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Décisions | Chambre civile

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C/17715/2021

ACJC/696/2022 du 24.05.2022 ( IUS ) , REJETE

Normes : CPC.334.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17715/2021 ACJC/696/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 24 MAI 2022

 

Entre

A______ SA, sise ______, requérante en interprétation, comparant en personne,

et

Monsieur B______, domicilié ______, cité, comparant par Me Alec REYMOND, avocat, @lex Avocats, rue de Contamines 6, 1206 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par arrêt ACJC/283/2022 du 1er mars 2022, notifié à A______ SA le 4 mars suivant, la Cour de justice a, notamment, déclaré recevable la requête de mesures provisionnelles formée le 16 septembre 2021 par B______ à l'encontre de A______ SA, ordonné à A______ SA de modifier au sens des considérants son site internet afin que celui-ci ne constitue plus la copie servile du site "D______.ch" dans la dénomination des rubriques et des sous-rubriques, dans leur arborescence ainsi que dans le contenu des textes y figurant, lui a imparti un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt pour s'exécuter en ce sens, et lui a signifié cette décision sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP.

La Cour a retenu ce qui suit aux considérants 3.2.2 et 3.2.4 de l'arrêt susmentionné :

"Il sied à présent de déterminer si le site internet mis en ligne par la citée porte atteinte aux droits d'auteur du requérant.

En l'occurrence, il résulte des extraits des deux sites internet mis en exergue dans la partie En fait que la première version du site "C______.ch" constituait une copie servile du site "D______.ch". Outre les ressemblances graphiques entre les deux pages d'accueil, le site "C______.ch" recourait largement à l'expression originale "avocat(s) 1______" et reprenait, en les paraphrasant de manière souvent maladroite, de larges extraits du site du requérant.

A la suite de l'interpellation du requérant, la citée a certes apporté des modifications à son site internet, reconnaissant ainsi tacitement l'illicéité de sa démarche initiale. Ainsi que le montrent les extraits reproduits ci-dessus (cf. En fait, let. A.n.a et A.n.b), elle a supprimé les similitudes les plus patentes en changeant le graphisme de sa page d'accueil (photographie d'illustration et couleurs), le texte figurant sur celle-ci, les dénominations des rubriques principales ainsi qu'une partie du contenu de la foire aux questions (FAQ).

Le contenu du site internet de la citée continue toutefois d'être largement inspiré de celui du requérant. La page d'accueil du site "C______.ch" comporte encore de nombreux termes et idées originaux empruntés à la page d'accueil du site "D______.ch", tels que – pour n'en citer que quelques-uns – la problématique 2______ ou la nécessité de recourir à un avocat afin de surmonter l'épreuve difficile que constitue un ______ et de pouvoir se défendre efficacement. Or, la citée n'aurait pas utilisé des notions quasi identiques à celles employées par le requérant si elle s'était efforcée de rédiger un texte qui lui soit propre.

Le même constat s'impose s'agissant du contenu d'autres rubriques du site internet de la citée, telles que "3______", "Aide de l'avocat", ou encore certaines questions/réponses de la rubrique "FAQ" (cf. En fait, let. A.n.e et A.n.g). Contrairement à ce qu'elle prétend, la citée ne s'est en effet pas limitée à emprunter au requérant des termes génériques ou des explications élémentaires relatives au droit 1______, mais a paraphrasé des paragraphes entiers du site "D______.ch" en empruntant les conseils et les idées originales y figurant.

Bien que la citée ait effectué des modifications sur ce point, de nombreuses ressemblances subsistent encore entre les deux sites dans les dénominations des rubriques et des sous-rubriques (cf. En fait, let. A.n.b, A.n.c et A.n.d). Certes, le requérant ne saurait revendiquer l'utilisation exclusive de termes inhérents au droit 1______ tels que "4______", "délit 5______" ou "6______". Les nombreuses similitudes entre les deux sites dans l'arborescence des menus et des sous-menus montrent toutefois que l'architecture du site "C______.ch" reste calquée sur les idées et les choix opérés par la requérante et ne résulte pas d'un travail créatif personnel de la citée ou de ses mandataires.

