Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/728/2024 du 10.10.2024 sur OCL/756/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/7253/2024 ACPR/728/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 10 octobre 2024 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance de classement rendue le 3 juin 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 17 juin 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 3 juin précédent, notifiée le 5 suivant, par laquelle le Ministère public, après avoir ordonné le classement à son égard des faits constitutifs de viol, voire contrainte sexuelle, ainsi que de lésions corporelles simples, a refusé de lui allouer une indemnité et/ou un montant à titre de réparation du tort moral (chiffre 3 du dispositif).
Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation du ch. 3 précité et à ce qu'une indemnité de CHF 300.- par jour de détention [76 jours] lui soit allouée, ainsi qu'une juste et équitable indemnité pour les honoraires de son conseil pour la procédure de recours, à raison de 7h30 d'activité au taux horaire de CHF 450.-.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 20 mars 2024 à 10h37, C______ a fait appel au 117 pour annoncer qu'un homme et une femme se battaient dans les WC publics en face de l'hôtel D______. Arrivés sur les lieux, les policiers ont entendu les cris d'une femme provenant des toilettes. Après ouverture de la porte, ils ont constaté que cette femme, E______, se trouvait à quatre pattes, le ventre sur la cuvette des toilettes, son pantalon et sa culotte sur les chevilles. L'homme, A______, se tenait derrière elle, le sexe en érection. E______ hurlait, gesticulait, se débattait et tentait de repousser l'homme. Les policiers ont dû faire usage de la force à plusieurs reprises pour séparer les deux protagonistes. Ils ont constaté des traces de sang sur le pubis de la victime et sur son visage. Des cheveux de A______ se trouvaient au sol.
b. Entendue par la police le même jour à 16h01, E______ a expliqué que A______, qu'elle n'avait jamais vu auparavant, avait poussé la porte des WC; elle avait crié et il lui avait dit "je veux baiser". Ils avaient commencé à se battre. Elle avait reçu des coups de poing au visage et avait essayé de se protéger avec ses mains. A______ avait déchiré son pantalon. Il ne s'était rien passé entre eux d'ordre sexuel, même si l'homme le voulait, dès lors qu'elle s'y était opposée et que la police était arrivée tout de suite.
c. Un constat de lésions traumatiques a mis en évidence chez E______ une tuméfaction à la pommette gauche, à la racine du nez, s'étendant jusqu'au coin interne de l'œil gauche, ainsi qu'un saignement nasal et des ecchymoses dans le dos. L'intéressée a indiqué que l'agresseur l'avait tenue par les cheveux et qu'elle avait mal au cuir chevelu.
d. Il ressort d'images de vidéosurveillance que le 20 mars 2024 à 09h59, E______ et A______ marchaient ensemble dans la rue 1______, puis à 10h07, dans cette même rue, bras-dessus bras-dessous. À 10h13, ils traversaient les voies de circulation de la rue 2______ en direction du lac.
e. Entendu par la police comme prévenu de lésions corporelles simples, de viol et d'infraction à l'art. 115 LEI, A______ a déclaré avoir consommé de la cocaïne avec E______, s'être fait prodiguer une fellation et avoir entretenu une relation sexuelle consentie avec elle, en contrepartie de CHF 100.-. E______ avait voulu sortir des WC car il y avait la police. Elle s'était cognée le nez contre le bas de la porte quand ils "baisaient" et il l'avait tenue par les cheveux, d'où la présence de touffes au sol.
f. Devant le Ministère public, A______, mis en prévention pour viol, contrainte sexuelle, lésions corporelles ainsi que d'infractions aux art. 115 al. 1 let. b LEI et 19a ch. 1 LStup a maintenu ses précédentes déclarations, à l'exception du fait d'avoir éjaculé.
g. Le Ministère public a convoqué une audience de confrontation avec E______ les 3 puis 29 mai 2024, en vain, cette dernière ne s'étant ni présentée ni fait excuser.
