Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/109/2025 du 05.02.2025 sur OPMP/6546/2024 ( MP ) , IRRECEVABLE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/15304/2024 ACPR/109/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 5 février 2025 |
Entre
A______, sans domicile fixe, représenté par Me B______, avocate,
recourant,
contre le mandat d'actes d'enquête rendu le 19 juillet 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 20 décembre 2024, A______ recourt contre le mandat d'actes d'enquête du 19 juillet 2024, porté à sa connaissance le 11 décembre 2024, par lequel le Ministère public a chargé la police de procéder aux auditions de C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______ et M______, et précisé que lesdites auditions se dérouleraient hors la présence des parties et de leurs conseils.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision entreprise, au constat du caractère inexploitable des auditions de témoins par la police en août 2024 ainsi que des auditions de témoins par le Ministère public le 11 décembre 2024 et à ce que les preuves récoltées lors des auditions soient écartées et au renvoi de la cause au Ministère public.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 25 juin 2024, A______ a été arrêté par la police, en possession d'un permis d'établissement appartenant à N______, dans le quartier des Pâquis, à Genève, après avoir pris la fuite en apercevant une patrouille, malgré plusieurs injonctions "stop police". Selon les vérifications de la police, A______ faisait l'objet d'une interdiction de pénétrer sur le territoire genevois et était dépourvu d'autorisation de séjour en Suisse et de moyens de subsistance.
b. Selon le rapport d'arrestation du même jour, la vérification du téléphone portable de A______ (numéro d'appel +4177_1______) a permis de faire ressortir une liste de numéros de téléphone avec lesquels l'intéressé avait été en contact au cours des 24 heures précédentes.
c. Le même jour, la police a entendu, hors la présence d'un avocat, A______ en qualité de prévenu – ce dernier ayant signé une renonciation à la présence d'un défenseur lors de la première audition à la police – et N______ en qualité de personne appelée à donner des renseignements.
c.a. Interrogé sur le titre de séjour retrouvé dans les effets de A______, N______ a indiqué à la police avoir acheté au précité une boulette de cocaïne la veille et, faute d'espèces, avoir laissé au vendeur sa pièce d'identité comme gage.
c.b. A______ a contesté s'adonner à un trafic de stupéfiants et a expliqué avoir trouvé par terre le permis d'établissement retrouvé dans ses affaires. Il avait pris la fuite à la vue de la police car il savait être interdit de territoire à Genève. Il s'y était rendu pour consulter son avocate et voir un ami dans le quartier des Pâquis.
d. Par ordonnance pénale rendue le 26 juin 2024, le Ministère public a déclaré A______ coupable d'empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP), ainsi que d'infractions aux art. 19 al. 1 let. c LStup, ainsi que 115 al. 1 let. a et b LEI, et l'a condamné à une peine pécuniaire de 150 jours-amende à CHF 10.- le jour-amende, sous déduction d'un jour de détention avant jugement, assortie d'un sursis avec délai d'épreuve de trois ans.
e. Par courrier du 3 juillet 2024, Me B______ a requis sa nomination comme défenseur d'office de A______ et a formé, pour ce dernier, opposition à l'ordonnance pénale du 26 juin 2024.
f. Auditionné le 19 juillet 2024 par le Ministère public, A______, assisté de Me B______, a contesté avoir vendu de la cocaïne à N______ en échange du titre de séjour de ce dernier, qu'il a maintenu avoir trouvé par terre. Le téléphone qu'il utilisait appartenait à un ami, de sorte qu'il ne connaissait pas les personnes dont les coordonnées figuraient dans la liste de contacts dudit appareil.
C. a. Par la décision querellée, le Ministère public a précisé que les preuves principales n'ayant pas été administrées, les auditions se feraient en l'absence des parties et de leurs conseils. En effet, les personnes figurant dans le rapport d'arrestation semblaient avoir eu des contacts avec le prévenu dans le cadre de transactions portant sur des stupéfiants et leur audition constituait donc des preuves principales. Si nécessaire, ces actes d'instruction seraient répétés.
b. Les 9, 13, 16, 19, 20 et 26 août 2024, la police a, par délégation et en application de la décision querellée, procédé aux auditions des personnes ayant eu des conversations WHATSAPP (mais vides de contenu en raison de la suppression automatique de l'historique après un délai de 24 heures) avec le raccordement de A______.
c. Le 11 décembre 2024, avant de procéder à son audition, le Ministère public a informé A______ qu'il lui était reproché, à titre complémentaire, d'avoir vendu des stupéfiants à trois des personnes qu'il avait fait entendre par la police.
c.a. Lors de ladite audition, A______, assisté de son défenseur, a contesté connaître C______, O______ et P______.
c.b L'une de ces personnes a confirmé ses précédentes déclarations devant la police, sans pouvoir confirmer si A______, présent lors de l'audition, était la personne qui lui avait vendu des produits stupéfiants, précisant que les transactions se déroulaient dans la pénombre et que lui-même n'était pas très physionomiste.
c.c. Une autre a confirmé ses précédentes déclarations devant la police et le fait que A______, présent lors de l'audition, était la personne auprès de qui il s'était fourni en cocaïne.
