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Décisions | Cour d'appel du Pouvoir judiciaire

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CAPJ/1/2023

ACAPJ/3/2023 (2) du 03.03.2023 , Rejeté

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE;RÉSILIATION;FONCTIONNAIRE;RAPPORTS DE SERVICE DE DROIT PUBLIC;MESURE PROVISIONNELLE;EFFET SUSPENSIF
Normes : LPA.66
En fait
En droit
Par ces motifs

 

 

 

republique et canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

Cour d’appel du Pouvoir judiciaire

 

 

 

 

 

 

 

 

Décision du 3 mars 2023

sur effet suspensif / mesures provisionnelles

 

CAPJ 1_2023 ACAPJ/3/2023

 

 

 

 

 

Madame A______, recourante

représentée par Me B______, avocat

 

contre

 

 

SECRETAIRE GENERAL DU POUVOIR JUDICIAIRE, intimé

 

 

 

 

EN FAIT

 

1. Par courrier du 22 novembre 2022, notifié le lendemain, le Secrétaire général du Pouvoir judiciaire (ci-après : « le Secrétaire général » ou « l'intimé »), rappelant ses courriers antérieurs des 28 juin et 6 juillet 2022, a informé A______ (ci-après : la recourante) qu’il était mis fin aux rapports de service la liant au Pouvoir judiciaire, pour motif fondé, conformément à l’art. 21 al. 3 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux, du 4 décembre 1997 (LPAC – RS/GE B 5 05), avec effet au 28 février 2023, et qu’elle était libérée de son obligation de travailler, les éventuelles heures supplémentaires et le solde de vacances étant supposés pris ou compensés durant le délai de congé.

 

A teneur de ce courrier, l’entretien de service du 22 mars 2022, ainsi que les rapports des entretiens d’évaluation et de développement personnel des 16 avril et 10 décembre 2021 avaient démontré que les prestations de A______ ne correspondaient pas à la qualité attendue d’une greffière-juriste de son niveau d’expérience et qu’elles étaient en conséquence insuffisantes, tant selon la hiérarchie que selon la totalité des magistrates et magistrats titulaires de la juridiction, en dépit des mesures de soutien prises par la direction. En outre, la procédure de reclassement n’avait pas permis d’identifier un poste disponible au Pouvoir judiciaire correspondant à ses capacités.

 

2. Par acte du 9 janvier 2023 reçu au greffe de la Cour d’appel du Pouvoir judiciaire en date du 11 janvier 2023, A______ a recouru contre cette décision, concluant à son annulation et à sa réintégration immédiate. Préalablement, la recourante a sollicité la restitution de l’effet suspensif et l’administration de diverses mesures d’instruction. A______ a également pris des conclusions subsidiaires.

 

Sur effet suspensif, la recourante a fait valoir que le prononcé du caractère exécutoire nonobstant recours devait apparaître comme indispensable à l’administration afin d’atteindre l’intérêt public poursuivi qui devait en outre être suffisamment déterminé, actuel et concret, et présenter une importance considérable pour être subordonné à l’existence de justes motifs qui résidaient dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision. Il convenait ainsi d’effectuer une pesée des intérêts publics et privés en jeu, ainsi que des chances de succès du recours.

 

En l’occurrence, toujours selon la recourante, la décision entreprise ne contenait aucune motivation concernant le prononcé « exécutoire nonobstant recours ». Elle la priverait de tout revenu à partir du 1er mars 2023 et de toute protection sociale et d’assurance, ce qui la placerait dans une situation personnelle et financière particulièrement difficile qu’une décision favorable au fond ne permettrait pas de réparer, étant âgée de 42 ans et ayant de jeunes enfants à charge. De plus, cette décision l’obligerait à postuler auprès de différents employeurs potentiels, processus dans le cadre duquel elle devrait exposer sa situation, ce qui anéantirait sa réputation professionnelle et ses chances de retrouver un emploi ; enfin, elle serait, en tout état, pénalisée par l’assurance chômage.

 

3. Dans ses observations du 26 janvier 2023, le Secrétaire général a conclu au rejet de la requête visant la restitution de l’effet suspensif au recours, avec suite de frais à la charge de la recourante. Il a considéré que l’intéressée ne démontrait pas, même sous l’angle de la vraisemblance, qu’en cas de refus de restitution de l’effet suspensif, ses éventuelles indemnités de chômage, les revenus de son conjoint, voire sa fortune personnelle, ne lui permettraient pas de subvenir aux besoins de sa famille. Les intérêts en jeu étaient ainsi de nature purement pécuniaire, de sorte qu’il ne pouvait être dérogé à la jurisprudence constante selon laquelle l’intérêt privé de la recourante à conserver ses revenus devait céder le pas à l’intérêt public à la préservation des finances de l’État. Quant aux chances de succès du recours, elles étaient faibles, dans la mesure où les principes fondamentaux avaient été respectés, en particulier le principe de la bonne foi, le principe de la proportionnalité ainsi que le droit d’être entendu.

 

4. Dans sa réplique du 7 février 2023, la recourante a repris l’argumentation développée dans son recours et a réitéré son offre de services. Elle a fait valoir à cet égard que la poursuite des rapports de travail, qui devrait être la règle, ne causerait aucun préjudice financier, et encore moins irréparable, à l'autorité intimée, laquelle aurait identifié au moins un poste où elle pourrait évoluer, à savoir à la Cour pénale.

La recourante a aussi considéré que les chances de succès du recours n’étaient pas « faibles » comme le prétendait l’autorité intimée, ce d’autant moins que la violation de son droit d’être entendue suffisait à faire admettre son recours.

La recourante a, enfin, demandé la récusation de C______, greffière-juriste de la Cour de céans, requête qui doit faire l’objet d’une instruction séparée.

5. A______, titulaire du brevet d’avocat, a été engagée en qualité de greffière- juriste auprès du Ministère public, à 100%, avec effet dès le 15 juin 2012, en classe 22, représentant un traitement de base de 8’899.10 fr. par mois bruts.

 

Dès le 1er octobre 2013, A______ a été promue greffière-juriste cheffe de groupe, à 50%, en classe 23, représentant un traitement de base de 9’299.55 fr. par mois bruts.

 

Le 1er juin 2014, A______ a été nommée au statut de fonctionnaire du Pouvoir judiciaire.

 

À partir du 1er septembre 2016, A______ a perçu des indemnités de remplacement dans une fonction supérieure pour ses prestations en qualité de directrice adjointe du Ministère public. Ce remplacement a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2017, selon courriers de la direction des 8, 10 et 15 mars 2017. Une prolongation jusqu’au 30 septembre 2018 était également prévue.

 

Par courrier du 16 mai 2018, A______ a informé la direction du Ministère public de sa décision de ne pas poursuivre l’intérim du poste de directrice adjointe, considérant que les conditions préalables et le contexte pour l’exercice de cette fonction n’étaient pas réunis.

 

A______ a assumé, dès le 1er octobre 2018, la fonction de responsable de secteur au Ministère public, à 100%, en classe 23, représentant un traitement mensuel brut de 9’578.55 fr.

 

Par courrier et courriel du 25 septembre 2020, le Secrétaire général, faisant suite à l’entretien du même jour en présence de la directrice du service des ressources humaines, a informé A______ de son transfert, avec changement de fonction, au Tribunal des mineurs, en qualité de secrétaire- juriste auprès des tribunaux 2, à 80%, en classe 22, représentant un traitement mensuel brut de 10'109.50 fr. pour un 100%. Selon ce courrier, les prestations de A______ en qualité de responsable de secteur étaient jugées insuffisantes.

 

A______ avait accepté ce changement avec reconnaissance et remerciements.

 

Elle a prêté serment devant le Président du Tribunal des mineurs, en date du 16 décembre 2020.

