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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2875/2023

JTAPI/857/2024 du 29.08.2024 ( LCI ) , ADMIS

Descripteurs : REMISE EN L'ÉTAT;PROPRIÉTAIRE;SERVITUDE;PERTURBATEUR
Normes : LCI.129; LCI.131
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2875/2023 LCI

JTAPI/857/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 29 août 2024

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Pascal PÉTROZ, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             A______ SA (ci-après : A______), sise 1______, route B______ à C______ (GE), a pour but l’exploitation et la mise en valeur d’ateliers horlogers (…).

2.             D______ SA (ci-après : D______) est une société anonyme, dont le but est la création, la production, la fabrication et la commercialisation de produits d'horlogerie (…) ainsi que la gestion de la marque « E______ » dans le cadre du contrat de licence accordé.

3.             A______ est propriétaire des parcelles nos 2______, 3______, 4______, 5______, 7______, 8______, feuilles 8______ et 9______ de la commune de C______ (GE), d’une surface totale de
123’849 m2, situées en 5ème zone.

Sur la parcelle n° 4______, d'une surface de 10'117 m2 se trouvent trois bâtiments à savoir les no 10_____ à la route B______ 11_____, no 12_____ à la route B______ 13_____ (tous deux hors sol) et no 14_____ en sous-sol et en partie sur la parcelle n° 3______ adjacente.

4.             Le 26 juillet 2002, D______ a, par l'intermédiaire de son mandataire Monsieur F______, déposé une demande d'autorisation de construire auprès du département du territoire (ci-après : DT ou le département), portant sur la construction de deux bâtiments d'ateliers artisanaux (bâtiments C et D), l'agrandissement du sous-sol du bâtiment B, extension du parking souterrain, places de parking extérieur. Cette requête a été enregistrée sous DD 15_____/1.

L'autorisation de construire DD 15_____/1 a été délivrée le ______ 2003.

Une demande d'autorisation complémentaire (DD 15_____/2) a été déposée, par D______, le 6 juillet 2007, en vue du changement d'affectation en dépôt et la modification du parking au 1er sous-sol du bâtiment B, respectivement la création d'un dépôt au 2ème sous-sol et un parking extérieur de trente-quatre places entre les bâtiments C et D.

Cette autorisation a été délivrée le ______ 2009.

5.             Les travaux relatifs à ces deux autorisations de construire ont débuté le 3 juillet 2007 et se sont achevés en 2017, après une interruption entre 2009 et 2015.

6.             Le 22 janvier 2013, A______ a constitué en faveur de D______ un droit de superficie distinct et permanent d'une durée de 30 ans portant le n° 16_____ sur la parcelle n° 4______, lequel est inscrit au registre foncier.

Tous les bâtiments qui feraient l'objet d'une construction sur la parcelle en question seraient incorporés au droit de superficie n° 16_____.

Il s'agissait de permettre à la superficiaire de créer et construire des bâtiments destinés à abriter des locaux administratifs et des ateliers de production et stockage liés aux activités de haute horlogerie et de bijouterie de D______. Les futurs bâtiments seraient financés par cette dernière.

D______ est inscrite au registre foncier en qualité de propriétaire des bâtiments.

7.             Dans le cadre de procédures d'infractions (notamment I-17_____ et I-18_____) visant d'autres parcelles, propriété de A______, une visite sur place a eu lieu le 20 juin 2023, en présence d'un représentant de l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC) et du nouveau mandataire professionnellement qualifié de A______, Monsieur H______. À cette occasion, il a notamment été constaté que les travaux autorisés par la DD 15_____/1 et la DD 15_____/2 qui avaient fait l'objet d'un avis d'ouverture de chantier en juillet 2007 était terminés sans que cela ait été annoncé au département.

8.             Par courriel du 25 juillet 2023, adressé à A______, le département a notamment relevé qu'aucun permis d'occuper n'avait été délivré dans le cadre des autorisations précitées, ceci en violation de l'art. 7 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Il a également mentionné qu'une demande d'autorisation de construire DD 19_____ avait été déposée en ______ 2019, laquelle portait sur la construction d'un local et de murs, la modification de l'accès pompiers, la modification des sous-sols, une mise en conformité des deux bâtiments C et D et du concept de sécurité incendie. Cette demande avait été refusée par décision du ______ 2020, entrée en force.

