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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1436/2020

ATA/1120/2020 du 10.11.2020 ( PROF ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1436/2020-PROF ATA/1120/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 novembre 2020

1ère section

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Alexandre Schwab, avocat

contre

COMMISSION DU BARREAU

et

Madame B______
représentée par Me Jean-Marc Carnicé, avocat



EN FAIT

1) A______ SA (ci-après : A______) est une société anonyme avec siège à Genève dont le but est le conseil et l'assistance en matière de gestion et d'organisation de comptabilité financière et budgétaire, ainsi que systèmes d'information et d'informatique, et des activités de formation qui y sont liées ; achat, vente, importation, exportation, installation, développement et commercialisation en général de tout système informatique. Ses administrateurs sont MM. et C______ et D______.

2) Jusqu'en janvier 2020, Me B______ était associée de l'Étude E______ en même temps que Me F______, Me G______, Me H______, Me I______, ainsi que d'autres avocats.

3) Par courrier du 22 juillet 2019, A______ a saisi la commission du barreau. Prétendant que Me B______ avait un conflit d'intérêts avec sa cliente, notamment dans le cadre d'une procédure civile C/1______/2017 et d'une procédure pénale P/2______/2017 à l'encontre de MM. et J______, A______ demandait à ce qu'il soit ordonné à cette avocate de renoncer à plaider dans ces deux causes. Selon ce courrier, l'Étude E______ et en particulier Mes G______, H______ et I______ étaient déjà engagés dans plusieurs dossiers, liant l'Étude à A______. Interpelée à ce sujet, Me B______ avait refusé de cesser d'occuper et avait refusé la médiation du bâtonnier.

En effet, par courrier du 29 avril 2019 Me B______ avait prétendu qu'il n'y avait pas de conflit d'intérêt, A______ n'ayant jamais été cliente de l'Étude E______.

4) Au cours de l'instruction de cette affaire par la commission du barreau (ci-après : CBA), les associés de l'Étude E______ se sont séparés, Mes H______ et G______ exerçant désormais au sein du cabinet K______ alors que Me B______, ainsi que d'autres avocats ont fondé F______ Avocats, ainsi que
L______-Avocats (Me I______). Leur domiciliation professionnelle a été modifiée au registre tenu par la CBA le 7 janvier 2020.

5) Par décision du 9 mars 2020, la CBA a rejeté la requête de A______ du 22 juillet 2019 en interdiction de postuler à l'encontre de Me B______.

Cette décision a été reçue par A______ le 23 mars 2020.

À teneur de l'art. 12 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61), la CBA a rappelé que l'obligation de renoncer à représenter un mandant en cas de conflit d'intérêt était une règle cardinale de la profession d'avocat, obligation reprise aux art. 11 et 13 du Code suisse de Déontologie du 10 juin 2005 adopté par l'association suisse des avocats. Le conflit d'intérêts pouvait survenir dans la cadre de l'exercice simultané de plusieurs mandats (double représentation) mais aussi de l'exercice de mandats successifs en faveur de mandants différents (mandats opposés), voire en raison de l'existence d'intérêt propres de l'avocat. Le conflit d'intérêts était réalisé dès que survenait la possibilité d'utiliser consciemment ou non, dans un nouveau mandat, les connaissances acquises antérieurement sous couvert du secret professionnel, dans l'exercice d'un premier mandat. Dans le cas d'espèce, Me B______ ne se trouvait pas dans un cas de conflit d'intérêts pour avoir accepté un mandat opposant ses clients à une personne morale qui n'était pas et n'avait jamais été cliente de son Étude, en ce sens que A______ n'avait jamais solicité pour elle-même les services de l'un ou l'autre des avocats faisant partie du cabinet. A______ n'était donc qu'une relation d'affaires de E______. Concernant Monsieur M______, la CBA a considéré qu'il n'était pas prouvé qu'il ait un intérêt suffisant dans A______. Par ailleurs, les mandats que M. M______ avait confiés à E______ ne concernaient pas ses intérêts personnels mais une fondation dont il était président. En conséquence, la question relevait exclusivement de la politique commerciale de E______, Mes G______ et H______ ayant invoqué une difficulté « d'un point de vue d'image et d'éthique ».

6) Par acte déposé le 19 mai 2020 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a recouru contre la décision de la CBA du 9 mars 2020.

Elle avait entretenu une étroite collaboration et des relations professionnelles et de confiance avec l'Étude E______ à laquelle elle avait confié plusieurs mandats et avec laquelle elle avait collaboré dans le cadre de ses activités professionnelles. Dès lors, Me B______ aurait dû renoncer à la défense des intérêts de M. J______ dans des procédures les opposant à A______. Dans sa décision du 9 mars 2020, la CBA avait considéré que Me B______ n'avait pas un conflit d'intérêts parce que A______ n'avait jamais été une cliente de E______, mais aurait eu une simple relation d'affaires et, non pas une relation avocat / client au sens traditionnel du terme.

Contrairement à ce que la CBA avait estimé, il était sans pertinence que A______ n'était pas été une vraie cliente de E______ car s'agissant des devoirs professionnels de l'avocat, dont faisait partie l'interdiction de conflit d'intérêts, ceux-ci étaient applicables en dehors de son activité typique, seules les activités purement privées échappant auxdites règles (arrêt du Tribunal fédéral 2C_889/2008 du 21 juillet 2008). De plus, il était sans pertinence que Me B______ ne soit plus intégrée à la structure E______ car au moment où elle avait accepté le mandat litigieux, elle l'avait fait en tant qu'associée de cette Étude. Par ailleurs, la connaissance que Me B______ aurait pu acquérir dans l'ancienne structure de faits concernant A______ était l'élément déterminant pour retenir la réalisation d'un conflit d'intérêts qui n'avait pas pu s'effacer du fait du changement d'Étude par Me B______.

Parmi les pièces produites avec le recours, se trouve un courrier du 31 octobre 2019 signé par Mes H______ et G______ rappelant que l'Étude E______ était intervenue pour le compte d'un client étranger dans un complexe dossier bancaire et avait désigné comme expert M. M______, qu'en sa qualité de président de la fondation de la O______, M. M______ avait également mandaté l'Étude E______ pour un avis de droit et dans le cadre de conventions et que A______ s'occupait également d'un dossier fiscal d'une cliente privée avec l'Étude E______. Cette lettre concluait à ce qu'il serait demandé à Me B______ de renoncer au mandat assumé pour le compte de MM. J______.

7) Dans sa réponse du 22 juin 2020, Me B______ a conclu au déboutement de A______ de ses conclusions. Selon son analyse, tant elle-même que l'Étude E______ n'avaient jamais conduit de mandat pour le compte de A______ ou celui de M. M______ personnellement et l'Étude n'avait jamais été amenée à défendre les intérêts de ces derniers. Elle rappelait qu'il fallait faire une distinction avec les considérations commerciales ou de réputation que l'avocat pouvait avoir, ce qui ne constituait pas une situation de conflit d'intérêts mais pouvait amener un avocat à faire le choix de ne pas se charger d'un mandat, situation qui ne relevait pas des règles professionnelles instituées par la LLCA.

8) Par courrier du 24 juillet 2020, A______ a renoncé à répliquer. Elle a produit trois nouvelles pièces dont une lettre du 6 novembre 2019 signée par Mes F______ et N______ F______. Selon ce document, la détermination de Me G______ et H______ du 31 octobre 2019 n'avait fait l'objet d'aucune concertation avec les autres associés de l'Étude, de sorte qu'elle ne liait que ses signataires.

Le 3 août 2020, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

En effet, la décision attaquée ayant été reçue le 23 mars 2020, soit après l'entrée en vigueur de l'ordonnance du conseil fédéral sur la suspension des délais dans les procédures civiles et administratives pour assurer le maintien de la justice en lien avec le coronavirus du 20 mars 2020 (RS 173.110.4), tous les délais ont été prolongés jusqu'au 19 avril 2020.

2) La procédure devant la CBA est régie par la LPA par renvoi de l'art. 49 de la loi sur la profession d'avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10).

La CBA exerce une fonction d'autorité de surveillance des avocats par la LLCA, ainsi que les compétences attribuées par la LPAv. En matière disciplinaire, c'est l'art. 43 LPAv qui stipule que la CBA statue sur tout manquement aux devoirs professionnels et prononce selon la gravité du cas des sanctions énoncées à l'art. 17 LLCA. La CBA peut également prononcer des injonctions propres à imposer à l'avocat le respect des règles professionnelles.

La LLCA ne détermine pas quelle est l'autorité compétente pour empêcher un avocat de représenter une partie dans le cas d'une procédure civile, administrative ou pénale et renvoie la procédure aux cantons (art. 14 LLCA). Selon la doctrine, c'est le juge qui conduit l'affaire qui est compétent (François BOHNET/Vincent MARTENET, Droit de la profession d'avocat, 2009, p. 596).

3) a. Jusqu'à l'annulation, le 20 février 2012, d'un arrêt de la chambre de céans (ATA/383/2011 du 21 juin 2011) par le Tribunal fédéral (ATF 138 II 162), la gestion du conflit d'intérêts était traitée sous un angle disciplinaire dans le canton de Genève. La commission du barreau avait la compétence, fondée sur l'art. 43 LPAv précité, de statuer sur celle-ci dans le cadre d'une procédure dans laquelle seul l'avocat était partie. Le Tribunal fédéral a mis fin à cette pratique en définissant que, d'une part, l'interdiction de postuler ne relevait pas du droit disciplinaire (consid. 2.5.1) mais du contrôle du pouvoir de postuler de l'avocat, ce qui induisait que l'intéressé était partie à la procédure et avait la qualité pour recourir (consid. 2.5.2). Il n'a pas remis en question la compétence de décision de la commission dans le cas d'espèce mais il a relevé qu'en raison de l'entrée en vigueur du CPP, notamment des art. 61 et 62 CPP, en procédure pénale, la compétence de prononcer une interdiction de plaider pourrait ne plus revenir à l'autorité de surveillance (consid. 2.5.1).

b. Dans l'ATA/586/2013 du 3 septembre 2013, la chambre administrative a été amenée à statuer sur une décision de la commission relative à une interdiction de postuler faite à un avocat. Le contentieux avait surgi en 2009 avant l'entrée en vigueur du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0) et n'a pas été examiné à l'aune des dispositions nouvelles de cette loi. Dans un premier temps, la décision d'interdiction avait été prise par un juge d'instruction et la chambre d'accusation avait déclaré le recours de l'avocat irrecevable. Sur recours de l'avocat, le Tribunal fédéral, par arrêt du 10 décembre 2010 (2C_777/2010), après avoir dénié toute compétence à un juge d'instruction pour statuer sur un conflit d'intérêts de l'avocat, avait annulé la décision de celui-ci d'interdire à un avocat de postuler, et avait transmis la cause à la commission pour connaître de la question du conflit d'intérêts, tout en relevant que la situation procédurale qui prévalait à Genève n'était pas claire, il avait jugé que l'option selon laquelle la commission possédait la compétence exclusive d'interdire à un avocat de représenter une partie paraissait être la solution clairement préférable.

c. Après l'entrée en vigueur du CPP le 1er janvier 2011, la chambre de céans, par arrêt du 12 juin 2014 (ATA/419/2014), a confirmé une décision de la commission sanctionnant un avocat d'un avertissement pour avoir accepté un mandat alors qu'il se trouvait en situation de conflit d'intérêts. Il ressort de la chronologie de ce contentieux que la commission avait été saisie d'une dénonciation par le Ministère public. Dans sa détermination, l'avocat avait invoqué l'incompétence de la commission pour statuer, le rôle de statuer sur un conflit d'intérêts d'un avocat constitué dans une procédure pénale revenant au Ministère public. Par la suite, un avocat d'office ayant été nommé pour la défense des intérêts du mandant de l'avocat, la commission avait pris acte que la dénonciation du Ministère public était devenue sans objet. Elle avait cependant sanctionné l'avocat pour son comportement.

d. Par arrêt du 2 juin 2015 (ATA/559/2015), la chambre administrative a rejeté le recours d'un avocat français en confirmant une décision de la commission qui lui interdisait d'occuper pour la défense d'une personne mise en prévention dans une procédure pénale. Dans un premier temps, le procureur conduisant la procédure avait été saisi par une requête de la partie plaignante qui invoquait un conflit d'intérêts et il avait fait interdiction à l'avocat par ordonnance d'assister la prévenue. L'ordonnance en question avait été annulée par arrêt de la CPR du 23 mai 2014 (ACPR/274/2014), au motif que la commission possédait la compétence exclusive d'interdire à un avocat de représenter une partie. Suite à cela, le Ministère public avait saisi la commission pour qu'elle interdise à l'avocat de postuler. La commission avait fait injonction avec effet immédiat à celui-ci de cesser de représenter les intérêts de la prévenue. Dans son arrêt précité, la chambre administrative avait confirmé cette position en rejetant le recours de l'avocat. Cet arrêt a été confirmé sur le fond par le Tribunal fédéral le 2 novembre 2015 (2C_587/2015), sans que celui-ci n'aborde la question de la compétence de la commission, question qui n'a pas été soulevée devant lui.

4) Dans une contribution commune parue en juin 2015 (SJ 2015 II 107), deux auteurs de doctrine, MM. Stéphane GRODECKI et Nicolas JEANDIN ont critiqué la façon dont la question du règlement des litiges en matière de conflit d'intérêts de l'avocat était réglée à Genève. Ils ont relevé que la doctrine majoritaire (voir doctrine citée in SJ 2015 II 128, note de bas de page no 106) et la CPR considéraient à tort, après l'entrée en vigueur du CPP mais aussi du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272) entré en vigueur le 1er janvier 2011, que la commission était la seule instance compétente pour traiter des questions de conflit d'intérêts. Selon ces auteurs, la question de l'interdiction de postuler d'un avocat en raison d'un conflit d'intérêts ne relevait pas de la réglementation sur la profession de l'avocat, mais constituait une question procédurale à régler en fonction des dispositions applicables (SJ 2015 II 131). Dans le domaine tant pénal que civil, depuis le 1er janvier 2011, la question devait être réglée par application des dispositions du CPP et du CPC en vertu de la primauté du droit fédéral garantie par l'art. 49 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). S'agissant de la compétence, tant le CPP que le CPC prévoyaient que le rôle de statuer sur la capacité de postuler d'un avocat dans une procédure civile ou pénale revenait à la direction de la procédure, à teneur tant de l'art. 59 CPC que de l'art. 62 CPP (SJ 2015 II 133). Depuis l'entrée en vigueur de ces lois de procédure fédérale, l'art. 43 al. 3 LPAv ne constituait plus une base légale fondant une compétence de la commission pour statuer sur des questions de conflit d'intérêts dans des procédures relevant de ces deux domaines du droit, celle-ci restant cependant compétente pour intervenir dans le cadre du contentieux administratif, surtout au titre d'autorité disciplinaire pour sanctionner les avocats qui auraient enfreint le principe de l'art. 12 al. 1 let. c LLCA.

5) Par arrêt du 2 novembre 2015 (ACPR/586/2015), la CPR est entièrement revenue sur sa jurisprudence antérieure et notamment sur l'ACPR/274/2014 précité à propos de l'autorité compétente pour statuer sur un conflit d'intérêts. Désormais, ce rôle était dévolu à la direction de la procédure, à l'exclusion de la commission. L'interdiction faite à un avocat de représenter une partie visait à garantir la bonne marche du procès, notamment en s'assurant qu'aucun avocat ne soit restreint dans sa capacité de défendre l'une d'elles - en cas de défense multiple - ou en évitant qu'un mandataire puisse utiliser les connaissances d'une partie adverse, acquises lors d'un mandat antérieur, au détriment de celle-ci (ACPR/586/2015 consid. 2.4). La CPR se basait sur l'opinion de doctrine précitée, mais aussi sur deux arrêts du Tribunal fédéral du 29 janvier 2013 (1B_611/2012 et 1B_613/2012) qui reconnaissaient la compétence du Ministère public cantonal pour statuer sur cette question.

6) a. Dans un arrêt du 3 décembre 2015 (ATA/1288/2015), la chambre administrative a rejeté le recours d'un avocat contre une décision de la commission lui interdisant de représenter les intérêts d'une partie dans une procédure pénale. Dans le cas d'espèce, le Ministère public n'était pas intervenu. L'avocat avait été dénoncé à la commission par les avocats de sa partie adverse. Le Ministère public n'avait pas été saisi parce que le conflit d'intérêts n'avait été invoqué qu'après le renvoi des prévenus devant le Tribunal de police. Par la suite, le Tribunal fédéral, par arrêt du 11 juillet 2016 (2C_45/2016) a admis le recours de l'avocat. Il n'a pas abordé la question de la compétence de la commission pour prononcer une injonction d'interdiction de postuler, cette question n'ayant pas été soulevée. Il a admis le recours sur le fond, en retenant qu'il n'y avait pas de conflit d'intérêts.

b. Le Tribunal fédéral, dans un arrêt du 15 septembre 2016 (1B_226/2016), a rejeté le recours d'un avocat écarté d'une procédure par ordonnance du Ministère public en raison d'un conflit d'intérêts. Devant la juridiction fédérale, le recourant avait contesté la compétence de la direction de la procédure pour lui interdire de postuler pour devenir l'avocat de choix du prévenu. Le Tribunal fédéral a écarté ce grief en confirmant que l'autorité en charge de la procédure statuait d'office et en tout temps sur la capacité de postuler d'un mandataire professionnel ainsi qu'elle l'avait déjà retenu, en se référant aux ATF 141 IV 257 et 138 II 162, la question de savoir si l'avocat doit se départir de son mandat en vertu de la LLCA relevait précisément de la légalité de la procédure et de son bon déroulement (consid 2).

c. Le Tribunal fédéral a enfin confirmé, par arrêt du 1er novembre 2016 (1B_354/2016) dans une cause fribourgeoise, le rôle dévolu à la direction de la procédure en matière pénale dans la gestion des situations de conflits d'intérêts des avocats (consid 3.1).

7) Selon l'art. 49 al. 1 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Ce principe constitutionnel fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en oeuvre ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de manière exhaustive (ATF 140 I 277 consid. 4.1 ; 138 I 468 consid. 2.3.1 ; 135 I 106 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_405/2015 du 6 avril 2016 consid. 3.1).

8) a. Le CPP régit l'ensemble des procédures pénales réprimant les infractions prévues par le droit fédéral. Il s'applique à tous les stades de la procédure, des investigations de la police à celui des débats devant les tribunaux de première instance et les autorités de recours, en passant par la procédure d'instruction du Ministère public (André KUHN/Yvan JEANNERET, Code de procédure pénale, Commentaire romand 2011, p. 2, n. 3). Il règle le déroulement de la procédure devant les autorités pénales tant cantonales que fédérales (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 du code de procédure pénale).

b. La compétence de la Confédération pour édicter le CPP se fonde sur l'art. 123 al. 1 Cst. Il s'agit d'une compétence générale, non limitée aux principes, seule l'organisation judiciaire et l'administration de la justice revenant aux cantons, sauf disposition contraire de la loi (art. 123 al. 2 Cst.).

c. Selon l'art. 62 al. 1 CPP, la direction de la procédure ordonne les mesures nécessaires au bon déroulement et à la légalité de la procédure pénale. Le Ministère public fait partie des autorités investies de la direction de la procédure, ainsi que le précise l'art. 61 al. 1 let. a CPP.

9) La question de cette compétence, jusque-là admise par la chambre administrative, a été réexaminée à l'aune des jurisprudences fédérale et cantonale précitées et de l'opinion de la doctrine rappelée.

L'art. 43 al. 3 LPAv autorise la commission à prononcer des injonctions destinées à imposer à l'avocat le respect des usages professionnels. Parmi celles-ci figure indéniablement le respect de l'interdiction d'agir en cas d'existence d'un conflit d'intérêts. Néanmoins, cette compétence de droit cantonal qui dépasse le strict cadre du droit disciplinaire réglé à l'art. 43 al. 1 LPAv, doit céder le pas aux dispositions de procédure fédérale définissant la fonction des autorités, selon des règles qui s'imposent aux cantons, telles celles du CPP. Ainsi, lorsqu'une procédure pénale est ouverte, c'est la direction de la procédure au sens de
l'art. 61 CPP qui est compétente pour déterminer s'il y a lieu ou non d'interdire à un avocat de postuler en raison d'un conflit d'intérêts, en raison du rôle de contrôle de la légalité de la procédure qui lui est dévolu par l'art. 62 al. 1 CPP. Il n'y a dès lors plus place, lorsqu'une procédure pénale est ouverte, pour une intervention de la commission en application de l'art. 43 al. 3 LPA.

La commission reste compétente pour prononcer des injonctions en vertu de l'art. 43 al. 3 LPAv dans les procédures judiciaires non soumises au CPC ou au CPP (Stéphane GRODECKI/Nicolas JEANDIN, op. cit., p. 132). Elle demeure également compétente, pour prononcer des sanctions disciplinaires au sens des art. 17 LLCA et 43 al. 1 LPAv à l'encontre d'avocats qui contreviendraient à leurs obligations découlant de l'art. 12 al. 1 let. c LLCA.

Par arrêt du 14 mars 2017, la chambre de céans a réexaminé au vu des jurisprudences précitées et de la doctrine la question de la compétence de la CBA en matière de conflits d'intérêts des avocats. Selon cet arrêt (ATA/283/2017), la compétence de droit cantonal de l'art. 43 LPAv doit céder le pas aux dispositions de procédures fédérales définissant la fonction des autorités, de sorte que lorsqu'une procédure pénale ou civile est ouverte, la direction de la procédure compétente peut déterminer s'il y a lieu ou non d'interdire à un avocat de postuler en raison d'un conflit d'intérêt. Cet arrêt conclut que dès lors qu'une procédure pénale est ouverte, la CBA n'est plus compétente pour décerner des injonctions aux avocats intervenant dans celle-ci et qu'une solution autorisant une double compétence de la direction de la procédure et de la commission ne peut être retenue. Ce raisonnement s'applique également dans le cadre de la procédure civile suite à l'entrée en vigueur du CPC du 19 décembre 2008.

Les juridictions civiles statuent régulièrement sur des problèmes de conflits d'intérêt (à titre d'exemple ACJC/578/2020 du 28 avril 2020).

Dans la partie en droit de la décision de la CBA du 9 mars 2020, ces principes sont par ailleurs rappelés. Néanmoins, dans la mesure où les parties n'ont pas invoqué ce grief, la CBA s'est déclarée compétente pour connaître de la requête.

Ce raisonnement ne peut être suivi, la question de la compétence rationae materiae devant s'examiner d'office et non pas à la requête des parties (art. 11
al. 2 LPA).

L'incompétence qualifiée de l'autorité qui a rendu la décision est un motif de nullité (ATF 137 I 273 consid. 3.1 ; 132 II 21 consid. 3.1).

10) Au vu de ce qui précède, il sera constaté la nullité de la décision du 9 mars 2020 de la CBA.

Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée aux parties (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

 

constate la nullité de la décision de la commission du barreau du 9 mars 2020 ;

déclare irrecevable le recours interjeté le 19 mai 2020 par A______ SA contre la décision de la commission du barreau du 9 mars 2020 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alexandre Schwab, avocat de la recourante, à Me Jean-Marc Carnicé, avocat de Madame B______, ainsi qu'à la commission du barreau.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Mascotto, Mme Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :