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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6342/2023

ACPR/544/2024 du 24.07.2024 sur OMP/1045/2024 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : BANQUE;CLIENTÈLE;LÉSÉ;PROPRIÉTÉ;TITRE INTERMÉDIÉ;PAPIER-VALEUR;CONTRAT DE COMMISSION
Normes : CPP.115; CP.146; CP.251; CP.138; CP.158; CO.425; CO.436; LDIP.16

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6342/2023 ACPR/544/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 24 juillet 2024

 

Entre

A______ S.p.A., représentée par Mes Saverio LEMBO, Louis Frédéric MUSKENS et
Adam ZAKI, avocats, BÄR & KARRER SA, quai de la Poste 12, 1211 Genève,

recourante,


contre l'ordonnance de refus de qualité de partie plaignante rendue le 16 janvier 2024 par le Ministère public,

et

B______ (SUISSE) SA, représentée par Me C______, avocat,

D______, représenté par Me Matteo PEDRAZZINI, avocat, rue de Candolle 11,
1205 Genève,

E______, représenté par Me Michel BUSSARD, avocat, avenue de Champel 29,
1206 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 29 janvier 2024, A______ S.p.A. recourt contre l'ordonnance du 16 précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public lui a, d'une part, dénié la qualité de partie plaignante (ch. 1 du dispositif) et, d'autre part, "[d]onn[é] ordre", sous la menace de l'art. 292 CP, de restituer la copie des pièces du dossier en sa possession, respectivement de ne pas utiliser ces pièces à des fins externes à la cause (ch. 2).

Elle conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 6'000.-, à l'annulation de cette décision, le statut de lésé devant lui être reconnu et son droit de conserver ainsi que d'utiliser sans restriction les documents susvisés, confirmé.

b. Par ordonnances des 31 janvier (OCPR/6/2024) et 16 février (OCPR/14/2024) 2024, la Chambre de céans a rejeté les requêtes de la banque tendant à l'octroi de l'effet suspensif à son recours et au prononcé de mesures provisionnelles.

c. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ S.p.A.

a.a. Cette société, qui a son siège à F______ (Italie; pièces 1 et 2 du chargé du 22 mars 2023), offre à ses clients des services de gestion de fortune et de conseil en placement.

a.b. Le premier de ces services (gestion de fortune) fait l’objet d’un contrat-type (pièce 49 du chargé du 22 mars 2023) qui prévoit que : les rapports entre l'établissement et le client sont soumis aux règles du mandat, ancrées aux art. 1703 et ss du Code civil italien (ci-après : CC it.; art. 1.1); les actifs sous gestion sont et restent la propriété du client (art. 2.3); le patrimoine confié à la banque doit être maintenu séparé, sur les plans comptable et documentaire, de celui appartenant aussi bien à l'institution qu'aux autres clients (art. 2.5); la banque, lors de l'exécution du mandat, agit conformément à l'art. 1705 CC it., c'est-à-dire en son propre nom, mais pour le compte et dans l'intérêt exclusif du client (art. 3.1).

a.c. Le second desdits services (conseil en placement) est également réglementé par un contrat-type (pièce 51 du chargé du 22 mars 2023), à teneur duquel : l'établissement fournit des recommandations personnalisées au client concernant un/des instrument(s) financier(s) spécifique(s) (art. 17.1); ce dernier reste libre de traduire ou non en ordres d'investissement les conseils reçus de la banque et, dans l’affirmative, de recourir à un autre intermédiaire que celle-ci (art. 17.3).

b. B______

b.a. Ce groupe de sociétés se compose d'une entité mère, B______ SA, sise au Luxembourg (pièce 6 du chargé du 22 mars 2023), et de ses filiales, incorporées dans différents pays d'Europe (pièce 8 du chargé du 22 mars 2023). Il est actif dans le domaine du financement commercial (Trade finance; pièce 10 du chargé du 22 mars 2023).

b.b. B______ (SUISSE) SA, située à Genève (pièce 18 du chargé du 22 mars 2023), en fait partie, tout comme G______ SA, société de droit luxembourgeois (PP 100'013 et PP 400'011).

b.c. D______, résident anglais, exerce des fonctions dirigeantes au sein de B______ SA (pièce 12 du chargé du 22 mars 2023).

Il est, conjointement avec E______, lequel vit en Suisse, administrateur de B______ (SUISSE) SA (pièce 18 du chargé du 22 mars 2023).

c. Opérations litigieuses

c.a. Entre octobre 2018 et juin 2020, le groupe B______ a conçu, pour A______ S.p.A. et ses clients, quatre opérations de titrisation de créances (ci-après : les opérations Trade Finance I, II, III et IV, abrégées TF I, TF II, TF III et TF IV), portant sur un montant global de l'ordre d'EUR 480 millions (pièces 27 à 30 ainsi que pièces 59 page 6, 60 page 6, 61 page 6 et 64 page 6 du chargé du 22 mars 2023).

c.b. Afin de mettre en œuvre ces opérations, B______ (SUISSE) SA et G______ SA ont conclu quatre accords (Master Transfer Agreements; pièces 37 à 40 du chargé du 22 mars 2023). De plus, G______ SA a élaboré un prospectus pour chacune d'elles (pièces 27 à 30 du chargé du 22 mars 2023). Ces documents prévoyaient que :

·           B______ (SUISSE) SA vendait à G______ SA des portefeuilles de créances, dont les débiteurs étaient localisés dans des pays en voie de développement;

·           ces créances pouvaient être garanties (may be guaranteed) par des polices d'assurance, proposées par des agences de crédit à l'exportation (ci-après : les garanties ACE);

·           G______ SA émettait des parts représentatives desdites créances, sous la forme de titres obligataires [non cotés en bourse], intitulés Senior Notes, qu'elle vendait à des investisseurs;

·           ces titres conféraient à leur détenteur un droit au paiement d'un intérêt annuel (oscillant entre 3% et 3.125%) et au remboursement du capital (valeur nominale des titres) à une échéance convenue, sommes dues par G______ SA;

·           B______ (SUISSE) SA se chargeait, en qualité d'agent d'encaissement (Collection Agent), d'administrer, de gérer et de recouvrer les créances sous-jacentes aux titres, puis de reverser à G______ SA les paiements obtenus à ces occasions;

·           les sommes à régler par G______ SA aux titulaires des Senior Notes devaient l'être au moyen, principalement, de ces paiements.