En agissant de la sorte, la citée a utilisé sans droit l'œuvre du requérant et a porté atteinte à ses droits protégés par les art. 10 al. 1 et 11 al. 1 LDA. Il faut également admettre, sous l'angle de la vraisemblance, qu'elle a repris sans contreprestation ni sacrifice correspondant le travail du requérant en l'intégrant dans son propre site internet et qu'elle a ainsi favorisé un transfert de la réputation dont bénéficie le site "D______.ch" sur son propre site dans l'esprit du public, afin d'en tirer un avantage concurrentiel. Elle a ainsi agi de manière déloyale au sens des art. 2 et 5 let. c LCD.

Au vu de ce qui précède, la condition d'une atteinte aux droits du requérant doit être considérée comme remplie.

[ ]

3.2.4 La conclusion du requérant tendant à la mise hors ligne du site "C______.ch" n'est en revanche pas conforme au principe de proportionnalité, lequel prohibe le prononcé de mesures allant au-delà de ce qu'exige le but poursuivi. Il apparaît en effet que depuis qu'elle a mis en ligne son site au mois de juillet 2021, la citée a opéré un certain nombre de modifications, notamment dans le graphisme de la page d'accueil et les rubriques principales, de sorte que l'apparence générale des deux sites ne prête plus à confusion. Le requérant ne saurait au surplus revendiquer le droit exclusif de consacrer un site internet au droit 1______ et aux services qu'un avocat peut offrir dans ce cadre, étant rappelé que de nombreux sites internet existent déjà dans ce domaine.

Au vu de ce qui précède, il convient d'ordonner à la citée de modifier son site internet afin que celui-ci ne constitue plus la copie servile du site "D______.ch" dans la dénomination des rubriques et des sous-rubriques, dans leur arborescence ainsi que dans le contenu des textes y figurant.

Un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt sera imparti à la citée pour se conformer à ce qui précède. Cette mesure sera assortie de la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP."

B. a. Par acte expédié au greffe de la Cour le 12 avril 2022, A______ SA forme une requête en interprétation de l'arrêt susmentionné au sens de l'art. 334 al. 1 CPC. Elle conclut, avec suite de frais, à ce que la Cour interprète le dispositif de l'arrêt du 1er mars 2022.

Elle fait valoir, en substance, qu'à la lecture de l'arrêt susmentionné, le graphisme de la page d'accueil et les dénominations des rubriques principales de son site internet "C______.ch" n'ont plus besoin d'être modifiés. Demeurent en revanche litigieuses les (sous-)rubriques "Victime de ______", "Infractions", "4______", celles consacrées aux 7______, le contenu de la rubrique "3______" et les "FAQ" dudit site internet. A cet égard, A______ SA reproche à la Cour de s'être limitée à relever, dans son arrêt, les passages et sous-menus contraires à la LDA et à la LCD. Le simple fait que A______ SA cite la loi dans son site internet serait dès lors susceptible de contrevenir à l'arrêt de la Cour, en tant que celui-ci lui fait obligation de "modifier au sens des considérants son site internet afin que celui-ci ne constitue plus la copie servile du site "D______.ch" [ ] dans le contenu des textes y figurant". A titre d'exemple, les art. 15a et 15b [de la Loi 1______] contiennent l'intégralité des informations figurant dans l'extrait du site "D______.ch" cité dans l'arrêt de la Cour (cf. En fait, let. A.n.e). Or, A______ SA serait en droit de citer la loi, à l'exclusion des termes utilisés par le site "D______.ch" ou de leurs synonymes.

A______ SA fait également valoir que l'arrêt de la Cour ne permet pas de déterminer quels sont les éléments à modifier pour que son site internet ne constitue plus la copie servile du site "D______.ch" dans la dénomination des rubriques et des sous-rubriques et dans leur arborescence. A titre d'exemple, le menu de son site internet relatif aux 7______ ne constituerait qu'une liste des divers moyens de transport existant sur le marché. Le simple fait de reprendre la systématique de l'art. 1 al. 10 [de l'Ordonnance 1______] et d'illustrer son contenu serait dès lors susceptible de contrevenir à l'arrêt de la Cour. Or, A______ SA s'estime en droit de reprendre la systématique légale et de l'illustrer par des exemples concrets.

