Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/710/2024 du 04.10.2024 ( JMI ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/10599/2024 ACPR/710/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 4 octobre 2024 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocate,
recourant
contre l'ordonnance d'établissement d'un profil ADN rendue le 29 août 2024 par le Juge des mineurs,
et
LE JUGE DES MINEURS, rue des Chaudronniers 7, 1204 Genève, case postale 3686, 1211 Genève 3,
intimé
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 10 septembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 29 août précédent, notifiée le 2 septembre suivant, par laquelle le Juge des mineurs a ordonné l'établissement de son profil ADN.
Le recourant conclut, sous suite de frais, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif et, principalement, à l'annulation de la décision attaquée et à la destruction de tout profil ADN éventuellement déjà établi.
b. Par ordonnance du 11 septembre 2024, la Direction de la procédure de la Chambre de céans a accordé l'effet suspensif sollicité et enjoint au Juge des mineurs de s'abstenir, jusqu'à droit connu sur le recours, de faire analyser ou d'exploiter le résultat issu du prélèvement d'ADN exécuté sur A______ (OCPR/48/2024).
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a.a. Une instruction est ouverte contre A______ pour tentative de lésions corporelles graves, voire tentative de meurtre, lésions corporelles simples, menaces et empêchement d'accomplir un acte officiel. Il lui est notamment reproché d'avoir, le 28 avril 2024, au Foyer C______, à D______ [GE], au moyen d'un couteau, tenté de blesser, voire de tuer, les jeunes E______ et F______; blessé à la main, G______, agent de sécurité, qui tentait de s'interposer; et menacé de mort H______, éducateur.
A______ a pu être interpellé, peu après, sans que le couteau ne soit toutefois retrouvé.
a.b. G______ et H______ ont déposé plainte.
b. Auditionné par la police le 28 avril 2024, A______ a contesté les faits reprochés. Il s'était muni d'un couteau dans le seul but d'effrayer des autres jeunes qui s'étaient montrés menaçants. Il n'avait pas menacé l'éducateur. L'agent de sécurité s'était blessé tout seul en cherchant, en vain, à s'emparer du couteau par la force. Il avait lancé le couteau dans la forêt.
c. Le même jour, le Juge des mineurs a ordonné l'établissement d'un constat de lésions traumatiques sur l'agent de sécurité blessé. Sous la rubrique "victime d'infraction à la (aux) disposition(s) suivante(s)", il est écrit "art. 22/111 CPS" (cf. constat de lésions traumatiques du 28 avril 2024, figurant au dossier, à la suite de la plainte de G______).
d. Le 29 avril 2024, la police a établi un rapport d'arrestation (TPAO 240428/1______), en lien avec les faits décrits ci-dessus. Il en ressort notamment que l'agent de sécurité blessé avait fait l'objet d'un constat de lésions traumatiques auprès d'un médecin légiste (cf. rapport d'arrestation du 29 avril 2024, p. 5).
e. Par mandat du même jour, se référant expressément au rapport d'arrestation (TPAO 240428/1______) susmentionné, la police a ordonné la saisie des données signalétiques de A______ et le prélèvement de son ADN. Sous la rubrique "infraction(s) reprochée(s)", il est mentionné "tentative de meurtre, lésions corporelles simples, menaces et empêchement d'accomplir un acte officiel ".
f. Lors de l'audience de mise en prévention du 29 avril 2024, A______ a confirmé ses déclarations de la veille.
À l'issue de son audition, il a été placé en détention provisoire au I______.
g. Le 6 mai 2024, A______, par l'intermédiaire de son conseil, a consulté le dossier et en a demandé une copie.
h. Une audience de confrontation entre A______ et l'agent de sécurité blessé s'est tenue le 8 mai 2024. Le prévenu y était assisté de son conseil.
En substance, l'agent de sécurité a exposé avoir craint que le prévenu, qui agitait un couteau, ne le lance en direction des jeunes présents. Il avait donc voulu le lui ôter des mains. À cette fin, il l'avait bloqué, avec sa main droite, en le poussant contre une porte vitrée, et avait avancé son autre main pour le maîtriser. Il avait saisi le poignet droit du prévenu, soit celui qui tenait le couteau. À ce moment-là, le prévenu avait tourné sa main, d'où sa lésion à la main gauche.
La plaie n'était pas profonde, de sorte qu'il n'avait pas été nécessaire de la suturer. Il avait vu le médecin légiste l'après-midi même des faits (cf. procès-verbal d'audience du 8 mai 2024, p. 3).
i. Parallèlement, une nouvelle instruction – d'abord conduite sous le numéro de procédure P/18509/2024, puis jointe à la présente procédure – a été ouverte contre A______ du chef de voies de fait. Dans ce cadre, il lui est reproché d'avoir craché au visage d'une agente de sécurité pénitentiaire, J______, le 2 mai 2024. Ces faits ont fait l'objet d'un rapport de renseignements du 31 juillet 2024 (TPAO 240503/2______).
j. Le 5 juillet 2024, A______ a également été prévenu, à titre complémentaire, de violences contre les autorités et les fonctionnaires, en lien avec des faits s'étant produits, le 27 mai 2024, durant sa détention au I______.
C. a. Dans sa décision querellée, qui se réfère en entête au rapport d'arrestation TPAO 240428/1______, le Juge des mineurs ordonne l'établissement du profil d'ADN de A______, au motif qu'il était soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit susceptible d'être élucidé par ce moyen. En particulier, l'une des victimes avait fait l'objet d'un constat de lésions traumatiques. Des prélèvements opérés sur celle-ci pourraient ainsi être comparés avec l'ADN du prénommé (art. 255 al. 1 CPP).
b. A______, faisant suite à la décision précitée, a, le 3 septembre 2024, sollicité du Juge des mineurs l'envoi d'une copie du dossier, d'ici au 6 septembre 2024. Par timbre humide apposé directement sur cette lettre, le Juge des mineurs a accepté sa demande, précisant à la main: "mais pas dans le délai fixé!". A______, par l'intermédiaire de son conseil, a, par conséquent, consulté le dossier, le 9 septembre 2024, et en a, à cette occasion, demandé une copie.
D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir que la motivation de la décision querellée était lacunaire et violait tant les conditions de l'art. 255 CPP que son droit à une défense effective. Elle se fondait sur un constat de lésions traumatiques dont il n'avait pas eu connaissance au jour du dépôt du recours. Le principe de proportionnalité, tel que concrétisé à l'art. 197 al. 1 CPP, était également violé.
L'établissement de son profil d'ADN n'avait, compte tenu des actes d'instruction déjà réalisés, aucune utilité pour l'élucidation des faits du 2 mai 2024 relatifs au crachat sur l'agente de sécurité pénitentiaire. Ces faits étaient, de plus, constitutifs de voies de fait, soit d'une contravention et non d'un crime ou d'un délit, tels qu'exigés par l'art. 255 CPP. Les voies de fait ne figuraient, de surcroît, pas dans la Directive du procureur général "A.5 c. 4.2", listant les infractions pouvant donner lieu à l'établissement d'un profil ADN. Enfin, l'autorité intimée n'indiquait pas quels seraient les indices concrets laissant présumer qu'il pourrait avoir commis d'autres crimes ou délits qui justifieraient l'établissement de son profil ADN.
b. Le Juge des mineurs n'a pas formulé d'observations.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 3 al. 1 PPMin; 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 3 al. 1 et 39 al. 1 PPMin ; 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu mineur qui, partie à la procédure (art. 38 al. 1 let. a PPMin; 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 38 al. 3 PPMin; art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant reproche au Juge des mineurs la violation de son droit d'être entendu, faute de motivation de la décision, laquelle se fonderait, de surcroît, sur un constat de lésions traumatiques dont il n'aurait pas eu connaissance.
2.1. Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d'avoir accès au dossier, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 218 consid. 2.3; 140 I 285 consid. 6.3.1).
Ce droit comprend également l'obligation pour l'autorité de motiver ses décisions afin que le destinataire puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2).
2.2. En l'espèce, la motivation du Juge des mineurs est certes succincte. Cependant, il y est explicitement fait référence au rapport d'arrestation TPAO 240428/1______, en lien avec les faits ayant donné lieu à l'interpellation du recourant, le 28 avril 2024.
Une telle motivation permettait, dès lors, au recourant – dont l'ADN a été prélevé par la police pour "Tentative de meurtre, lésions corporelles simples, menaces et empêchement d'accomplir un acte officiel" – de comprendre la décision et de la contester dans le cadre de son recours, ce qu'il a fait.
En toute hypothèse, il faudrait considérer qu'une éventuelle violation de son droit d'être entendu aurait été réparée dans le cadre du présent recours, puisqu'il a eu l'occasion de s'exprimer librement et exhaustivement par-devant la Chambre de céans, qui jouit d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 393 al. 2 CPP; ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2).
Par ailleurs, force est de constater que la décision attaquée s'appuie sur un constat de lésions traumatiques figurant au dossier, et qui a, de surcroît, été évoqué dans le rapport d'arrestation du 29 avril 2024 précité, ainsi que lors de l'audience de confrontation du 8 mai 2024, à laquelle tant le recourant que son conseil ont assisté. Le recourant a, de plus, consulté le dossier de la procédure, à deux reprises, les 6 mai et 9 septembre 2024, soit avant le dépôt de son recours, ce qui lui a donné l'occasion d'en prendre connaissance. Il ne saurait ainsi être suivi lorsqu'il affirme n'avoir pas eu accès à cette pièce au jour du dépôt du recours.
Partant, le grief est entièrement infondé.
3. Le prévenu considère que les conditions pour établir et exploiter son profil d'ADN ne seraient pas réalisées.
3.1. Selon l'art. 255 al. 1 let. a CPP, l'établissement d'un profil d'ADN peut être ordonné sur le prévenu pour élucider le crime ou le délit sur lequel porte la procédure.
3.2. L'ordonnance de prélèvement d'un échantillon d'ADN permet de récolter du matériel biologique sur une personne en vue de l'établissement d'un profil d'ADN. La police peut ordonner et effectuer le prélèvement non invasif d'échantillons (art. 255 al. 2 let. a CPP; ATF 141 IV 87 consid. 1.3.2; cf. Message du Conseil fédéral du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2005 1057 ss, ch. 2.5.5 p. 1223; arrêt du Tribunal fédéral 1B_568/2021 du 22 février 2022 consid. 3.1.2).
3.3. L'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN permet d'utiliser l'échantillon d'ADN afin d'établir la combinaison alphanumérique de la personne sur laquelle celui-ci a été prélevé à l'aide de techniques relevant du domaine de la biologie moléculaire, à partir des segments non codants de la molécule d'ADN dans le but de pouvoir l'identifier de manière indiscutable (cf. Message du Conseil fédéral du 8 novembre 2000 relatif à la loi fédérale sur l'utilisation de profils d'ADN dans le cadre d'une procédure pénale et sur l'identification de personnes inconnues ou disparues, FF 2001 19, ch. 2.1.1 p. 26). L'établissement d'un profil d'ADN peut être ordonné par le ministère public ou les tribunaux (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.2; cf. Message du Conseil fédéral du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2005 1057 ss, ch. 2.5.5 p. 1223; arrêt du Tribunal fédéral 1B_568/2021 du 22 février 2022 consid. 3.1.3).
3.4. L'art. 255 CPP ne permet pas le prélèvement routinier d'échantillons d'ADN et leur analyse, ce que concrétise l'art. 197 al. 1 CPP. Selon cette disposition, des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d). Les antécédents doivent également être pris en compte. Cependant, l'absence d'antécédents n'exclut pas en soi l'établissement d'un profil d'ADN (ATF 147 I 372 précité consid. 2.1; ATF 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2 et 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.1).
3.5. En l'occurrence, il résulte clairement de l'ordonnance querellée et des faits de la cause que le recourant s'est vu prélever son ADN non pas, comme il le laisse entendre, pour établir un profil pouvant être utilisé dans l'élucidation d'une infraction de voies de fait, mais pour élucider les infractions objets de la présente procédure, en tant qu'elle vise les faits du 28 avril 2024, selon le rapport d'arrestation du 29 avril 2024 (TPAO 240428/1______), soit principalement des infractions de tentative de lésions corporelles graves, voire de tentative de meurtre, lésions corporelles simples et menaces.
C'est dans ce cadre qu'un constat de lésions traumatiques a été ordonné par le Juge des mineurs sur l'agent de sécurité blessé avec un couteau. Les prélèvements opérés sur le précité pourraient ainsi être comparés avec l'ADN du recourant. Or, quoiqu'en dise celui-ci – même si plusieurs actes d'instruction ont déjà été réalisés – il n'a pas reconnu les faits s'étant produits le 28 avril 2024. En particulier, il soutient que l'agent de sécurité se serait blessé tout seul, en cherchant à s'emparer du couteau, lequel n'a, au demeurant, pas été retrouvé, tandis que le plaignant affirme avoir été blessé à la suite d'un mouvement du prévenu.
L'acte entrepris se justifie ainsi pour les besoins de l'enquête visant à circonscrire le rôle et l'implication du prévenu. Le prélèvement d'ADN est une mesure impliquant une atteinte légère à ses droits personnels, proportionnée par rapport aux infractions graves dont il est soupçonné.
Par conséquent, le recours doit être rejeté.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). L'autorité de recours est en effet tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).
6. Il sera statué sur l'indemnité du défenseur d'office à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Juge des mineurs.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/10599/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 515.00 |
Total | CHF | 600.00 |