c.c. La souscription des titres précités a fait l'objet de quatre contrats, soumis au droit italien, passés entre G______ SA et A______ S.p.A. (pièces 52, 53, 55 et 62 du chargé du 22 mars 2023).

c.c.a. La banque s'y est engagée :

·        s'agissant des opérations TF I et II (Senior Notes Subscription Agreements; pièces 52 et 53 sus-évoquées) : à souscrire, en son propre nom (Initial Subscriber), pour le compte de ses clients (on behalf of its clients : art. 3.1.3 de la première convention et 3.1.2 de la seconde), l'intégralité des titres à émettre par G______ SA;

·        concernant les opérations TF III et IV (Placement Agreements; pièces 55 et 62 susvisées) : à faire souscrire les Senior Notes directement par ses clients.

c.c.b. Pour sa part, G______ SA était tenue de fournir à A______ S.p.A., aussi longtemps que les titres ne seraient pas intégralement remboursés (so long as any of the Senior Notes are outstanding), toute information utile à leur sujet.

c.d. La vente et l'acquisition des Senior Notes se sont déroulées comme suit :

c.d.a. Les titres issus des opérations TF I-IV ont été intégralement payés par A______ S.p.A., entre octobre 2018 et mai 2021, au moyen de comptes dont elle est titulaire (pièces 201 à 204, produites à l'appui de la missive du 25 mai 2023).

À cet effet, elle a ordonné le débit aussi bien d’une relation nostro lui appartenant, ouverte dans les livres de l'une de ses succursales, à F______, que d'un compte de dépôt détenu auprès d'un établissement italien ("H______, Succursale Italia").

c.d.b. À réception de ces sommes, G______ SA a transféré les titres concernés sur un compte de dépôt global de A______ S.p.A. (pièce 203, produite à l'appui de la missive du 25 mai 2023).

c.d.c. Quelques jours/semaines après ces transferts (pièces 8 à 10, 12 à 14 et 16 du chargé du 29 janvier 2024), A______ S.p.A. a :

·        débité les comptes courants des clients concernés par les opérations TF I-IV du prix d'achat des Senior Notes (en y inscrivant, outre la date de l’écriture comptable, celle du jour où elle-même avait payé les titres [date de valeur]);

·         porté au crédit des relations de dépôts de titres de ces mêmes clients lesdites Senior Notes (à la date de l'écriture comptable).

c.e. G______ SA n'a pas remboursé, aux échéances convenues, certaines des Senior Notes issues des opérations sus-décrites. Au début du mois de mars 2023, le manco s'élevait à EUR 176 millions environ (pièces 59 page 6, 60 page 6 et 61 page 6 du chargé du 22 mars 2023).

d. Procédure pénale diligentée en Suisse

d.a. Le 22 mars 2023, A______ S.p.A. a déposé plainte (PP 100'001 et ss) contre "toute personne susceptible [d'être] impliquée" dans les faits décrits ci-après, constitutifs, selon elle, d'escroquerie (art. 146 CP), faux dans les titres (art. 251 CP), abus de confiance (art. 138 CP) et gestion déloyale (art. 158 CP).

d.a.a. S'agissant de la première infraction, "les membres du [g]roupe B______ et en particulier de B______ [(SUISSE) SA]" l'avaient astucieusement déterminée à souscrire les Senior Notes, puis à les distribuer à ses clients (PP 100'075).

Tout d'abord, elle avait reçu des assurances aussi bien orales – de la part de E______ (PP 100'076) – qu'écrites – via des documents, dont certains établis par B______ (SUISSE) SA (PP 100'038 à 100'045 et les nombreuses pièces qui y sont listées) –, selon lesquelles les créances sous-jacentes à l'ensemble des Senior Notes bénéficiaient de garanties ACE (PP 100'076). Cette information était d'importance. En effet, comme les débiteurs des créances titrisées étaient localisés dans des pays émergents, celles-ci présentaient un risque élevé de défaut de paiement, risque que lesdites garanties permettaient précisément de "mitiger" (PP 100'039 et s.). Or, elle avait découvert, après la souscription et la distribution des titres, que tel n'était pas le cas (PP 100'076 et s.).

Ensuite, elle avait été trompée sur les conditions-cadres des opérations TF I-IV, dès lors que B______ (SUISSE) SA, qui était censée vendre à G______ SA les créances à des prix correctement calculés, puis reverser à cette dernière, fidèlement et ponctuellement, les sommes recouvrées, semblait avoir vendu certains actifs à des tarifs surfaits et détourné une partie des montants encaissés, pour les conserver (PP 100'077 et s.).

Si elle avait su [à bien la comprendre] que les animateurs du groupe B______ avaient eu pour intention, dès le début, d'émettre les Senior Notes à des prix (valeur nominale) nettement supérieurs à leur valeur réelle (compte tenu de l'absence de garanties ACE, de la surévaluation d’actifs et de la volonté initiale desdits animateurs de mettre la main sur divers investissements), elle n'aurait jamais participé aux opérations précitées (PP 100'078 et s.).

Dite participation avait induit – tant pour elle-même que pour les neuf cents clients concernés par ces opérations, dont trois cent nonante-six étaient "sous mandat de gestion" et cinq cent quatre "sous contrat de conseil en placement" (PP 100'022 § 90, 100'024 § 98, 100'026 § 104 et 100'027 § 110) –, d’une part, des manques à gagner (en ce sens que les intérêts sur les titres auraient dû être fixés, non à 3%-3.125%, mais à 8% au vu de l'absence de garanties ACE) et, d’autre part, des pertes (défaut de remboursement intégral du capital aux échéances convenues; PP 100'079).

d.a.b. Concernant l'infraction à l'art. 251 CP, le "[g]roupe B______ et essentiellement B______ [(SUISSE) SA]" avaient établi, entre autres documents, des rapports trimestriels, intitulés Asset Manager Reports (PP 100'032 à 100'035 et les pièces qui y sont citées). Ces documents, qui constituaient des titres, détaillaient le contenu des portefeuilles d’actifs titrisés (PP 100'083).

La teneur des rapports émis entre janvier 2019 et septembre 2021 était mensongère, puisqu'il y était stipulé que les créances sous-jacentes aux Senior Notes étaient couvertes par des garanties ACE. Ces fausses informations étaient destinées à la convaincre de continuer de souscrire des titres au fur et à mesure de leur émission. D'ailleurs, les rapports établis postérieurement au 28 février 2022 – soit à l'issue de la distribution des dernières Senior Notes de l'opération TF IV – ne faisaient plus mention de telles garanties (PP 100'083).

Elle s'était fondée sur ces premiers rapports, erronés, qui lui étaient exclusivement destinés, pour établir, à l'intention de ses clients détenteurs de Senior Notes, ses propres comptes rendus (Advanced Consulting Reports), dans lesquels elle avait, en conséquence, fait état de l'existence desdites garanties. Le groupe B______, auquel elle soumettait en principe ces comptes rendus pour vérification et validation avant de les envoyer à ses clients, n'avait jamais rectifié une telle mention (PP 100'033 § 139 ainsi que 100'042 à 100'045 et les pièces qui y sont listées).

d.a.c. S'agissant des actes potentiellement constitutifs d'abus de confiance et de gestion déloyale, ils consistaient dans le fait, pour B______ (SUISSE) SA, d'avoir, en sa qualité de venderesse, surfacturé à G______ SA certaines des créances à titriser, laquelle les avait, à son tour, revendues aux mêmes prix, ainsi que d'avoir, en sa qualité d'agent d'encaissement, détourné une partie des fonds recouvrés, destinés à cette dernière société et in fine à ses clients [i.e. ceux de la banque] (PP 100'081 et s.).

À cela s'ajoutait que B______ (SUISSE) SA n’était pas la propriétaire de toutes les créances cédées à G______ SA, plusieurs étant détenues par une société tierce (I______ LTD), dont l'entité genevoise était elle-même créancière (de sorte que G______ SA ne disposait d'aucune prétention directe sur lesdites créances, mais uniquement d'un droit de participer aux gains que I______ LTD pourrait en retirer; PP 100'058). De plus, B______ (SUISSE) SA avait, dans le cadre de la gestion des actifs sous-jacents aux Senior Notes, vendu une partie de celles-là à un prix sensiblement inférieur à celui auquel G______ SA les lui avait achetées (PP 100'061 et ss).

d.b. Le 15 mai 2023, le Ministère public a ouvert une instruction contre B______ (SUISSE) SA, représentée par ses administrateurs, D______ et E______, du chef des quatre infractions précitées (PP 300'003).

d.c.a. A______ S.p.A., qui s'est constituée partie plaignante (PP 100'087), a été entendue en cette qualité par le Procureur (PP 500'000 et ss).

Elle a précisé avoir distribué l’intégralité des Senior Notes à ses clients. Elle avait récemment décidé, au vu des pertes subies par ces derniers, d'en indemniser certains, afin de conserver sa "bonne réputation".

d.c.b. A______ S.p.A. a reçu une copie intégrale du dossier, lequel comprend, entre autres documents, de nombreuses pièces saisies dans les locaux de B______ (SUISSE) SA (PP 600'078, PP 600'181 ainsi que PP 300'004 et ss).

d.d. D______ et E______ ont nié tout acte pénalement répréhensible (PP 500'019 et s.).

d.e. Les deux prénommés ayant contesté la qualité de partie plaignante de la banque, celle-ci et ceux-là ont déposé des observations sur ce point (rédigées entre juin et novembre 2023), traitant, pour l'essentiel, de l'infraction d'escroquerie.

d.e.a. D’après A______ S.p.A., le statut de lésé devait lui être reconnu (PP 600'396 et ss ainsi que 600'558 et ss).

i. Son dommage consistait dans l'acquisition des Senior Notes à un prix supérieur à leur valeur réelle (PP 600'399).

S'agissant des opérations TF I et II, elle avait acheté ces titres en son propre nom, avec des fonds lui appartenant, titres qu'elle avait ensuite, soit "logé[s]" dans les portefeuilles de ses clients bénéficiant d’un mandat de gestion, soit revendus à ceux disposant d'un contrat de conseil en placement (PP 600'399 et s.) – étant relevé que ces derniers clients s'étaient, dès le début desdites opérations, engagés envers elle à acquérir les Senior Notes (PP 600'401 § 55) [allégué que la banque illustre en produisant, sous pièces 7, 11 et 15 du chargé du 29 janvier 2024, plusieurs formulaires de souscription ad hoc] –.

Concernant les opérations TF III et IV, les titres avaient été "formellement" souscrits par ses clients. "Cela dit, de manière inhérente au rapport bancaire, c'[était] juridiquement [elle-même] qui s'[en] [était] portée acquéreuse", pour leur compte, en réglant le prix d'achat avec ses propres fonds. Concrètement, elle avait, tout d'abord, bloqué [au titre de garantie] les sommes nécessaires à ces achats sur les relations desdits clients, puis, après avoir personnellement acquis les Senior Notes, avait débité/crédité les relations de comptes courant/de dépôt des sommes/titres concernés (PP 600'400).

Aussi avait-elle subi un dommage direct qui, bien que temporaire, suffisait pour admettre sa qualité de partie plaignante (PP 600'562). Le patrimoine de ses clients n’avait été affecté qu'a posteriori, au moment où elle avait débité leurs comptes du prix des Senior Notes (PP 500'559 et 600'562).

La question de savoir qui, d'elle-même ou de ses clients, étaient devenus propriétaires des titres litigieux à l'époque de leur souscription/acquisition souffrait de demeurer indécise. En effet, une telle question, technique, devait se résoudre au regard du droit italien; or, il n'appartenait pas au Ministère public d'y répondre à ce stade précoce de l'enquête, où la vraisemblance d'une atteinte suffisait (PP 600'562).

ii. À l'appui de ses allégués, A______ S.p.A. a produit deux avis de droit, établis par des professeurs universitaires suisse (PP 600'564 et ss) et italien (PP 600'601 et ss).

Il en ressort, pour l’essentiel, que dans la mesure où la précitée avait acheté les Senior Notes avec ses propres fonds, elle avait été directement touchée dans son patrimoine par l'infraction alléguée d'escroquerie.

d.e.b. Selon D______ (PP 600'353 et ss ainsi que 600'519 et ss), seuls les clients de la banque pourraient être lésés par les actes violant prétendument l’art. 146 CP.

i. A______ S.p.A. n'avait subi aucune atteinte directe à son patrimoine, faute d'avoir été la propriétaire des Senior Notes (PP 600'520). En effet, elle avait acheté ces titres, non pour son propre compte, dans l'optique de les revendre subséquemment à ses clients – reventes qui n'étaient, du reste, étayées par aucune pièce –, mais pour le compte de ceux-là (PP 600'354 et s. ainsi que 600'520 et s.).

Quoi qu'il en soit, même à admettre que la banque fût devenue, "pendant un instant", propriétaire des Senior Notes, elle ne l'aurait été que dans le but d'en transférer simultanément la titularité à ses clients; elle n'avait donc jamais supporté le risque financier lié aux opérations TF I-IV, non plus que disposé d'expectatives sur la "valeur réelle" des Senior Notes (PP 600'520).

ii. À l'appui de ses déterminations, D______ a produit un "avis pro veritate" établi par un professeur d’université italien (PP600'539 et ss).

Il en résulte qu’en droit italien (PP 600'544 et s.) le mandataire qui agit en son propre nom, mais pour le compte du mandant, acquiert les droits et assume les obligations "découlant de l'opération" (art. 1705 CC it.). Lorsque les biens achetés sont des immeubles ou des choses mobilières "inscrit[e]s dans des registres publics", le premier est tenu d'en transférer la propriété au second par un acte spécifique ultérieur (art. 1706 al. 2 CC it.). En revanche, s'il s'agit de "biens meubles non enregistrés, comme certainement les [Senior Notes]", la doctrine déduit de l'art. 1706 al. 1 CC it. – disposition qui permet au mandant de "revendiquer" immédiatement de tels biens – que ce dernier en "acquiert déjà la propriété (…) sans qu'un autre acte de transfert ultérieur ne soit nécessaire".

d.e.c. E______ a fait siens les arguments de D______, sans autre commentaire (PP 600'389).

d.f. B______ (SUISSE) SA a également contesté la qualité de partie plaignante de A______ S.p.A. (PP 600'625 et ss).

d.f.a. Elle s’est prévalue, dans une missive du 7 décembre 2023, d'arguments similaires à ceux avancés par D______, ajoutant que le cas d’espèce s'apparentait à une escroquerie dite triangulaire. En effet, A______ S.p.A., qui affirmait avoir été astucieusement trompée lors de l'acquisition des titres litigieux, "p[ouvai]t [certes] se dire dupe, mais pas lésée", seuls ses clients, titulaires desdits titres, étant susceptibles de bénéficier d'un tel statut (PP 600'631 et s.).

d.f.b. Le Procureur n'a pas communiqué ce pli à la banque pour détermination (pièce 5 du chargé du 29 janvier 2024).

e. Procédure pénale diligentée en Italie

e.a. Le Ministère public italien instruit, depuis 2022, une procédure contre des membres du groupe B______, parmi lesquels D______ et E______, qu’il soupçonne d’avoir commis des infractions lors de différentes opérations de titrisation (PP 100'072).

Dite procédure a été étendue, courant 2023, aux opérations TF I-IV, à la suite d’une plainte pénale déposée par A______ S.p.A. (PP 100'073).

e.b.a. Par "arrêté" du 11 mars 2024, le Tribunal de J______ [Italie] a rejeté une requête formée par le Ministère public italien tendant au prononcé de "séquestre[s] préventif[s]" (pièce 6 du chargé du 13 mai 2024).

Il a motivé ce refus, s’agissant des opérations TF I-IV, par le fait que A______ S.p.A. n’était pas habilitée à faire valoir de dommage en lien avec celles-ci. En effet, elle n’était jamais devenue propriétaire des Senior Notes, compte tenu de son obligation de maintenir ses actifs séparés de ceux de ses clients, obligation qui découlait aussi bien du contrat-type de gestion de fortune établi par ses soins que du décret législatif 58/1998 "Testo Unico delle norme in materia di intermediazione finanziaria".

e.b.b. Cet arrêté a été frappé d’appel par le Ministère public italien [selon les déclarations convergentes de A______ S.p.A. et D______].

C. Dans sa décision déférée, le Procureur a considéré que A______ S.p.A. n’était lésée par aucune des quatre infractions dénoncées.

Les actes qualifiés d'escroquerie (fausses informations fournies par les prévenus quant à l'existence de garanties ACE) affectaient la valeur des Senior Notes. Ces titres étant incorporés dans le patrimoine des clients de la banque, seuls ces derniers pouvaient revêtir la qualité de partie plaignante. Le fait que l’établissement avait débité ses propres comptes pour souscrire lesdits titres n'y changeait rien. L’infraction alléguée à l’art. 251 CP s'inscrivait dans le prolongement des faits potentiellement constitutifs d'escroquerie; A______ S.p.A. n'avait donc subi aucun préjudice personnel du chef d’une éventuelle violation de cette norme. Concernant les actes imputés à B______ (SUISSE) SA en ses qualités, d’une part, de venderesse des créances sous-jacentes aux Senior Notes et, d’autre part, d'agent d'encaissement de ces mêmes créances (art. 138 et 158 CP), ils avaient été commis au détriment de G______ SA.

D. a.a. À l'appui de ses recours et réplique, A______ S.p.A. soulève trois principaux griefs.

Premièrement, le Ministère public avait constaté plusieurs faits de manière inexacte dans sa décision.

Deuxièmement, cette autorité avait violé les art. 115 et 118 CPP en lui déniant la qualité de partie plaignante. S’agissant de l'infraction d'escroquerie, elle-même avait souscrit et payé les Senior Notes – dont la valeur était moindre que celle promise – quelques jours/semaines avant de les incorporer dans les portefeuilles de ses clients, respectivement de les leur revendre; c'était donc bien son patrimoine qui avait été directement lésé au moment de la commission de l'infraction, celui desdits clients ne l'ayant été qu’ultérieurement. L’arrêté italien [sus-évoqué] ne remettait nullement en cause cette thèse; en effet, son statut de lésée n’y avait été abordé qu’à titre incident et le Tribunal milanais avait traité cette problématique de manière abstraite, sans analyser les spécificités inhérentes à l’acquisition successive (par elle-même, puis par ses clients) des Senior Notes. Quoi qu’il en soit, la question de la propriété de ces derniers titres n’était pas pertinente pour déterminer sa qualité de partie plaignante; seule l’était la diminution de son patrimoine induite par le paiement des Senior Notes. Concernant l'infraction à l'art. 251 CP, la confiance qu’elle avait placée dans les rapports trimestriels (Asset Manager Reports) établis par B______ (SUISSE) SA avait été atteinte à un double titre, puisqu'elle s'était fondée sur ces documents aussi bien pour continuer de souscrire les Senior Notes au fur et à mesure de leur émission que pour rédiger ses propres comptes rendus (Advanced Consulting Reports) à l'intention de ses clients. Enfin, s’agissant des faits potentiellement constitutifs d'abus de confiance et de gestion déloyale, il convenait de les "replacer (…) dans le contexte plus global de l'escroquerie"; en effet, ils constituaient "l'aboutissement" de ladite escroquerie – et par-là même la preuve de celle-ci –, puisqu’ils avaient permis au groupe B______ et à ses "agents" de s'enrichir, concrétisant ainsi le dessein d’enrichissement illégitime ancré à l'art. 146 CP.

Troisièmement, le Procureur avait violé son droit d'être entendue, en omettant de lui communiquer les déterminations de B______ (SUISSE) SA du 7 décembre 2023 avant de statuer. Contrairement à ce que soutenait cette dernière société, le présent cas ne s'apparentait aucunement à une escroquerie dite triangulaire, elle-même ayant disposé, pour acquérir les Senior Notes, non du patrimoine de ses clients (réquisit nécessaire en pareille configuration), mais de ses propres fonds.

b. Invités à se déterminer, les intimés concluent au rejet du recours, sous suite de frais.

b.a.a. Dans leurs écritures respectives, D______ et B______ (SUISSE) SA se prévalent de deux principaux arguments.

Tout d’abord, l’achat des Senior Notes n’avait causé aucun préjudice à A______ S.p.A. En effet, au moment où cette institution avait réglé le prix des titres, elle avait acquis simultanément dans son patrimoine, en vertu du contrat de giro bancaire qui la liait à ses clients, une contre-créance à l’encontre de ces derniers. À cela s’ajoutait que les dates auxquelles elle avait payé les Senior Notes coïncidaient avec les dates de valeur inscrites au débit des comptes courants de ses clients.

Ensuite, A______ S.p.A. n’avait jamais été titulaire des Senior Notes, pour les raisons retenues par le Tribunal milanais, de sorte qu’elle ne pouvait avoir subi de dommage du fait de la prétendue diminution de leur valeur. Le fait que ces titres avaient initialement transité par un compte de dépôt global de l’intéressée n’y changeait rien.

b.a.b. D______ et B______ (SUISSE) SA réclament l’octroi de dépens, qu’ils ne chiffrent pas.

b.b. E______ se rallie aux observations et conclusions de B______ (SUISSE) SA "sans ajouter d’autres arguments pour sa part".

b.c. Le Ministère public persiste dans les termes de sa décision et conteste toute violation du droit d'être entendue de la banque.

c. À l’appui de leurs allégués, A______ S.p.A. et D______ ont produit des pièces nouvelles, dont certaines ont été résumées à la lettre B. supra, dans la mesure utile.

EN DROIT :

1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance de refus de qualité de partie plaignante, sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP), et émaner de la société qui s'est vu refuser un tel statut, laquelle a qualité pour agir (art. 382 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_669/2021 du 8 mars 2022 consid. 1 et 3).

1.2. Il en va de même des observations, réplique et duplique, déposées sur invite de la Chambre de céans (art. 390 al. 2 et 3 CPP).

1.3. Les pièces nouvelles produites à l'appui de ces actes sont également recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2. La recourante se prévaut d'une constatation inexacte de certains faits par le Procureur.

Dès lors que la juridiction de recours jouit d'un plein pouvoir de cognition (art. 393 al. 2 let. b CPP), d'éventuelles inexactitudes entachant la décision querellée auront été corrigées dans l’état de fait établi ci-avant.

Le grief sera ainsi rejeté.

3. La recourante estime revêtir la qualité de partie plaignante en lien avec l'infraction d'escroquerie dénoncée par ses soins.

3.1. On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). Le lésé est la personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP), c’est-à-dire le titulaire du bien juridique protégé par la disposition qui a été enfreinte (ATF 147 IV 269 consid. 3.1).

Tant que les faits déterminants ne sont pas définitivement arrêtés, il y a lieu de se fonder sur les déclarations de celui qui se prétend lésé pour déterminer si tel est le cas (arrêt du Tribunal fédéral 1B_62/2018 du 21 juin 2018 consid. 2.1).

3.2. En matière d’infractions contre le patrimoine, seul le détenteur des biens/valeurs menacés au moment des actes incriminés dispose du statut de lésé (ATF 148 IV 170 consid. 3.3.1 cum ATF 140 IV 162 précité, consid. 4.5 in limine). Dans le cadre d’une escroquerie, un dommage provisoire ou temporaire suffit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_422/2020 du 9 juin 2020 consid. 2.1.4).

Savoir qui est le propriétaire de ces biens/valeurs se détermine à l’aune du droit civil (M. DUPUIS/ L. MOREILLON/ C. PIGUET/ S. BERGER/ M. MAZOU/ V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 14 ad Rem. prél. aux art. 137 et ss).

Lorsque la cause présente des éléments d’extranéité, la LDIP (RS 291) désigne le droit applicable au litige (art. 1 al. 1 let. b LDIP).

Le contenu de la législation étrangère doit être établi d’office, le cas échéant avec la collaboration des parties (art. 16 al. 1 LDIP). Le droit suisse s’applique si la teneur de cette législation ne peut pas être déterminée (art. 16 al. 2 LDIP).

3.3. En droit helvétique, lorsque des parties établissent une relation bancaire, elles concluent, généralement, plusieurs contrats, dont notamment un contrat de compte (habituellement un compte courant), un contrat de giro bancaire (trafic de paiements), un contrat de dépôt (conservation des titres du client) et, pour les opérations d’investissement, un contrat de gestion de fortune ou de conseil en placement (ATF 149 III 105 consid. 4.1).

Quand la banque exécute, dans le cadre de ce dernier rapport juridique, des transactions pour le compte du client, elle le fait, d’ordinaire, en application des art. 425 et ss CO, régissant le contrat de commission (arrêt du Tribunal fédéral 4C.471/2004 du 24 juin 2005 consid. 2; C. LOMBARDINI, Gestion de fortune : réglementation, contrats et instruments, Zürich 2021, n. 6 et n. 8 p. 270 [cité ci-après : C. LOMBARDINI, Gestion de fortune]; J. LEIBENSON, Les actes de disposition sur les titres intermédiés, Genève 2013, p. 168). Ce contrat relève, pour l’essentiel, du mandat (art. 425 al. 2 CO).

