Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/579/2025 du 31.07.2025 sur OMP/12265/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/25710/2023 ACPR/579/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 31 juillet 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Tony DONNET-MONAY, avocat, AVOCATS LÉMAN, avenue de Lavaux 65, 1009 Pully,
recourant,
contre le refus de consultation du dossier décidé le 20 mai 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié par messagerie sécurisée le 28 mai 2025, A______ recourt contre la note manuscrite du Procureur, du 20 mai 2025, apposée sur sa lettre du
15 précédent, communiquée par e-fax le même jour, par laquelle le magistrat a refusé qu'il consulte le dossier de la procédure.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés, principalement, à l'annulation de cette décision et à ce que la cause soit renvoyée au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants, subsidiairement, à ce qu'il soit immédiatement autorisé à accéder au dossier de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 22 novembre 2023, B______ a déposé plainte notamment contre A______ pour contrainte.
b. Cette plainte a donné lieu, le 27 février 2025, à l'ouverture par le Ministère public d'une instruction contre le précité.
c. Par pli du 18 mars 2025, A______ a demandé au Ministère public la transmission de l'intégralité du dossier, afin de préparer sa prochaine audition à la police, en qualité de prévenu.
Par timbre humide "n'empêche", le Procureur a apposé, sur la lettre susmentionnée, la mention manuscrite: "Maître, le dossier n'est pas consultable en l'état", qu'il a ensuite transmise par e-fax, le lendemain.
A______ n'a pas contesté cette décision.
d. Le 27 mars 2025, A______ a été entendu par la police, sur délégation du Ministère public (art. 312 CPP), en lien avec les faits dénoncés par B______.
Il lui est reproché d'avoir, courant juin 2023, de concert avec C______ et d'autres tiers non-identifiés, exercé des pressions sur B______ et l'avoir menacé de mort, dans le but de l'obliger à contracter à son nom un contrat de leasing, pour un véhicule D______/1______ [marque/modèle] [procès-verbal d'audition du 27 mars 2025, p. 2].
Sur conseils de son avocat, qui l'assistait, A______ a refusé de s'exprimer.
e. Par lettres des 17 avril et 15 mai 2025, A______ a, à nouveau, sollicité l'accès au dossier.
C. Dans la note querellée, apposée sur la lettre du 15 mai 2025 du conseil de A______, le Ministère public a répondu, de manière manuscrite, en ces termes : "Maître, comme déjà indiqué, le dossier n'est pas consultable en l'état". Cette note était accompagnée du tampon humide "n'empêche" du Procureur.
D. a. À l'appui de son recours, A______ fait tout d'abord valoir que la décision entreprise violait son droit d'être entendu, faute de toute motivation. Les formalités de notification et de signature, au sens de l'art. 85 CPP, en lien avec
l'art. 110 al. 2 CPP, n'avaient, en outre, pas été respectées, de sorte que cet acte était nul, respectivement annulable. Enfin, les conditions de l'art. 101 al. 1 CP étaient réunies, dès lors que l'instruction était ouverte depuis de nombreuses semaines et qu'il avait été entendu par la police [sur délégation du Ministère public] le 27 mars 2025. L'autorité intimée n'annonçait, par ailleurs, aucunement que certaines mesures d'instruction s'opposeraient à cette consultation ni ne justifiait son refus, en application de l'art. 108 CPP. Il ne voyait donc pas – en l'absence d'une quelconque motivation – sur quels "fondements juridiques", la décision querellée reposait, de sorte que cette décision le privait de ses droits fondamentaux de procédure.
b. La cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 102 al. 1 et 393 al. 1 let. a CPP) – répondre qu’une procédure n’est pas consultable revient en effet à refuser l’accès au dossier – et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision concernée (art. 382 al. 1 CPP).
1.2.1. Le recourant invoque la nullité – subsidiairement l'annulabilité – de la décision entreprise, en se prévalant du non-respect des formalités de notification.
1.2.2. Sauf dispositions contraires du CPP, les communications des autorités pénales sont notifiées en la forme écrite (art. 85 al. 1 CPP), par lettre signature ou par tout autre mode de communication doté d'un accusé de réception (art. 85 al. 2 CPP). Lorsqu'il peut être prouvé d'une autre manière que le destinataire a eu connaissance de la communication, alors la notification de celle-ci est valable. Le non-respect de l'envoi par lettre signature n'entraîne ainsi pas la nullité de l'acte, pour autant que le justiciable ait reçu le prononcé. Dans le cas d'un envoi par pli simple (non conforme à l'art. 85 al. 2 CPP), il appartient à l'autorité pénale de supporter le fardeau de la preuve de notification et la date de celle-ci (ATF 144 IV 57 consid. 2.3.1 et 2.3.2; C. PERRIER DEPEURSINGE, CPP annoté, Bâle 2020, ad art. 85 al. 2, p. 128).
1.2.3. En l'espèce, le recourant estime que la décision aurait dû lui être communiquée par le Ministère public par voie postale, contre accusé de réception, et non par simple courriel.
Cela étant, le choix par l'autorité d'un mode de communication autre que celui prévu à l'art. 85 al. 2 CPP ne rend pas la notification invalide, s'il est prouvé que le destinataire a eu connaissance de la communication. Or, le recourant ne conteste pas avoir reçu le prononcé querellé – transmis par e-fax le 20 mai 2025 –. Il a, en outre, formé recours contre cet acte le 28 mai 2025, soit dans le délai prescrit. Il apparait ainsi que la notification de l'acte a atteint son but, malgré son envoi par e-fax, qui n'a causé nul préjudice au recourant. Que la décision n'ait pas comporté la signature numérique du Procureur n'y change rien, sa signature manuscrite y figurant.
Partant, son grief sera écarté.
2. Le recourant se plaint d’une violation de son droit d’être entendu, en l'absence – selon lui – de toute motivation de l’ordonnance querellée.
2.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 136 I 229 consid. 5.2; 135 I 265 consid. 4.3; 126 I 97 consid. 2b). Il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs fondant sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause; l'autorité peut se limiter à ne discuter que les moyens pertinents, sans être tenue de répondre à tous les arguments qui lui sont présentés (ATF 142 II 154 consid. 4.2; ATF 138 I 232 consid. 5.1).
2.2. En l’occurrence, la décision entreprise répond à la demande de consultation du dossier, formée par le recourant, et explique que le dossier "n'est pas consultable, en l'état".
Bien que succincte, cette motivation est suffisante car elle permet au recourant, assisté d'un conseil, de comprendre qu'à ce stade précoce de l’instruction, laquelle implique plusieurs prévenus, les éléments permettant l'accès au dossier n'étaient pas réunis. Il paraît, en effet, évident, nonobstant l’avis contraire du recourant, que le Ministère public a expliqué, par la formulation utilisée, ne pas pouvoir donner au prévenu plus d'informations. D'ailleurs, le recourant a été en mesure de contester la décision et de motiver son recours. Il estime surtout que cette motivation serait insuffisante à fonder un refus de son droit d'accès à la procédure, ce qui relève de la discussion au fond.
Il s'ensuit que ce grief peut être rejeté.
3. Le recourant estime avoir le droit de prendre connaissance du dossier.
3.1. Selon l'art. 101 al. 1 CPP, les parties peuvent consulter le dossier d'une procédure pénale pendante, au plus tard après la première audition du prévenu et l'administration des preuves principales par le ministère public; l'art. 108 est réservé.
Les deux conditions sont cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 1B_667/2011 du 7 février 2012 consid. 1.2), mais la formulation ouverte de cette disposition confère à la direction de la procédure un certain pouvoir d'appréciation qu'il convient de respecter (ATF 137 IV 280 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 7B_207/2023 du 22 février 2024 consid. 2.3.1).
La manifestation de la vérité et le bon déroulement de l'enquête sont des intérêts publics prépondérants, qui ont amené le législateur à clairement refuser de reconnaître de manière générale au prévenu un droit de consulter le dossier dès le début de la procédure. Au contraire, une restriction est admissible pour éviter de mettre en péril la recherche de la vérité matérielle ou d'exposer les éléments de preuve principaux avant terme, ou pour parer au risque de collusion (ATF 137 IV 172 consid. 2.3;
M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle 2014, n. 14 ad art. 101 CPP).
La première audition du prévenu au sens de la disposition précitée est celle effectuée par le ministère public ou par la police sur mandat du ministère public, au sens de
l'art. 312 al. 2 CPP (ACPR/358/2011 du 5 décembre 2011 consid. 5.1).
La seconde condition cumulative est l’administration des preuves principales par le ministère public. Cette notion indéterminée doit être interprétée au cas par cas et de manière restrictive, afin que les parties puissent disposer le plus rapidement possible de l’accès au dossier. Les preuves principales sont celles dont la mise en œuvre se révèle indispensable à la réalisation de l’objectif de l’instruction, à savoir la recherche de la vérité matérielle. Il s’agit, en règle générale, de l’audition du/des prévenu/s, y compris en confrontation, de l’audition de la victime, en cas de viol, de l’audition des principaux témoins, des perquisitions et séquestres, de l’édition de documents bancaires, de la présentation de planches photographies, de l’établissement d’expertises médico-légales ou de rapports de police scientifique. L'établissement des preuves les plus importantes peut également comprendre la première présentation des résultats déterminants des preuves ou des preuves recueillies (A. DONATSCH /
V. LIEBER / S. SUMMERS / W. WOHLERS (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), 3e éd., Zürich 2020, n. 5 ad art. 101; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 4b ad art. 101).
Cela étant, si les preuves principales peuvent être administrées sans limitation dans le temps dans un certain nombre de cas, par exemple, lors de la découverte, en cours de procédure, de témoins, dont l'audition, voire la confrontation avec le ou les prévenus ainsi qu'avec d'autres témoins, s'avère nécessaire à la recherche de la vérité matérielle – qui est le but de toute procédure pénale (art. 6 CPP ; FF 2006 1105) –, il convient de ne pas perdre de vue que les parties à la procédure, en particulier le prévenu, ont le droit, à teneur de l'art. 101 al. 1 CPP, de consulter le dossier dès que ledit prévenu a été entendu par le ministère public et dès l'achèvement de l'administration des preuves principales. L'administration des preuves principales par le ministère public doit ainsi être effectuée aussi rapidement que le permet le bon déroulement de l'instruction (ACRP/295/2011 du 18 octobre 2011 consid. 4.2).
3.2. En l'espèce, l'audition du recourant menée par la police l’a été sur mandat du Ministère public après qu’une instruction a été ouverte. Dans ce sens, le recourant peut valablement soutenir que la première condition posée par la loi est remplie.
En revanche, le Ministère public n'a pas encore procédé à l'administration des preuves principales. En effet, l'intéressé n'a, à ce stade, pas été auditionné par le Ministère public et les charges énoncées contre lui par la police font état de l'implication d'autres prévenus. Il s'ensuit que la confrontation des prévenus apparaît relever de l'administration d'une preuve essentielle au sens de l'art. 101 al. 1 CPP. Or, cet acte d'instruction n'a pas encore eu lieu. Il importe dès lors – afin de garantir un bon déroulement de l'enquête et permettre l'établissement de la vérité – que les protagonistes ne puissent adapter leur version par rapport à celles des autres parties ou celles précédemment rapportées. Les conditions de l'art. 101 al. 1 CPP ne sont donc pas réunies. On ne saurait par ailleurs faire grief au Ministère public d'avoir abusé de son pouvoir d'appréciation, dès lors que l'instruction n'en est qu'à ses débuts et que le recourant n'a pas répondu aux questions de la police.
Ainsi, c'est à bon droit que le Ministère public a refusé, au stade actuel de la procédure, au recourant l'accès à la procédure. La consultation du dossier n’est, en réalité, que différée, comme le lui a indiqué du reste l'autorité intimée (le dossier n'est pas consultable "en l’état"), soit jusqu’à ce que les investigations essentielles soient achevées.
4. Infondé, le recours doit donc être rejeté, ce que la Chambre de céans pouvait constater d'emblée, sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à
CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
6. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Catherine GAVIN, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS
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| La présidente : Daniela CHIABUDINI
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Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/25710/2023 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915..00 |
Total | CHF | 1'000.00 |