 

Sur requête de A______, le Secrétaire général lui a accordé un congé non rémunéré à temps partiel, soit à 20 %, pour la période du 31 octobre 2022 au 28 février 2023, ramenant son taux d’activité à 60 % pour le Pouvoir judiciaire.

 

6. A______, née le ______1981, est mariée avec D______, né le ______1978. Ils sont les parents de E______, née le A______ 2015, et de F______, née le ______ 2017.

 

Selon le dossier personnel de A______, son conjoint a pour employeur le département de l’instruction publique. L’on ignore le taux d’activité et le traitement versé à D______.

 

A______ n’a fourni aucune information ou pièce concernant les charges et l’état de fortune de la famille.

 

7. Le 16 avril 2021 a eu lieu un entretien d’évaluation et de développement du personnel concernant la période de collaboration du 1er octobre 2020 au 16 avril 2021. Durant cette période, A______ ainsi qu’une autre collaboratrice avaient travaillé sur la base d’un planning de six semaines, correspondant à une semaine pour chaque magistrat/e, reconductible en fonction des besoins des cabinets. Chacune d’elles travaillait pour un cabinet durant une semaine, avant de changer de cabinet.

 

Selon la responsable hiérarchique, A______, bien qu’heureuse de rejoindre le Tribunal des mineurs et de retrouver un métier plus juridique, avait éprouvé des difficultés à s’adapter à l’activité de greffière-juriste, après plus de quatre ans dans le management. Elle avait, en particulier, de la peine à s’adapter au style de chaque magistrat/e en une semaine seulement. Le niveau global des prestations de A______ restait largement insuffisant. De l’avis unanime des magistrat/e/s et de la hiérarchie, elle semblait confuse, voire perdue, ce qui se ressentait fortement dans son travail et parfois dans ses interactions. Ses projets devaient systématiquement être corrigés par les magistrat/e/s, à la forme et au fond, malgré la simplicité des dossiers confiés. Certains magistrat/e/s se sentaient contraint/e/s de lui donner des instructions précises, pour limiter le risque d’erreurs en lien avec les problématiques juridiques pertinentes ou les résultats attendus. A______ éprouvait également des difficultés à se montrer synthétique et avait beaucoup de mal à appliquer les conseils reçus et à adapter ses projets en tenant compte des corrections et des demandes formulées. Son rendement était faible. Les magistrat/e/s n’arrivaient en conséquence pas à avoir confiance dans le travail de l’intéressée et n’osaient pas lui confier des dossiers plus complexes, devant vérifier très fréquemment si les éléments retenus dans les projets d’ordonnances correspondaient à ceux figurant au dossier. Ainsi, A______ n’était pas autonome et faisait perdre du temps aux magistrat/e/s. Il n’était, dès lors, pas possible d’attribuer cette juriste à un/e seul/e magistrat/e, compte tenu de la qualité de ses prestations et de son rendement. Cela avait pour conséquence le maintien d’un planning complexe pour l’ensemble des juristes et causait des difficultés organisationnelles à tous les cabinets, chacun devant normalement bénéficier de la force de travail permanente d’un/e juriste à 80%.

 

Le bilan global des performances était ainsi qualifié d’insatisfaisant. En dépit de quelques progrès sur certains points, A______ n’avait pas atteint le niveau de prestations qui pouvait être attendu d’une juriste titulaire du brevet d’avocat et au bénéfice de plusieurs années d’expérience.