Lors de cette audition, Me B______ a demandé la mise à l'écart de toutes les auditions de témoins auxquelles la police avait procédé, au motif qu'elle n'avait pas pu y assister et que le témoin aurait pu être influencé par la police.
c.d. Un dernier témoin entendu a déclaré que ses précédentes déclarations devant la police, selon lesquelles il avait acheté à une reprise de la drogue à A______, étaient erronées et avaient été recueillies sous la menace de recevoir des "jours-amende" s'il ne confirmait pas ce que la police souhaitait. Il avait été auditionné en langue française, sans traducteur.
Lors de cette audition, Me B______ a sollicité la mise à l'écart de la déposition du témoin à la police, faute d'avoir pu assister à cette audition.
D. a. Dans son recours, A______ fait valoir que dès sa nomination, son défenseur d'office avait le droit de participer à l'administration des preuves et qu'il était inconcevable que l'administration de preuves principales fît suite à une opposition à une ordonnance pénale, laquelle devait nécessairement avoir été rendue après une instruction complète. Par ailleurs, des intimidations policières avaient entaché la récolte des témoignages recueillis en application du mandat d'acte d'enquêtes. Les auditions des témoins d'août 2024 et du 11 décembre 2024 étaient par conséquent inexploitables.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours a été déposé selon la forme prescrite (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émane du prévenu, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a et 111 CPP). Il est dirigé contre un mandat de délégation d'actes d'enquête du Ministère public comportant une restriction du droit de l'intéressé d'y participer, de sorte que le mandat querellé doit être considéré comme une décision sujette à recours (art. 393 al. 1 let. a CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_329/2014 du 1er décembre 2014 consid. 2.2).
1.2. Encore faut-il que le recourant dispose d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
1.2.1. Cet intérêt doit être juridique et direct. Le recourant est ainsi tenu d’établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu’il peut, par conséquent, en déduire un droit subjectif (ATF 145 IV 161 consid. 3).
Dit intérêt doit, en outre, être actuel et pratique (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1.) ; il doit donc encore exister au moment où l’arrêt est rendu (ATF 137 I 296 consid. 4.2). De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes, et non de prendre des décisions à caractère théorique (ATF 144 IV 81 précité).
Il peut toutefois être renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque la contestation est susceptible de se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la trancher avant qu'elle ne perde son actualité et que, en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1336/2018 du 19 février 2019 consid. 1.2 et les références citées), ces conditions étant cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1011/2010 du 18 février 2011 consid. 2.2.1 in fine; ACPR/478/2021 du 19 juillet 2021, consid. 1.3.1).
1.2.2. En l'espèce, l'acte litigieux a déployé tous ses effets, les auditions ayant été menées les 9, 13, 16, 19, 20 et 26 août 2024 par la police, soit avant le dépôt du recours, hors la présence du prévenu et de son conseil. Le recourant n'a donc plus d'intérêt actuel et pratique à demander l'annulation des auditions concernées.
Au surplus, le recourant ne dispose d'aucun intérêt juridique à voir annuler des auditions une fois celles-ci accomplies, dans la mesure où l'existence d'un éventuel vice qui entacherait un acte de procédure ne conduirait pas à son annulation, mais, alternativement, au constat de l’inexploitabilité des preuves recueillies à cette occasion (art. 147 al. 4 CPP) ou au retrait du procès-verbal concerné du dossier (art. 141 al. 5 CPP).
Or, faute de décision préalable sur ce point, la Chambre de céans ne saurait statuer, pour la première fois, au stade d'un recours, sur les questions de l'inexploitabilité des preuves recueillies ou du retrait de procès-verbaux d'auditions du dossier (cf. art. 393 al. 1 let. a CPP).
2. Par conséquent, le recours doit être déclaré irrecevable, faute pour le recourant de disposer d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de la décision querellée.
3. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 700.- pour l'instance de recours (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). L'autorité de recours est en effet tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).
4. Il sera statué sur l'indemnité du défenseur d'office à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Déclare le recours irrecevable.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 700.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/15304/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 615.00 |
Total | CHF | 700.00 |