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Décisions | Chambre civile

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C/3944/2022

ACJC/438/2025 du 25.03.2025 sur OTPI/235/2024 ( SCC ) , JUGE

En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3944/2022 ACJC/438/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 25 MARS 2025

 

Entre

A______, sise ______ [GE], représentée par Me B______, avocat,

Monsieur C______, domicilié ______ [VD], représenté par Mes D______ et E______, avocats,

Monsieur F______, domicilié ______ [GE], représenté par Me G______, avocat,

recourants tous trois contre l'ordonnance OTPI/235/2024 rendue par la 23ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 16 avril 2024,

et

H______, sise ______, I______, intimée, représentée par Me Philippe NEYROUD, avocat, AUBERT NEYROUD, STÜCKELBERG & FRATINI, rue François-Versonnex 7, 1207 Genève.



EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/235/2024 du 16 avril 2024, reçue par [la banque] A______, C______ et F______ le lendemain 17 avril 2024, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire sur requête de fourniture de sûretés, a condamné H______ à fournir, soit en espèces soit sous la forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse, des sûretés en garantie des dépens d'un montant de 4'500'000 fr. (chiffre premier du dispositif), fixé à H______ un délai de 30 jours, à compter de la notification de la décision, pour déposer lesdites sûretés, soit en espèce auprès des Services financiers du pouvoir judiciaire, soit sous forme de garantie auprès de la chambre du Tribunal (ch. 2), réservé la suite de la procédure à l'issue de ce délai (ch. 3), dit que la demande serait déclarée irrecevable si les sûretés n'étaient pas fournies dans le délai imparti (ch. 4), renvoyé la décision sur les frais à la décision finale (ch. 5) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

B. a. Par acte déposé au greffe à la Cour de justice le 29 avril 2024, A______ a recouru contre cette ordonnance, concluant à son annulation et, cela fait, à ce que la Cour ordonne à H______ de fournir à A______ des sûretés en garantie de ses dépens d'un montant minimum de 3'789'282 fr. 83, sous réserve d'amplification en cours de procédure, lui impartisse un délai de 30 jours pour fournir les sûretés dans les formes prévues par l'art. 100 CPC, et dise que la demande en paiement déposée par sa partie adverse serait déclarée irrecevable si les sûretés n'étaient pas fournies dans le délai imparti. Elle sollicite, à titre subsidiaire, l'annulation de l'ordonnance et le renvoi de la cause au Tribunal et, en tout état, le rejet de toutes les conclusions de H______, sous suite de frais judiciaires et dépens des deux instances.

b. C______ a également formé recours contre l'ordonnance du 16 avril 2024 par acte expédié le 29 avril 2024. Il conclut à l'annulation de cette ordonnance et, cela fait, à la condamnation de H______ à lui fournir des sûretés en garantie des dépens d'un montant minimal de 3'491'525 fr. 95, sous réserve d'amplification en cours de procédure, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la décision de la Cour de justice, sous peine d'irrecevabilité de la demande de H______ du 31 octobre 2022, subsidiairement à l'annulation de l'ordonnance et au renvoi de la cause au Tribunal et, en tout état, au déboutement de H______ de toutes ses conclusions.

c. Par déposé au greffe le 29 avril 2024, F______ a également recouru contre l'ordonnance du 16 avril 2024, concluant à son annulation et, cela fait, à ce que H______ soit astreinte à fournir des sûretés en garantie des dépens en sa faveur d'un montant minimal de 3'347'475 fr. 95, sous réserve d'amplification en cours de procédure, dans un délai de 30 jours sous peine d'irrecevabilité de la demande de H______ de la cause au Tribunal et, en tout état, au déboutement de H______ de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens de recours.

d. H______ a conclu au rejet des trois recours formés par A______, C______ et F______ et à leur déboutement de toutes leurs conclusions, sous suite de frais et dépens de recours.