Au vu de ce qui précède, l'arrêt querellé constituerait, selon A______ SA, "une décision impossible à exécuter sans prendre le risque de violer l'art. 292 CP". Il conviendrait dès lors de l'interpréter afin que A______ SA puisse l'exécuter.

b. B______ conclut au rejet de la requête et au déboutement de A______ SA, avec suite de frais et dépens.

c. A______ SA n'ayant pas usé de son droit à la réplique dans le délai imparti par le greffe de la Cour pour ce faire, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. La procédure en interprétation ou en rectification du dispositif d'une décision en force est réglée à l'art. 334 CPC. La requête en rectification doit indiquer les passages contestés ou les modifications demandées (art. 334 al. 1 CPC in fine).

Le CPC ne prévoit aucun délai dans lequel la demande doit être déposée après la communication de la décision à interpréter (ATF 139 III 379 consid. 2.1).

Le tribunal compétent pour procéder à la rectification est celui qui a statué (Message CPC du 28 juin 2006, FF 2006 p. 6988; Schweizer, in Code de procédure civile, Commentaire romand, 2ème éd. 2021, art. 334 CPC, n. 4).

En l'espèce, la requérante sollicite l'interprétation du dispositif de l'arrêt rendu le 1er mars 2022 par la Cour dans la présente cause. Sa requête respecte dès lors les conditions de forme susmentionnées, de sorte qu'elle est recevable de ce point de vue.

2. 2.1 Selon l'art. 334 al. 1 CPC, si le dispositif de la décision est peu clair, contradictoire ou incomplet ou qu'il ne correspond pas à la motivation, le tribunal procède, sur requête ou d'office, à l'interprétation ou à la rectification de la décision.

Un dispositif est peu clair, et doit être interprété, lorsque les parties ou les autorités qui doivent exécuter la décision risquent subjectivement de comprendre celle-ci autrement que ce que voulait le juge lorsqu'il s'est prononcé. Une requête d'interprétation ou de rectification n'a ainsi pour but que de clarifier ou rendre une décision conforme avec le contenu réellement voulu par le juge. Elle ne peut jamais tendre à une modification matérielle de la décision concernée. Pour cela, seules les voies de l'appel ou du recours sont ouvertes. La rectification ou l'interprétation ne permettent pas non plus un élargissement du jugement, notamment en réglant un point que le juge aurait omis d'examiner dans sa décision (ATF 143 III 520 consid. 6.1; 143 III 420 consid. 2.1 et 2.3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_776/2019 du 27 octobre 2020 consid. 3.1 et les arrêts cités; 5G_1/2012 du 4 juillet 2012 consid. 1.1 et les arrêts cités).

L'interprétation peut également avoir pour objet les motifs de l'arrêt eux-mêmes lorsque le dispositif y renvoie et qu'ils participent de ce fait à l'ordre du juge, notamment lorsqu'il s'agit d'un arrêt de renvoi dans le sens des considérants (ATF 104 V 51 consid. 1 et la référence; arrêt du Tribunal fédéral 5G_1/2012 précité, ibidem).

Il ne suffit pas d'alléguer que la formulation d'une décision est incompréhensible pour avoir droit à une interprétation. Le requérant doit au contraire établir de façon motivée pourquoi et dans quelle mesure la décision en cause n'est pas claire pour lui. Il doit rendre plausible la nécessité d'un éclaircissement. La nécessité d'une interprétation ne doit être admise qu'avec retenue, hormis dans les cas d'équivoque manifeste (arrêt du Tribunal fédéral 4C_86/2004 du 7 juillet 2004 consid. 1.4 et la référence, résumé in CPC Online, art. 334 CPC).

2.2 En l'espèce, la requérante expose que le dispositif de l'arrêt rendu par la Cour le 1er mars 2022 ne lui permet pas de déterminer avec suffisamment de précision les éléments du site internet "C______.ch" qu'elle doit modifier afin que celui-ci ne puisse plus être considéré comme une copie servile du site "D______.ch". Elle fait en outre valoir que les contenus de son site internet visés dans l'arrêt de la Cour ne constituent que des reprises de dispositions ou de la systématique légales. Le seul fait de citer ou de s'inspirer de ces dispositions l'exposerait dès lors à des sanctions pénales.

En l'occurrence, il résulte de la jurisprudence qu'une requête d'interprétation peut être formée notamment afin de clarifier une décision et de la rendre conforme au contenu réellement voulu par le juge, afin d'éviter au justiciable de comprendre celle-ci autrement que ce que voulait le juge lorsqu'il s'est prononcé. A cet égard, il peut être concédé à la requérante que le dispositif de l'arrêt litigieux n'énumère pas tous les extraits du site internet "C______.ch" qu'il conviendrait de modifier afin que celui-ci ne contrevienne plus aux droits d'auteur du cité et aux dispositions de la LCD. La requérante ne saurait toutefois être suivie lorsqu'elle soutient que ce procédé l'empêcherait de saisir la portée réelle de l'arrêt de la Cour. Celui-ci comporte en effet, dans sa partie En fait et au considérant 3.2.2, de nombreuses citations des textes et des dénominations des (sous-) rubriques du site internet "C______.ch" portant atteinte aux droits du cité. Une simple lecture de la décision permet dès lors à la requérante de saisir, avec la précision requise, l'injonction qui lui est faite. Sous cet angle, la requête en interprétation est infondée.

A supposer que la requérante sollicite également une interprétation des considérants de l'arrêt du 1er mars 2022 – chose qui ne ressort pas explicitement des conclusions de la requête, mais que l'intéressée était en droit de demander dès lors que le dispositif de l'arrêt renvoie aux dits considérants –, l'issue du litige n'en serait pas modifiée.

Conformément aux principes rappelés ci-avant, la requérante était tenue de rendre plausible, de façon motivée, la nécessité d'un éclaircissement, une telle nécessité ne devant être admise qu'avec retenue. Or, l'intéressée ne cite aucun passage de l'arrêt qui ne serait pas suffisamment explicite à ses yeux. Elle fait uniquement valoir que les extraits des sites internet "D______.ch" et "C______.ch" mis en évidence dans les considérants de l'arrêt se bornent à reprendre des dispositions légales de [la Loi 1______] et de [l'Ordonnance 1______]. Le seul fait de citer la loi dans son site internet serait dès lors susceptible de constituer une copie servile du site internet du cité et d'entraîner le prononcé d'une condamnation pénale à son encontre. Ce faisant, la requérante conteste en réalité le contenu matériel de l'arrêt de la Cour. Or, un tel grief ne peut, indépendamment de son bien-fondé, être soulevé que dans le cadre d'un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Il ne saurait en revanche être examiné dans le cadre de la présente procédure en interprétation, laquelle ne peut tendre qu'à clarifier l'arrêt querellé et non à modifier celui-ci.

Au vu de ce qui précède, la requérante sera déboutée de ses conclusions en interprétation de l'arrêt du 1er mars 2022.

3. Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr. (art. 44 RTFMC), seront mis à la charge de la requérante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Celle-ci devra dès lors s'acquitter de ce même montant en mains des Services financiers du Pouvoir judiciaire (art. 111 al. 1 CPC).

La requérante versera également au cité des dépens de 800 fr. (art. 105 al. 2 et 111 al. 2 CPC; art. 85 et 88 RTFMC), débours et TVA compris (art. 23 al. 1,
25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable la requête en interprétation formée le 12 avril 2022 par A______ SA contre l'arrêt ACJC/283/2022 rendu le 1er mars 2022 par la Cour de justice dans la cause C/17715/2021.

Au fond :

La rejette.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 800 fr. et les met à la charge de A______ SA.

Condamne A______ SA à verser 800 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire à titre de règlement des frais judiciaires.

Condamne A______ SA à verser 800 fr. à B______ à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.