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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/12003/2022

ACPR/141/2025 du 21.02.2025 sur ONMMP/5197/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;PLAINTE PÉNALE;FORMALISME EXCESSIF
Normes : CPP.310; CP.30

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12003/2022 ACPR/141/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 21 février 2025

 

Entre

La société coopérative A______, représentée par Me François MICHELI, avocat, KELLERHALS CARRARD GENÈVE SNC, rue François-Bellot 6, 1206 Genève,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 25 novembre 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 6 décembre 2024, la coopérative A______ [service de cautionnement] recourt contre l'ordonnance du 25 novembre 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur les faits évoqués dans le courrier de constitution de partie plaignante du 7 novembre 2023, en lien avec deux prêts COVID-19 sollicités par les entreprises individuelles B______/C______ et D______/C______.

La recourante conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette décision et au renvoi de la cause au Ministère public pour ouverture d'une instruction contre C______ et mise en œuvre de divers actes d'enquête.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Aux termes d'une convention signée le 2 avril 2020, E______ a obtenu de la banque F______ un crédit COVID-19 de CHF 250'000.- pour son entreprise individuelle enregistrée à Genève, G______, en annonçant un chiffre d'affaires de CHF 2,8 millions.

Ce crédit, majoré des intérêts effectivement échus, était garanti par un cautionnement solidaire de A______, conformément à ce que prévoyait l'ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19.

b. Le 28 décembre 2021, le prêt n'ayant pas été remboursé, F______ a fait appel à la caution à hauteur de CHF 250'000.- (PP 101'157), somme que A______ a versée le 16 février 2022 (PP 101'158).

c. Le 21 février 2022, le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (ci-après, MROS) a dénoncé E______ au Ministère public genevois (PP 103'000).

Le crédit accordé par F______ avait été transféré par tranches de CHF 50'000.-, entre le 8 et le 20 avril 2020, sur le compte courant de l'entreprise, sur lequel tant l'intéressée, qu'un dénommé C______, avaient pouvoir de signature (cf. PP 103'010 et 103'021).

Ce compte, qui présentait, avant ces versements, un solde créditeur de CHF 5'016.35, avait fait l'objet de retraits en espèces, à hauteur de CHF 199'500.-, entre le 9 et le 23 avril 2020. Durant la même période, des transferts importants avaient par ailleurs été effectués en faveur du compte ouvert en faveur de l'entreprise individuelle D______/C______ et de C______, que l'intéressée avait présenté comme un cousin qui l'aidait dans ses démarches commerciales, elle-même maîtrisant mal le français.

Or, G______, inscrite au registre du commerce le ______ mars 2019 et exploitant un commerce d'alimentation au no. ______, rue 2______, n'avait enregistré des entrées de fonds sur son compte qu'à concurrence de CHF 41'770.- en 2019 et avait été déclarée en faillite par jugement du 14 novembre 2019, jugement dont la Cour de justice avait suspendu la force exécutoire, avant de le confirmer en date du 20 septembre 2021.

Quant à l'entreprise D______/C______, elle avait été inscrite au registre du commerce à H______ [VD] le ______ décembre 2019, avec pour but l'importation et le commerce de produits alimentaires; la titulaire désignée était J______; C______ disposait d'un pouvoir de signature individuelle. Peu auparavant, le 12 juillet 2019, une entreprise B______/C______, avec une adresse au domicile de C______ à Q______ [VD], avait été inscrite au registre du commerce, avec pour but l'exploitation d'une entreprise de location de voitures, dont la titulaire désignée était J______; C______ disposait également d'un pouvoir de signature individuelle.

Pour le surplus, C______ était défavorablement connu des autorités judiciaires et policières pour diverses infractions, dont certaines en lien avec des crédits COVID-19 à Genève.

d. Le 31 mai 2022, alertée par la Brigade financière vaudoise, A______ a déposé plainte pénale à Genève contre E______ pour escroquerie, faux dans les titres et violation de la loi sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19.

Elle a, entre autres, relevé que, le 9 avril 2020, CHF 18'950.- avaient été virés du compte de G______ sous le libellé "Facture frigo C______ CHF Facture pour la marchandise", ainsi que CHF 25'000.- sous le libellé "D______ CHF Commandes pour riz et alimentation". CHF 6'050.- avaient en outre été virés les 14 avril et 8 mai 2020 à D______ sur la base d'un ordre permanent, ensuite de quoi le compte ne présentait plus qu'un solde positif de CHF 2'552.17 (PP 101'140, 101'147 et 101'148).

e. Dans le cadre de la présente procédure, le Ministère public a mis E______ en prévention pour avoir signé une convention de crédit COVID-19 en déclarant un chiffre d'affaires contraire à la réalité et, après avoir obtenu de la sorte un prêt d'un montant de CHF 250'000.-, avoir affecté les fonds à d'autres fins que celles autorisées et convenues.

Le 22 juin 2023, le Ministère public a étendu l'instruction de la cause à C______, accusé d'avoir instigué E______ à solliciter le prêt de CHF 250'000.- ou d'avoir agi de concert avec elle (PP 300'001).

f.a. Il ressort du dossier et des extraits du registre du commerce – dont certains ont été produits à l'appui des plaintes et dénonciations susmentionnées – que l'épicerie du no. ______, rue 2______ a été successivement exploitée par l'époux de E______ (du 30 avril 2007 au 17 juin 2014), à l'enseigne "K______", par une société L______/K______ Sàrl gérée par son fils M______, par G______ (de mars 2019 à, au plus tard, septembre 2021), puis par une société "N______ Sàrl, qui exploitait auparavant une épicerie au no. ______, rue 1______ et dont le siège a été transféré au no. ______, rue 2______ le 11 décembre 2024.

f.b. Quant aux sociétés de C______, le siège de B______/C______ a été transféré à la même adresse que celui de D______/C______ le ______ décembre 2019. Les deux entreprises ont ensuite été radiées le ______ 2021, après la remise de leurs commerces respectifs à l'entreprise individuelle nouvellement inscrite D______ ET B______, C______, dont le titulaire était C______; cette dernière entité a changé de nom le ______ novembre 2021, pour reprendre celui de D______/C______, puis, le ______ mars 2023, pour prendre celui de O______/C______; elle a été déclarée en faillite le ______ septembre 2024, faillite confirmée, le ______ janvier 2025, avec prise d'effet à cette date.

g. Interrogée par l'Office des faillites le 10 mars 2022, E______ a expliqué que la comptabilité n'avait plus été tenue depuis 2019. Une mauvaise gestion administrative ainsi qu'un retard de paiement des créanciers n'avait pas permis à l'activité d'être rentable. Le crédit COVID-19 avait servi à régler une grande partie des dettes accumulées les deux années précédentes. L'entreprise n'avait plus ni mobilier, ni stock (PP 800'043), étant relevé que, selon le bilan de l'entreprise au 31 décembre 2020, établi le 3 janvier 2022, le stock avait une valeur de CHF 21'000.- (PP 800'053) et le chiffre d'affaires atteignait CHF 252'534.35, pour des achats d'alimentation de CHF 177'467.- (PP 800'054).

h. Entendue par la police le 11 novembre 2022, puis par le Ministère public, E______ a expliqué qu'elle travaillait à mi-temps comme femme de ménage, pour un salaire mensuel de CHF 2'232.95, complété par l'aide sociale, et avait des dettes à hauteur d'environ CHF 400'000.- (PP 400'014).

En 2020, un compatriote qu'elle connaissait sous le surnom de "I______", client de longue date de l'épicerie et fournisseur depuis qu'il avait ouvert son propre commerce, lui avait parlé de la possibilité d'obtenir un crédit COVID-19, même si elle faisait l'objet de poursuites. Il avait complété le formulaire de demande, dont elle a indiqué tour à tour qu'elle l'avait signé, respectivement qu'elle avait envoyé une photographie de sa signature à "I______", via WhatsApp, étant précisé qu'elle n'avait jamais vu le formulaire complété et ignorait que "I______" avait mentionné un chiffre d'affaires de CHF 2.8 millions, qu'elle ne lui avait jamais communiqué (police), respectivement, dont elle lui avait dit qu'il était de l'ordre de CHF 200'000.- (Ministère public).

Le crédit avait majoritairement été utilisé pour couvrir les dépenses du magasin, à hauteur de CHF 150'000.- à CHF 180'000.-; elle avait retiré l'argent en espèces, pour payer directement les livreurs (PP 400'018). "I______" avait pour sa part retiré CHF 50'000.- à l'aide de la carte qu'elle lui avait confiée, pour payer des factures (police) respectivement pour ses besoins personnels (Ministère public), en lui promettant de la rembourser en ne la faisant pas payer la marchandise qu'il livrait. Elle lui avait par ailleurs remis CHF 35'000.- en mains propres. L'ordre de virement permanent correspondait à des livraisons de marchandises qu'il lui avait fournies; le paiement de CHF 25'000.- correspondait à une avance sur de futures factures; elle ignorait à quoi correspondaient les CHF 18'950.-; elle n'avait pas acheté de frigo.

i.a. Entendu le 12 avril 2023 par la police (PP 400'060ss), puis le 1er septembre 2023 par le Ministère public (PP 500'007ss), C______ a affirmé que le magasin de E______ était très connu et "vendait beaucoup", raison pour laquelle, lorsqu'elle avait articulé un chiffre d'affaires de l'ordre de CHF 2 millions, cela lui avait paru réaliste, lui-même, avec son entreprise, ayant déjà dépassé CHF 1 million de chiffre d'affaires.

D'ordinaire, les commandes de E______ s'élevaient de CHF 20'000.- à CHF 30'000.- par mois (police), respectivement à CHF 2'000.-/CHF 3'000.- par semaine (Ministère public). Pendant le COVID-19, elle avait commandé pour CHF 60'000.- de marchandises, mais n'était plus arrivée à travailler, car tout était fermé. Lorsqu'elle lui avait demandé comment il faisait pour s'en sortir, il lui avait expliqué avoir obtenu des crédits COVID-19 et l'avait assistée dans les démarches à effectuer. Il lui avait notamment dit qu'il fallait éviter les retraits en espèces, mais procéder uniquement par transferts bancaires, car il était important de pouvoir justifier la manière dont les fonds avaient été dépensés.

Il avait fondé ses propres sociétés grâce aux économies réalisées en livrant des pizzas dès avril 2019, après plusieurs années passées en détention. Il avait effectivement réalisé un chiffre d'affaires de CHF 1 million avec D______/C______, épicerie qu'il avait exploitée jusqu'en septembre 2021 avec son épouse, puis seul, en changeant le nom en O______/C______. La société avait été dissoute en décembre 2021.

Il avait contracté un prêt COVID-19 au nom de chacune de ses sociétés, soit de CHF 75'000.- pour D______/C______ et de CHF 25'000.- pour B______. Ces crédits avaient été utilisés pour les besoins de ces entreprises. O______/C______ avait repris les dettes de ces dernières; il restait encore CHF 10'000.- à rembourser sur le prêt accordé à B______. Son revenu mensuel était de CHF 3'300.- et il avait des dettes de l'ordre de CHF 130'000.-, essentiellement en lien avec le magasin, qui avait dû être fermé.

i.b. À l'appui de ses déclarations à la police et à l'audience du 1er septembre 2023, C______ a notamment fourni un relevé de compte de la société G______ auprès de D______/C______ pour la période courant du 7 avril au 22 juillet 2020, faisant état de factures pour un montant total de CHF 52'943.20 (PP 400'067), ainsi que trois bulletins de livraison, étant relevé que celui du mois de juin ne correspond à aucune des factures répertoriées dans le relevé de compte (cf. PP 400'069).

i.c. Les factures produites par E______ à l'appui de ses dires (cf. PP 400'070ss), pour une période courant d'avril à juin 2020, confirment des commandes de marchandises (fruits, légumes, alcool, épices) pour une somme totale avoisinant CHF 95'000.- (PP 400'057). Il ressort en particulier des 19 bulletins de livraison émis par D______/C______ entre le 7 avril et le 1er juin 2020 – qui ne se recoupent pas avec ceux produits par C______, ni ne se retrouvent, pour la plupart, dans le relevé de compte établi par ce dernier – un montant total de marchandises de moins de CHF 20'000.-.

j. Le 7 novembre 2023, A______ a informé le Ministère public de l'obtention, par C______, de lignes de crédit COVID pour ses entreprises, du fait que ces prêts n'avaient pas été remboursés et que ces sociétés avaient cessé leur activité, de sorte qu'en sa qualité de caution, elle-même avait été amenée à payer CHF 24'483.44 pour la première et CHF 60'790.46 pour la seconde. Au cas où une procédure pénale en lien avec ces crédits COVID serait déjà en cours, elle se constituait d'ores et déjà partie plaignante (PP 101'160).

Étaient jointes à ce courrier, entre autres, les conventions de crédit conclues avec [la banque] P______ le 30 mars 2020, dans lesquelles étaient annoncés un chiffre d'affaires de CHF 300'000.- pour B______/C______ (le crédit devant être versé sur le compte ayant pour référence IBAN 3______) et de CHF 800'000.- pour D______/C______ (le crédit devant être versé sur le compte ayant pour référence IBAN 4______; PP 308'004 à 308'006).

k. Le Ministère public n'a pas répondu à ce courrier.

En revanche, le Ministère public vaudois ayant, dans l'intervalle, ouvert une instruction contre C______ pour des soupçons de viol, respectivement de contrainte sexuelle, le Ministère public genevois lui a adressé, le 29 novembre 2023, une demande de reprise de for, s'agissant des faits dont l'intéressé était accusé en lien avec le prêt COVID-19 contracté par E______ (PP 308'029).

C______ s'y étant opposé, au motif notamment que les enquêtes touchaient à leur fin, la cause a été portée devant le Tribunal pénal fédéral, qui a jugé, en date du 6 mai 2024, que les autorités de poursuites pénale genevoises étaient seules compétentes pour poursuivre et juger l'ensemble de la procédure P/12003/2022 (PP 308'028).

l. Le 29 mai 2024, le Ministère public a adressé aux parties un avis de prochaine clôture de l'instruction et les informées de son intention de dresser un acte d'accusation à l'encontre de E______ et C______ (PP 300'002).

m. Le 5 novembre 2024, après avoir obtenu confirmation du Ministère public vaudois qu'il n'était pas saisi de la problématique des crédits COVID-19 octroyés à C______, A______ a réitéré sa requête du 7 novembre 2023 auprès du Ministère public genevois, en y joignant, entre autres, les pièces produites à l'époque.

n. Par pli du 25 novembre 2024, le Ministère public a informé les parties que, pour compléter le dossier, il avait notamment ordonné à P______ le dépôt, respectivement le séquestre, de la documentation bancaire et des avoirs des relations ouvertes au nom de C______ et de D______/C______.

Le séquestre a porté sur le compte de O______/C______. Neuf autres comptes, tous ouverts postérieurement au 27 mai 2019, mais depuis lors clôturés, aux noms de C______ ou de D______/C______, ont par ailleurs été répertoriés, étant précisé que le compte sur lequel a été versé le crédit COVID-19 accordé à B______/C______ n'y figure pas (cf. PP 302'005 et 302'006).

Il ressort notamment de ces documents qu'un compte ouvert au nom de C______ le 27 mai 2019 et clôturé le 11 décembre 2019, à l'instar des autres comptes ouverts à son nom, a été crédité le 13 juin 2019 d'un montant de CHF 20'424.- provenant vraisemblablement d'avoirs LPP, de son salaire comme livreur de pizzas (entre CHF 896.- et CHF 2'350.- par mois), d'une indemnité de l'État de CHF 33'498.- versée le 14 août 2019 et de divers transferts d'autres comptes lui appartenant.

Le 6 décembre 2019, le premier compte ouvert au nom de D______/C______ a été ouvert (référence IBAN 4______). Ce compte a été crédité à l'origine par un versement propre de CHF 2'200.-, puis, en lien avec des ventes de marchandises, d'un montant total de CHF 55'404.67 jusqu'au 30 mars 2020, date à laquelle il présentait un solde positif de CHF 2'847.84 (PP 302'088). À partir de cette date, un solde négatif s'est rapidement creusé, passant de CHF 7'669.84 le 31 mars, à CHF 22'717.46 le 1er avril, CHF 48'379.49 le 2 avril et CHF 74'623.26 le 3 avril, entre autres en raison de nombreux retraits en espèces.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a estimé que les courriers que lui avait adressés A______ les 7 novembre 2023 et 5 novembre 2024 ne contenaient aucun élément de fait ou de preuve suggérant qu'une infraction pénale aurait été commise en lien avec les crédits COVID-19 sollicités par B______/C______ et D______/C______.

D. a. Dans son recours, A______ fait valoir que le Ministère public a, à tort, rendu une ordonnance de non-entrée en matière, alors que des mesures de contrainte, soit le séquestre des avoirs de C______ et de D______, C______, avaient été ordonnées en date du11 novembre 2024, ce qui supposait l'ouverture d'une instruction. Au demeurant, la dénonciation du MROS mentionnait déjà des soupçons d'abus en lien avec l'entreprise D______, soupçons qu'à l'évidence le Ministère public partageait, vu les déclarations faites par cette autorité lors de l'audience du 1er septembre 2023. Sa décision de non-entrée en matière était ainsi contraire aux règles de la bonne foi, ce d'autant plus qu'il n'avait pas réagi à réception du courrier du 7 novembre 2023 et avait, dans son avis de prochaine clôture du 29 mai 2024, annoncé l'établissement d'un acte d'accusation contre C______, sans autre précision. En toute hypothèse, les agissements de ce dernier en lien avec l'obtention des crédits COVID-19 pour D______ et B______ étaient manifestement constitutifs d'escroquerie, de faux dans les titres, voire de violation de l'art. 25 de la loi sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19 (LCaS-COVID-19).

b. Dans ses observations, le Ministère public confirme considérer que la lettre du 7 novembre 2023, qui mentionnait uniquement que C______ avait obtenu deux crédits COVID-19, sans description de faits ou éléments de preuve suggérant la commission d'une infraction pénale, ne répondait pas aux réquisits de l'art. 30 CP. Étant partie à la présente procédure, la plaignante ne pouvait par ailleurs ignorer que celle-ci portait uniquement sur le crédit COVID-19 accordé à E______ et qu'aucun acte d'instruction n'avait été effectué en lien avec les prêts sollicités par le prévenu pour ses propres entreprises. Pour le surplus, l'intéressé avait déclaré que leur utilisation avait été conforme aux buts fixés et le Ministère public ne disposait d'aucun élément fondant un quelconque soupçon à cet égard, puisque le relevé du compte 15-397279-7 ouvert au nom de D______/C______ auprès de P______ ne faisait pas apparaître de crédit COVID-19 et qu'hormis quelques retraits d'espèces pour CHF 11'000.-, les virements à des tiers pouvaient correspondre à des besoins de la société en liquidités.

c. Dans sa réplique, A______ rappelle que P______, à l'instar d'autres établissements bancaires, n'avait pas alloué les crédits COVID-19 sous forme de versements, mais d'autorisations de découvert, raison pour laquelle il n'existait pas, dans les relevés du compte de D______, d'avis de crédit. Il ressortait néanmoins des pièces produites que l'entreprise était rapidement tombée en négatif après l'octroi de la ligne de crédit, ce qui substantifiait ses soupçons d'infraction.

d. La cause a été gardée à juger à réception, le Ministère public n'ayant pas dupliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP; ACPR/910/2023 du 17 novembre 2023).

2.             La recourante reproche au Ministère public d'avoir rendu une ordonnance de non-entrée en matière plutôt qu'une ordonnance de classement.

2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Il ne peut plus rendre une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il a, formellement ou matériellement ouvert une instruction, ce qui est le cas lorsqu'il a ordonné des mesures de contrainte, tel un séquestre, s'agissant d'actes de procédure des autorités pénales portant atteinte aux droits fondamentaux des personnes intéressées (art. 196 al. 1 CPP; arrêts du Tribunal fédéral6B_89/2022 du 2 juin 2022 consid. 2.2 et 6B_431/2013 du 8 décembre 2013 consid. 2.2).

Le fait pour le ministère public de rendre une ordonnance de non-entrée en matière, alors que les circonstances permettent de considérer qu'une instruction a été ouverte, est toutefois en principe sans incidence pour les parties et il ne se justifie pas d'annuler la décision pour ce seul motif, même si certains actes exécutés par le ministère public sont de ceux qui doivent être exécutés après l'ouverture d'une instruction (arrêts du Tribunal fédéral 6B_425/2022 du 15 février 2023 consid. 4.1.1 et 6B_962/2013 du 1er mai 2014 consid. 2).

2.2. Il résulte de cette jurisprudence que le premier grief de la recourante tombe à faux, étant relevé que le Ministère public a, manifestement, ordonné le séquestre des biens de C______ en lien avec l'obtention et l'utilisation du crédit COVID-19 par E______, auxquelles il est accusé d'avoir participé, et non pas d'éventuelles infractions concernant ses propres sociétés.

3. Le Ministère public considère que ni le courrier du 7 novembre 2023, ni celui du 5 novembre 2024, ne contiennent de description de faits suffisante permettant de soupçonner l'existence d'une infraction.

3.1. Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

Un refus d'entrer en matière n'est possible que lorsque la situation est claire, en fait et en droit. En cas de doutes, ou lorsque l'acte dénoncé a eu des incidences graves (par exemple en présence de lésions corporelles graves), une instruction doit en principe être ouverte, quand bien même elle devrait ultérieurement s'achever par un classement. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 7B_27/2023 du 12 septembre 2023 consid. 3.2).