 

A______ a qualifié son bilan de mitigé, regrettant l’absence de formation et d’information initiale à son arrivée dans la juridiction. Elle avait pensé que son parcours au sein du Pouvoir judiciaire était connu de la direction du Tribunal des mineurs qui aurait procédé aux aménagements nécessaires pour une bonne adaptation dans cette juridiction. Le tournus constant entre les différent/e/s magistrat/e/s avait complexifié sa tâche et rendu difficile son adaptation à la rédaction et aux souhaits parfois très divergents de chaque magistrat/e. Elle était étonnée que son rendement soit considéré comme faible, compte tenu du nombre de procédures qu’elle avait traitées. Elle regrettait les termes de l’évaluation qui lui avait été transmis, qui étaient d’autant plus difficiles à entendre qu’elle avait collaboré, durant de nombreuses années, en qualité de juriste avec différents magistrats qui avaient toujours été satisfaits de son travail. Elle souhaitait continuer à évoluer et à s’investir dans cette juridiction dans laquelle elle se plaisait énormément.

 

Divers objectifs ont été fixés à A______, tant sur le plan qualitatif que sur celui du rendement.

 

Le 10 décembre 2021, a eu lieu un nouvel entretien d’évaluation et de développement du personnel, étant précisé que, dans l’intervalle, d’une part un soutien avait été mis en place avec la juriste référente, à laquelle A______ devait remettre deux projets par semaine et avec laquelle elle devait s’entretenir à leur propos dans le but de recevoir des conseils et suggestions d’amélioration. D’autre part, la durée des plannings avait été doublée, de sorte que A______ travaillait deux semaines consécutives pour un cabinet.

 

De l’avis des magistrat/e/s et de la juriste référente, un progrès avait été réalisé. Toutefois, A______ continuait à commettre des erreurs, parfois grossières. Tous ses projets ne contenaient pas forcément des erreurs mais, lorsque c’était le cas, les magistrat/e/s étaient interpellé/e/s par leur nature, incompatibles avec le niveau d’études et d’expérience rédactionnelle de A______. Cette dernière s’investissait dans son travail et se donnait de la peine pour fournir le meilleur résultat possible. Néanmoins, la majorité des projets ne pouvait pas être signée sans avoir été corrigée au préalable. En raison de l’inconstance qualitative des projets rendus, les magistrat/e/s n’avaient pas confiance et ne lui confiaient que des dossiers peu complexes ou des dossiers qu’ils/elles connaissaient bien. Les magistrat/e/s et la juriste référente constataient que A______ avait de la peine à aller à l’essentiel et à faire preuve de concision ; parfois un manque d’objectivité était constaté. Pour les magistrat/e/s, A______ manquait de logique systématique dans le traitement des dossiers et dans la rédaction des projets.

 

Malgré sa formation d’avocate et l’expérience rédactionnelle accumulée, A______ n’avait pas atteint un niveau de prestations suffisantes pour pouvoir être affectée à un seul cabinet, comme ses collègues.

 

Compte tenu de l’insuffisance des prestations, un entretien de service devait être convoqué.

 

Un premier délai au 20 décembre 2021 a été accordé à A______ pour ses observations, délai prolongé au 3 janvier 2022.

 

8. Par courriel du 5 janvier 2022, Maître B______ est intervenu pour A______, contestant l’évaluation de cette dernière, interdisant à la hiérarchie de correspondre directement avec sa mandante, affirmant qu’aucune mesure de protection n’avait été prise en faveur de celle-ci et protestant contre le fait que le dossier complet de A______ ne lui avait pas été transmis.

 

Par courrier du 13 janvier 2022, adressé au greffier de juridiction, Maître B______ a contesté l’ensemble des constatations contenu dans le rapport d’évaluation consécutif à l’entretien du 10 décembre 2021 et a formulé différents reproches concernant la prise en charge et le suivi de A______ depuis son arrivée au Tribunal des mineurs, entre autres le reproche de n’avoir pas tenu compte du fait que l’intéressée avait récemment vécu des événements difficiles qui avaient gravement affecté sa qualité de vie, sa capacité de travail et sa santé de manière générale.

