Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/49/2025 du 16.01.2025 ( MP ) , SANS OBJET
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/16017/2006 ACPR/49/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 16 janvier 2025 |
Entre
A______, représenté par Me Caroline FERRERO MENUT, avocate, CANONICA & ASSOCIÉS, rue François-Bellot 2, 1206 Genève,
recourant,
pour déni de justice du Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte déposé le 15 octobre 2024, A______ recourt pour déni de justice du Ministère public.
Il conclut, sous suite de frais et dépens, chiffrés à CHF 1'500.-, au constat de l'existence d'un déni de justice et d'un retard injustifié à statuer du Ministère public et à ce qu'il soit enjoint à ce dernier de statuer dans un délai de sept jours sur sa demande de restitution de la somme de CHF 198'000.- et intérêts consignée sur le compte du Pouvoir judiciaire.
b. Le recourant a versé en temps utile les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. À tout le moins à partir de 2006, un litige a opposé A______ à son frère, B______, au sujet de la propriété d'un immeuble sis no. ______, rue 1______ à Genève.
Le premier était en effet inscrit comme seul propriétaire de cet immeuble au registre foncier, mais le second, se considérant comme le propriétaire réel, occupait le bâtiment, qu'il louait à une société C______ SA, dont son épouse, D______, était l'ayant droit économique et lui-même le directeur.
b. En 2006, A______ a déposé plainte pénale contre son frère et sa belle-sœur pour, notamment, abus de confiance et gestion déloyale.
Dans le cadre de cette procédure, la Chambre de céans a, entre autres, par arrêt du 20 novembre 2018 (ACPR/679/2018), constaté que, prise dans sa globalité, l'instruction de la cause consacrait une violation du principe de la célérité et un déni de justice, et invité le Ministère public à statuer sur la demande de séquestre de A______ du loyer mensuel de CHF 6'000.- dû par C______ SA à B______ dans un délai de cinq jours.
Le produit de la location de l'immeuble a ainsi été séquestré et consigné, à dater du 28 novembre 2018, sur un compte ouvert auprès du Pouvoir judiciaire.
c. Par jugement du 3 juin 2021, le Tribunal de police a, notamment, déclaré B______ coupable de gestion déloyale aggravée sans mandat pour la période pénale courant du 1er août 2006 au 15 novembre 2020, acquitté D______ de complicité de gestion déloyale aggravée, condamné B______ à verser à A______ un montant de CHF 933'000.- avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 2016 à titre de réparation de son dommage et ordonné la restitution à celui-ci, dès l'entrée en force du jugement, des montants consignés sur le compte du Pouvoir judiciaire.
d. A______, B______ et D______ ont tous trois formé appel contre ce jugement.
B______ est décédé le ______ 2023, après que la cause avait été gardée à juger.
Par arrêt du 11 décembre 2023 (AARP/444/2023), la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice a, notamment, classé la procédure en tant qu'elle concernait feu B______, confirmé l'acquittement de D______, ordonné la restitution à A______, en application de l'art. 70 al. 1 in fine CP, de la somme de CHF 198'000.- consignée sur le compte du Pouvoir judiciaire, prononcé à l'encontre de l'hoirie de feu B______ une créance compensatrice de CHF 723'743.- et maintenu la plupart des séquestres prononcés en garantie de celle-ci ainsi que des frais et indemnités mis à charge de l'hoirie de B______.
e. A______, D______, C______ SA et l'avocat de feu B______, en sa qualité d'exécuteur testamentaire, ont tous formé recours contre cet arrêt auprès du Tribunal fédéral, devant lequel la cause est actuellement pendante.
f. Par courrier du 20 mars 2024, le Tribunal fédéral a confirmé à A______ qu'aucune requête d'effet suspensif n'avait été déposée.
g. Le 25 mars 2024, A______, invoquant cette situation, a requis du Ministère public le transfert immédiat en sa faveur de la somme de CHF 198'000.-.
h. Après avoir été relancé par pli du 29 avril 2024, le Ministère public, sous la plume de la préposée à l'exécution des décisions pénales, a répondu, le 6 mai 2024, qu'il ne pouvait entrer en matière sur la requête, l'arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 2023 n'étant pas définitif et exécutoire, vu les recours interjetés auprès du Tribunal fédéral.
i. Par courrier du 17 mai 2024, A______ a fait valoir que l'art. 103 al. 2 let. b LTF prévoyait expressément que l'effet suspensif au recours ne s'étendait pas à la décision sur les prétentions civiles, de sorte que la somme consignée devait lui être immédiatement restituée, ou une décision formelle de refus, sujette à recours, être rendue.
j. Par plis du 10 juin 2024, la préposée à l'exécution des décisions pénales a imparti à D______, C______ SA et à l'exécuteur testamentaire de feu B______ un délai au 10 juillet 2024 pour se prononcer sur cette demande de restitution.
k. Le 13 août 2024, A______ s'est adressé au Ministère public pour contester le refus de l'exécuteur testamentaire de feu B______, de D______ et de C______ SA de donner leur accord à la restitution de la somme consignée.
l. Sans réponse du Ministère public, A______ l'a relancé le 17 septembre 2024, en l'invitant à statuer avant la fin du mois.
C. a. Dans son recours, A______ rappelle qu'il réclame depuis le mois de mars 2024 la restitution de la somme consignée et que, malgré ses relances, le Ministère public n'avait toujours pas rendu de décision formelle, sujette cas échéant à recours, à ce propos.
b. Dans ses observations, le Ministère public soutient que, par courrier du 6 mai 2024, il avait refusé d'entrer en matière sur la requête de A______ et que ce dernier n'avait pas recouru contre cette décision. La dernière correspondance échangée dans ce cadre datait du 13 août 2024, le délai de quatre mois écoulé n'étant pas constitutif de déni de justice.
Parallèlement, le Ministère public a, par courrier du 13 décembre 2024, confirmé à A______ son refus d'entrer en matière sur sa demande, au motif que celle-ci portait sur des avoirs consignés en mains de l'État à la suite d'une décision de séquestre, que la situation s'apparentait davantage à une demande de levée de cette mesure et que l'on ne se trouvait pas en présence d'une simple exécution de prétentions civiles à propos desquelles l'effet suspensif n'était pas automatique (art. 103 al. 2 let. a et b LTF).
c. A______ réplique, relevant que le Ministère public n'avait jamais rendu de décision formelle sujette à recours, le courrier du 6 mai 2024 ne pouvant en particulier pas être considéré comme tel, pour n'être pas signé par une personne habilitée par le code de procédure pénale à le faire. En tout état, au cas où le recours devrait être déclaré sans objet, les frais et dépens devraient être mis à la charge de l'État.
EN DROIT :
1. Le recours pour déni de justice émane de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à obtenir une décision de l'autorité sollicitée (art. 382 al. 1 CPP). Aucun délai n’est requis (art. 396 al. 2 CPP).
Le recours est dès lors, sous cet angle, recevable.
2. Le recourant reproche au Ministère public un déni de justice et un retard injustifié à statuer pour ne pas avoir rendu de décision formelle quant à sa demande de restitution des fonds consignés sur le compte du Pouvoir judiciaire.
2.1. Les art. 29 al. 1 Cst. féd. et 5 CPP garantissent à toute personne le droit à ce que la cause soit traitée dans un délai raisonnable; ils consacrent le principe de célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou celui que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable.
Le caractère approprié de ce délai s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard notamment à la complexité de l'affaire, à l'enjeu du litige pour l'intéressé, à son comportement ainsi qu'à celui des autorités compétentes (ATF
133 I 270 consid. 3.4.2). Des périodes d'activité intense peuvent compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. L'on ne saurait reprocher à l'autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure (ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1); lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut (arrêt du Tribunal fédéral 6B_172/2020 du 28 avril 2020 consid. 5.). Ainsi, seul un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable, pourrait conduire à l'admission de la violation du principe de la célérité (ATF 140 IV 74 consid. 3.2).
Il appartient au justiciable d'entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence, par exemple en l'invitant à accélérer la procédure et à statuer à bref délai, s'il veut pouvoir ensuite soulever ce grief devant l'autorité de recours (ATF 130 I 312 consid. 5.2 ; 126 V 244 consid. 2d).
2.2. En l'espèce, le recourant a requis la restitution de la somme de CHF 198'000.- consignée en mains de l'État, le 25 mars 2024. Dans la mesure où le courrier du 6 mai 2024 ne répond pas aux réquisits de l'art. 80 CPP, il ne saurait être considéré comme une décision. L'eût-il été que le courrier du recourant du 17 mai 2024, a priori adressé dans un délai de dix jours au Ministère public, eût dû être considéré comme un recours et transmis à la Chambre de céans, ce qui n'a pas été fait.
Le premier argument de l'intimé tombe donc à faux.
L'on ne saurait par ailleurs considérer que le délai de quatre mois écoulé entre le dernier échange d'écritures et la décision rendue le 13 décembre 2024 est acceptable, au vu du déroulement de la procédure, étant rappelé que la somme de CHF 198'000.- litigieuse a été consignée en mains du Pouvoir judiciaire à la suite d'un arrêt constatant une violation du principe de célérité et un déni de justice et que ce n'est qu'après avoir été interpellé par la Chambre de céans que l'intimé a statué – près de neuf mois plus tard – sur la demande de restitution du recourant.
Cela étant, cette décision, du 13 décembre 2024, rend sans objet le recours.
3. 3.1. Selon l'art. 428 al. 1 CPP, les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé.
Lorsqu'un procès devient sans objet ou que les parties cessent d'y avoir un intérêt juridique, par exemple parce que l'autorité intimée rend une nouvelle décision qui, matériellement, va dans le sens des conclusions prises dans le recours, il convient de statuer sur les frais afférents à la procédure engagée en tenant compte de l'état de fait existant avant l'événement mettant fin au litige et de l'issue probable de la procédure (ATF 142 V 551 consid. 8.2; arrêt du Tribunal fédéral 7B_598/2024 consid. 10.2 du 5 novembre 2024 consid. 11.1).
3.2. En l'occurrence, pour les motifs exposés ci-dessus, le recours aurait selon toute vraisemblance été admis.
Il s'ensuit que les frais de la procédure seront laissés à la charge de l'État, les sûretés versées restituées au recourant et la somme de CHF 1'500.- réclamée par ce dernier à titre d'indemnité pour ses frais d'avocat, qui apparaît raisonnable, vu les circonstances, allouée.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Déclare le recours sans objet.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ la somme de CHF 1'500.- versée à titre de sûretés.
Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'500.-, TVA incluse.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.
La greffière : Olivia SOBRINO |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).