3.2. Pour être valable, la plainte doit exposer de manière détaillée le déroulement des faits sur lesquels elle porte, pour que l'autorité pénale sache pour quel état de fait l'ayant droit demande une poursuite pénale. Elle doit contenir un exposé détaillé des circonstances concrètes, sans qu'il soit nécessaire qu'elles soient absolument complètes (arrêt du Tribunal fédéral 6B_942/2017 du 5 mars 2018 consid. 1.1).

Cela étant, une déclaration adressée à l'autorité doit être comprise selon le sens que, de bonne foi, son destinataire doit lui prêter. Il est possible de s'inspirer des règles applicables en matière de droit privé selon lesquelles une déclaration unilatérale permettant l'exercice d'un droit formateur s'interprète selon le principe de la confiance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_170/2012 du 7 mai 2012 consid. 1.4.2).

3.3. En l'occurrence, il est indéniable que la teneur des courriers adressés par la recourante au Ministère public, visant à savoir s'il existait une procédure pénale et à se constituer partie plaignante, pour le cas où une telle procédure pénale serait ouverte, est insuffisante, en soi, pour déterminer si les éléments constitutifs d'une infraction pénale pourraient être réalisés.

Ces courriers ne sauraient toutefois être dissociés de leur contexte. Ils ont en effet été adressés à l'autorité déjà chargée d'une dénonciation du MROS, visant les prévenus pour obtention frauduleuse d'un crédit COVID-19 à Genève et utilisation de ce dernier à d'autres fins que celles autorisées et convenues, complétée par une plainte de la recourante contre les mis en cause pour les mêmes motifs. Ils se réfèrent par ailleurs expressément à l'existence de deux crédits COVID-19 supplémentaires accordés au prévenu, à H______ [VD] cette fois-ci, non remboursés à la cessation d'activité des sociétés concernées. Les pièces jointes à l'appui de ces missives permettent en outre de constater que des chiffres d'affaires de respectivement CHF 800'000.- et CHF 300'000.- ont été articulés, alors qu'il ressort du dossier dont le Ministère public est saisi que la première société avait été constituée moins de quatre mois auparavant (i.e. D______/C______) et la seconde moins de neuf mois plus tôt (B______/C______), rendant ces montants peu crédibles. Ceux-ci le sont d'autant moins que E______, dont C______ a affirmé avoir considéré comme "réaliste" le chiffre d'affaires de CHF 2,8 millions articulé par elle, puisque proche de celui qu'il aurait lui-même réalisé, a déclaré que celui-ci était plutôt de l'ordre de CHF 200'000.-.

Au vu des renseignements déjà au dossier ainsi que des informations résultant du registre du commerce, le courrier du 7 novembre 2023, réitéré le 5 novembre 2024, ne pouvait être compris autrement que comme la formulation de soupçons de fraude en lien avec l'obtention des deux crédits COVID-19 susmentionnés et la volonté de la recourante de voir poursuivies d'éventuelles infractions commises dans ce cadre par le prévenu C______ et entrant dans le même contexte. L'argument du Ministère public selon lequel les faits dénoncés dans ces plis seraient insuffisamment précis pour justifier l'ouverture d'une procédure pénale, ne saurait ainsi être admis.

Compte tenu de la similitude entre les faits poursuivis dans le cadre de la P/12003/2022 – pour lesquels le Ministère public a fait part de son intention de rédiger un acte d'accusation contre E______ et C______ – et de ceux entourant l'obtention des prêts COVID-19 par C______ pour B______/C______ et D______/C______, notamment le fait que les montants crédités sur le compte de cette dernière entre décembre 2019 et mars 2020 sont bien en-deçà du chiffre d'affaires articulé par l'intéressé, et que la ligne de crédit obtenue a été utilisée en quelques jours, notamment par le biais de retraits en espèces répétés, l'on ne saurait écarter, à ce stade, des soupçons sérieux de la commission d'infractions identiques dans le cadre du volet dénoncé par la recourante le 7 novembre 2023.

4. Fondé, le recours doit être admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour ouverture d'une instruction contre C______.

5. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

La recourante, partie plaignante, obtient gain de cause, mais n'a pas sollicité d'indemnité, de sorte qu'il ne lui en sera pas allouée (art. 433 al. 1 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).