 

9. Par courrier du 2 février 2022, le Secrétaire général a informé le conseil précité que le Pouvoir judiciaire envisageait de résilier les rapports de service le liant à A______ et qu’ainsi, un entretien était fixé au 23 février 2022 à 18 heures, entretien ensuite reporté au 10 mars 2022, à 18 heures. En définitive, la date de l’entretien a été fixée au 22 mars à 9 heures, en dépit des protestations de Maître B______, auquel le dossier personnel de A______ avait été adressé par pli du 17 mars 2022.

 

Ni A______ ni son conseil ne s’est présenté à cet entretien.

 

Le greffier de juridiction a établi un compte-rendu de 7 pages, dont il ressort, en résumé et en substance, outre ce qui avait été constaté lors des entretiens des 16 avril 2021 et 10 décembre 2021, qu’aucun des magistrat/e/s du Tribunal des mineurs ne souhaitait voir A______ attribuée à son cabinet, tous considérant, à l’instar de la hiérarchie administrative, que l’intéressée ne disposait pas des compétences attendues d’une greffière- juriste, malgré son niveau d’études et d’expérience.

 

Un délai de 20 jours a été imparti à A______ pour se déterminer.

 

10. Par courrier du 27 avril 2022, Maître B______ a contesté la réalité de prestations insuffisantes imputables à A______, a critiqué la manière dont l’entretien du 22 mars 2022 avait été fixé et a exigé différentes mesures d’instruction.

Le 6 mai 2022, le Secrétaire général a répondu à l’avocat que les allégations formulées relativement à l’accompagnement dont A______ avait bénéficié, à la qualité de l’évaluation de ses prestations et à l’existence d’un quelconque comportement attentatoire à sa personnalité étaient contestées, que A______ n’avait jamais fait état à sa hiérarchie d’une situation familiale ou de santé difficile et n’avait pas laissé transparaître de signe susceptible de permettre à sa hiérarchie de s’interroger quant à l’existence d’une telle situation.

Une rencontre a eu lieu le 24 mai 2022 entre le Secrétaire général, A______ et son conseil, ainsi que la directrice des ressources humaines. Un délai échéant le 22 juin 2022 a été imparti à A______ pour se déterminer concernant les mesures alternatives possibles à une résiliation des rapports de service, soit un transfert à la Cour pénale de la Cour de justice ou le financement de mesures d’accompagnement visant une réorientation professionnelle. A______ ne s’est pas déterminée.

Par courrier du 6 juillet 2022, le Secrétaire général a néanmoins ouvert une procédure de reclassement.

Par courrier du 5 octobre 2022, le Secrétaire général a informé A______ qu’aucun poste de greffière-juriste, avec un niveau d’exigences moins élevé que celui du Tribunal des mineurs, n’avait été identifié au Pouvoir judiciaire.

11. À la demande de la Cellule santé du Pouvoir judiciaire, le docteur G______, médecin conseil, a examiné la capacité de travail de A______. À cet effet, un entretien d’une durée de 75 minutes a eu lieu le 12 janvier 2023. L’expert n’a retenu aucune limitation fonctionnelle et aucune incapacité de travail, à l’exception d’une incapacité de travail totale pour le Pouvoir judiciaire. Le pronostic était mauvais pour l’employeur actuel et bon pour tout autre employeur.

12. Par courrier du 13 février 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif.

 

EN DROIT

1. A teneur de l’art. 138 let. b de la loi genevoise sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ – RS/GE E 2 05), la Cour d’appel du Pouvoir judiciaire est compétente pour « connaître des recours dirigés contre les décisions de la commission de gestion et du secrétaire général du pouvoir judiciaire en tant qu’elles touchent aux droits et obligations des membres du personnel du pouvoir judiciaire ».

Sont considérées comme des décisions, les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations, de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits, de rejeter ou de déclarer irrecevables les demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (art. 4 al. 1 let. a – c de la loi genevoise sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 [LPA – RS/GE E 5 10]).

2. Selon l’art. 139 al. 1 LOJ, la procédure devant la Cour d’appel du Pouvoir judiciaire est régie par la LPA.

Le délai pour recourir contre une décision administrative est de 30 jours s’il s’agit d’une décision finale ou en matière de compétence (art. 62 al. 1 let. a LPA).

