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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2287/2024

ATA/1088/2025 du 07.10.2025 ( MARPU ) , ADMIS

Descripteurs : MARCHÉS PUBLICS;APPEL D'OFFRES(MARCHÉS PUBLICS);PROCÉDURE D'ADJUDICATION;EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION;DOMMAGES-INTÉRÊTS;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MODIFICATION(EN GÉNÉRAL);INTERRUPTION DE LA PROCÉDURE(MARCHÉS PUBLICS)
Normes : RMP.47; AIMP.13; AIMP.15.al1bis.lete; L-AIMP.3.al1; RMP.55.letd; RPM.56.al1; L-AIMP.3.al4; Cst..29.al2; LPA.45; AIMP.11.letg; RMP.22; AIMP.18; L-AIMP.3.al3
Résumé : Recours d’un soumissionnaire participant à un marché public contre une décision d’interruption du marché prise par l’autorité adjudicatrice. Les deux motifs évoqués par l’autorité pour interrompre le marché, soit le dépassement par toutes les offres, du budget estimé et l’arrêt de la CPAR du 23 mai 2024, lui imposant une obligation accrue d’information au sujet des risques d’incendies ne constituent pas des justes motifs lui permettant d’interrompre le marché. En effet, le premier motif ne suffit pas dès lors que le marché ne limite aucunement les heures à effectuer et insiste sur le fait que le soumissionnaire doit être en mesure de s’adapter en tout temps. S’agissant du second motif, l’appel d’offres précise déjà que les agents doivent suivre les procédures incendie prévues par l’hospice. Si ce dernier s’est vu contraint par l’arrêt de la CPAR à informer ses résidents de manière plus claire et complète sur la marche à suivre en cas d’incendie, tel n’est pas le cas des agents, dont la mission consiste déjà à suivre les procédures fixées par l’hospice. Ces deux motifs ne sont donc pas suffisants pour admettre que le marché soit modifié d’une telle manière qu’il faille l’interrompre. Annulation de la décision et renvoi du dossier à l’autorité adjudicatrice pour reprise de la procédure d’adjudication, le second marché n’ayant pas encore été entamé, en raison de l’octroi de l’effet suspensif. Recours admis.
En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2287/2024-MARPU ATA/1088/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 octobre 2025

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Robert HENSLER, avocat

contre

HOSPICE GÉNÉRAL intimé
représenté par Me Bertrand REICH, avocat

 



EN FAIT

A. a. L'Hospice général, institution genevoise d'action sociale (ci-après : l'hospice ou l'autorité adjudicatrice), est un établissement public autonome de droit public (art. 214 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 [Cst GE - A 2 00]) chargé de l'aide sociale, notamment l'aide financière, l'accompagnement et la réinsertion (art. 214 al. 2 Cst-GE). Il est également chargé des tâches d'assistance qui incombent au canton de Genève en vertu de la législation fédérale sur l'asile (art. 3 al. 3 de la loi sur l'Hospice général du 17 mars 2006 [LHG  - J 4 07]). À ce titre, il assure la prise en charge et l’hébergement des requérants d'asile et des personnes admises provisoirement en Suisse.

b. A______ (ci-après : A______) est une société de droit suisse ayant son siège dans le canton de Berne, active dans la prestation de services de surveillance, d'ordre et de contrôle. Elle dispose d'une succursale à Genève.

B. a. Le 26 janvier 2024, l'hospice a publié sur la plateforme en ligne SIMAP un appel d'offres en procédure ouverte, soumis aux accords internationaux, portant sur la conclusion d'un contrat-cadre pour la surveillance et la sécurité des centres d'hébergement et autres sites (centres d'action sociale, centre pour aînés et administratif). Ledit contrat devait être conclu pour une durée de quatre ans, du 1er novembre 2024 au 31 octobre 2028, une reconduction d'une année étant ensuite possible. Le marché n'était pas divisé en lots et les variantes ou offres partielles n'étaient pas admises.

Il était attendu de l'adjudicataire qu'il mette à disposition sur différents sites de l'hospice le personnel non armé nécessaire pour assurer la gestion de la surveillance et de la sécurité, de manière à renforcer de façon pérenne la sécurité des bénéficiaires et des collaborateurs (§ 3 du cahier des charges). Les prestations à fournir comprenaient ainsi la prévention et la lutte contre l'incendie, l'assistance et le secours aux personnes, la prévention et la lutte contre la malveillance et le désordre et la gestion des alarmes techniques (§ 2.1 du cahier des charges).

Le cahier des charges de l'appel d'offres indiquait à son § 2.2 (estimation de la taille du marché) qu'en raison de la crise migratoire consécutive à la guerre en Ukraine le volume d'heures prestées pour ces missions de surveillance et de sécurité avait augmenté en 2023, atteignant environ 460'000 heures (représentant un montant de l'ordre de CHF 23'000'000.-) par rapport à 150'000 heures en temps normal. Il était précisé que cette estimation n'avait qu'une valeur purement indicative et dépendait de l'acceptation des budgets et des besoins du service de la sécurité humaine et prévention incendie de l'hospice (ci-après : SHPI), qui se donnait le droit de la revoir à tout moment.

Il résultait pour le surplus de l'onglet « importance du marché » du cahier de réponse à l'appel d'offres que l'hospice avait estimé à 604'516 le nombre d'heures de travail annuelles nécessaires à la couverture du marché. Sur cette base, il avait estimé à CHF 30'357'108.- le coût des prestations, ce montant ne figurant toutefois pas dans les documents de l'appel d'offres.

Le § 21 du cahier des charges indiquait que le contrat cadre conclu avec l'adjudicataire pourrait être résilié en tout temps par chacune des parties moyennant l'observation d'un préavis de trois mois pour la fin d'un mois.

Les critères et sous-critères d'adjudication, ainsi que leur pondération, étaient énumérés sous chiffre 4.6 du dossier d'appel d'offres. Il s'agissait, par ordre d'importance, de la qualité du soumissionnaire à hauteur de 50% (comprenant le système de reporting [30%], la formation des agents [50%], les références clients [10%] et le développement durable [10%]), du prix proposé à hauteur de 30% (comprenant le tarif horaire par agent de jour et de nuit [60%], le tarif horaire patrouille [10%], le tarif horaire encadrement [20%] et le tarif horaire chargé de sécurité [10%]) et de l'expérience générale et de la qualification des ressources à hauteur de 20% (comprenant l'expérience du soumissionnaire [50%] et la qualité des personnes clés [50%]).

Il ressortait de l’annexe 04, soit le cahier des charges « agents » de l’appel d’offres que les obligations en matière d’incendie à la charge des agents consistaient notamment à « prendre connaissance et à appliquer l’ensemble des procédures d’incendie et d’évacuation propres à chacun des sites et mises en place par l’hospice » (ch. 7).

b. Dans le délai au 26 avril 2024 à 16h00 fixé à cet effet, quatre offres recevables ont été déposées, parmi lesquelles celle de A______. Les montants de base des offres s'élevaient, en ordre croissant, à respectivement CHF 32'983'582.54, CHF 33'207'569.32 (A______), CHF 33'273'612.38 et CHF 35'535'938.84.

c. Par décision publiée le 25 juin 2024 sur la plate-forme SIMAP, l'hospice a interrompu l'appel d'offres, indiquant sous la rubrique 3 « raisons » que « d) les offres présentées ne permettent pas une acquisition économique ou dépassent nettement le budget » et, sous la rubrique 4 « remarques », que « conformément à l'alinéa d) toutes les offres dépassent le montant du budget prévu ou octroyé pour le marché ». Il a en outre indiqué qu'un nouvel appel d'offres serait lancé en 2025 pour le marché.

C. a. Le 5 juillet 2024, A______ a formé auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) un recours contre cette décision, concluant, au fond, à son annulation et au renvoi de la cause à l'hospice pour nouvelle décision. À titre préalable, elle a requis que l'effet suspensif soit octroyé au recours, à ce qu'il soit fait interdiction à l'hospice de publier ou de faire publier un nouvel appel d'offres ayant pour objet ou comprenant les prestations de surveillance et de sécurité des centres d'hébergement pour migrants et autres sites (centres d'action sociale, centre pour aînés et autres sites), à ce qu'il lui soit fait interdiction d'entreprendre toutes démarches tendant à la préparation d'un nouvel appel d'offres concernant lesdites prestations, et à ce qu'il lui soit ordonné d'interrompre toutes démarches entreprises par ses propres agents ou par un ou plusieurs de ses mandataires tendant à la préparation d'un tel appel d'offres, le tout sous la menace des peines prévues par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). Elle sollicitait au préalable plusieurs actes d’instruction, soit notamment la production par l’hospice : des documents relatifs à l’estimation de la taille du marché ; la budgétisation du coût des prestations ; les tarifs horaires des services de sécurité des années précédentes ; les documents relatifs aux budgets de sécurité pour les années 2024 à 2028 ; la note rédigée par B______ et/ou C______ au sujet de l’interruption de l’appel d’offres ; le procès-verbal d’ouverture des offres mentionnant le nom des soumissionnaires, les dates de réception et le prix des offres ; les fiches remplies par les soumissionnaires ; l’état du processus d’adjudication, de même que les évaluations des offres, ainsi que l’audition de D______, son directeur, de E______, directeur de l’hospice, de B______ et de C______, collaborateurs de l’hospice.

La motivation de la décision contestée, qui se bornait à se référer à un budget jamais mentionné jusqu'alors et dont on ne savait s'il avait été prévu ou octroyé, était insuffisante. Son droit d'être entendue avait en conséquence été violé.

L'interruption de la procédure d'appels d'offres ne reposait sur aucun juste motif au sens des art. 13 let. i de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05) et 47 al. 1 let. d du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01). Le juste motif prévu par l'art. 47 al. 1 let. d RMP n'était en particulier pas réalisé dès lors que le contrat cadre devant être conclu avec l'adjudicataire ne comportait aucun nombre d'heures minimal et était résiliable à court terme. À cela s'ajoutait que les tarifs horaires étaient similaires à ceux payés par l'hospice les années précédentes.

La décision d'interruption de la procédure de marché public violait également les principes de la bonne foi et de la proportionnalité.

L'octroi de l'effet suspensif au recours et l'ordonnance des mesures provisionnelles sollicitées, auquel aucun intérêt public ne faisait obstacle, étaient nécessaires afin d'éviter que l'autorité intimée ne lance, sans attendre l'issue de la présente procédure, un nouvel appel d'offres comprenant les mêmes prestations, permettant ainsi à d'autres soumissionnaires de présenter de nouvelles offres et de la priver ainsi d'une adjudication en sa faveur.

b. Dans sa réponse, l'hospice a conclu au rejet de la requête d'effet suspensif et de mesures provisionnelles.

L'interruption de la procédure, intervenue alors que l'analyse des offres déposées n'était pas finalisée, reposait sur un double motif. D'une part, le montant de toutes les offres déposées excédait de CHF 3 à 3,5 millions le montant qu’il avait estimé. D'autre part, une procédure pénale engagée contre un ancien coordinateur incendie de l'hospice, dans le cadre de laquelle celui-ci avait été reconnu coupable d'homicide et de lésions corporelles par négligence en relation avec un incendie survenu en 2014 dans un foyer pour migrants F______, avait trouvé son épilogue cantonal avec le prononcé par la Chambre pénale d'appel et de recours
(ci-après : CPAR) d'un arrêt du 23 mai 2024, pouvant encore être contesté devant le Tribunal fédéral. Or, il souhaitait analyser les conséquences de ladite procédure pénale sur le plan de la sécurité incendie, et donc sur les prestations attendues des entreprises prestataires en la matière.

c. Par décision du 11 septembre 2024 (ATA/1085/2024), l’effet suspensif a été restitué au recours du 5 juillet 2024.

d. Le 1er octobre 2024, l’hospice s’est déterminé sur le fond.

Selon ses estimations, le nombre d’heures de travail annuelles nécessaires à la couverture du marché s’élevait à 604'516, soit un coût s’élevant à CHF 30'357'108.- . Ce montant avait été déterminé dans la préparation des documents d’appel d’offres par le responsable sécurité mais non communiqué dans le document d’appel d’offres, « l’expérience enseignant que ce genre d’information amen[ait] les soumissionnaires à considérer le montant indiqué comme une cible et non un plafond ».

Il n’avait pas de marge de manœuvre sur le recours aux prestations convenues, tant dans leur nature que leur volume, sous réserve d’une évolution géopolitique entraînant une réduction du nombre de requérants d’asile. S’il voulait réduire le volume des prestations, il devait modifier le périmètre du marché ou réorganiser l’hébergement des personnes. Le contrat cadre était établi pour quatre ans avec prolongation possible d’un an.

La qualité pour recourir de la recourante se posait, puisque, selon lui, « ce [n’était] pas la recourante mais le prestataire actuellement en place » à qui le marché aurait été adjugé et non à la recourante. En effet, l’offre présentant le meilleur rapport qualité/prix, à ce stade, n’était pas celle de la recourante mais celle de G______. Si la procédure n’avait pas été interrompue, le marché aurait été adjugé « vraisemblablement » à cette dernière.

Cinq offres avaient été déposées en temps utile et quatre étaient recevables. Le montant des offres recevables était compris entre CHF 32'983'582.- et CHF 35'535'938.-, l’offre la plus basse n’ayant pas été déposée par la recourante. Ces montants dépassaient tous le coût qu’il avait estimé pour ce marché.

Le 23 mai 2024, la CPAR avait reconnu un ancien coordinateur incident de l’hospice coupable d’homicide et de lésions corporelles par négligence lors de l’incendie du foyer pour personnes migrantes F______ en 2014, et confirmé la condamnation pour homicide et lésions corporelles par négligence d’un résident et de deux agents de sécurité de la société prestataire de sécurité. Cette décision était inattendue et s’avérait lourde de conséquences, impliquant pour lui une quantité de « mesures de mise en place et de contrôle, compte tenu du nombre de résidents, de leur diversité et de leur tournus ». Cette décision avait également été déférée au Tribunal fédéral, qui n’avait pas encore rendu d’arrêt. Au vu de la possibilité de devoir reconfigurer le marché concerné et du dépassement du coût du marché concerné, il avait décidé d’interrompre la procédure de mise en concurrence.

Ni le Ministère public ni le Tribunal de police n’avaient auparavant retenu une telle obligation, de sorte que cet arrêt, s’il venait à être confirmé par le Tribunal fédéral, était susceptible d’instaurer une nouvelle obligation, contestée, qui n’était jusqu’alors pas en vigueur. Il ne s’attendait aucunement à devoir assumer une telle responsabilité s’agissant d’un bâtiment dont il n’était pas propriétaire.

Il n’entendait pas renoncer au marché mais bien le reconfigurer pour les raisons exposées dans la présente écriture. Le fait de ne pas avoir mentionné l’arrêt de la CPAR du 23 mai 2024 dans sa décision d’interruption était lié au fait que le délai de recours courait encore et qu’il ne souhaitait pas nuire à la défense de ses intérêts. Ce n’était pas l’incendie en tant que tel mais la décision de la CPAR retenant un devoir accru d’information de sa part qui modifiait le périmètre de l’appel d’offres, ce dernier étant étendu et de nouvelles prestations attendues des soumissionnaires. La responsabilité découlant de cette exigence accrue d’information était susceptible d’entraîner une condamnation pénale en cas de non-respect de cette nouvelle obligation et imposait une interruption suivie d’un renouvellement.

La décision d’interruption souffrait d’un défaut partiel de motivation pouvant être réparé devant la chambre de céans, conformément à la jurisprudence.

Enfin, les offres des soumissionnaires devant être traitées de façon confidentielle, il convenait d’interdire l’accès aux offres aux parties à la procédure. Il en allait de même de la pièce 14, qui était un tableau établi par son responsable sécurité pour estimer le coût probable du marché mis en concurrence. Il s’agissait d’un document interne d’autant plus confidentiel que le marché allait être renouvelé, la communication de sa méthode de travail et du coût horaire adéquat procurant un avantage certain à l’entreprise en bénéficiant.

e. Le 18 novembre 2024 s’est tenue une audience de comparution des mandataires.

La recourante a souligné que selon elle, les offres des autres soumissionnaires étaient utiles pour juger de la recevabilité du recours, puisque le marché ne lui aurait pas été attribué, selon l’hospice.

En relation avec les décisions pénales justifiant l’interruption du marché selon l’hospice, il convenait d’obtenir les autres offres afin d’examiner la formation des agents. Il en allait de même pour savoir comment les autres offres étaient structurées par rapport aux prix.

L’hospice a accepté d’établir une version de sa pièce 14 modifiée, de manière à présenter les éléments essentiels, pouvant être communiquée à la recourante pour lui permettre de se déterminer. Il s’opposait à la transmission à la recourante des offres des autres soumissionnaires.

À l’issue de l’audience, le juge délégué a réservé d’autres mesures probatoires.

f. Le 16 janvier 2025, la recourante a répliqué. On cherchait en vain à comprendre dans les écritures de l’hospice la raison pour laquelle un nouveau marché devait être organisé et en quoi il différerait de l’actuel. L’hospice semblait refuser de communiquer les véritables motifs de sa décision. Le budget, soit le coût estimé, n’avait aucune pertinence, l’hospice ne s’engageant pas sur un nombre d’heures et demeurant libre de moduler le recours aux services de l’adjudicataire. La pièce 14 n’apportait aucune information pertinente. Le coût estimé n’était ni plausible ni sérieux. En divisant le montant allégué par l’hospice par le nombre d’heures, on arrivait à un tarif irréaliste pour ce type de prestations, de CHF 46.45. Le tarif horaire de G______ était de CHF 50.- et le sien était équivalent. Si l’hospice avait réellement estimé le coût du marché, ce dont elle doutait, c’était sur une base totalement irréaliste.

L’hospice annonçait une décision en faveur de G______, alors même que la procédure n’était pas encore achevée, confirmant son parti pris en faveur de cette société.

Contrairement aux allégations de l’hospice, ne pas communiquer l’estimation des coûts aux soumissionnaires l’empêchait ensuite de se prévaloir d’un hypothétique dépassement de budget pour révoquer le marché. Si réellement l’hospice n’avait pas de marge de manœuvre dans l’organisation du marché, la recourante ne voyait pas en quoi l’organisation d’un nouveau marché pouvait y changer quoi que ce soit et l’hospice ne l’exposait d’ailleurs pas. Ce dernier ne s’engageait ni sur la quotité ni sur les types de service qu’il pouvait demander à l’adjudicataire, par ailleurs modulables en tout temps. Cet argument n’était donc pas pertinent.

Il en allait de même des conséquences de l’arrêt de la CPAR du 23 mai 2024. Cet arrêt n’avait de conséquences que sur l’obligation pour l’hospice de communiquer à ses résidents des informations sur les mesures et comportements à adopter en cas d’incendie. L’appel d’offres contenait certes des obligations de formation envers les agents de sécurité, dont l’arrêt de la chambre pénale soulignait qu’elles étaient suffisantes. La seule modification de l’appel d’offres envisagée par l’hospice consistait à demander à l’adjudicataire de vérifier que les panneaux explicatifs étaient accessibles et visibles ou de l’informer en cas de manquements. L’arrêt dont l’hospice faisait grand cas n’exerçait donc aucune influence sur le marché en cours. Ses explications sur le fait que cet argument n’avait pas été mentionné pour des raisons stratégiques étaient dépourvues de crédibilité.

g. Le 6 juin 2025, l’hospice a rappelé qu’il se proposait de convaincre la chambre de céans du bien-fondé de la décision contestée par le biais d’une audience de comparution personnelle.

h. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 15 al. 1bis let. e et al. 2 AIMP ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 – L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 55 let. d et 56 al. 1 RMP ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

1.1 La qualité pour recourir en matière de marchés publics se définit en fonction des critères de l’art. 60 al. 1 let. a et b LPA, applicable sur renvoi de l’art. 3 al. 4 L- AIMP.

1.2 L’intérêt à obtenir un jugement favorable doit être personnel, direct, immédiat et actuel (MGC 1984 I 1604 ss ; 1985 III 4373 ss ; ATA/910/2015 du 8 septembre 2015 consid. 4 ; ATA/932/2014 du 25 novembre 2014 consid. 5a ; ATA/885/2014 du 4 novembre 2014 ; ATA/77/2009 du 17 février 2009 ; ATA/208/2005 du 12 avril 2005 ; Raphaël MAHLER, Réflexions sur la qualité pour recourir en droit administratif genevois in RDAF 1982, pp. 272 ss not. 274). Ces principes s’appliquent aussi au droit des marchés publics (ATF 141 II 14 consid. 4 = JdT 2015 I 81).

La qualité pour recourir appartient aux parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée, chacune de celles-ci devant néanmoins être touchée directement par la décision et avoir un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée. Tel est le cas de celle à laquelle la décision attaquée apporte des inconvénients qui pourraient être évités grâce au succès du recours, qu’il s’agisse d’intérêts juridiques ou de simples intérêts de fait (ATA/1298/2023 du 5 décembre 2023 consid. 7.1 et les références citées).

1.3 L'intérêt digne de protection dont dépend la qualité pour recourir consiste dans l'utilité pratique inhérente à ce que la partie recourante peut, en obtenant gain de cause, influencer directement sa situation factuelle ou juridique ; le recours ne sert pas à faire contrôler abstraitement la légalité objective de l'activité étatique mais plutôt à procurer un avantage pratique à la partie recourante, de sorte que le simple objectif d'empêcher la partie adverse d'accéder à un avantage censément illicite ne suffit pas à conférer la qualité pour recourir si cet objectif ne se rattache pas à un avantage digne de protection pour la partie recourante (ATF 141 II 307 consid. 6.2 et les références citées = JdT 2016 I 20 pp. 20 ss).

1.4 L'intérêt actuel du soumissionnaire évincé est évident tant que le contrat n'est pas encore conclu entre le pouvoir adjudicateur et l'adjudicataire, car le recours lui permet d'obtenir la correction de la violation commise et la reprise du processus de passation. Il y a lieu d'admettre qu'un soumissionnaire évincé a aussi un intérêt actuel au recours lorsque le contrat est déjà conclu avec l'adjudicataire, voire exécuté, car il doit pouvoir obtenir une constatation d'illicéité de la décision pour pouvoir agir en dommages-intérêts (ATF 137 II 313 consid. 1.2.2).

1.5 Dans son arrêt 2D_24/2017 du 14 mai 2018, le Tribunal fédéral a relevé qu'en se plaignant de la violation du droit d'être entendu, de l'interdiction de l'arbitraire ainsi que de la violation du droit à l'égalité de traitement de la part de l'instance précédente aux fins d'exclure toutes les offres, également celles des deux soumissionnaires finalistes, la recourante, qui avait été exclue du marché, faisait valoir en substance qu'un nouvel appel d'offres aurait pu et dû avoir lieu après invalidation de l'ensemble de la procédure par l'instance précédente : cela lui aurait ouvert la possibilité de présenter éventuellement une nouvelle offre. Elle avait par conséquent qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral sous cet angle pour autant que son grief de déni de justice formel relatif à la conclusion tendant au constat d'illicéité de la décision d'adjudication soit admis (consid. 2.2.1).

1.6 En l’espèce, cette qualité doit être reconnue à la recourante, dès lors qu’elle a soumis une offre pour le marché initial, lequel a été interrompu, interruption dont elle conteste la légalité, et que l’autorité adjudicatrice a admis que l’offre de la recourante n’était pas celle qui avait été écartée. Pour le surplus, la jurisprudence précitée a admis la qualité pour recourir d’un concurrent démontrant être un soumissionnaire potentiel et rendant plausibles non seulement sa capacité réelle, mais aussi son intention de déposer une offre en rapport avec l'objet du marché défini par l'adjudicateur. L’autorité adjudicatrice n’ayant pas produit les notations intermédiaires des soumissionnaires, il doit être considéré que le marché pourrait être octroyé à la recourante, qui a donc un intérêt personnel digne de protection à ce que la décision d’interruption soit modifiée ou annulée, de sorte qu’elle a la qualité pour recourir contre cette décision. Interjeté par un soumissionnaire auquel une décision d’interruption du marché a été notifiée, le recours est recevable.

2.             Les parties concluent préalablement à plusieurs mesures d’instruction.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (ATF 137 IV 33 consid. 9.2), de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_24/2017 du 13 décembre 2017 consid. 2.2). Le droit d'être entendu n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 Selon l’art. 45 LPA, l’autorité peut interdire la consultation du dossier si l’intérêt public ou des intérêts privés prépondérants l’exigent (al. 1). Le refus d’autoriser la consultation des pièces ne peut s’étendre qu’à celles qu’il y a lieu de garder secrètes et ne peut concerner les propres mémoires des parties, les documents qu’elles ont produits comme moyens de preuves, les décisions qui leur ont été notifiées et les procès-verbaux relatifs aux déclarations qu’elles ont faites (al. 2). Une pièce dont la consultation est refusée à une partie ne peut être utilisée à son désavantage que si l’autorité lui en a communiqué par écrit le contenu essentiel se rapportant à l’affaire et lui a donné en outre l’occasion de s’exprimer et de proposer les contre‑preuves (al. 3).

Selon l'art. 11 let. g AIMP, le traitement confidentiel des informations doit être respecté lors de la passation de marchés publics. L'art. 22 RMP, intitulé « confidentialité et droits d'auteur », prévoit que les informations mises à disposition par les soumissionnaires, en particulier les secrets d'affaires et de fabrication, sont traitées de façon confidentielle (al. 1). Les travaux et délibérations concernant l'évaluation des offres sont confidentiels (al. 3). Cet article concrétise la règle générale de procédure de passation de marchés qui exige le traitement confidentiel des informations. Elle respecte les droits et devoirs de l'adjudicateur de limiter l'accès au dossier pour garantir l'intérêt de la société adjudicataire de ne pas dévoiler à sa concurrente évincée des secrets d'affaires ou de fabrication (arrêt du Tribunal fédéral 2C_890/2008 du 22 avril 2009 consid. 5.3.3 ; ATA/1164/2023 du 31 octobre 2023 consid. 3.5 et l'arrêt cité).

2.3 Selon la doctrine et la jurisprudence, en matière de marchés publics, le droit d'accès au dossier est limité en raison de la protection des intérêts commerciaux légitimes des soumissionnaires. Ces derniers ne peuvent avoir accès à des documents couverts par le secret d'affaires. Cette limitation restreint leurs droits mais ne les laisse pas sans protection. Ils peuvent demander à l'adjudicateur les motifs du rejet de leur offre dont l'autorité de recours vérifie la validité en se fondant sur une analyse complète des offres concurrentes (arrêt du Tribunal fédéral 2P. 274/1999 du 2 mars 2000 consid. 2c in SJ 2000 I p. 546 ; Jean-Baptiste ZUFFEREY, Accès au dossier, in DC/BR 2/2011, p. 101). Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le droit d'être entendu ne peut être exercé utilement par une partie que si elle a accès aux éléments essentiels du dossier (ATA/1164/2023 du 31 octobre 2023 consid. 3.4 et la référence citée).

2.3.1 La recourante requiert en premier lieu la production des offres déposées par les autres soumissionnaires, de plusieurs documents internes à l’hospice concernant la budgétisation du marché et des notes internes, ainsi que des tarifs horaires payés en 2022 et 2023 et aux documents liés à l’évaluation des offres.

Des extraits pertinents de la pièce 14 ont été transmis à la recourante, de sorte que sa requête à ce sujet est sans objet. Conformément aux bases légales susrappelées, il convient de relever que la recourante ne saurait prétendre à avoir accès à des documents concernant des tiers potentiellement soumissionnaires dans le cadre de la procédure de marché public concernée, pas plus qu’aux travaux et délibérations de l’autorité adjudicatrice (art. 22 al. 3 RMP). Pour le surplus, il n’y a pas lieu de donner suite à sa demande concernant les documents internes de l’hospice (budget des années précédentes, notes internes, documents relatifs à la budgétisation des coûts), au vu des développements qui suivent.

Il n’y a donc pas lieu de procéder à ces mesures d’instruction.

2.3.2 La recourante sollicite l’audition de son directeur, du directeur de l’hospice et de deux collaborateurs de ce dernier. Sans y conclure formellement, l’hospice propose également « son audition » afin de « convaincre la Cour du bienfondé de la décision contestée ».

Or, les parties ont eu la possibilité de faire valoir leurs arguments et de produire toute pièce utile devant la chambre de céans. Elles se sont ainsi exprimées de manière circonstanciée sur l'objet du litige et ont produit les pièces auxquelles elle se sont référées dans leurs écritures. En outre, l’hospice n’explique pas quels éléments supplémentaires utiles à la solution du litige qu’il n’aurait pu alléguer et établir par pièces une comparution personnelle permettrait d’apporter. Il n'apparaît pas nécessaire d'entendre les parties, étant rappelé que la chambre de céans a procédé à la comparution des mandataires.

La chambre de céans dispose ainsi d’un dossier complet lui permettant de résoudre le litige, sur la base des écritures et des pièces disponibles, sans qu’il soit nécessaire de procéder à des actes d’instruction supplémentaires et sans qu’il soit nécessaire d’entendre des témoins. Il ne sera par conséquent pas fait droit aux requêtes d'audition.

3.             La recourante se plaint en premier lieu d’une violation de son droit d’être entendue, la décision querellée souffrant selon elle d’un défaut de motivation.

3.1 Outre les considérations susmentionnées, il y a lieu d’ajouter que le droit d’être entendu comprend aussi le droit d’obtenir une décision motivée (ATF 142 II 154 consid. 4.2 ; 141 V 557 consid 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_954/2020 du 26 juillet 2021 consid. 4.1 et les références). L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 146 II 335 consid. 5.1 ; 142 II 154 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, p. 531 n. 1573). Il suffit, de ce point de vue, que les parties puissent se rendre compte de la portée de la décision prise à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 ; 138 I 232 consid. 5.1 ; ATA/250/2023 du 14 mars 2023 consid. 3.1).

3.2 En matière de marchés publics, cette obligation se manifeste notamment par l’art. 47 al. 1 RMP, qui prévoit que les décisions d’interruption doivent être sommairement motivées.

3.3 La violation du droit d’être entendu doit en principe entraîner l’annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances du recourant sur le fond (ATF 141 V 495 consid. 2.2 ; 140 I 68 consid. 9.3 ; 135 I 279 consid. 2.6.1). Une réparation devant l’instance de recours est possible si celle-ci jouit du même pouvoir d’examen que l’autorité intimée (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 133 I 201 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_302/2018 du 14 mars 2019 consid. 2.1). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 126 I 68 consid. 2). Le recours à la chambre administrative ayant un effet dévolutif complet, celle-ci dispose d’un libre pouvoir d’examen en fait et en droit (art. 61 LPA). Celui-ci implique la possibilité de guérir une violation du droit d’être entendu, même si l’autorité de recours n’a pas la compétence d’apprécier l’opportunité de la décision attaquée (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral du 12 mai 2020 8C_257/2019 consid. 2.5 et les références citées), sous réserve que ledit vice ne revête pas un caractère de gravité (arrêts du Tribunal fédéral 8C_541/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.5). La réparation d’un vice de procédure en instance de recours peut se justifier en présence d’un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2).

En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/151/2023 du 14 février 2023 consid. 3b).

En droit des marchés publics, il est possible de remédier à un défaut de motivation dans le cadre d'une procédure de recours en indiquant par après les motifs en question dans la réponse au recours. Afin de préserver le droit d'être entendu, la partie recourante devait avoir une nouvelle possibilité de prendre position dans un deuxième échange d'écritures (arrêt du Tribunal cantonal de Schaffhouse OGE 60 2016 44 du 23 mai 2017, cité in DC 2018 I p. 69 n. 107 ; Jacques DUBEY/Lucien HÜRLIMANN, La jurisprudence en marchés publics entre 2018 et 2020 in Jean Baptiste ZUFFEREY/Martin BEYELER/Stefan SCHERLER [éd.], Marchés publics 2020, p. 248).

3.4 En l'espèce, la recourante invoque une violation de son droit d'être entendue. L’hospice reconnaît pour sa part n’avoir mentionné dans sa décision d’interruption qu’un seul motif d’interruption, alors qu’il considère en avoir deux et admet de ce fait un défaut partiel de motivation, justifiant son choix pour des raisons stratégiques. Quoi qu’il en soit, il s’agit effectivement d’un défaut de motivation. Le pouvoir adjudicateur a ainsi violé son obligation de fournir une motivation suffisante et a, de ce fait, violé le droit d'être entendue de la recourante.

Reste à déterminer si cette violation a été réparée dans la procédure de recours. Dans ses écritures, l'autorité adjudicatrice a expliqué le second motif de sa décision en l’analysant et en fournissant des explications supplémentaires. La recourante a disposé de la faculté de se déterminer dans la procédure de recours et a eu la possibilité de faire valoir ses arguments relatifs à ce second motif.

Ainsi, la violation du droit d’être entendue de la recourante doit être considérée comme ayant été réparée dans le cadre de la présente procédure, le recours ayant un effet dévolutif complet et permettant à la chambre d’examiner librement l’établissement des faits et l’application du droit, à l’exclusion de l’opportunité (art. 61 al. 1 et 67 LPA ; ATA/51/2025 du 14 janvier 2025 consid. 3.3; ATA/1200/2024 du 15 octobre 2024 consid. 2.3). En effet, la question portait uniquement sur la conformité au droit de la décision de l’hospice d’interrompre le marché public, qui doit s’examiner sous l’angle des faits et du droit pertinents, sans mettre en jeu une appréciation en opportunité. La recourante a ainsi eu l’occasion de faire valoir l’ensemble de ses griefs concernant les deux motifs d’interruption du marché en question.

Le grief tiré de la violation du droit d’être entendue doit, partant, être rejeté.

4.             Le litige porte sur le bien-fondé de l'interruption de la procédure d'adjudication du marché public.

4.1 Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a), et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

4.2 L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics (art. 1 al. 1 AIMP) ; il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 let. a et b AIMP).

4.3 Selon l’art. 55 RMP, sont réputées décisions sujettes à recours : a) l'appel d'offres ; b) la décision de sélection ; c) l'exclusion de la procédure ; d) l'interruption de la procédure ; e) l'adjudication ; f) la révocation de l'adjudication ; g) la sanction.

L’art. 13 let i AIMP prévoit que les dispositions d’exécution cantonales doivent garantir la possibilité d'interrompre et de répéter la procédure de passation en cas de justes motifs uniquement.

4.4 Selon l'art. 47 al. 1 RMP, la procédure peut être interrompue pour de justes motifs ou raisons importantes, notamment lorsque : a) l'autorité adjudicatrice a reçu un nombre insuffisant d'offres pour adjuger le marché dans une situation de concurrence efficace ; b) les offres ont été concertées ; c) un abandon ou une modification importante du projet est nécessaire ; d) toutes les offres dépassent le montant du budget prévu ou octroyé pour le marché.

L'autorité adjudicatrice rend une décision d'interruption sommairement motivée, notifiée soit par publication sur la plateforme simap.ch, soit par courrier aux intéressés, avec mention des voies de recours (art. 47 al. 2 RMP). Cette décision indique, le cas échéant, s'il est prévu de renouveler la procédure (art. 47 al. 2 in fine RMP).

L'interruption, la répétition ou le renouvellement de la procédure n'est possible qu'à titre exceptionnel et suppose un motif important (ATF 141 II 353 consid. 6.1 ; 134 II 192 consid. 2.3). L'interruption du marché – qui suppose l'annulation de tous les actes déjà accomplis – apparaît donc comme une ultima ratio (ATF 141 II 353 consid. 6.1; Peter GALLI/André MOSER/Élisabeth LANG/Marc STEINER, Praxis des öffentlichen Beschaffungsrechts, 2013, n. 799). Cette approche restrictive s'explique par le fait que, lorsqu'il met en place une procédure de marché public, le pouvoir adjudicateur doit assurer à chaque soumissionnaire une chance réelle et juste d'être choisi en fonction des exigences posées. Or, cette chance est retirée lorsque le pouvoir adjudicateur interrompt la procédure sans avoir attribué le marché (ATF 141 II 353 consid. 6.1). Certes, les soumissionnaires pourront à nouveau déposer une offre si la procédure est répétée, mais cela engendre des coûts supplémentaires et, selon les circonstances, une diminution des chances d'obtenir le marché dans cette seconde procédure au cas où le nombre de soumissionnaires serait plus important ou si de nouvelles exigences les désavantageaient. S'ajoute à cela que la mise en œuvre d'une seconde procédure peut produire des effets contraires aux règles sur les marchés publics et à l'objectif de libre concurrence poursuivi, notamment parce que les précédents soumissionnaires auront pu (à tout le moins partiellement) prendre connaissance des premières offres formulées par leurs concurrents (ATF 141 II 353 consid. 6.1 ; 129 I 313 consid. 10). Il faut donc éviter que l’interruption de la procédure soit utilisée de manière abusive (Martin BEYELER, Überlegungen zum Abbruch von Vergabeverfahren, PJA, 2005/7, p. 784 ss, 789). 

Il existe aussi un intérêt public à ce que la procédure de marché public puisse se dérouler avec toute la célérité requise, ce que confirment notamment l'instauration de délais de recours relativement brefs et l'absence d'effet suspensif automatique à différents recours, tandis que la réorganisation d'une procédure d'appel d'offres et d'adjudication ab ovo a pour conséquence de fortement retarder l'avancement d'un marché public et d'entraîner des coûts supplémentaires. Or, ces intérêts publics militent eux aussi en faveur d'un maniement très restrictif de la possibilité de réinitier ab ovo les procédures d'appel d'offres et d'adjudication (ATF 141 II 353 consid. 6.1).

Il appartient en premier lieu au pouvoir adjudicateur de décider s'il convient d'interrompre ou non la procédure, soit définitivement soit en la répétant ou en la renouvelant. En ce domaine, celui-ci dispose d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 141 II 353 consid. 6.3 ; 134 II 192 consid. 2.3 = SJ 2009 I 197 ; Martin BEYELER, op. cit., p. 787). La solution à adopter dépend des besoins de l'autorité adjudicatrice, qui jouit d'une liberté de manœuvre étendue pour les définir (ATF 141 II 353 consid. 6.3 ; Étienne POLTIER, Droit des marchés publics, 2014, p. 225 n. 358).

Les justes motifs énoncés à l'art. 13 let. i AIMP ne sont pas exhaustifs (Dominik KUONEN, Das Einladungsverfahren im öffentlichen Beschaffungsrecht, 2005, p. 208). L'organisateur peut prononcer l'interruption de la procédure au motif qu'il n'entend plus utiliser la proposition du lauréat pour cause notamment d'abandon du projet (Jacques DUBEY, Le concours en droit des marchés publics, 2005, p. 366 n. 1211). Même si l'interruption du marché est la seule option envisageable dans un cas déterminé, le pouvoir adjudicateur devra conserver en principe le choix de renoncer définitivement à son projet plutôt que de recommencer une nouvelle procédure (ATF 141 II 353 consid. 6.3 ; Étienne POLTIER, op. cit., n. 360 p. 227).

4.5 Même lorsqu'un motif fondé existe, il faut déterminer si l'interruption de la procédure d'adjudication va à l'encontre de la bonne foi du soumissionnaire, en procédant à une pesée des intérêts en présence. Le motif fondé doit prévaloir sur l'intérêt du participant à la poursuite de la procédure. Si ce n'est pas le cas, les autorités sont liées par le principe de la bonne foi et l'interruption de la procédure n'entre pas en ligne de compte (Dominik KUONEN, op. cit., p. 209).

D'autres principes généraux applicables au droit des marchés publics, comme l'interdiction de discrimination entre les soumissionnaires, la proportionnalité, la transparence et l'interdiction de la modification du marché sur des éléments essentiels limitent également la liberté d'appréciation de l'adjudicateur dans le choix des conséquences à tirer de l'existence d'un juste motif (ATF 141 II 353 consid. 6.4 ; Étienne POLTIER, op. cit., p. 218 s. n. 349).

Une partie de la doctrine considère même que, sous réserve d'un changement essentiel du marché, le pouvoir adjudicateur n'est pas en droit d'interrompre la procédure si le juste motif invoqué est lié à un manquement dont il est lui-même responsable (Peter GALLI/André MOSER/Elisabeth LANG/Marc STEINER, op. cit., p. 364 n. 821). D'autres auteurs et la jurisprudence retiennent plutôt que le comportement du pouvoir adjudicateur n'influence pas son droit d'interrompre la procédure, mais ouvre la voie à une éventuelle action en responsabilité à son encontre (ATF 134 II 192 consid. 2.3 = SJ 2009 I 197 ; Martin BEYELER, op. cit., p. 791 s.).

4.6 La question de savoir si les motifs objectifs justifiant l'interruption étaient prévisibles pour l'adjudicateur et si sa responsabilité est de ce fait engagée, peut avoir une incidence sur la question des dommages-intérêts, mais elle est sans pertinence pour juger de l'admissibilité de l'interruption (ATF 134 II 192 consid. 2.3 = SJ 2009 I 197 ; ATA/437/2019 du 16 avril 2019).

4.7 Concernant l’interruption de la procédure, la liberté d'appréciation de l'adjudicateur dans le choix des conséquences à tirer de l'existence d'un juste motif ou motif important est toutefois limitée par le respect de la bonne foi et des principes généraux applicables au droit des marchés publics, notamment l'interdiction de discrimination entre les soumissionnaires, la proportionnalité, la transparence et l'interdiction de la modification du marché sur des éléments essentiels (ATF 141 II 353 consid. 6.4 ; ATA/501/2016 du 14 juin 2016 consid. 6d).

4.8 Selon la jurisprudence, le principe de la transparence est le principe cardinal et incontournable des marchés publics. Il limite le large pouvoir d'appréciation dont dispose le pouvoir adjudicateur (RDAF 2001 I 403). Il permet d'assurer la mise en œuvre du principe de concurrence, lequel permet la comparaison des prestations et de choisir ainsi l'offre garantissant un rapport optimal entre le prix et la prestation ainsi que le contrôle de l'impartialité de la procédure d'adjudication, autre principe qui doit être respecté. Le principe de transparence exige que le pouvoir adjudicateur se conforme aux conditions qu'il a préalablement annoncées ; ainsi, une fois les critères d’aptitude et d’adjudication arrêtés dans l’appel d’offres ou les documents d’appel d’offres, le pouvoir adjudicateur doit en règle générale s’y tenir. Ce principe se rapproche dans cet aspect du principe de la bonne foi, qui prohibe les comportements contradictoires de l'autorité (art. 9 Cst.), et du principe de la non‑discrimination. En effet, si le pouvoir adjudicateur s'écarte des « règles du jeu » qu'il a fixées, en particulier s'il modifie les critères d’aptitude ou d’adjudication après le dépôt des offres (ATA/156/2025 du 11 février 2025 consid. 3.1 ; ATA/349/2023 du 4 avril 2023 consid. 3.2), il adopte un comportement qui se rapproche d'une manipulation, typiquement discriminatoire, du résultat du marché (ATF 141 II 353 consid. 8.2.3 et la référence citée ; ATA/167/2024 du 6 février 2024 consid. 4.2.2 et les références citées) et agit de manière contraire au droit des marchés publics (arrêt du TAF B-6744/2023 du 20 août 2024 consid. 6.1.1 et les arrêts cités).

Découlant directement de l'art. 9 Cst. et valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_204/2022 du 21 mars 2023 consid. 5.1).

4.9 En l’espèce, l’acte attaqué est une décision d’interruption du marché, fondée sur deux motifs alternatifs. Aux yeux du pouvoir adjudicateur, ces deux motifs nécessitaient une interruption de la procédure, en raison de modifications importantes de la situation, voire du projet.

Appliqués au cas d’espèce, les principes susmentionnés supposent d’examiner tout d’abord si ces deux motifs constituent des justes motifs ou des raisons importantes puis de déterminer s’ils justifiaient l’interruption du marché public.

Au sujet du premier motif, la chambre de céans constate, à l’instar de la recourante, que le fait que toutes les offres dépassent le montant prévisionnel estimé, au demeurant non précisé dans l’appel d’offres, ne peut être considéré comme un motif suffisant d’interruption. À cet égard, le fait qu’il existait un budget estimé par l’hospice mais non mentionné dans l’appel d’offres et que ce budget ait été dépassé apparaît dépourvu de pertinence, au regard notamment de la nature du marché en cause, les documents d’appel d’offres ne précisant aucun nombre d’heures minimal ou maximal à respecter. En effet, les documents d’appel d’offres sont clairs sur ce point, le prestataire devant être en mesure d'adapter ses prestations en cas de modification des exigences de l’hospice. En particulier, il ressort des documents que les heures de travail estimées dépendent largement de la situation géopolitique et que les soumissionnaires doivent être en mesure de s’adapter à des variations importantes de la demande de la part de l’adjudicataire, en un très court laps de temps. Il s’agit en effet d’un marché évolutif, dont le contrat ne fixe que le taux horaire et non le nombre d’heures à effectuer. En particulier, le cahier des charges de l’appel d’offres insiste sur le caractère imprévisible du nombre d’heures (passant selon son estimation de 150'000 en 2022 à 604'516 en 2024). L’estimation des heures n’avait qu’une valeur indicative, susceptible d’entraîner « une révision de l’estimation du marché » mais non une interruption pure et simple. L’hospice ne s’engageait ainsi sur aucun nombre minimal d’heures. Cet écart, par le pouvoir adjudicateur, par rapport aux « règles du jeu » qu'il avait lui‑même fixées, pour un motif dont il n’avait pas fait mention dans les documents d’appel d’offres, n'est ainsi pas conforme au principe de la transparence et ne saurait non plus constituer un motif d'interruption de la procédure, surtout à un stade aussi avancé de la procédure.

Enfin, le fait que le cahier d’appel d’offres réserve la possibilité pour l’autorité adjudicatrice d’interrompre le marché « si des autorisations étaient refusées, en cas d’opposition au projet ou de refus, partiel ou total, de crédit par les autorités publiques » n’est pas pertinent en l’espèce, l’hospice ne démontrant pas qu’un crédit ou autorisation lui aurait été refusé ni que le budget estimé n’aurait pas été validé à l’interne.

Le motif ainsi invoqué, soit le dépassement du budget projeté, n’était pas un motif suffisant pour interrompre le marché.

Se pose ensuite la question de savoir si l’arrêt rendu par la CPAR pourrait constituer un motif d’interruption de la procédure, comme le soutient l’autorité intimée.

Le fait que l’hospice envisage de procéder à des modifications du projet en raison de l’arrêt de la CPAR pourrait, en soi, constituer un motif d'interruption de la procédure. Encore aurait-il fallu que l'intimé puisse indiquer précisément en quoi tenaient ces modifications – ce qu'il n'a jusqu'à présent pas fait –, mais aussi qu'il indique en quoi l’arrêt de la CPAR entraînerait une modification fondamentale du marché.

En l’occurrence, la CPAR a retenu que le coordinateur incendie (de l’hospice) n’avait pas suffisamment informé les résidents sur le fonctionnement des mesures structurelles et les spécificités d’un système anti-incendie et sur le comportement à adopter en cas de sinistre. Il ne pouvait se contenter des consignes affichées au mur qui n’était pas lues car très vites arrachées. Le chargé de sécurité, employé de l’hospice, aurait dû anticiper le fait que les nouvelles installations ne pourraient pas jouer leur rôle si les résidents ignoraient comment agir en cas de sinistre. Il aurait pu informer les résidents sur la manière de se comporter en cas d'alarme feu, soit suivre immédiatement et calmement les voies de sortie du bâtiment, comment se comporter si les voies de fuite sont bloquées, soit se calfeutrer dans sa chambre, signaler sa présence et attendre l'arrivée des secours et sur le rôle que jouent les portes coupe-feu, lesquelles n'ont pas vocation à enfermer mais à isoler et préserver, en particulier à protéger contre la propagation de la fumée ; aussi ne s'ouvrent-elles pas sans clef dans les deux sens et faut-il les laisser fermées si les escaliers sont enfumés (arrêt de la CPAR ch. 2.10.5).

Selon l’hospice, cette exigence accrue d’information constituerait une nouvelle obligation à sa charge et qu’elle devrait exiger de l’entreprise en charge de la sécurité qu’elle assure aussi la mise en œuvre de cette exigence accrue d’information, par exemple en vérifiant quotidiennement que les documents et panneaux explicatifs ad hoc soient accessibles et visibles, le périmètre de l’appel d’offres devait être étendu. De facto, de nouvelles prestations étaient attendues des soumissionnaires.

Or, contrairement à ce que soutient l’autorité intimée, les modifications de ses propres obligations, en particulier de cette exigence accrue d’information, au demeurant non confirmée par le Tribunal fédéral pour l’instant, n’entraînaient pas obligatoirement une modification de l'appel d'offres et ne remettent pas fondamentalement en question la nature du marché, que ce soit sous l'angle du genre de prestations requises ou du point de vue de la valeur globale de celui-ci.

En effet, l’appel d’offres en question prévoit déjà expressément, dans le cahier des charges des agents (annexe 04), que ceux-ci doivent prendre connaissance et appliquer l’ensemble des procédures d’incendie et d’évacuation propres à chacun des sites, mises en place par l’hospice (art. 5 du cahier des charges des agents : incendie). Par conséquent, des modifications par l’hospice desdites procédures d’incendie et d’évacuation, en fonction de cette obligation accrue imposée à l’hospice par l’arrêt de la CPAR est d’ores et déjà incluse dans le cahier des charges de l’appel d’offres. Ni l’appel d’offres ni le cahier des charges ne sont ainsi à adapter aux nouvelles exigences qui seraient imposées à l’hospice à l’avenir par cet arrêt. Les modifications de l'appel d'offres envisagées, par ailleurs non explicitées par l’hospice, ne remettent donc pas fondamentalement en question la nature du marché, que ce soit sous l'angle du genre de prestations requises ou du point de vue de la valeur globale de celui-ci. De même, le cercle des soumissionnaires potentiels ne devrait pas varier par rapport à l'appel d'offres initial. En tout cas, l'autorité intimée ne prétend pas le contraire.

Enfin, il sera souligné, à l’instar de la recourante, que dans son arrêt, la CPAR a retenu qu’un meilleur encadrement des agents de sécurité n’aurait pas eu d’influence sur le cours du drame (arrêt CPAR ch. 2.10.2). Sous cet angle également, aucune modification essentielle ou majeure ne peut être retenue en raison de l’arrêt de la CPAR.

Dans ces conditions, compte tenu de ce que l'interruption doit rester une ultima ratio, il y a lieu d'admettre que les modifications en cause ne revêtent pas un caractère essentiel. On ne saurait parler de modification importante du projet, au sens de l'art. 47 RMP.

Ni isolément, ni conjointement les motifs invoqués par l'autorité intimée ne constituent de justes motifs ou des raisons importantes, de nature à justifier l'interruption de la procédure. L'adjudicateur dispose certes d'un large pouvoir d'appréciation lorsqu'il s'agit de déterminer s'il convient d'interrompre ou non la procédure et d'une latitude de jugement dans l'interprétation de la notion juridique indéterminée de « raison importante ». Cela étant, selon la jurisprudence, il y a abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d'appréciation qui est le sien, se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

Dans le cas particulier, les motifs invoqués ne peuvent guère entrer dans la notion de raison importante et ne permettent donc pas d'interrompre la procédure d'appel d'offres. Force est d'admettre par conséquent que l'interruption litigieuse procède d'un abus du pouvoir d'appréciation – en lien en particulier avec le principe de proportionnalité – et doit être annulée.

Il résulte de ce qui précède que l'intimé n'avait pas de motif fondé d'interrompre la procédure sous cet angle, étant précisé qu'il n'appartient pas à la chambre de céans de se prononcer et encore moins de spéculer sur des motifs qui ne ressortiraient pas de la décision attaquée, comme la préférence évoquée en faveur de l’entreprise en charge de la sécurité pour l’hospice depuis près de 20 ans.

5.             Reste à examiner quelles conséquences il convient de tirer de l’absence de motif fondé pour interrompre la procédure.

5.1 De manière générale, si la juridiction administrative admet le recours, elle réforme la décision attaquée ou l’annule ; si elle le juge nécessaire, elle peut renvoyer l’affaire à l’autorité qui a statué pour nouvelle décision (art. 69 al. 3 LPA).

L'AIMP prévoit que si le contrat n’est pas encore conclu, l’autorité de recours peut, soit statuer au fond, soit renvoyer la cause au pouvoir adjudicateur dont elle annule la décision, au besoin avec des instructions impératives (art. 18 al. 1 AIMP). Si le contrat est déjà conclu et que le recours est jugé bien fondé, l’autorité de recours constate le caractère illicite de la décision (art. 18 al. 2 AIMP). Une fois le caractère illicite de la décision constaté, le recourant peut demander devant l'autorité compétente la réparation de son dommage, limité aux dépenses qu'il a subies en relation avec les procédures de soumission et de recours ; le cas échéant, la chambre administrative de la Cour de justice donne un délai au recourant permettant à celui-ci de quantifier et de motiver sa prétention (art. 3 al. 3 L-AIMP).

5.2 Il découle ainsi de l'art. 18 AIMP que lorsque l'autorité de recours admet ce dernier, elle doit ainsi en principe annuler la décision attaquée et renvoyer la cause au pouvoir adjudicateur ou statuer elle-même (protection juridique dite « primaire ») ; toutefois, lorsque le contrat est déjà conclu – ce qui se produit le plus fréquemment en cas de contestation de l'adjudication avec absence de demande d'effet suspensif ou rejet de cette demande –, le pouvoir de décision est limité à la constatation du caractère illicite de la décision et l'autorité de recours doit statuer sur l'indemnisation du soumissionnaire lésé (protection juridique dite « secondaire »). Selon le Tribunal fédéral, le candidat évincé ne peut en principe que faire constater l'illicéité de la décision d'adjudication attaquée lorsque le contrat sur lequel portait le marché public a été conclu avec une autre entreprise (arrêt du Tribunal fédéral 2C_438/2021 du 16 novembre 2021 consid. 1.3). La doctrine confirme que la protection secondaire n'intervient en principe que si le contrat a déjà été conclu (Étienne POLTIER, Droit des marchés publics, 2e éd., 2023, n. 897 et 1029 ; François BELLANGER/Milena PIREK, La protection juridique primaire et secondaire, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Martin BEYELER/Stefan SCHERLER [éd.], Marchés publics 2022, 359-380, n. 17 ss et 44).

5.3 En l'espèce, la seconde procédure d'appel d'offres n’a pas encore eu lieu, compte tenu de l’octroi de l’effet suspensif. Il appartiendra ainsi à l'autorité intimée de reprendre la procédure d’adjudication au stade du dépôt des offres. Le recours est ainsi admis, la décision querellée annulée et la cause renvoyée à l’autorité intimée afin qu’elle procède conformément aux considérants qui précèdent.

6.             Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de l’Hospice général, qui en est dispensé de par la loi (art. 87 al. 1 2e phr. LPA). Une indemnité de CHF 1'500.- sera allouée à la recourante, qui y a conclu, à la charge de l’Hospice général.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 juillet 2024 par A______ contre la décision de l’Hospice général du 25 juin 2024 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision de l’Hospice général du 25 juin 2024 ;

renvoie la cause à l’Hospice général afin qu’il procède au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l’Hospice général ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral :

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert HENSLER, avocat de la recourante, à Me Bertrand REICH, avocat de l'intimé, ainsi qu'à la commission de la concurrence (COMCO).

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :