Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/751/2025 du 19.09.2025 sur OMP/13809/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/12978/2025 ACPR/751/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 19 septembre 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 6 juin 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 16 juin 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 6 précédent, notifiée le jour-même, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Dans la nuit du 5 au 6 juin 2025, la police a observé A______, ressortissant sierraléonais, en compagnie de deux autres individus au Parc C______, à Genève.
Après avoir quitté les lieux, le prénommé a été interpellé, démuni de documents d'identité. Lors du transport vers les locaux de la police, A______ a dissimulé CHF 650.- et EUR 50.- dans le siège arrière du véhicule de service.
b. L'intéressé a admis résider en Suisse depuis cinq ans sans les autorisations nécessaires. Il ne connaissait pas les deux autres individus et l'argent en sa possession devait servir à payer une précédente amende, afin d'éviter d'aller en prison. Il l'avait dissimulé par crainte de la police.
c. Par ordonnance pénale du 6 juin 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable de séjour illégal au sens de l'art. 115 al. 1 let. b LEI.
Le prévenu y a formé opposition.
d. À teneur de son casier judiciaire suisse (au 6 juin 2025), A______ a fait l'objet de sept condamnations, principalement pour des infractions à la LEI. Quatre concernent en sus des délits à la LStup, la dernière remontant au 1er novembre 2022.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a coché la case du document préétabli selon laquelle il convenait d'établir le profil d'ADN du prévenu en raison d'"infraction(s) passée(s) (art. 255 al. 1bis CPP)". Le champ destiné à être complété par l'autorité, comporte encore la mention imprimée: "énumérer les antécédents et motiver".
D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public un défaut de motivation. L'autorité n'avait notamment pas étayé quels éléments permettaient de supputer une implication de sa part dans des infractions passées ou futures. La simple mention à la Directive A.5 du Procureur général [sur la gestion et la conservation des données signalétiques et des profils ADN, ch. 4.3], laquelle n'était pas une base légale, était contraire au "principe de la séparation des pouvoirs". Malgré ses précédentes condamnations, aucune autorité n'avait jusque-là estimé utile d'établir son profil d'ADN. Rien ne justifiait dès lors d'effectuer une telle mesure en l'occurrence, compte tenu des simples soupçons d'infractions à la LEI pesant sur lui. Cette méthode du Ministère public, arbitraire et disproportionnée, mettait en lumière un "automatisme préoccupant". Enfin, le Ministère public n'avait pas explicité, dans l'ordonnance pénale du 6 juin 2025, le délai d'effacement de son profil d'ADN.
b. Dans ses observations, le Ministère public reconnaît avoir omis de motiver son ordonnance querellée. Cela étant, A______ avait déjà été condamné pour des infractions listées dans la Directive A.5, laquelle était conforme au droit. L'établissement du profil d'ADN du précité respectait ainsi l'art. 255 al. 1bis CPP.
c. Dans sa réplique, A______ souligne l'obligation du Ministère public de motiver les raisons lui laissant penser qu'il serait susceptible de commettre des infractions pouvant être élucidées à l'aide de son profil d'ADN. S'étant distancé du milieu du trafic de stupéfiants depuis plus de trois ans, aucun indice ne permettait de justifier l'ordonnance querellée.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
1.2. Le grief relatif au contenu de l'ordonnance pénale du 6 juin 2025 excède toutefois l'objet du recours, lequel ne porte pas sur ce prononcé. Il ne n'en sera donc pas discuté plus avant.
2. Le recourant invoque une violation de son droit d'être entendu.
2.1. Le droit d'être entendu, tel que garanti par les art. 29 al. 2 Cst., 3 al. 2 let. c CPP et 6 par. 1 CEDH, implique notamment, pour l'autorité, l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre et l'attaquer utilement s'il y a lieu, et pour que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (arrêt du Tribunal fédéral 7B_94/2023 du 28 août 2024 consid. 3.2.1).
2.2. La violation du droit d'être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen. Toutefois, une telle réparation doit rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte qui n'est pas particulièrement grave aux droits procéduraux de la partie lésée. Cela étant, une réparation de la violation du droit d'être entendu peut également se justifier, même en présence d'un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1296/2023 du 3 septembre 2024 consid. 4.2.1; 7B_482/2024 du 21 mai 2024 consid. 2.2.1).
2.3. En l'occurrence, le champ dédié à la motivation est resté vierge dans l'ordonnance querellée et le Ministère public a admis avoir omis de le compléter.
Le recourant s'est ainsi plaint à raison d'une violation de son droit d'être entendu.
Cela étant, dans ses observations, le Ministère public a mis en exergue les antécédents du recourant, en particulier ceux liés à des condamnations pour infractions à la LStup. Sur cette base et en se fondant sur la Directive A.5, il a estimé que des indices contre lui étaient suffisants pour justifier l'établissement de son profil d'ADN.
Cette motivation satisfait aux exigences légales et le recourant a pu la contester par-devant la Chambre de céans, qui dispose d'un plein pouvoir de cognition (art. 391 al. 1 et 393 al. 2 CPP). À cela s'ajoute qu'un renvoi de la cause au Ministère public constituerait une vaine formalité pour les motifs exposés ci-après.
Le vice est ainsi réparé, scellant le sort du grief.
3. Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN.
3.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
3.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).
L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
3.3. À teneur des art. 4.1. et 4.3 de la Directive A.5 du Procureur général sur la gestion et la conservation des données signalétiques et des profils d'ADN, lorsque la police a procédé au prélèvement d'un échantillon d'ADN, le procureur en charge de la procédure pénale ordonne l'établissement d'un profil d'ADN en cas d'infraction(s) passée(s) lorsque le prévenu a déjà été soupçonné d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN, soit notamment une infraction à la LStup.
3.4. En l'espèce, à titre liminaire, la Directive A.5 n'a pas vocation à servir de base légale pour justifier la mesure de contrainte litigieuse; les art. 255 al. 1 et 1bis CPP y répondent et, même en l'absence d'une motivation suffisante, l'ordonnance querellée repose – par définition – sur ces dispositions. On ne saurait ainsi reprocher au Ministère public d'avoir appliqué ladite Directive, dès lors que celle-ci circonscrit les cas dans lesquels le Ministère public fait usage des dispositions précitées (cf. ch. 2.1).
L'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non pas les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes contraires à la LStup, dès lors qu'il avait déjà été soupçonné pour des faits similaires.
À cet égard, le recourant a fait l'objet de quatre condamnations pour des délits à cette loi, la dernière en date remontant à trois ans. Depuis lors, l'intéressé est demeuré en Suisse, sans autorisation, malgré ses condamnations pour infractions à la LEI. L'argument selon lequel il se serait distancé du milieu du trafic de stupéfiants se heurte ainsi à la persistance de sa situation irrégulière en Suisse, qui laisse craindre une proximité avec le milieu de la délinquance. À cela s'ajoutent les circonstances de son arrestation, en compagnie de deux individus qu'il dit ne pas connaître, et en possession sur lui d'une somme d'argent conséquente, d'une provenance douteuse et qu'il a cherché à dissimuler lors de son transport vers les locaux de la police.
Compte tenu de ce qui précède, il existe des soupçons suffisants que le recourant pourrait être impliqué dans d'autres infractions à la LStup, susceptibles d'être élucidées avec l'établissement de son profil ADN.
En cela, les réquisits de l'art. 255 al. 1bis CPP sont réunis et l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique.
4. Le recourant succombe sur le fond (art. 428 al. 1 CPP), mais voit son grief tiré d'une violation du droit d'être entendu admis (arrêt du Tribunal fédéral 7B_512/2023 du 30 septembre 2024 consid. 3.1).
Il sera, en conséquence, condamné à la moitié des frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 600.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit au paiement de CHF 300.-.
Le solde de ces frais (CHF 300.-) sera laissé à la charge de l'État.
5. 5.1. Le recourant peut, corrélativement (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2), prétendre à l'octroi de dépens en lien avec l'activité pour laquelle il a obtenu gain de cause (soit à raison de 50%).
5.2. Il conclut à l'octroi de dépens, sans toutefois les chiffrer, ni les justifier.
Tenue de statuer d'office (art. 429 al. 2 cum art. 436 al. 1 CPP), la Chambre de céans fixera, ex aequo et bono, l'indemnité due à CHF 300.- TTC, compte tenu de l'issue de la cause, dépourvue de complexité juridique, du recours de six pages (page de garde et conclusions comprises) et de la réplique de deux pages.
Ladite indemnité sera allouée à son conseil, conformément à l'art. 429 al. 3 CPP.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ à la moitié des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-, soit au paiement de CHF 300.-.
Laisse le solde de ces frais (CHF 300.-) à la charge de l'État.
Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 300.- TTC pour l'activité déployée dans le cadre de la procédure de recours (art. 429 CPP).
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.
Le greffier : Sandro COLUNI |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/12978/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 515.00 |
Total | CHF | 600.00 |