Elle a produit de nouvelles pièces, soit le message électronique des Services financiers du Pouvoir judiciaire attestant du versement de la somme de 4'500'000 fr., la décision du Tribunal prolongeant le délai imparti pour le versement des sûretés et des courriers que lui a adressés le Ministère public de la Confédération les 28 avril, 27 juin et 19 décembre 2023.

e. A______ a répliqué le 17 juin 2024, persistant dans les conclusions de son recours.

f. Par avis du 8 juillet 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 31 octobre 2022, H______ a assigné A______, C______ et F______ devant le Tribunal de première instance en paiement de 426'478'829 fr., intérêts en sus, en réparation du préjudice résultant du versement de rétrocommissions.

Elle a, à titre préalable, requis la production de nombreuses pièces par les parties défenderesses ou par des tiers, ainsi que l'apport de la procédure pénale ouverte devant le Ministère public de la Confédération.

Sa demande présente 261 pages, dont 224 pages sont consacrées à l'établissement des faits comportant 1'214 allégués de faits, à l'appui desquels elle a produit 3'000 pièces dans 18 classeurs fédéraux, ainsi qu'une expertise privée de plus de 900 pages. Les faits objet du litige sont très anciens et se sont prétendument déroulés sur plusieurs décennies. H______ se prévaut de dispositions du droit I______.

En substance, H______ établissement autonome de droit public de l'Etat de I______ ayant pour but ______ dont J______ était directeur général de 1984 à 2014, soutient avoir été victime de gestion déloyale des fonds publics et blanchiment d'argent en rapport avec un montage mis en place par A______, C______ et F______ pour acheminer des rétrocommissions occultes à J______. Ces rétrocommissions avaient été versées à ce dernier en échange de l'investissement de H______ dans certains fonds de placement par le biais d'instruments destinés à dissimuler le cheminement des fonds. Le montage mis en œuvre, impliquant de multiples sociétés, avaient servi à la perception par J______ de rétrocommissions de plus de 78'500'000 USD sur les investissements de H______ dans différents fonds de placement. Différentes procédures avaient été initiées dans ce contexte : une procédure pénale ouverte contre J______ au I______, qui a adressé une demande d'entraide internationale pénale à la Suisse, une procédure pénale en Suisse ouverte par le Ministère public de la Confédération (MPC) contre J______ et son épouse, une procédure réglementaire devant l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA), ainsi qu'une procédure civile engagée par H______ à Londres (GB) en 2019 contre les époux J______ et divers établissements financiers et intermédiaires, dont A______, C______ et F______, clôturée par une décision d'incompétence à raison du lieu.

H______ fonde les prétentions qu'elle fait valoir contre A______, C______ et F______ sur le droit de la responsabilité civile et contractuelle suisse, le droit pénal suisse et sur le droit pénal et le droit public du I______ (loi sur la protection des fonds publics, loi sur la fonction publique).

b.a Par requête du 31 janvier 2023, A______ a conclu à ce que H______ soit astreinte à fournir des sûretés en garantie des dépens à hauteur de 3'789'282 fr. 83 au total.

Elle a procédé à une estimation de ses dépens prévisibles en déterminant, sur la base du barème prévu par le Règlement fixant le tarif des frais en matière civile (ci-après : RTFMC) en fonction de la valeur litigieuse, le défraiement de base à 2'188794 fr. 15, qu'elle a amplifié de 20% (437'758 fr. 80) pour tenir compte de la complexité de la cause, des éléments d'extranéité qu'elle présente, de l'importante documentation déjà versée et encore à verser à la procédure, des questions juridiques complexes se posant tant en droit suisse qu'en droit étranger, des débours de 3% (78'796 fr. 58), augmentés des frais d'avis de droit (300'000 fr.) et d'expertise (500'000 fr.), soit un total de dépens provisionnels de 3'505'349 fr. 52, auquel s'ajoute la TVA de 8.1 % (283'933 fr. 31).

Elle s'est prévalue, à titre indicatif, du coût de la défense de ses intérêts dans la procédure anglaise, qui s'est élevé à 4'431'316 GBP, alors que la procédure s'était limitée à la question de la compétence des tribunaux anglais.

b.b Le 31 janvier 2023, C______ a également sollicité la fourniture de sûretés par H______ en garantie des dépens à hauteur de 3'491'525 fr. 95 fr. au total.

Il a calculé le montant de base des sûretés requises en fonction de la valeur litigieuse, conformément au Règlement sur le tarif des frais en matière civile (2'188'794 fr. 15), l'a majoré de 10% pour tenir compte de la complexité de la cause, due notamment à l'ampleur de la demande, du contexte international et de l'application du droit étranger et des procédures connexes dans différents pays étrangers, y a ajouté des dépens estimés à 822'230 fr. 20, comprenant des frais d'avis de droit (250'000 fr.) et d'expertise (500'000 fr.), soit un total de 3'229'903 fr. 75, auquel s'ajoute la TVA de 8.1 %.

Il s'est, à titre indicatif, prévalu de ce que les frais encourus pour la défense de ses intérêts dans la procédure anglaise, pourtant limitée à la question de la compétence des tribunaux anglais, s'étaient élevés à 1'573'399 GBP, correspondant à 1'795'720 fr. au taux du 31 janvier 2023.

b.c F______ a également requis, en date du 31 janvier 2023, que H______ soit astreinte à fournir des sûretés en garantie des dépens à hauteur de 3'347'475 fr. 95.

Il a également déterminé le défraiement de base à hauteur de 2'188'794 fr. 14 en application du barème prévu par l'art. 85 RTFMC, l'a majoré de 10% en raison de l'importance de la cause, nécessitant l'intervention de plusieurs avocats de l'étude, l'ancienneté et l'extranéité des éléments de l'état de fait, les multiples fondements invoqués, pour parvenir à un montant de 2'407'673 fr. 55. Il a estimé les débours prévisibles à 772'230 fr. 20, comprenant, outre les débours forfaitaires de 3 %, des frais d'avis de droit à raison de 200'000 fr. et d'expertises à hauteur de 500'000 fr. Il a ensuite ajouté la TVA de 8.1 % (257'572 fr. 20).

Il s'est, à titre indicatif, prévalu du coût de la défense de ses intérêts dans la procédure anglaise, qui s'est élevé à 1'593'115 GBP alors que la procédure était limitée à la question de la compétence des tribunaux anglais.

c. Dans sa réponse à ces trois requêtes en fourniture de sûretés en garantie des dépens, H______, qui n'a pas contesté être tenue au versement de sûretés, a conclu ce que celles-ci soient fixées à 20'000 fr. par partie défenderesse, soit des sûretés limitées aux dépens prévisibles liées à un incident de suspension hautement vraisemblable, subsidiairement à 300'000 fr. par partie défenderesse pour la procédure au fond.

Elle a exposé que sa solvabilité était notoire, que le montant total des suretés requises par les défendeurs risquait de lui causer une importante perte de rendement en raison de la durée de la procédure, voire du risque de sa suspension dans l'attente de l'issue des procédures pénales. Le travail effectif à produire par les défendeurs était réduit en raison de leur connaissance des faits et moyens de preuve invoqués dans la demande et de la coordination de leurs conseils respectifs.

d. Les parties ont fait usage de leur droit de réplique en se déterminant les 16 et 19 juin, 4 et 14 juillet 2024, sur quoi la cause a été gardée à juger sur fourniture de sûretés.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours (art. 103 CPC).

Ces décisions ayant nature d'ordonnance d'instruction, le délai de recours est de dix jours en application de l'art. 321 al. 2 CPC (Tappy, Commentaire romand CPC, 2019, n. 4 et 11 ad art. 103 CPC; Hofmann/baekert, Basler Kommentar, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 2024, n. 16 ad art. 103 CPC).

Interjetés dans le délai et selon la forme prescrits par la loi (art. 142 al. 3, 321 al. 1 et 2 CPC), les trois recours sont recevables.

1.2 Dirigés contre la même ordonnance, les trois recours seront traités dans le même arrêt (art. 125 CPC).

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en droit et avec un pouvoir d'examen restreint à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC), dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (arrêts du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A_89/2014 du 15 avril 2014 consid. 5.3.2; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2e édition 2010, n° 2307).