Le département a par ailleurs requis la production des plans conformes à la réalité des bâtiments construits sur la parcelle n° 4______. Un délai de dix jours a été fixé au mandataire professionnellement qualifié pour se déterminer sur ces éléments. Un nouveau dossier d'infraction I-20_____ était par ailleurs ouvert portant sur ces éléments.

9.             Le 18 août 2023, le mandataire professionnellement qualifié a informé le département que les démarches pour obtenir les informations auprès de l'ancien architecte étaient laborieuses et n'avaient pas porté leurs fruits.

10.         Par courriel du 21 août 2023, le DT a prolongé le délai au 25 août suivant.

11.         Aucune suite n'ayant été donnée à son courriel du 20 juillet 2023, le département, par décision du ______ 2023, a fait interdiction à A______ d'utiliser les édifices sis sur la parcelle n° 4______ avec effet immédiat (bâtiments nos 10_____, 12_____ et 14_____) jusqu'à l'obtention du permis d'occuper.

Cette décision mentionnait un délai de recours de dix jours.

12.         Par acte du 11 septembre 2023, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette décision en ce qu'elle ordonnait, avec effet immédiat, l'interdiction d'utiliser les édifices mentionnés, concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens.

Son recours devait être considéré comme recevable, l'ordre querellé étant une décision finale. Si le tribunal devait considérer qu'il s'agissait d'une décision incidente – ce qui était contesté – la condition du dommage irréparable était en l'occurrence remplie.

La décision litigieuse devait être annulée dès lors qu'elle était adressée à la mauvaise destinataire. En effet, elle n'était pas propriétaire des bâtiments en question contrairement à D______. De plus, la décision violait l'art. 132 LCI dès lors qu'aucune urgence particulière n'était invoquée par le département.

Le département qui avait toléré l'activité de D______ depuis pas moins de six années avait également violé le principe de la bonne foi. Enfin, la décision contrevenait au principe de la proportionnalité. D'une part, elle avait produit les plans conformes exigés le jour même de la décision attaquée, soit le ______ 2023. D'autre part, aucune urgence ne justifiait l'interdiction prononcée. Cette décision aurait en outre pour conséquence désastreuse d'empêcher D______ d'exercer son activité, ce qui touchait ses nombreux collaborateurs.

13.         En date du 13 novembre 2023, le département s'est déterminé sur le recours. Il s'en rapportait à justice quant à sa recevabilité et concluait à son rejet ainsi qu'à la condamnation de la recourante aux dépens de l'instance.

Il était fondé à adresser l'ordre litigieux à la recourante en sa qualité de propriétaire de la parcelle ce d'autant plus que le droit de superficie n'avait été constitué que plusieurs années après l'octroi des DD 15_____/1 et DD 15_____/2 concernées. La relation de droit privé entre la recourante et D______ n'était pas de nature à exonérer la première de sa responsabilité en lien avec l'interdiction d'utiliser les locaux litigieux.

Les arguments de la recourante n'étaient pas à même de prouver qu'il avait toléré la situation et les conditions définies par la jurisprudence permettant d'invoquer la protection de la bonne foi n'étaient pas remplies.

La fourniture des plans par la recourante en date du 30 août 2023 ne permettait, en l'état, pas de s'assurer que les conditions de sécurité étaient remplies. En effet, en raison notamment de la DD 19_____, mentionnée dans le courriel du 25 juillet 2023 du département au mandataire professionnellement qualifié, qui portait sur la mise en conformité du concept de sécurité incendie et une modification de l'accès pompiers, seule une visite sur place en présence d'un représentant de la police du feu permettrait au département de s'assurer que les règles en matière d'incendie étaient bien respectées.

Quant aux conséquences sur l'activité de D______, elle n'était aucunement documentée, étant au surplus relevé que cette dernière disposait encore de deux bâtiments (A et B) sur la parcelle voisine qu'elle pouvait occuper le temps de régulariser l'occupation des bâtiments sur la parcelle n° 4______. La recourante ne se prévalait par ailleurs pas d'une atteinte à ses propres intérêts. Partant, aucune violation du principe de la proportionnalité ne pouvait lui être reprochée.

14.         Après avoir sollicité plusieurs délais, la recourante a transmis sa réplique au tribunal le 15 janvier 2024.

Pour l'essentiel, elle persistait dans son argumentation et il y sera revenu en tant que de besoin dans la partie en droit.

Elle n'était ni perturbatrice par comportement puisqu'elle n'était pas propriétaire des bâtiments litigieux ni perturbatrice par situation compte tenu du fait qu'elle n'exerçait aucun pouvoir de fait ou de droit sur les bâtiments, de sorte que c'était à tort que la décision lui avait été notifiée. Le département aurait dû savoir que les travaux sur les bâtiments en question étaient achevés en faisant preuve de l'attention commandée par les circonstances. En réalité, il avait toléré l'utilisation des bâtiments litigieux et par voie de conséquence, l'activité de D______ durant toutes ces années.

15.         Le département a dupliqué le 7 février 2024, persistant dans son argumentation. Aucune tolérance liée à l'utilisation des locaux sans permis d'occuper ne pouvait être retenue de sa part. La recourante ne pouvait lui reprocher son propre manque de diligence dans le cadre d'une procédure d'autorisation de construire.

16.         Le 22 avril 2024, la recourante a présenté des observations persistant pour l'essentiel dans son argumentation.

17.         En date du 2 mai 2024, le tribunal a invité la recourante à lui remettre la preuve qu'un permis d'occuper émis par le DT lui avait été délivré relatif aux bâtiments nos 10_____, 12_____ et 14_____.

18.         En date du 17 mai 2024, la recourante a transmis au tribunal une copie de l'attestation globale de conformité des bâtiments litigieux, conformément à l'art. 7 LCI. Le département n'avait pas démontré qu'un permis d'occuper était nécessaire en l'espèce. Enfin, elle maintenait son recours.

19.         Le 4 juillet 2024, le département a relevé que les éléments transmis par la recourante ne constituaient pas un permis d'occuper mais tout au plus une attestation globale de conformité ce qui étaient deux choses différentes. Ainsi la recourante n'avait pas obtenu ou encore produit la pièce mentionnée par le tribunal le 2 mai 2024. De plus, elle n'avait fourni ces documents que pour les besoins de la cause.

En outre, les documents produits avaient permis de constater, déjà à l'aune d'une analyse uniquement sur pièces, que les travaux effectués selon les plans n'étaient pas conformes à ce qui avait été initialement autorisé. Pour ne citer que quelques exemples, il apparaissait qu'une partie des plans étaient manquants (plans et coupes du parking -1, locaux du sous-sol -2) rendant ainsi impossible une vérification par rapport à la DD 15_____/2, un local semblait avoir été aménagé dans le parking -1, le long de la façade Est, le niveau du terrain naturel sur la façade Est du sous-sol -1 avait été grandement modifié et des fenêtres avaient été créées le long de la façade. Partant, les exigences relatives au permis d'occuper devait être maintenu, et le département persistait intégralement dans ses conclusions prises dans ses précédentes écritures.

20.         Le 22 juillet 2024, le dernier jour du délai accordé pour se déterminer sur le courrier du département du 4 juillet 2024, la recourante a sollicité un délai invoquant la fermeture de la société en raison des vacances horlogères.

21.         Le 24 juillet 2024, le tribunal a refusé la demande de prolongation précitée.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue.

3.             Le recours déposé le 11 septembre 2023 vise la décision du DT du ______ 2023 en tant qu'elle prononce l'interdiction d'utiliser les bâtiments nos 10_____, 12_____, 14_____ sis pour partie sur la parcelle n° 3______ et sur la parcelle n° 4______ jusqu'à l'obtention d'un permis d'occuper. Cette décision mentionne un délai de recours de dix jours.

4.             La recourante soutient que cette décision constitue une décision finale, laquelle devait pouvoir être contestée dans un délai de trente jours ou à tout le moins qu'elle serait susceptible de lui causer un préjudice irréparable.

5.             Selon l'art. 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), sont notamment susceptibles d’un recours les décisions finales (let. a) et les décisions incidentes, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. c).

6.             Selon l'art. 62 al. 1 LPA, le délai de recours est de trente jours s'il s'agit d'une décision finale ou d'une décision en matière de compétence (let. a) et dix jours s'il s'agit d'une autre décision (let. b).

7.             Les décisions doivent être désignées comme telles, motivées et signées, et indiquer les voies et délais de recours (art. 46 al. 1 1ère phr. LPA).

8.             Constitue une décision finale au sens de l'art. 90 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) celle qui met un point final à la procédure, qu'il s'agisse d'une décision sur le fond ou d'une décision qui clôt l'affaire en raison d'un motif tiré des règles de la procédure (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, n. 2.2.4.2) ; est en revanche une décision incidente (art. 4 al. 2 LPA) celle qui est prise pendant le cours de la procédure et qui ne représente qu'une étape vers la décision finale (ATA/1439/2017 du 31 octobre 2017 consid. 1b).

9.             Avec la recourante, il y lieu de constater que la décision querellée, contrairement à un ordre de déposer une requête d'autorisation de construire relative à des travaux non autorisés constatés par le département, lequel constitue selon la jurisprudence une décision incidente (ATA/360/2017 du 28 mars 2017, consid. 6 confirmée par l'arrêt du Tribunal fédéral 1C_278/2017 du 10 octobre 2017), ne représente pas une étape vers une décision finale, mais à l'instar des autres mesures prévues dans le catalogue de l'art. 129 LCI, est bien une décision finale sujette à recours dans un délai de trente jours.

10.         Partant, déposé en temps utile contre une décision finale, le recours est recevable.

11.         Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2).

12.         Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

13.         Dans un premier grief, la recourante fait valoir que l'ordre litigieux ne devait pas lui être adressé, dès lors qu'elle n'est pas propriétaire des immeubles construits sur la parcelle n° 4______.

14.         Lorsque l'état d'une construction, d'une installation ou d'une autre chose n'est pas conforme aux prescriptions de la loi, des règlements qu'elle prévoit ou des autorisations délivrées en application des dispositions légales ou réglementaires, le département peut en ordonner la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition (art. 129 et 130 LCI).

15.         Les propriétaires ou leurs mandataires, les entrepreneurs et les usagers sont tenus de se conformer aux mesures ordonnées par le département en application des art. 129 et 130 LCI (art. 131 LCI). À cet égard, la LCI ne faisant pas de distinction quant au type de propriétaire, il n'y a aucune raison d'interpréter cette notion autrement que comme visant le propriétaire des constructions ou installations diverses concernées (JTAPI/489/2024 du 23 mai 2024 consid. 20).

16.         De jurisprudence constante, les mesures nécessaires à éliminer une situation contraire au droit doivent être dirigées contre le perturbateur (ATA/432/2022 du 26 avril 2022 consid. 2c ; ATA/1304/2020 du 15 décembre 2020 consid. 8c), à savoir celui qui a occasionné un dommage ou un danger par lui-même ou par le comportement d’un tiers relevant de sa responsabilité (perturbateur par comportement), mais aussi celui qui exerce sur l’objet qui a provoqué une telle situation un pouvoir de fait ou de droit (perturbateur par situation ; ATF 122 II 65 consid. 6a et les références cités). Le perturbateur par situation correspond avant tout au propriétaire, mais il peut également s’agir du locataire, le critère déterminant étant le pouvoir de disposition, qui permet à celui qui le détient de maintenir la chose dans un état conforme à la réglementation en vigueur (ATF 114 Ib 44 consid. 2c/aa ; ATA/1299/2020 du 15 décembre 2020 consid. 7e).

17.         L’autorité peut adresser l’ordre de rétablir un état conforme au droit aux perturbateurs par comportement et par situation, jouissant d’une certaine marge d’appréciation dans le choix de la personne à laquelle incombera l’obligation d’éliminer la perturbation (ATF 107 Ia 19 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_650/2018 du 22 mai 2019 consid. 4.1.3). Face à une pluralité de perturbateurs, l’autorité doit agir envers celui ou ceux qui sont le plus en mesure de rétablir une situation conforme au droit, lorsque la mesure de police vise ce but. Cela peut impliquer, suivant les circonstances, une prise en compte cumulative de tous les perturbateurs, une action prioritaire envers le perturbateur par comportement, ou une action envers le perturbateur par situation, s’il est davantage en mesure de faire cesser le trouble de l’ordre public. L’autorité dispose d’une plus grande marge de manœuvre lorsque le rétablissement d’une situation conforme au droit peut prendre un certain temps que lorsqu’il est urgent, ce qui implique de s’adresser au perturbateur qui est le premier à même d’agir (ATF 107 Ia 19 consid. 2b et les références citées ; ATA/1299/2020 précité consid. 7e ; Thierry TANQUEREL, Précis de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 563).

18.         Le droit de superficie est la servitude par laquelle le propriétaire d’un fonds confère à un tiers le droit d’avoir ou de faire des constructions, soit sur le fonds grevé, soit au-dessous (art. 779 al. 1 CC). Il donne ainsi le moyen de dissocier la propriété du fonds de la propriété des constructions qui s’y trouvent au moment de la constitution ou qui sont édifiées par la suite : en dérogation au principe de l’accession énoncé à l’art. 667 CC, ces constructions sont la propriété du titulaire du droit de superficie (art. 675 al. 1 CC ; ATF 133 III 311 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_233/2019 du 29 août 2019 consid. 6.1).

19.         Selon l’art. 655 al. 2 ch. 2 CC, sont « permanents » les droits établis « pour trente ans au moins ou pour une durée indéterminée » (Paul-Henri STEINAUER in Pascal PICHONNAZ/Bénédict FOËX/ Denis PIOTET, Commentaire romand du Code civil II - Art. 457-977 CC, Art. 1-61 Tit. fin. CC, 2016, ad. art. 655 n. 14).

20.         Le contenu du droit de superficie est le droit d’avoir ou de faire une construction ou un ouvrage. Le droit peut être accordé sur un immeuble déjà bâti, auquel cas le superficiaire acquerra la propriété des constructions établies, comprises dans l’exercice de son droit. Le droit de superficie a pour principal effet que la construction établie demeurera la propriété du superficiaire en rompant le principe de l’accession (Alban BALLIF, in Pascal PICHONNAZ/Bénédict FOËX/ Denis PIOTET, CR CC II - Art. 457-977 CC, Art. 1-61 Tit. fin. CC, 2016, ad. art. 779 n. 5-6). La conséquence essentielle du droit de superficie est en effet que le titulaire de la servitude devient propriétaire des constructions et autres ouvrages établis au-dessus ou au-dessous du fond grevé (Paul-Henri STEINAUER, Les droits réels, Tome III, 2021, n. 3802 p. 128). La propriété sur une construction, en présence d'une servitude de superficie, est indissolublement liée à la titularité de la servitude, en ce sens que le propriétaire de la construction ne peut être que le titulaire de la servitude de superficie. Au mieux, le propriétaire du fonds grevé ne peut pas se voir attribuer la propriété (collective) de la construction sans être cotitulaire de la servitude de superficie (ATF 133 III 311 consid. 3.4.1 et réf. cit.).

Ainsi, le superficiaire est l’unique propriétaire des constructions érigées en vertu du droit de superficie ; il n’est notamment pas possible que le propriétaire foncier soit copropriétaire de ces constructions avec le superficiaire, à moins qu’il n’ait lui-même également la qualité de superficiaire. Le superficiaire étant propriétaire de la construction, il a le pouvoir d’en disposer, de l’utiliser et de la modifier comme il l’entend (Alban BALLIF, in Pascal PICHONNAZ/Bénédict FOËX/ Denis PIOTET, Commentaire romand du Code civil II - Art. 457-977 CC, Art. 1-61 Tit. fin. CC, 2016, ad. art. 799, n. 29 s. p. 1946 s.).

21.         En l'espèce, il n'est pas contesté que la recourante est propriétaire de la parcelle n° 4_____. Il est toutefois également établi que la recourante a constitué un droit de superficie en faveur de D______ en date du 22 janvier 2013, de sorte que cette dernière est l'unique propriétaire des bâtiments visés par la décision litigieuse. Il apparait en outre qu'elle en est l'utilisatrice puisqu'elle y a installé ses ateliers de fabrication.

Aucune confusion à ce sujet n'est d'ailleurs possible dès lors que l'existence de cette servitude est inscrite au registre foncier sous le n° 16_____.

L'argument du département selon lequel le droit de superficie aurait été établi postérieurement à la délivrance de l'autorisation de construire tombe à faux puisque précisément la constitution de cette servitude a eu pour effet de dissocier la propriété du fond de celle des constructions qui s'y trouvaient au moment de sa constitution ou qui y ont été édifiées par la suite.

En conséquence, dans la mesure où la décision serait fondée – ce qui reste à trancher – la recourante qui ne dispose pas des bâtiments litigieux, comme propriétaire ou possesseur, ne saurait être qualifiée de perturbatrice ni par situation ni par comportement et dans ces circonstances, contrairement à ce qu'il soutient, le département ne disposait d'aucune marge d'appréciation dans le choix du perturbateur.

Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision litigieuse annulée sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres arguments de la recourante.

Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). L'émolument versé par la recourante lui sera restitué.

Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 11 septembre 2023 par A______ SA, contre la décision du département du territoire du ______ 2023 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision I-20_____ du ______ 2023 ;

4.             ordonne la restitution à la recourante de son avance de frais de CHF 900.- ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui le département du territoire, à verser à A______ SA une indemnité de procédure de CHF 1'500.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST, présidente, Julien PACOT et Carmelo STENDARDO, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

La greffière