3. Le recours devant la Cour de céans peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA) ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA).

 

Les juridictions administratives n’ont toutefois pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA).

 

La juridiction administrative chargée de statuer sur un recours est liée par les conclusions des parties (art. 69 al. 1 LPA).

 

4. Les membres du personnel du Pouvoir judiciaire sont soumis à la LPAC (art. 1 al. 1 let. d LPAC). À ce titre, ils relèvent de l’autorité de la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire (art. 2 al. 3 LPAC). Cette dernière est l’autorité d’engagement et de nomination (art. 10 al. 1 LPAC). Elle peut déléguer au Secrétaire général du Pouvoir judiciaire la compétence de procéder à l’engagement et à la nomination des membres du personnel dudit pouvoir (art. 11 al. 3 LPAC), de même que la compétence de résilier les rapports de service (art. 17 al. 4 LPAC).

A teneur de l’art. 2 al. 2 du règlement du personnel du Pouvoir judiciaire, du 5 novembre 2020 (RPPJ – RS/GE E 2 05.50), le Secrétaire général est l’autorité compétente notamment pour l’engagement, la fixation du traitement, la nomination et la résiliation des rapports de service du personnel du pouvoir judiciaire.

5.

5.1. Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

5.2. Les décisions sur effet suspensif et sur mesures provisionnelles sont prises par le président, le vice-président, ou en cas d’empêchement de ceux-ci, par un juge (art. 21, al. 2 LPA et art. 5, al. 1 du règlement de la Cour d'appel du Pouvoir judiciaire, du 26 septembre 2014 [RCAPJ – E 2 05.48]).

5.3. Selon la jurisprudence constante, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503, consid. 3 ; ATA/29/2018 du 15 janvier 2018, consid. 3 ; ATA/59/2017 du 24 janvier 2017, consid. 4 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016, consid. 4 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015, consid. 2).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités ; ATA/1169/2017 du 8 août 2017, consid. 3 ; ATA/1071/2017 du 7 juillet 2017, consid. 8 ; ATA/622/2017 du 31 mai 2017, consid. 9 ; ATA/626/2016 du 19 juillet 2016, consid. 10). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, in RDS 1997 II 253-420, p. 265).

5.4. L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149, consid. 2.2 ; 127 II 132, consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

5.5. Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation, qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014, consid. 5.5.1).

5.6. Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu’un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185, consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009, consid. 2.3 et les arrêts cités).

5.7. En droit disciplinaire, un dommage psychologique ou d'image résultant du fait de la libération de travailler, de la suspension provisoire ou de la résiliation des rapports de service ne saurait à lui seul justifier la réintégration à titre provisoire (ATA/29/2018 du 15 janvier 2018, consid. 7 ; ATA/443/2016 du 26 mai 2016, consid. 6 ; ATA/1383/2015 du 23 décembre 2015, consid. 2).

5.8. De manière générale, l'intérêt privé du recourant à conserver son activité professionnelle et à continuer à percevoir son traitement doit céder le pas à l'intérêt public à la préservation des finances de l'Etat (ATA/795/2021 du 4 août 2021 ; ATA/622/2017 du 31 mai 2017, consid. 9 ; ATA/955/2016 du 9 novembre, consid. 9 ; ATA/471/2016 du 6 juin 2016, consid. 9 et les références citées).

 

6.

6.1. Au vu des principes qui viennent d’être rappelés, l’octroi de l’effet suspensif requis par la recourante reviendrait à anticiper le jugement au fond, puisqu’il la maintiendrait dans sa fonction, contrairement à la décision entreprise du 22 novembre 2022. La requête ne porte, dès lors, pas sur un minus ou un aliud.

6.2. La mise en balance, d’une part, de l'intérêt public du Pouvoir judiciaire à appliquer immédiatement la décision contestée, en particulier pour le bon fonctionnement de la juridiction concernée et, d’autre part, de l’intérêt de la recourante à poursuivre son activité de greffière-juriste durant la procédure de recours, s’avère, prima facie, peu favorable à cette dernière.

Ainsi que cela ressort des faits décrits sous chiffre 7 de la partie en fait ci-dessus, depuis que la recourante travaille au Tribunal des mineurs, ses prestations sont qualifiées d’insuffisantes, sous l’angle de l’efficacité et de la qualité, par l’ensemble des magistrat/e/s, qui sont les principaux intéressés, et ce en dépit d‘aménagements divers et d’un suivi étroit.

Cette évaluation négative n’autorise, prima facie, guère d’espoir que la situation puisse s’améliorer, que ce soit dans cette juridiction ou dans une autre, quand bien même la recourante continue d’offrir ses services. Cette voie paraît d’autant moins envisageable que, dans son examen du 12 janvier 2023, le Dr G______, médecin-conseil du Pouvoir judiciaire, n’a décelé aucune limitation fonctionnelle de la capacité de travail de la recourante, sauf en ce qui concerne précisément le Pouvoir judiciaire.

6.3. S’agissant du dommage difficilement réparable que la recourante invoque, force est de constater qu’il n’est pas rendu vraisemblable.

La recourante ne peut donc être suivie lorsqu’elle affirme qu’il lui serait difficile de trouver un autre travail. Le recourante est au bénéfice d’une formation solide et d’expériences multiples et l’examen précité du Dr G______ atteste qu’elle est parfaitement apte au travail. Son âge ne saurait raisonnablement être qualifié de handicap pour des recherches d’emploi, pas plus que le fait d’être la mère de deux enfants par ailleurs scolarisés.

La recourante aura droit, si nécessaire, aux prestations de l’assurance chômage et elle ne rend pas vraisemblable que ses ressources propres et celles de son époux ne suffiraient pas à couvrir les charges essentielles de la famille durant la période transitoire, soit jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un nouvel emploi.

Au vu de la jurisprudence citée plus haut, l’atteinte à la réputation alléguée par la recourante ne justifie pas l’octroi de mesures provisionnelles. La situation de la recourante n’a pas été ébruitée et ses difficultés dans sa dernière fonction n’ont rien de déshonorant.

En revanche, l'intérêt public à la préservation des finances de l'entité publique intimée, qui serait alors exposée au risque que la recourante ne puisse pas rembourser les traitements en cas de rejet de son recours, est important et prime l'intérêt financier de la recourante à percevoir son salaire durant la procédure.

6.4. Les conditions à l’octroi de mesures provisionnelles n’étant pas remplies, la requête d’octroi de l’effet suspensif doit être rejetée.

 

***

 

 

 

PAR CES MOTIFS

 

LA COUR D’APPEL DU POUVOIR JUDICIAIRE

 

 

- Rejette la requête de restitution de l’effet suspensif au recours interjeté par A______, le 9 janvier 2022, contre la décision du Secrétaire général du Pouvoir judiciaire du 22 novembre 2022.

 

- Réserve les frais, émolument et dépens de la procédure jusqu’à droit jugé au fond.

 

- Dit que, conformément aux art. 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110) le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public. Le délai est suspendu pendant les périodes prévues à l’article 46 LTF. Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuves et porter la signature du recourant ou de son mandataire. Il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuves doivent être joints à l’envoi.

 

- Communique le présent arrêt à Me B______, avocat de la recourante, et au Secrétaire général du Pouvoir judiciaire.

 

 

 

 

 

La Vice-présidente :

 

 

 

 

Renate PFISTER-LIECHTI

 

 

 

 

 

Genève, le 3 mars 2023 La greffière :

 

 

 

Shannon RIEDY

 

Copie conforme du présent arrêt a été communiquée par pli recommandé à Me B______ ainsi qu’au Secrétaire général du Pouvoir judiciaire.