2. L'intimée a allégué des fait nouveaux et produit des pièces nouvelles.

2.1 Dans le cadre du recours, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

Le régime de l'art. 326 al. 1 CPC doit être calqué sur celui de l'art. 99 al. 1 LTF, afin d'empêcher que la présentation des faits et preuves nouveaux soit soumise à une réglementation plus rigoureuse devant l'autorité cantonale que devant le Tribunal fédéral, qui peut tenir compte d'éléments nouveaux qui rendent sans objet le recours (ATF 145 III 422 consid. 5.2). Selon l'art. 99 al. 1 LTF, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente. La règle prévue par cette disposition connaît une exception lorsque la décision de l'autorité précédente est le motif pour présenter de nouveaux faits ou moyens de preuve ou, en d'autres termes, lorsque c'est la décision de l'autorité précédente qui, pour la première fois, a rendu pertinents ces faits ou moyens de preuve : il peut s'agir de faits et moyens de preuve qui se rapportent à la régularité de la procédure devant l'instance précédente ou qui sont déterminants pour la recevabilité du recours au Tribunal fédéral ou encore qui sont propres à contrer une argumentation de l'autorité précédente objectivement imprévisible pour les parties avant la réception de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 5A_904/2015 du 29 septembre 2016 consid. 2.3).

2.2 En l'espèce, les deux pièces relatives à la fourniture des sûretés par l'intimée ne sont pas nouvelles, puisqu'elles concernent la présente procédure et font partie du dossier de première instance.

L'intimée produit par ailleurs trois courriers qui lui ont été adressés par le Ministère public de la Confédération les 28 avril, 27 juin et 19 décembre 2023 et allègue des faits nouveaux en lien avec les procédures pénales ouvertes par le Ministère public de la Confédération en lien avec le versement de rétrocessions à J______ en échange du dépôt des avoirs de l'intimée auprès de A______ et d'investissements de l'intimée dans des fonds de placement liés au groupe A______. Ces pièces font certes ressortir que l'intimée n'a été autorisée par le MPC à révéler l'existence de cette procédure pénale qu'en décembre 2023. Ces circonstances ne justifient pas de déroger au régime strict de l'art. 326 al. 1 CPC, puisqu'elles ne résultent pas de la décision entreprise et ne satisfont donc pas aux conditions posées par l'art. 99 al. 1 LTF pour déroger à l'interdiction de faire valoir des faits nouveaux et des pièces nouvelles. Il sera enfin relevé que ces pièces n'ont en tout état pas d'incidence sur l'issue du présent litige.

3. Les recourants font grief au Tribunal d'avoir violé leur droit d'être entendus.

3.1 Le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) implique l'obligation, pour l'autorité, de motiver sa décision, afin que son destinataire puisse la comprendre et l'attaquer utilement s'il y a lieu. Le juge n'a, en revanche, pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties. Il suffit qu'il mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 129 I 232 consid. 3.2, in JdT 2004 I 588; arrêt du Tribunal fédéral 5A_598/2012 du 4 décembre 2012 consid. 3.1).

Le droit à une décision motivée est respecté lorsque l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2015 du 20 octobre 2015 consid. 3.1).

3.2 En l'occurrence, le Tribunal a retenu qu'en application des articles 84 et 85 RTFMC, 25 et 26 LaCC, le montant des sûretés s'élevait à 2'431'750 fr. 30, correspondant au défraiement d'un représentant professionnel de 2'188'794 fr. 15, calculés sur la base de la valeur litigieuse de 426'478'829 fr., majorés de 3% pour les débours et de 8.1% pour la TVA. Rappelant ensuite que l'art. 23 al. 1 LaCC lui permettait de fixer un défraiement inférieur ou supérieur aux taux minimums et maximums prévus par la loi lorsqu'il existait une disproportion manifeste entre la valeur litigieuse et l'intérêt des parties au procès ou entre le taux applicable selon la LaCC et le travail effectif de l'avocat et qu'il disposait en tout état d'un pouvoir d'appréciation important pour fixer le montant desdites sûretés, le Tribunal a arrêté le montant des sûretés devant être fournies par l'intimée à 1'500'000 fr. pour chacun des recourants, soit un total de 4'500'000 fr.

Il est vrai que la motivation du Tribunal est particulièrement succincte, puisqu'il se limite à faire référence à son large pouvoir d'appréciation sans exposer les circonstances l'ayant conduit à déroger au cadre prévu par la loi pour déterminer le défraiement de base, à refuser la majoration requise par les parties et à ne pas tenir compte des frais prévisibles des avis de droit et des d'expertise dans les débours. Sa décision permet néanmoins de discerner les éléments dont il a tenu compte pour fixer le montant des sûretés et les appelants ont été en mesure de la contester utilement dans le cadre de leur recours.

Il n'y a en conséquence pas lieu d'annuler l'ordonnance pour ce motif.

4. Les recourants critiquent le montant des sûretés retenu par le Tribunal.

4.1.1 Le demandeur qui n'a pas de domicile ou de siège en Suisse doit, sur requête du défendeur, fournir des sûretés en garantie du paiement des dépens (art. 99 al. 1 ch. 1 CPC).

Les sûretés doivent couvrir en principe les dépens présumés que l'appelant aurait à verser à l'intimé en cas de perte totale du procès (Tappy, op. cit., n. 7 ad art. 100 CPC; hofmann/baekert, Basler Kommentar, 2024, n. 81 ad art. 99 CPC). Les dépens comprennent les débours nécessaires, le défraiement d'un représentant professionnel, et lorsqu'une partie n'a pas de représentant professionnel, une indemnité équitable pour les démarches effectuées, dans les cas où cela se justifie (art. 95 al. 3 CPC).

Pour calculer les dépens présumés et, partant, le montant des sûretés, il faut s'en remettre au droit cantonal (art. 96 CPC).

4.1.2 Dans les contestations portant sur des affaires pécuniaires, le défraiement d'un représentant professionnel est, en règle générale, proportionnel à la valeur litigieuse; il est fixé dans les limites figurant dans un règlement du Conseil d'État, d'après l'importance de la cause, ses difficultés, l'ampleur du travail et le temps employé (art. 20 al. 1 LaCC).

Le règlement fixant le tarif des greffes en matière civile (ci-après : RTFMC) fixe le tarif servant de base au défraiement d'un représentant professionnel dans les affaires pécuniaires. L'art. 84 RTFMC rappelle les critères posés par l'art. 20 al. 1 La CC en disposant que le défraiement d'un représentant professionnel est, en règle générale, proportionnel à la valeur litigieuse; sans effet sur les rapports contractuels entre l'avocat et son client, il est fixé d'après l'importance de la cause, ses difficultés, l'ampleur du travail et le temps consacré. L'art. 85 al. 1 RTFMC prévoit que lorsque la valeur litigieuse se situe au-delà de 10'000'000 fr., le défraiement correspond à 106'400 fr. plus 0,5% de la valeur litigieuse dépassant 10'000'000 fr. et que ce défraiement peut s'en écarter de plus ou moins 10% pour tenir compte des éléments rappelés à l'art. 4 RTFMC, sans préjudice de l'art. 23 LaCC.

Lorsqu'il y a une disproportion manifeste entre la valeur litigieuse et l'intérêt des parties au procès ou entre le taux applicable selon la présente loi et le travail effectif de l'avocat, la juridiction peut fixer un défraiement inférieur ou supérieur aux taux minimums et maximums prévus (art. 23 al. LaCC).

Ces critères, adoptés par la législation genevoise, ne sont ainsi pas éloignés de ceux dégagés par la jurisprudence fédérale antérieure au CPC pour déterminer la fixation des honoraires d'avocat, à savoir que pour les affaires pécuniaires, l'importance de la cause est essentiellement fonction de la valeur litigieuse, qui accroît la responsabilité assumée par l'avocat. Selon le Tribunal fédéral, le juge doit aussi estimer l'ampleur du travail fourni et le temps consacré par le mandataire professionnel mais sans tenir compte des procédés inutiles ou superflus. L'idée majeure qui se dégage de ces principes est qu'il doit exister entre la rémunération de l'avocat, d'une part, et les prestations fournies ainsi que la responsabilité encourue, d'autre part, un rapport raisonnable. Plus la valeur litigieuse est élevée, plus le pourcentage déterminant doit diminuer pour que la rémunération de l'avocat reste dans un rapport raisonnable avec les prestations fournies (arrêts du Tribunal fédéral 4P_140/2002 du 17 septembre 2002 consid. 2.2; 4P_116/2006 du 6 juillet 2006 consid. 3.3; 2C_25/2008 du 18 juin 2008 consid. 4.2.1; TF in SJ 2003 p. 363, consid. 3.2).

4.2.1 En l'espèce, les parties ne remettent pas en cause le montant de base du défraiement retenu par le premier juge à hauteur de 2'188'794 fr., résultant de l'application du barème de l'article 85 al. 1 RTFMC au regard des prétentions formulées par l'intimée à hauteur de 426'478'829 fr.

4.2.2 Les recourants reprochent à juste titre au Tribunal d'avoir renoncé à majorer ce montant en application de l'art. 85 al. 1 RTFMC.

L'ampleur de la cause, au regard de la demande qui comporte 261 pages, 1'214 allégués de faits, est assortie de 3'000 pièces, et sa complexité, résultant notamment de son état de fait ancien s'étendant sur plus de dix ans, impliquant différents intervenants et de nombreuses transactions financières, de ses nombreux éléments d'extranéité, des procédures connexes qui y sont liées, des fondements juridiques et du droit étranger invoqués justifient en effet de majorer de 10 % le défraiement de base, retenu à hauteur de 2'188'794 fr. ci-avant.

A______ ne saurait en revanche être suivie lorsqu'elle requiert une majoration de 20% du défraiement de base, qui ne trouve pas de fondement dans le RTFMC, étant ici relevé que l'éventuelle adaptation du défraiement en raison d'une disproportion entre le taux applicable selon les tarifs appliqués et le travail effectif de l'avocat réservée par l'art. 23 al. 1 LaCC sera examinée ci-après.

Il se justifie en conséquence de majorer de 10% le défraiement de base, fixé à hauteur de 2'188'794 fr. selon la valeur litigieuse, le portant ainsi à 2'407'673 fr. (2'188'794 fr. + 218'879 fr.).

4.2.3 L'intimée fait valoir que le montant obtenu par une application "machinale" du tarif en matière de dépens sur la base de la valeur litigieuse est en disproportion manifeste avec le travail effectif requis pour assister les recourants dans la procédure de première instance et qu'il convient en conséquence de le réduire en tenant compte des circonstances concrètes.

Elle se prévaut de l'arrêt ACJC/1373/2022 rendu par la Cour le 18 octobre 2022, aux termes duquel cette dernière avait retenu, dans le cadre d'une action dirigée contre une banque et plusieurs autres personnes y travaillant portant sur la somme de 325'216'735 fr., que la procédure n'en était qu'à ses débuts, que l'estimation de l'ampleur que la cause pourrait présenter et le temps employé à la traiter étaient ainsi malaisés, que plusieurs procédures judiciaires connexes opposant les parties avaient déjà eu lieu, de sorte que le complexe des faits était connu de ces dernières et/ou aisément compréhensible, que les problèmes soulevés ne nécessitaient pas des recherches juridiques pointues et que seul le droit suisse semblait applicable; il ne pouvait donc pas être déduit des circonstances du cas d'espèce que l'ampleur du travail fourni et le temps consacré par le conseil des intimés seraient considérables, que le nombre de défendeurs n'était pas non plus déterminant puisqu'ils étaient tous représentés par un même conseil, qu'il existait une disproportion manifeste entre le montant obtenu de plus de 2'000'000 fr. selon le taux applicable et le travail effectif à produire par l'avocat des intimés et qu'il se justifiait donc d'appliquer l'art. 23 al. 1 LaCC et de fixer le défraiement à la moitié du montant prévu par le tarif.

En l'occurrence, le présent litige est de grande ampleur, porte sur des faits anciens s'étendant sur plusieurs années et présentant des aspects financiers techniques. La cause présente ainsi une certaine difficulté et nécessitera une activité importante. Le droit suisse n'apparaît en outre, à première vue, pas seul applicable et la demande est fondée sur divers chefs de responsabilité.

Le litige a par ailleurs fait l'objet de différentes procédures judiciaires connexes, dont une procédure civile antérieure devant les tribunaux britanniques, qui ont décliné leur compétence à raison du lieu. S'il est vrai que l'on ne saurait, en raison de ces procédures antérieures, opposer aux recourants une parfaite connaissance des faits de la cause puisqu'il n'ont pas eu à se déterminer sur le fond dans le contexte de la procédure conduite en Angleterre, il n'en demeure pas moins que les parties ont d'ores et déjà été amenées à prendre connaissance du complexe de fait et des prétentions élevées contre elles par le biais de la demande en paiement introduite en Angleterre.

Il convient également de tenir compte du fait que les recourants sont des consorts passifs simples et que leurs conseils ont, dans une certaine mesure, la possibilité de coordonner leurs activités. Les recourants n'exposent pas que leur assignation respective reposerait sur des complexes de fait différents ou encore qu'il existerait un conflit d'intérêt excluant toute coopération entre eux.

Reste enfin à déterminer si au regard de ces circonstances, le défraiement fixé ci-avant à 2'407'673 fr. par recourant selon le tarif prévu par le RTFMC, majoration de 10% incluse, reste dans un rapport raisonnable avec les prestations fournies. Ce montant correspond à plus de 5'350 heures de travail à un taux horaire de 450 fr., ce qui représente une activité déployée par un avocat à temps plein durant deux ans et dix mois pour chacun des recourants. En ce sens, un calcul strictement fondé sur la valeur litigieuse conduit à un résultat excessif. Compte tenu des éléments examinés ci-avant, il apparaît équitable de réduire de moitié le défraiement calculé sur la valeur litigieuse, en application de l'art. 23 al. 1 LaCC.

C'est partant un montant arrondi à 1'200'000 fr. qu'il y a lieu de prendre en considération pour le défraiement pour chacun des recourants, ce qui correspond à plus de 2'660 heures au tarif horaire de 450 fr., soit une activité d'avocat à plein temps durant plus de 15 mois.

5. Les recourants reprochent au premier juge de n'avoir pas tenu compte des frais prévisibles d'expertise et d'avis de droit dans l'estimation des débours.

5.1 Les débours nécessaires sont estimés, sauf éléments contraires, à 3% du défraiement et s'ajoutent à celui-ci (art. 25 LaCC). La juridiction fixe les dépens d'après le dossier en chiffres ronds incluant la taxe sur la valeur ajoutée (art. 26 al. 1ère phr. LaCC).

Les coûts relatifs à un avis de droit étranger peuvent faire partie des débours lorsque les parties sont astreintes à établir l'existence ou la teneur d'un droit étranger (arrêt du Tribunal fédéral 5A_41/2010 consid. 3.4; tappy, op. cit., n. 24 ad art. 95; hofmann/baeckert, op. cit., n. 44 ad art. 95 CPC). Il en va de même des coûts en lien avec une expertise privée, si cette dernière s'avère nécessaire et appropriée (hofmann/baeckert, op. cit., n. 43 ad art. 95 CPC).

5.2 Les recourants font valoir des frais d'expertise à hauteur de 500'000 fr., ainsi que des frais pour les avis de droit étranger à raison de 300'000 fr. pour A______, 250'000 fr. pour C______ et 200'000 fr. pour F______.

Les différents fondements juridiques invoqués par l'intimée en droit suisse et I______ conduisent à retenir que les recourants devront vraisemblablement faire face à des frais conséquents pour établir le droit étranger.

L'établissement d'une expertise privée par les recourants apparaît par ailleurs, dans les circonstances tout-à-fait exceptionnelles du cas d'espèce, nécessaire pour la défense de leurs intérêts au regard de la particulière complexité de l'état de fait, qui a conduit l'intimée à produire elle-même une expertise privée de plus de 900 pages à l'appui de sa demande.

Les frais prévisibles d'une expertise privée et d'un avis de droit étranger, en l'état estimés à hauteur d'un montant global de 700'000 fr., seront pris en considération à raison de la moitié, dès lors que les recourants sont en mesure, en leur qualité de consorts passifs simples, de coordonner, du moins en partie, la mise en œuvre des expertises et avis de droit.

C'est en conséquence un montant de 400'000 fr. qu'il convient de prendre en considération pour les débours, comprenant la moitié des frais d'expertise et d'avis de droit (350'000 fr.) ainsi que le montant forfaitaire fixé à raison de 3% du défraiement retenu ci-avant à hauteur de 1'200'000 fr. (36'000 fr.).

6. En définitive, le défraiement pour un représentant professionnel déterminé selon la valeur litigieuse (2'188'794 fr.), majoré de 10% en application de l'art. 85 al. 1 RTFMC (2'407'673 fr.), réduit de moitié sur la base de l'art. 23 LaCC (1'200'000 fr.) et augmenté des débours (400'000 fr.) sera estimé à hauteur de 1'600'000 fr., soit 1'729'600 fr., TVA de 8.1% comprise.

Un montant de 1'750'000 fr. pour chacun des recourants apparaît ainsi proportionné et suffisant à couvrir les dépens de la procédure de première instance. Les sûretés seront en conséquence fixées à hauteur de ce montant pour chacun des recourants, étant enfin relevé que si ces sûretés devaient se révéler insuffisantes en cours d'instance, le Tribunal pourra, sur requête et dans les mêmes conditions, prescrire à l'intimée de les compléter en tout temps (art. 100 al. 2 CPC).

L'intimée sera ainsi condamnée au versement d'une somme globale de 5'250'000 fr. dans un délai de 30 jours à compter de la réception du présent arrêt, sous déduction du montant des sûretés déjà déposé en exécution de l'ordonnance dont est recours.

Partant, les chiffres 1 et 2 du dispositif de l'ordonnance attaquée seront annulés et il sera statué à nouveau sur ces points dans le sens qui précède.

7. Les frais judiciaires de recours seront arrêtés à 6'000 fr. (art. 13, 21 et 41 RTFMC) et compensés avec les avances versées par chacun des recourants à hauteur de 800 fr., qui restent acquises à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Les recourants n'obtenant que partiellement gain de cause, ces frais seront répartis à raison d'un cinquième à la charge de l'intimée (1'200 fr.) et du solde à la charge des recourants (4'800 fr.). Chaque recourant sera ainsi condamné à verser 800 fr. et l'intimé 1'200 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Vu l'issue du litige, chacune des parties assumera ses propres dépens de recours.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevables les recours interjetés par A______, C______ et F______ le 29 avril 2024 contre l'ordonnance OTPI/235/2024 rendue le 16 avril 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/3944/2022.

Au fond :

Annule les chiffres 1 et 2 du dispositif de cette ordonnance et statuant à nouveau sur ces points :

Condamne H______ à fournir, soit en espèces, soit sous forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse, des sûretés d'un montant de 1'750'00 fr. en garantie des dépens de première instance de A______, d'un montant de 1'750'000 fr. en garantie des dépens de première instance de C______ et d'un montant de 1'750'000 fr. en garantie des dépens de première instance de F______, soit un montant total de 5'250'000 fr.

Fixe à H______, un délai de 30 jours, à compter de la réception du présent arrêt, pour déposer lesdites sûretés, soit en espèces auprès des Services financiers du Pouvoir judiciaire, soit sous forme de garantie auprès du Tribunal de première instance, sous déduction du montant de sûretés déjà avancé en exécution de l'ordonnance OTPI/235/2024 du 16 avril 2024.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 6'000 fr., les met à raison d'un cinquième à la charge de H______ et les quatre cinquièmes restant à la charge de A______, C______ et F______ et les compense avec les avances fournies, qui restent acquises à l'Etat de Genève.

Condamne H______ à verser 1'200 fr. à titre de frais judiciaires de recours aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne A______ à verser 800 fr. à titre de frais judiciaires de recours aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne C______ à verser 800 fr. à titre de frais judiciaires de recours aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne F______ à verser 800 fr. à titre de frais judiciaires de recours aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Cédric-Laurent MICHEL et
Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.