La banque commissionnaire peut, soit agir comme représentante indirecte du client commettant (art. 425 al. 1 CO; cf. consid. 3.3.1 infra), soit comme contrepartie de ce dernier (art. 436 al. 1 CO; cf. consid. 3.3.2 ci-après).

3.3.1. La première configuration (art. 425 al. 1 CO) s’applique lorsque la banque achète des titres auprès d’un tiers en son propre nom, mais pour le compte du client (L. THEVENOZ/ F. WERRO [éds], Code des obligations I, Commentaire romand, vol. 1, 3ème éd., Bâle 2021, n. 2 ad art. 434; J. LEIBENSON, op. cit., p. 169 et p. 228).

Agissant comme représentante indirecte de ce dernier, elle devient, en principe, propriétaire de ces titres, à charge pour elle de les transférer ensuite à son client, conformément à l’art. 400 CO (ibidem).

Ce transfert s’opère comme suit, selon le type de titres dont il s’agit :

i. Lorsque ces titres consistent dans des papiers-valeurs en dépôt collectif, des certificats globaux ou des droits valeurs – ce qui suppose que les sous-jacents qu’ils contiennent soient fongibles et négociables (en bourse ou hors bourse) – et que la banque les inscrit au crédit de l'un de ses comptes de dépôt, ils deviennent, ex lege, des titres intermédiés (art. 3 al. 1 et 6 al. 1 de la Loi fédérale sur les titres intermédiés [LTI; RS 957.1]; D. GUGGENHEIM/A. GUGGENHEIM, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 5ème éd., Berne 2014, n. 748 et ss p. 249 s.; J. LEIBENSON, op. cit., p. 228; C. LOMBARDINI, Droit bancaire suisse, 2ème éd., Zürich 2008, n. 33 p. 693).

Le client n’en devient titulaire qu’au moment de leur incorporation, par la banque, dans son portefeuille (art. 24 al. 1 let. b LTI; J. LEIBENSON, op. cit., p. 170 in limine, p. 228 et p. 231 in limine).

ii. À défaut de titres intermédiés, les règles de droit réel s’appliquent (M. ZUFFEREY, La représentation indirecte, Étude d'une institution de droit suisse, Zürich 2018, n. 702 p. 293).

Le transfert de propriété peut, ainsi, avoir lieu par constitut possessoire, c’est-à-dire sans remise des actifs au commettant, lorsque ceux-ci, après leur acquisition, restent en possession de la commissionnaire à un titre spécial (art. 924 CC; M. ZUFFEREY, op cit., n. 702 s. p. 293 s.). Les parties doivent conclure un contrat (dit possessoire) en ce sens, selon lequel la banque reconnaît le client comme propriétaire des actifs qu’elle détient et déclare les posséder désormais pour lui (arrêt du Tribunal fédéral 4A_515/2020 du 13 juillet 2021 consid. 3.2).

La propriété des titres se transmet au moment de l’entrée en vigueur de l’accord sur le constitut possessoire (P. PICHONNAZ/ B. FOËX/ C. FOUNTOULAKIS (éds), Commentaire romand : Code civil II, Bâle 2016, n. 44 ad art. 924), l’inscription de ceux-là au crédit du compte de dépôt du client ayant une portée purement déclarative (P. TERCIER/ M. AMSTUTZ/ R. TRIGO TRINDADE, Commentaire Romand - Code des obligations II, 2ème éd., Bâle 2017, n. 25 ad art. 973a).

3.3.2. Dans la deuxième configuration, l'art. 436 al. 1 CO autorise la banque, à certaines conditions, à se porter contrepartie de son client et, ainsi, à lui livrer elle-même, en tant que venderesse, les titres objets de la commission (C. LOMBARDINI, Gestion de fortune, n. 16 et s. p. 272; J. LEIBENSON, op. cit., p. 170 in fine et s.).

La commissionnaire peut donc acheter lesdits titres, en son nom et pour son propre compte, sur le marché (opération dite nostro technique), puis les revendre au commettant (ATF 114 II 57 consid. 6a; C. LOMBARDINI, Gestion de fortune, n. 18 p. 273; J. LEIBENSON, op. cit., p. 171 et p. 230 in limine).

Les rapports entre banque et clients relèvent, dans ce cas de figure, du contrat de commission et du droit de la vente (arrêt du Tribunal fédéral 4A_547/2012 du 5 février 2013 consid. 4.1; C. LOMBARDINI, Gestion de fortune, n. 17 p. 272).

3.4. Selon la LDIP, les parties peuvent choisir, en matière de titres intermédiés, la loi applicable à leur rapport de compte (art. 108c LDIP cum art. 4 de la Convention de La Haye du 5 juillet 2006 sur la loi applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d’un intermédiaire [RS 0.221.556.1]). À défaut, il s’agira, en principe, de celle dans laquelle la banque dépositaire est située (art. 108c LDIP cum art. 5 al. 1 de cette même Convention).

Les contrats de mandat et de vente sont régis par la législation choisie par les cocontractants (art. 116 al. 1 LDIP), subsidiairement par celle de l'État dans lequel le mandataire ou le vendeur a son siège (art. 21 al. 1 cum 117 al. 1, al. 2 et al. 3 let. a et c LDIP).

3.5.1. En l’espèce, la recourante reproche aux prévenus de l’avoir astucieusement amenée à souscrire, auprès de G______ SA, les titres issus des opérations TF I-IV.

Si cela s’avérait, la configuration dite de l’escroquerie altruiste – applicable lorsque l’auteur procure à un tiers (ici G______ SA) un enrichissement illégitime (A. MACALUSO/ L. MOREILLON/ N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 122 ad art. 146) – pourrait être envisagée.

3.5.2. Aux dires de la banque, le dommage résultant de cette (prétendue) infraction consisterait dans la différence entre la valeur nominale des Senior Notes et leur valeur réelle, inférieure en raison, notamment, de l’absence d’une caractéristique essentielle (garanties ACE couvrant les risques inhérents aux créances titrisées) et de la surévaluation de certains actifs.

À supposer qu’une telle différence existât, elle aurait affecté la valeur des Senior Notes, et ce dès leur émission.

Partant, seul(s) le ou les titulaire(s) initial/initiaux de ces titres pourrai(en)t avoir subi un dommage direct, au sens de l’art. 115 CPP, à l’exclusion des personnes les ayant acquis ultérieurement (cf. art. 121 al. 2 CPP a contrario).

Que ce(s) premier(s) titulaire(s) les ai(en)t achetés au moyen de fonds leur appartenant, ou non, est à cet égard indifférent – puisqu’un individu peut fort bien acquérir des titres au moyen de sommes avancées/données par un tiers –.

Il s’ensuit que la thèse de la recourante relative au paiement des Senior Notes par ses soins n’est pas pertinente pour statuer sur sa qualité de partie plaignante. Il en va de même des arguments des prévenus tirés de l’absence de préjudice pécuniaire subi par la banque (prétendue existence d’une contre-créance détenue par cette dernière, respectivement inscription, au débit des comptes courants des clients, de dates de valeur coïncidant avec les jours auxquels l’institution a payé les titres).

3.5.3. Les Senior Notes ont été initialement remises à la recourante (par G______ SA, qui les a créditées sur un compte de dépôt global de l’intéressée).

Quelques jours/semaines plus tard, la banque les a incorporées dans le portefeuille de ses clients (à la date de l’écriture comptable).

Il convient donc de déterminer qui, de celle-là ou de ceux-ci, étai(en)t propriétaire(s) de ces titres, à l’époque où ils étaient inscrits à l’actif du compte de la recourante.

3.5.4. Pour ce faire, il y a lieu d’analyser les relations contractuelles liant les intéressés, à l’aune du droit désigné par la LDIP, la cause présentant des éléments d’extranéité.

La législation italienne paraît être a priori applicable.

En effet, l’un des deux contrats-types liant la banque à ses clients se réfère aux règles du mandat ancrées art. 1703 et ss CC it. et celle-là a son siège à F______ [Italie].

Or, le Ministère public n’a pas établi le contenu de cette loi.

L’on ignore donc si des principes identiques/similaires à ceux du droit suisse, exposés au considérant 3.3 supra, sont susceptibles de s’appliquer, en tout ou partie, au cas d’espèce.

3.5.5. D______ a produit un arrêté rendu par le Tribunal de J______ le 11 mars 2024. Cette juridiction y retient – et à sa suite les prévenus – que la recourante ne serait jamais devenue propriétaire des Senior Notes, en raison de son obligation de maintenir ses actifs séparés de ceux de ses clients.

Toutefois, une telle obligation de ségrégation est usuellement destinée à éviter que les titres de clients ne tombent dans la masse en faillite de l’intermédiaire financier qui les détient; elle ne s’applique, du reste, qu’aux valeurs dont ces mêmes clients sont déjà propriétaires. Elle ne règlemente donc a priori pas les modalités d’acquisition de la propriété de titres.

Quoiqu’il en soit, l’arrêté concerné n’est pas définitif, ayant été frappé d’appel par le Ministère public italien.

Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’y référer (du moins en l’état) pour statuer sur la qualité de partie plaignante de la recourante.

3.5.6. Le prénommé a également produit un "avis pro veritate", rédigé par un professeur d’université italien. D’après ce dernier, lorsqu’un mandataire, en sa qualité de représentant indirect d’un client (art. 1705 CC it.), entre en possession de "biens meubles" non "inscrits dans des registres publics", achetés par ses soins pour le compte de son mandant, ce dernier en devient directement propriétaire, cela avant même que lesdits biens ne lui soient effectivement transférés (art. 1706 al. 1 CC it.).

Cet avis doit être apprécié avec circonspection, aux doubles motifs qu’il émane d’un spécialiste mandaté par D______, partie intéressée à l’issue du litige, et que la recourante en conteste la teneur – puisqu’elle estime revêtir la qualité de partie plaignante –.

Il ne semble du reste pas être exhaustif. En effet, l’on ignore, à sa lecture, si le droit italien connaît l’institution de titres intermédiés et, dans l’affirmative, comment il réglemente celle-ci. L’on ne sait pas davantage si cette législation contient une norme équivalente à l’art. 436 al. 1 CO – étant rappelé que la recourante affirme avoir vendu, à certains de ses clients, des Senior Notes préalablement achetées par ses soins, allégation dont il convient de tenir compte à ce stade, les faits déterminants n’étant pas définitivement arrêtés sur ce point –.

3.5.7. Il s’ensuit que les éléments du dossier ne permettent pas d’établir, à l’aune du droit italien, qui de la banque ou de ses clients, étai(en)t propriétaire(s) des Senior Notes, à l’époque où ces titres étaient inscrits à l’actif du compte de dépôt global de la recourante.

Ce droit étant, a priori, aisément déterminable (art. 16 al. 1 LDIP), il est prématuré de trancher cette question sous l’angle de la législation helvétique (art. 16 al. 2 LDIP).

3.6.1. En conclusion, l’on ne peut exclure, à ce stade, que la banque ait pu être lésée (art. 115 CPP) par l’escroquerie alléguée. Que cette (éventuelle) lésion ait été temporaire n’y change rien, une atteinte provisoire étant suffisante.

Il s’ensuit que la qualité de partie plaignante ne pouvait être déniée à l’intéressée.

3.6.2. Dans ces circonstances, point n’est besoin d’examiner si le Ministère public a violé le droit d’être entendue de la recourante, en omettant de lui transmettre la missive de B______ (SUISSE) SA du 7 décembre 2023, celle-ci traitant uniquement du statut de lésé de la banque en lien avec l’art. 146 CP.

4. La recourante considère être directement lésée par l'infraction alléguée à l'art. 251 CP.

4.1. Un faux dans les titres peut porter atteinte à des intérêts individuels lorsqu'il vise à nuire à une personne (arrêt du Tribunal fédéral 6B_588/2022 du 8 mai 2023 consid. 2.1.2).

Tel est le cas si ce document constitue l'un des éléments d'une infraction contre le patrimoine (ibidem), respectivement quand il est, ou pourrait être, présenté à une personne susceptible de prendre des dispositions préjudiciables à ses intérêts sur cette base (ATF 148 IV 170 précité, consid. 3.5.1).

4.2.1. In casu, la banque allègue, tout d’abord, s’être fondée sur les rapports trimestriels (Asset Manager Reports) établis par B______ (SUISSE) SA entre janvier 2019 et septembre 2021 pour continuer de souscrire des Senior Notes, au fur et à mesure de leur émission.

À supposer que ces documents constituent des titres au sens de l’art. 251 CP et que les explications qu’ils contiennent aient été de nature à inciter la recourante à acquérir de nouvelles Senior Notes, cette dernière pourrait avoir été trompée par leur utilisation.

Les prétendus faux seraient alors l’un des éléments de l’infraction d’escroquerie possiblement commise contre la banque.

Aussi la qualité de partie plaignante de l’intéressée doit-elle être admise à cet égard, en l’état.

4.2.2. La recourante soutient, ensuite, s’être fondée sur ces mêmes rapports – qui, selon elle, lui étaient exclusivement destinés – pour rédiger ses propres comptes rendus (Advanced Consulting Reports) à l’intention de ses clients titulaires de Senior Notes.

En admettant que la teneur de ces rapports, et partant desdits comptes rendus, soit erronée, et que la banque ait fourni à ses clients des informations susceptibles d’engager sa responsabilité contractuelle, elle aurait alors pris des dispositions préjudiciables à ses intérêts en se basant sur ceux-là.

Pour cette raison également le statut de lésé potentiel doit lui être reconnu.

5. La recourante estime disposer de la qualité de partie plaignante s’agissant des infractions d'abus de confiance et de gestion déloyale dénoncées par ses soins.

5.1. Quand une infraction est commise au détriment du patrimoine d'une personne morale, seule cette dernière subit un dommage direct, à l'exclusion de ses créanciers, touchés par ricochet (ATF 148 IV 170 précité, consid. 3.3.1).

5.2. Dans la présente affaire, la banque reproche à B______ (SUISSE) SA d’avoir : vendu à G______ SA des créances à des prix surfaits; cédé à cette dernière des actifs appartenant à un tiers (I______ LTD); géré les valeurs sous-jacentes aux Senior Notes de manière critiquable; profité de sa fonction d’agent d’encaissement (Collection Agent) pour détourner une partie des sommes recouvrées.

Ces faits, s’ils étaient avérés, auraient occasionné un préjudice direct à G______ SA, la banque et/ou ses clients, créanciers de cette dernière société, étant atteints par ricochet.

À cela s’ajoute que la recourante n’a confié à B______ (SUISSE) SA ni son argent (art. 138 CP), ni de mandat de gestion (art. 158 CP).

Elle ne saurait donc être lésée par ces infractions.

Que les agissements sus-décrits puissent être (éventuellement) propres à établir le dessein d’enrichissement illégitime ancré à l’art. 146 CP n’y change rien.

6. 6.1. En conclusion, le statut de lésé de la banque doit être admis, à ce stade, s’agissant des infractions aux art. 146 et 251 CP.

Le chiffre 1 du dispositif de l’ordonnance attaquée sera donc partiellement annulé, dans la mesure où il dénie à l’intéressée un tel statut.

6.2. Il s’ensuit que la recourante est légitimée à conserver, en l’état, les pièces du dossier qu’elle détient, à charge pour le Ministère public, s’il estime qu’une restriction partielle de l’accès à la procédure s’impose en lien avec les infractions aux art. 138 et 158 CP, de rendre une décision sur ce point.

Le chiffre 2 du dispositif de l’ordonnance querellée sera donc également annulé.

7. La recourante obtient gain de cause et succombe dans une mesure équivalente (sa qualité de partie plaignante ayant été admise pour deux des quatre infractions dénoncées; art. 428 al. 1 CPP).

Elle sera, en conséquence, condamnée à la moitié des frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 3’000.-, vu la charge de travail induite par le recours (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit au paiement de CHF 1'500.-. Cette dernière somme sera prélevée sur les sûretés versées, le solde (CHF 500.-) devant lui être restitué.

L’autre moitié desdits frais (CHF 1’500.-) sera laissée à la charge de l'État (art. 423 al. 1 cum 428 al. 1 CPP).

8. 8.1. Conformément à l’art. 436 al. 3 CPP, la banque a droit à une juste indemnité en lien avec l'activité pour laquelle elle a obtenu gain de cause.

Elle réclame CHF 6'000.- à ce titre, sans toutefois justifier cette prétention.

Un montant de CHF 3'000.- lui sera donc octroyé, ex aequo et bono, hors TVA, l’intéressée ayant son siège à l’étranger (ATF 141 IV 344), à la charge de l'État (art. 433 CPP).

8.2. Dans la mesure où B______ (SUISSE) SA et D______ se sont tous deux déterminés, de manière circonstanciée, sur le recours et où ils ont obtenu partiellement gain de cause, ils peuvent prétendre à l’octroi de dépens (art. 436 al. 2 CPP).

Les intéressés n’ayant pas chiffré, ni justifié, de prétention en ce sens, ils se verront allouer, d’office et en équité, une somme de CHF 3'000.- chacun, à la charge de l’État (art. 429 al. 1 let. a et al. 2 CPP).

Seule celle octroyée à B______ (SUISSE) SA sera majorée de la TVA à 8.1% (CHF 243.-), cette société ayant son siège en Suisse – D______ résidant, pour sa part, en Angleterre –.

8.3. E______ s’étant contenté, dans une missive rédigée par son avocat, de se rallier à la position de B______ (SUISSE) SA, il n'apparaît pas avoir dû assumer de dépense justifiant l'octroi d'une indemnité (art. 430 al. 1 let. c CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet partiellement le recours.

Annule, en conséquence, le chiffre 1 du dispositif de l’ordonnance attaquée, en tant qu’il dénie à A______ S.p.A. la qualité de partie plaignante en lien avec les infractions alléguées aux art. 146 et 251 CP.

Confirme, en tant que de besoin, ce même chiffre 1, dans la mesure où il dénie à la précitée la qualité de partie plaignante s’agissant des prétendues infractions aux art. 138 et 158 CP.

Annule le chiffre 2 du dispositif de l’ordonnance attaquée.

Condamne A______ S.p.A. à la moitié des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 3'000.-, soit au paiement de CHF 1’500.-.

Dit que ce montant (CHF 1’500.-) sera prélevé sur les sûretés versées, le solde (CHF 500.-) devant être restitué à la précitée.

Laisse le solde des frais de la procédure de recours (CHF 1’500.-) à la charge de l’État.

Alloue à A______ S.p.A., à la charge de l'État, une indemnité de CHF 3'000.- TTC, pour la procédure de recours (art. 433 CPP).

Alloue à B______ (SUISSE) SA, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 3'243.-, TVA à 8.1% incluse, pour la procédure de recours (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Alloue à D______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 3'000.- TTC pour la procédure de recours (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ S.p.A., B______ (SUISSE) SA, D______ et E______, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu’au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/6342/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

40.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

2'885.00

Total

CHF

3'000.00