délai de plusieurs mois pour s'acquitter de ladite avance, cas échéant par acomptes.
3. Compte tenu de l'issue de la procédure, la recourante sera condamnée à verser aux Services financiers du Pouvoir judiciaire un montant de 400 fr. à titre de frais judiciaires réduits du recours (art. 106 CPC et 23 et 41 RTFMC), y compris pour la décision sur effet suspensif. Ces frais seront compensés avec l'avance qu'elle a fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 aCPC).
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La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté le 21 octobre 2024 par A______ contre la décision DTPI/10883/2024 rendue le 14 octobre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15919/2023.
Au fond :
Le rejette.
Invite le Tribunal de première instance à impartir à A______ un nouveau délai pour le paiement de cette avance.
Déboute la recourante de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires de recours à 400 fr., les met à la charge de A______, et dit qu'ils sont compensés avec l'avance de frais versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève.
Siégeant :
Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Monsieur
Jean REYMOND, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.
Indication des voies de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.