h. A______ a été arrêté le 20 mars 2024 et placé en détention provisoire par ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte du 22 mars 2024 jusqu'au 20 juin 2024, décision confirmée par arrêt de la chambre de céans ACPR/297/2024 du 24 avril 2024, puis a été libéré le 3 juin 2024.
i. S'agissant de sa situation personnelle, A______ est de nationalité guinéenne, sans domicile fixe et dormait dans la rue avant son interpellation. Il fait l'objet d'une décision de refus d'asile et de renvoi rendue par le SEM le 16 novembre 2023.
j. Par ordonnance pénale rendue le 3 juin 2024 dans la présente procédure, le Ministère public a reconnu A______ coupable notamment d'infraction à l'art. 115 al. 1 let. b LEI [période pénale du 21 janvier 2024, lendemain de sa dernière condamnation, au 20 mars 2024, date de son interpellation] et l'a condamné à une peine privative de liberté de 80 jours, sous déduction de 76 jours de détention avant jugement. Le Ministère public a en outre révoqué le sursis accordé le 20 janvier 2024 par le Ministère public à la peine pécuniaire de 30 jours-amende, dont à déduire 2 jours de détention avant jugement, pour entrée et séjour illégaux (art. 115 al. 1 let. a et b LEI).
A______ a formé opposition à cette ordonnance le 6 juin 2024. Il conteste uniquement la peine.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu que le recourant ayant été condamné à une peine privative de liberté dépassant la détention provisoire subie, il ne se verrait pas allouer d'indemnité, référence étant faite à l'art. 431 al. 2 et 3 let. b CPP.
D. a. À l'appui de son recours, A______ déplore la durée qui avait été nécessaire au Ministère public pour finalement prendre conscience de son erreur et ce, en l'absence de tout élément nouveau à décharge. Il avait été détenu pendant 76 jours et cette autorité avait attendu 27 jours entre la première et la seconde convocation de E______, pour une audience de confrontation, soit autant de jours de détention inutiles en violation manifeste de l'art. 5 al. 2 CPP. Malgré sa demande, le Ministère public n'avait pas décerné d'ordre de conduite, de sorte que E______ avait fait défaut une seconde fois.
Vu les deux autres infractions en cause, une consommation de stupéfiants passible d'une amende et un séjour illégal en Suisse, il n'encourait aucune peine privative de liberté, raison pour laquelle il avait fait opposition à l'ordonnance pénale du 3 juin 2023.
Le malaise du Ministère public, qui cherchait manifestement à sauver l'argent des contribuables, était palpable, dès lors qu'il ne motivait nullement le refus d'indemnisation et se référait simplement à l'art. 430 al. 1 let. a [sic] CPP. Or, sa décision devait contenir tous les éléments du raisonnement aboutissant à la somme finale allouée.
Le refus de l'indemniser laissait entendre qu'il était coupable des faits reprochés, ce qui violait la présomption d'innocence. On ne pouvait de plus lui reprocher un quelconque comportement dans la procédure – mensonges, machinations – qui aurait prolongé inutilement l'enquête ou conduit à son ouverture et qui devrait aboutir à une restriction de ses droits à être indemnisé ou à une réduction du montant alloué.
Malgré sa demande, la représentation diplomatique de son pays d'origine n'avait pas été informée de son incarcération, ce qui avait aggravé les conditions illégales de sa détention et violait les engagements internationaux de la Suisse. En outre, la Suisse n'était pas intervenue pour préparer son départ vers la Guinée, alors qu'il avait indiqué vouloir y retourner et qu'on lui reprochait un séjour illégal.
Un montant de CHF 300.- par jour de détention devait lui être octroyé compte tenu de la pénibilité de son incarcération "en qualité de violeur, ainsi que l'agression et l'isolement" qui en avaient découlé.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner un point d'une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. Le recourant soutient que c'est à tort que le Ministère public ne lui a pas alloué une indemnité pour les 76 jours qu'il a passés en détention provisoire du 20 mars au 3 juin 2024, et conclut à l'allocation à ce titre d'un montant de CHF 22'800.- (CHF 300.- x 76 jours).
3.1. L'art. 431 CPP garantit une indemnité et une réparation pour tort moral en cas de mesures de contrainte (al. 1) ou de détention illicite (al. 2). Il y a détention excessive (Überhaft) lorsque la détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté ont été ordonnées de manière licite dans le respect des conditions formelles et matérielles, mais que cette détention dépasse la durée de la privation de liberté prononcée dans le jugement, c'est-à-dire dure plus longtemps que la sanction finalement prononcée. En cas de détention excessive selon l'art. 431 al. 2 CPP, ce n'est pas la détention en soi, mais seulement la durée de celle-ci qui est injustifiée. La détention ne sera qualifiée d'excessive qu'après le prononcé du jugement (ATF 141 IV 236 consid. 3.2 p. 238 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_343/2015 du 2 février 2016 consid. 1.2.4).
Conformément à l'art. 51 CP, l'art. 431 al. 2 CPP pose la règle que la détention excessive est d'abord imputée sur une autre sanction et ne peut donner lieu à une indemnisation que si aucune imputation n'est possible. L'imputation de la détention a lieu, en premier, sur les peines privatives de liberté et, en second lieu, sur les autres peines, comme la peine pécuniaire, le travail d'intérêt général et l'amende. La compensation sous la forme de l'indemnisation est subsidiaire. L'intéressé n'a aucun droit de choisir entre l'indemnisation ou l'imputation (ATF 141 IV 236 consid. 3.3 p. 239 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_343/2015 du 2 février 2016 consid. 1.2.4 ; 6B_558/2013 du 13 décembre 2013 consid. 1.5 ; 6B_169/2012 du 25 juin 2012 consid. 6 ; 1B_179/2011 du 17 juin 2011 consid. 4.2).
3.2. En l’espèce, le recourant, détenu du 20 mars au 3 juin 2024, l'a été licitement, sur la base d'une ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte, confirmée par la Chambre de céans, considérant notamment des charges suffisantes et graves. En tant que le recourant soutient aujourd'hui que dite détention serait illégale, car violant les engagements internationaux de la Suisse, son grief est exorbitant au présent litige. Tout comme le manque de diligence dans la conduite de la procédure, alors qu'il était détenu, qu'il reproche au Ministère public.
Le Ministère public a ici classé les infractions de viol, contrainte sexuelle et lésions corporelles simples. La détention avant jugement subie par le recourant a ainsi été entièrement imputée sur la peine prononcée dans l'ordonnance pénale rendue le 3 juin 2024 dans la présente procédure. Contrairement à ce que prétend le recourant, on comprend parfaitement des termes de ladite ordonnance que le Ministère public a retenu qu'aucune indemnité ne lui serait allouée, compte tenu de l'imputation de la peine privative de liberté [de 80 jours selon ordonnance pénale notifiée en même temps au recourant, pour séjour illégal], sur les 76 jours de détention avant jugement. On ne voit ainsi pas en quoi cette imputation, prévue par la loi, trahirait une quelconque culpabilité.
Si l'ordonnance pénale du 3 juin 2024 n'est pas encore définitive, puisque le recourant y a fait opposition, il appartiendra au Ministère public (dans sa décision sur opposition) ou au juge du fond (en cas de maintien de celle-ci) de se prononcer sur le sort de ladite détention avant jugement.
Partant, le Ministère public était également fondé, dans l'ordonnance entreprise, à rejeter la demande d'indemnisation du prévenu pour tort moral subi en relation avec sa détention provisoire.
4. Le recours sera ainsi rejeté et l'ordonnance entreprise confirmée.
5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- pour l'instance de recours (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). L'autorité de recours est en effet tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).
6. L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente ; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES TOP, greffier.
Le greffier : Xavier VALDES TOP |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/7253/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |